lundi 19 février 2018

La llengua del meu cor / La langue de mon cœur

La meva llengua no és d'immersió,
no necessito entrar dins del mar
per a assaborir-la. La meva llengua

és de cor i me l'aprenc, dia rere dia,
des de fa tant de temps. Aleshores, jugava
a rugby i portava els cabells rinxolats i

llargs. Escoltava la Nova cançó en elepès
elegants de l'editorial comunista Chant du Monde.
Llegia Joan Veny i Salvat Papasseit. Frisava per

creuar la frontera i parlar-la. A la vora del mar,
un mar on no entraria sinó per a banyar el meu cos
cansat. La meva llengua no és d'immersió. No necessito

cap mar ni oceà, peró ja sento en les comissures la sal
dels plors dels qui creuen que, en amenaçar la immersió,
perdran la seva llengua. De cop i volta, em prenc aquesta

paraula, fa poc rebutjada, com un estendard i defenso els
meus germans de cor, de girs i de mots i crido a l'odiosa
caverna: «Sempre endavant, mai morirem».

*** 

Ma langue n'est pas celle de l'immersion,
je n'ai nul besoin d'entrer dans la mer
pour la savourer. Ma langue

vient du cœur et je l'apprends, jour après jour,
depuis tant de temps. À l'époque, je jouais
au rugby et j'avais les cheveux bouclés et

longs. J'écoutais la Nova cançó sur des albums élégants 
de la maison d'édition communiste Le Chant du Monde.
Je lisais Joan Veny et Salvat Papasseit. J'avais hâte

de traverser la frontière et de la parler. Au bord de la mer,
une mer où je n'entrerais que pour baigner mon corps
fatigué. Ma langue n'est pas celle de l'immersion. Je n'ai nul besoin

d'une mer ou d'un océan, mais je sens déjà sur mes commissures le sel
des pleurs de ceux qui croient que la menace sur l'immersion leur fera
perdre leur langue. Et, soudain, je prends ce mot,

naguère rejeté, pour étendard et je défends mes
frères et sœurs de cœur, de tournures et de mots et je crie à l'Espagne
de la haine : «En avant toutes, on ne mourra jamais».

Une larme de sel

Sur la commissure droite,
une goutte toute ronde,
gorgée de sel neuf.

Ma fille est dans mes bras,
tout encore désespérée du
réveil affamé. Elle me fixe

de ses deux grands yeux ronds
puis balaie la pièce qu'elle fait
sienne. Délice du lait tiède avec

qui elle fait corps de ses mains
menues. Le matin n'a pas d'heure,
pas encore. Mes bras se font berceau

et les rides ne sont plus. Un chant
me vient aux lèvres, succédant aux
bruits de bouche complice. Son frère,

d'un bond, l'a rejointe et lui tient
la main. Il veut jouer et s'impatiente
devant ses mouvements gauches et ce qu'il

croit immobilité et en qui je vois, déjà,
les milliers de kilomètres à venir, sur
divers continents, qu'elle parcourra un jour.

jeudi 15 février 2018

Branchages

Les branchages ont rempli
le coffre de ta voiture et tu
ne vois plus rien.

Bientôt tu t'en iras, l'allure
mesurée, vers la décharge
où ils partiront en fumée.

J'en aurais bien fait une
couche moelleuse et 
t'aurais invitée à y voir

des arbres les feuilles à 
l'envers. Nous nous serions
restaurés d'olives noires

et d'un peu de fromage grec.
Puis nous aurions bu un peu
de ce vin que tu aimes et 

que l'on dit venir des Amouriers.
Bien sûr, les branchages ne sont
plus et la banquette occupe

à nouveau le coffre ensommeillé,
mais mes vers déjà t'annoncent
ma venue prochaine

et du rêve à deux à nouveau
partagé une couche de branchages
pour ensemble s'y reposer.

mercredi 14 février 2018

Una bossa d'aranges / Un sachet de pamplemousses

al Lluc

Te'n recordes, d'aquella bossa
estreta i profunda, plena d'or
i de rovell? El nostre amic

hi havia guardat unes aranges
del seu hort. Ens esperaven
al saló, en silenci. Rodones,

pesades, semblaven les pomes
dorades del jardí de les bessones
Hespèrides. Quan me les donà,

no diguí res i deixí desfilar
els estanys abans de tastar-ne 
una i d'oferir-te'n el suc

lleuger i àcid. Quants de mesos
a prendre sol i aigua, a recer
de la còlera dels homes i de

l'amor fugisser. Uns astres
petits, que caben en la mà
i eternitzen l'estima.

***

Te souvient-il de ce sachet
étroit et profond, plein d'or
et de rouille. Notre ami

y avait gardé quelques pamplemousses 
de son jardin qui nous attendaient
dans le salon, en silence. Ronds,

lourds, on aurait dit les pommes
dorées des deux jumelles 
Hespérides. Quand il m'en fit don,

je ne dis rien et je laissai défiler
les étangs avant d'en goûter
un et de t'en offrir le jus

léger et acide. Tant de mois
à prendre le soleil et l'eau, à l'abri
de la colère des hommes et des

amours fugaces. Quelques petits
astres, qui tiennent dans la main
et rendent éternel l'amour.



mardi 13 février 2018

Molideventaires / Moulinàventeux

Silenci de les torres blanques
alineades en la foscor.

Fredor de les passes lliures
i dels gats d'ulls blaus i buits.

On és la joia dels carnavals
passats? La il·lusió del jovent?

Recordo els últims mesos de la
infantesa en mig dels peus negres,

les ampolles de xampany barat obertes
precipitadament quan un general la dinyà,

mentre per les carrosseries la gent corria,
teclejant Algèria francesa. Passaren anys

i panys, peró mai paranys, els veïns envelliren
i nouvinguts arribaren amb llavis de sal i peixos

saltadors. S'obriren les finestres tant de temps
tancades i a poc a poc es creà una república

lliure i independent, sense gana ni bitllets, mentre,
no gaire lluny, la gent es desesperava somiant un món,

que el carrer delejava i els polítics malgastaven. Aquí,
es digueren, no tenim res, però som uns molideventaires lliures.

***

Silence des tours blanches
alignées dans l'obscurité.

Froideur des pas libres
et des chats aux yeux bleus et vides.

Où est la joie des carnavals
passés ? L'allégresse de la jeunesse ?

Je me souviens des derniers mois de
l'enfance au milieu des pieds noirs,

les bouteilles de champagne bon-marché ouvertes
en toute hâte pendant qu'un général crevait,

cependant que les gens couraient les carrosseries
en tapotant Algérie française. Des années s'écoulèrent,

sans piège. Les habitants vieillirent
et de nouveaux-venus arrivèrent, les lèvres salées

et les poissons sauteurs. Les fenêtres s'ouvrirent fermées
depuis tant de temps et une république fut créée,

libre et indépendante, sans faim ni billets, cependant que,
non loin les gens perdaient espoir, en rêvant d'un monde,

que les rues désiraient ardemment et les politiciens gâchaient. Ici,
se dirent-ils, on a rien mais on est des moulinàventeux libres.

lundi 5 février 2018

Soixante en dix

Cette impatience lente et langoureuse,
cette pression où s'expriment les doigts,
et au détour de nos chemins ta voix.
Ah le joli bouquet, ma bienheureuse.

La nuit s'était glacée de vilaine eau,
je ne croyais plus en rien, j'avançais,
comme on longe le canal, yeux baissés,
si loin du blé qui emplit les boisseaux.

Mes yeux étaient vidés, je voulais lire,
ta boîte  pour moi s'ouvrit, anonyme.
Six-cents kilomètres les séparaient,

Albert, Maria, les amants de papier,
Apollinaire et son orange opime,
nos lèvres unies du sceau de la cire.