jeudi 30 mai 2019

Una dona arraconada / Une femme au rancart

Entre el bar i el vàter,
contra la paret llardosa,
una dona juga i s'escura

lentament, amb resignació
les seves butxaques buides.
No li veig la cara,

ni li sento la veu. No m'ha vist
passar ni ha sentit el sorroll
de l'aigua bruta al meu darrere.

Puta vida de diners il·lusoris,
de monedes grisenques i aviat
esborrades. Una dona s'arracona.

***

Entre le bar et les toilettes,
contre le mur crasseux,
une femme joue et épuise

lentement, avec résignation,
ses poches vides.
Je ne vois pas son visage,

ni n'entends sa voix. Elle ne m'a pas vu
passer ni n'a entendu le bruit
de l'eau sale derrière moi.

Vie de merde et d'illusion avec
ses pièces grisâtres et bien vite
effacées. Une femme se met au rancart.

mercredi 29 mai 2019

Une paire de babouches

à C. R.

Pliées, côte à côte,
ces fausses jumelles
de peau havane

invitent à la caresse.
D'une main, puis de deux
qui les portent au nez,

comme on s'abreuve à l'eau
d'un gourg soudain, enfin
apaisé. Odeur fine,

délicatesse infinie, travail
minutieux de la savetière
prodigieuse. L'intime

du clair et le faux rudoiement
du foncé. Bientôt, gonflées
par les allées et venues,

elles feront corps avec le marcheur.
Pour l'instant, ce ne sont encore
que d'humbles portefeuilles,

sans autre espèce que celle d'un don
précieux, l'offrande d'un séjour
caillouteux et d'une langue rare.


mardi 28 mai 2019

Pyramides inversées

J'ai creusé ma paume gauche,
aux sillons épuisés, et j'y
ai glissé un peu d'eau tiède,

avant d'y jeter une pincée de
gros sel gris. Pyramides claires
à degrés, tête en bas, jouissant

de disparaître pour moi dans l'eau
étale de la fin mai. Flaque infime
ou larmes abondantes. Le premier

chagrin d'enfant ou l'eau glacée
de la crique de Cerbère, aveugle
et doucement bienveillante.

Ma peau se dessèche et se ride avec
les ans et pourtant je ne rêve que
d'anfractuosités où l'or blanc de

l'adolescence, alchimiste éventé,
d'un coup de vent comme un linge
ferait s'assécher l'onde pour en

tirer des milliers de cônes gris,
pyramides sages et claires, pointe
instantanément inversée.

samedi 18 mai 2019

Un liseré jaune

à Martí

Le petit se tient droit, fier,
souriant, l’œil vif, pétillant.
Le kimono repassé met en valeur

une ceinture neuve, barrée d'un
liseré jaune franc, premier présent
d'un enfant à ses parents. Première

étape d'un long cheminement aux couleurs
de l'arc-en-ciel, guidé par ses trois
aînés ceints de noir et qui sont passés

par les mêmes stations. Minutes intenses
qu'un père fait durer en reconnaissance
envers ses enfants qui lui ont tant donné.


vendredi 17 mai 2019

Un hommage muet

à O.M.M.

La foule se presse dans la librairie.
On a dressé des chaises pliantes qui,
bientôt, ne suffiront pas.

Il y a là des collègues, des amis, des
curieux, des aveugles de mémoire, aussi,
aux yeux opaques et bien ouverts.

Le livre présenté est épais, un éventail
de papier mat et de photos, parcouru de
signets jaunes. Sur la gauche, parfaitement

alignés sur leurs chaises, cinq personnes,
trois femmes et deux hommes, tiennent en main
un semblable éventail, plus large et plus fin.

Ce sont les lecteurs qui ponctueront la présentation
de fragments voisés, témoignages sur le pouce, réflexions
ou fictions mémorielles. L'heure est grave et le propos

dévoile la peine et la souffrance, le déchirement entre
deux pays et deux langues, rien que la parole ne puisse
entièrement porter. Voire. Sur la fin, une confidence,

soufflée dans un sourire triste, livre l'origine première.
À rebours, l'oméga d'un prénom. Hommage de parents à celle
qui les a sauvés et qui se termine par un «e» muet que,

jamais, ils ne parviendront à prononcer. Un prénom qui,
toujours, portera les deux terres imbriquées et qu'encore
le timbre fait vibrer, comme passent les pages.

mardi 14 mai 2019

Penso / Je pense

Penso amb tu, en la teu veu
fugaç com en una riuada seca,
sembrada de closques en volutes.

Miratge lent que m'acarona els 
lòbuls carnosos i lleument rosats.
Espero el frec dels teus dits i

la teva llengua molla en espiral.
Tardor reinventada on pren força
la riuada i es creuen els braços.

***

Je pense à toi, à ta voix
fugace comme à une crue sèche,
semée de coquilles en volutes.

Mirage lent qui me caresse les
lobes charnus et légèrement rosés.
J'attends le frôlement de tes doigts et

ta langue mouillée en colimaçon.
Automne réinventé où prend force
la crue et se croisent les bras.

lundi 13 mai 2019

S'altra teatrí de na Clara / L'autre petit théâtre de Clara

No en tenc fotos ni en vull tenir.
Una casa estreta i llarga, càlida,
amb olor de llenya filtrant-se

per ses fissures de sa llar apagada.
Quartos petits i plens d'objectes,
aparador de vidre com una finestra

oberta a sa carn callada i íntimament
preservada. Mantell fosc, banqueta de
fusta bona. Nínxols on cap sa conversa

después des xampany i una mica antes de
sa fideuà de verdures amb embotits finament
trossejats. Veus plenes, rialles agudes,

tota sa complicitat de dues amigues de poble
devora sa paret minuciosament encalcinada
i sa complicitat d'un pare i de son fill

ja gran. Hores delicioses, com diria un músic
al veure ses fotos des primer teatrí, ben lluny,
dintre ses terres, mes amb es mateix tint lorquià.

***

Je n'en ai aucune photo ni ne veux en avoir.
Une maison étroite et allongée, chaleureuse,
avec une odeur de feu de bois se glissant

par les fissures du foyer éteint.
Des pièces petites et pleines d'objets,
une vitrine de verre telle une fenêtre

ouverte sur la chair tue et intimement
préservée. Une nappe foncée, un petit banc
en bois massif. Des niches où se tient la 

conversation après le champagne et un peu 
avant la fideuà de légumes et de saucisses finement
découpées. Des voix pleines, des rires aiguës,

toute la complicité de deux copines de village
contre le mur minutieusement peint à la chaux
et la complicité d'un père et de son fils devenu 

grand. Des heures délicieuses, comme dirait un musicien
à la vue des photos du premier petit théâtre, bien loin à 
l'intérieur des terres, mais avec la même touche lorquienne.

dimanche 12 mai 2019

Una botiga d'aquelles d'abans / Une boutique d'autrefois

a D. P. O.

No he volgut anar on queia.
Un dia, potser. De moment
deixo que entrin els anys.

L'asfaltat dolent del carrer,
la façana bruta. L'amo gros,
de braços creuats que espera

les clientes. Silenci. Persianes
tancades. Uns quants testos avorrint-se 
lentament. Cap pressa. Encara no sabien

que la mundialització se'ls empassarien
i que la moda es faria petita i cruel.
Penso en Zola. I deixo que tornin els anys.

***

Je n'ai pas voulu aller où elle se tenait.
Un jour, peut-être. Pour le moment,
je laisse les années entrer en moi.

Le mauvais revêtement de la rue,
la façade sale. Le patron grand et fort,
bras croisés, dans l'attente

des clientes. Silence. Volets
tirés. Quelques pots de fleurs qui s'ennuient
lentement. Nulle hâte. Ils ne savaient pas encore

que la mondialisation les engloutirait
et que la mode deviendrait petite et cruelle.
Je pense à Zola. Et je laisse revenir ces années.




samedi 11 mai 2019

Serenitat / Sérénité

De serenos ja no vull sentir parlar.
O tempora o mores. Pel·lis en blanc
i negre, por callada pels carrers.

Són les deu del matí. A can Pere,
han entrat per esmorzar una parella
de municipals seguida pel sergent

amb nom de professor universitari.
Conversa animada, cafès, entrepans,
truita de calçots. A poc a poc,

s'aturen les converses. Ja és temps
de percebre la calor de la vida. Plaent,
Serena. D'altres converses m'arriben

per l'esquerra. Una família amb samarretes
estampades, una parella de viatjants que
xerren baix. Paradoxa. Insuperable serenitat.

***

Je ne veux plus entendre parler des serenos.
O tempora o mores. Films en noir et blanc,
peur silencieuse dans les rues.

Il est dix heures du matin. Au bar Can Pere,
deux agents de police sont entrés déjeuner,
suivis par leur sergent qui porte le nom

d'un maître de conférence des universités.
La conversation s'anime. Cafés, sandwichs,
omelette à l'oignon tendre. Peu à peu,

les conversations cessent. Il est temps
de percevoir la chaleur de la vie. Plaisante.
Sereine. D'autres conversations me parviennent

de la gauche. Une famille avec des polos
imprimés, deux voyageurs de commerce qui
papotent tout bas. Paradoxe. Sérénité au sommet.

vendredi 10 mai 2019

Le travail d'une vie

L'or coule, épais, liquoreux,
il dégoutte de la cuillère
tenue négligemment.

Quand il atteint la table,
le miel essaie de se fondre
au vernis qu'il mime.

Sans succès. Le convive,
s'appuyant de ses deux mains
sur l'ample table havane, pour
appuyer son propos, peste.

L'or colle à sa main gauche que
la serviette ne parvient pas à
faire disparaître. L'orateur

s'emporte, s'empourpre et s'en va.
Au sous-sol, sous le jet tiède
des sanitaires, il se défera

prestement de ces larmes d'or.
Le travail d'une vie. Quarante
journées, du levant au couchant,

à butiner mille fleurs. Sèche,
couchée sur le côté, l'abeille
s'envole dans le vent et les fleurs


à sa mémoire replient leurs pétales,
naguère de velours. Un convive, rassuré,
reprend son monologue présomptueux.

La bodegueta del Congrés / Le petit troquet du Congrès

Faltaven tres anyets abans que jo nasqués
quan l'obriren. Anys grisos de postguerra.
S'aixecaven els immobles nus al bell mig

del fang. Ja feia quatre anys llargs que
se n'havien anat els preveres i homenots
del Congés eucarístic. Naixia un barri nou.

Amb gent forastera que faria prest la sal
de Barcelona. Barriada de barris, encontres
de personalitats. Paraules des de llavors

perdudes i que busco en escoltar aquells que
dinen a Can Pere. Bona gent. Converses vives.
Res de l'altre món, tot d'aquest. Humil i

insubstituïble. La terrassa era de taules grises
però d'un gris ben diferent dels primers anys.
Plata brillant de peixos de platja. M'hi he trobat

bé. La mar de bé.

***

C'était trois ans avant ma naissance
quand ils l'ouvrirent. Années grises d'après-guerre.
Les immeubles nus poussaient au beau milieu

de la boue. Ça faisait déjà quatre ans que les prêtres 
et les dignitaires du Congrès Eucharistique s'en étaient 
allés. Un quartier neuf naissait.

Avec des gens du reste de l'Espagne qui bientôt feraient
le miel de Barcelone. Grand quartier fait de petits, rencontres
de personnalités. Mots depuis lors perdus

et que je recherche en écoutant ceux qui
déjeunent à Can Pere. De braves gens. Des conversations vivantes.
Rien d'extraordinaire, merveille d'ordinaire. Humble

et irremplaçable. La terrasse était de tables grises
mais d'un gris bien différent des premières années.
L'argent brillant des poissons frais. Je m'y suis trouvé 

bien. Merveilleusement bien.




mardi 7 mai 2019

Ronger les balustres

à M. F.

Au hasard des mots, l'océan s'abolit
et j'entends de la Belle Province
le murmure lancinant.

Ici, les églises sont froides et vides
mais qu'en est-il là-bas ? Du bénitier
les grenouilles ne s'échappent plus

guère. Au Québec, ronge-t-on encore
les balustres, entre componction
et lentes génuflexions ? Questions

sans fin, lent entrelacs du lecteur
à l'amorce du jour. Je ne serais rien
sans mes dictionnaires, en toile et

en papier, ou sur l'écran large et clair
qui fait de ma table un autel, dans la
quête infinie de mes doigts engourdis.

dimanche 5 mai 2019

Accompagner

à Ponç Pons

Le matin est frais, la maison silencieuse.
Ma table est large et les textes m'environnent.
Livres à la blancheur crue qui béent de sommeil.

Je lis et commente, m'interroge. Un mien ami me
tient la main, il parle de ses proches, ailleurs,
dans cette Allemagne dont ils ignorent la langue.

Les vers se disposent régulièrement mais le texte
est une promenade, sur un rythme alerte ; par le vers,
l'anodin s'installe et triomphe du temps. La page

tournée, un écrivain important, aujourd'hui délaissé,
mort l'année où naquit mon ami, reprend vie et carnation.
Je pense au Christ en croix. «Eli, Eli, lama sabachthani?»

Le cri est rond, la parole franchit les siècles. Le corps
desséché sur les peintures pieuses ne laisse pas d'exhaler
ces mots et l'amour de l'amour, par mon ami s'exprime. 

Le bonheur est proche et la vie fugace

à Nadine et Lionel

La pluie a dérangé les convives, comme une gifle froide,
la tente n'a pas résisté, les voici à l'intérieur. Larges
tables disposées côte à côte, chaises dépareillées.

La conversation suit son train. De petits groupes se forment,
on parle de tout, jamais de rien. Des pans entiers s'abattent
comme le glacier, au sortir de l'hiver, blanchit dans le fracas

des eaux. Certains, qui ne se connaissaient pas encore, s'interrogent.
À voix haute, derrière le dialogue. Les mots sont de la tribu,
c'est un fait, mais dans leur sphéricité que rehausse l'alcool,

chacun est un univers clos, ouvert et fascinant. Le bonheur,
de tous recherché, esquissé, rejeté, est proche, à portée de
souffle, et la vie, capricieuse, volubile, est si fugace.

vendredi 3 mai 2019

Têtes de gambas esseulées

Esseulées, des têtes au regard noir,
voisinent avec des lambeaux de fine
carapace évidée. Nature à peine morte.

Reliefs refroidis d'un festin en réduit,
ces têtes amnésiques font paradoxalement
mémoire des ripailles d'autrefois

où l'on suçait goulûment le cerveau tiède
des crustacés rougis avant de s'essuyer
repus les mains huileuses sur un tablier

blanc. Silence de l'après dîner, des deux
convives qui se lèvent, paroles d'un poète
qui frissonne du prix de s'en ressouvenir.


Lobule

Des vingt tomes du vieux dictionnaire, tire 
un volume au hasard, de la main gauche.
Et de la droite, ouvre-le à la page où feront

halte tes doigts. Laisse se poser ton regard,
comme un papillon aux ailes bien poudrées.
Ça y est ? Quel est le mot que ton cœur

a choisi ? - Lobule. Mise en abyme infinie
qui fait du cerveau un arbre à la ramure
dense. Et de toi un éternel cueilleur.



Pierres vives

T'en souvient-il ? Les mots avaient gelé,
son souffle les avait réchauffés, un à un,
comme marrons en foire.

Le printemps était de givre, un concours
s'était tu parmi les clameurs. Il était
temps de leur rendre leur liberté,

dans des nuits plus belles que leurs jours.
Le silence se fit, les mots couvaient,
braise tendre des amants bien trouvés.

Tes grands yeux (paronymies)

Tes grands yeux dans les terres,
sur le chemin qui crisse. Entre
les peupliers.

Ce regard qui se perd et tremble
tout à coup. Une pensée. Et un voile
soudain, comme une peau qui luit.

Tes grands yeux sur la mer,
dans la crique, sous sa main
repliée.

Ses égards. Tu te perds et trembles
à son cou. Un baiser. Et une voile
d'entrain, comme un drapeau qui fuit.

No sé / Je ne sais pas

a Lionel, foeta

No sé pintar ni sacar fotos.
Paisajes y rostros de mí salen
huyendo, dejándome vanos los ojos.

como una cáscara amarga. Entonces,
solo, aislado en mi cuarto oscuro,
me los invento con palabras crudas

que combino rápido. Vivo bosquejo
con carboncillo. Palabras recortadas
en la carne de una fruta por madurar.

***

Je ne sais pas peindre ni prendre des photos.
Paysages et visages de moi partent
en courant, évidant mes orbites

telle une coque amère. Alors,
seul, isolé dans ma chambre obscure,
je les invente avec des mots bruts

que je combine rapidement. Vive esquisse
au fusain. Mots découpés
dans la chair d'un fruit restant à mûrir.

Instants

De partage. Fulgurance
sereine. Le visage d'une
enfant aimée, comme la mer

étale renvoie l'image tendre
du passé. Plaisir muet, sage
et complice. Si loin sont les

additions et la poésie du mardi.
Temps calme. La richesse est 
dans l'anodin des instants partagés.

Una giornata qualunque / Une journée ordinaire

La pioggia. Fredda. La matina come
un pomeriggio di novembre. Una lenta

campana e il mio cuore addormentato.
Sto sognando. Mi piacciono l'amore e 

le ciliegie. Penso alle tue letture 
e le invento. Atarassia piacevole.

*** 

La pluie. Froide. Le matin comme
une après-midi de novembre. La lenteur

du glas et mon cœur endormi.
Je rêvasse. J'aime l'amour et

les cerises. Je pense à tes lectures
et je me les invente. Plaisante ataraxie.

Un livre

Posé à même la toile cirée vermillon,
un livre dont je ne vois pas la tranche
par tes doigts caressée.

Un titre, le noir et le blanc que brûle,
incontinent, le reflet fugace d'un flash.
Un instant de ta vie, de tes jours.

Une pause entre deux respirations, au parfum
doucereux d'acacia. Le livre comme refuge ou
comme alcôve. L'espace s'abolit, les océans

ne tiennent pas plus que l'eau tiède du tub
remuée par ta main nonchalante. Vieux cliché
inventé, révolu. Ma révolution. Envolée.

jeudi 2 mai 2019

Polir les mots

Patiemment, les garder un peu dans sa bouche,
comme un galet tiédit au creux de la paume.

Mais l'œuvre, pour habituelle qu'elle soit,
durable ritournelle, reste inféconde s'il n'est,

proche ou lointaine, une oreille amie, pour s'en
repaître et en faire naître de nouveaux. Amour

des mots partagés, en une langue ou en mille,
au cœur des terres, sur la côte poissonneuse

ou à la frontière des monts escarpés. Respect.
Infini. Quand je polis mes mots en bouche, c'est

un peu comme si la pulpe de tes doigts clairs,
dessinait dans ma main du cœur la ligne infinie.

mercredi 1 mai 2019

Une bouteille à col de cygne

À Vincent et Victor

Un jour aura suffi, guère plus.
À petites lampées, les bulles
se sont envolées et le plastique

bleu pâle me reste entre les mains,
encore frais. Je songe à cette soirée où 
mes grands fils, avant de reprendre leur 

train m'en ont fait présent. La bouteille bombait 
alors le torse et son bleu m'électrisait la voix. 
Elle s'est épuisée et mon cœur de joie s'emplit.

El balancí de fusta tèbia / Le fauteuil à bascule en bois tiède

No t'he parlat mai en català, no t'he parlat.
Coneixes el gra de la meva veu, a cegues,
en italià.

No hem xerrat mai en català, no hem xerrat.
Fregues la fusta tèbia del balancí quan la nit,
cansada, t'allunya de la platja d'Argelers

on nineta caminaves amb els teus pares. Passen
les hores, el balancí alenteix el ritme i s'adorm.
Ja és hora de deixar parlar la raó, el cor i el cos.

***

Je ne t'ai jamais parlé en catalan, je ne t'ai pas parlé.
Tu connais le grain de ma voix, à l'aveuglette,
en italien.

Nous n'avons jamais discuté en catalan, nous n'avons pas discuté.
Tu frôles le bois tiède du fauteuil à bascule quand la nuit,
fatiguée, t'éloigne de la plage d'Argelès

où, gamine, tu marchais avec tes parents. Les heures
s'écoulent, le fauteuil à bascule ralentit son rythme et s'endort.
Il est temps de laisser parler la raison, le cœur et le corps.

Une soirée

L'enfant couchée,
patiemment bordée,
la maison se prépare.

Nulle folie ; la pénombre
se peuple d'ombres bleues
et de sons veloutés.

Entre le canapé et l'écran 
large, le sol se fait rivage.
Nus, les pieds des amants

y reposent, comme, retroussées,
les jambes des crevettiers foulent
la grève, en quête de trésors clairs.

À l'écran, d'autres amants devisent,
à l'ombre d'un cerisier en fleurs.
La langue est étrange et les sous-titres

confus. Deux mains se frôlent. À l'écran
comme sur le canapé. La charpente craque,
la lune est haute et le vin coule franc.

À l'encre violette

Entre les lignes monotones
d'un texte ronéoté, la plume
court gracile, yeux clos.

L'encre violette déborde de
la griffe d'acier biseauté,
tachant index pouce et majeur.

Odeur fade et entêtante, bruit
myriadaire, j'ai huit ans, gris
dans mon tablier de percale.

Mais je m'égare, le texte récent
s'en démarque. La feuille imprimée
n'est qu'une portée où courent

les notes liées d'un feutre violet.
Fermeté du trait, élégance des liens,
l'amour se cache sous l'agacement.