vendredi 30 mars 2018

Grignan, mes amours

L'orange gronde et la marquise
tarde à nous accueillir. Grignan,
nos amours. La pluie s'abat dru,

en giboulées riantes. La chaumière
nous attend. À l'entrée une horloge
sombre, son balancier comme un soleil

grave. Nous n'avons que deux jours et
des siècles dans notre musette. Prendras-tu
une olive de Nyons avec ton Ambassadeur ?

Perles

Toutes simples, roturières.
À peine plus grosses qu'un grain
de poussière à l'ombre du carton,

les perles du Japon, dès l'enfance,
m'ont confectionné un orient de
fantaisie. Du lait mêlé d'eau,

porté à lente ébullition, ou un cube
gras de bouillon de volaille, tout
m'est bon pour jouer à la leçon de

choses. En se gonflant du liquide aimant,
la perle s'épanouit en chrysalide nacrée,
offrant à l'humble convive, sous la dent

et la langue, la volupté des sages et un brin
de fantaisie. Des perles, ma mie, de moi, n'attends
rivières, mais un bol partagé au plus froid de l'hiver.

jeudi 29 mars 2018

Rayon

Inventer une définition, au sens
étymologique :la découvrir, gratter
la terre sèche pour lui donner sens.

J'ouvre le vieux dictionnaire odorant,
yeux clos, doigts avides. Mon regard
s'aveugle devant un gribouillis sombre

qui tranche sur l'ivoire passée. Je force
le regard : «rayon». Je referme l'ouvrage
d'un claquement sec, je n'ai que faire

des définitions ressassées par d'augustes
académiciens cacochymes. Non. J'invente,
je découvre, je retrouve le rayon premier.

Ce n'est ni la couronne d'or du soleil, ni
ces tristes étagères des supermarchés dont
la pléthore est à mes yeux infertile.

C'est un rayon parmi plusieurs, un rayon qui, 
en n'étant plus, fait chanceler le monde. J'ai
un joli vélo bleu, un brin écaillé, mon premier.

Un rayon s'est brisé et la roue est voilée.
Mon beau vélo que j'ai tant de mal à monter
ne tourne plus, il boîte comme une porteuse

d'eau éreintée. Le monde s'effondre. Depuis,
je n'aurai de cesse de me méfier de la perfection
et de cette terre qui, dit-on, tournerait si bien.

Le pont de fer

Entre mer et étang, le lido s'amincit,
le port est là avec ses odeurs grasses
de mazout sombre et de poissons iodés.

Les mouettes volent bas, chapardeuses
goguenardes. Le train ralentit et tangue.
Le bruit des roues change. Entre le métal

et l'eau taiseuse, il n'y a rien. Rien 
d'autre que mon amour pour toi, que le 
pont de fer immobile répète à l'envi.

mercredi 28 mars 2018

Du vin de Champagne

Avez-vous lu Stendhal, en musardant ?
Le Stendhal des voyages et des écrits
spontanés, bouffées candides

d'un éternel enfant. La métonymie n'étant
pas encore de rigueur, on y voit pétiller
du vin de Champagne, un peu âpre au gosier.

Je m'en suis souvenu naguère en découvrant
le fond oublié d'une bouteille sombre.
Versé dans une coupe de fortune, il avait

perdu toutes ses bulles ou presque, de minces
filaments pleuraient notre rencontre, nous
réclamant à la surface. Nous n'étions plus

et je nous ai revus, tous deux, faisant fête 
autour de la bouteille d'un cru prestigieux.
Nos langues pétillaient sous les bulles

mirifiques, prévoyant les baisers qui nous
tiendraient unis. Les bulles ne sont plus
mais leur or demeure. Et notre éternité.

Sentiers

Délaissons, si tu le veux bien, 
l'antique voie empierrée, noble
et froide. Ses tumulus herbeux

qui la longent comme autant d'yeux
cyclopéens. Écartons-nous de la route
départementale, du chemin vicinal,

de tous ces lieux communs qui nous
effacent en nous fondant aux autres.
Coupons à travers la garrigue touffue

et ses épineux bas, frottons la toile
qui couvre nos jambes à l'épine drue.
Hasardons-nous en un mot, audacieux

et aimants. Des sentiers neufs naîtront
de nos pas appariés. Nulle carte ne le 
situera jamais, sinon l'humble carte

du tendre qui nous lie, nous délie
et nous relie, inlassablement, et que,
le soir venu, nous relirons ensemble.

lundi 26 mars 2018

Un hiver catalan

Le printemps est venu, dans l'éclat des bourgeons,
au bras des amoureux qui les frôlent en fredonnant.

Le printemps est venu, en pleine lumière, sur la neige
fondante des glaciers et dans les cocktails andalous.

Mais le printemps tarde, à l'ombre gelée des prisons.
En Castille ou dans la lointaine Allemagne. Les barreaux
épais tranchent, seconde après seconde, les espoirs innocents.

La rue s'échauffe et tourbillonne. On tient à distance les
policiers félons qui foncent dans la foule et rient aux visages
entamés. Un dimanche de braise a réuni les foules. Taisez-vous

donc et laissez-les crier. Les geôles jamais ne s'ouvriront,
à moins que la clameur, brûlante, des barreaux fassent fondre

le métal glacé. Le printemps est venu, l'automne avait menti
et vos frères humains attendent de votre langue qu'elle les délie.

Valse

De la seconde à la valse, il n'y a qu'un pas.
Un pas de danse, sur trois temps. Taille serrée,
on virevolte sans que les regards ne s'étreignent.

L'étreinte viendra plus tard, dans la pleine obscurité
de l'alcôve. Pour l'instant, la lumière est crue et
les couleurs chamarrées. Nul bruit de pas sur le parquet.

On n'est pas au tango, ni même au ballet. C'est étourdissant.
Du bal des Débutantes au thé-dansant du Quinzième, tout Paris
s'y presse. Un temps, deux temps, trois temps, puis rebelote.

Ah le joli divertissement qui abolit le temps en privilégiant
le tempo. -Vous dansez divinement, Madame. -Mais que vous êtes
gauche, Monsieur. Parfois le paradis prend des allures d'enfer.

Le train du crépuscule

Il est un train particulier, harassé
par les allées et venues incessantes
entre Port-Bou et Avignon

et qui, audace suprême, prend le temps
de lambiner sans pour autant être en
retard. Je prends parfois ce train

et je m'y oublie interminablement,
un volume corné sur la droite et la vue
perdue dans le ciel qui s'efface.

Je m'arrête à Béziers et le quitte d'un pas 
menu, le cœur gros, car je pense au jour où, 
audace suprême, vers Port-Bou, je m'en irai. 

Il fera alors nuit noire et ses roues crisseront 
longuement avant de me jeter, sur le quai, 
en passager merveilleusement abandonné.

Le tramway noir

à A.-M. V.

Il est, à Montpellier, des tramways multicolores.
La ligne pionnière les maquille de bleu et de blanc,
couleurs mariales de l'antique cité.

Les lignes ultérieures rivalisent d'audace, confiée
d'un pied de nez à de sages couturiers. Mais il est
un tramway singulier, le mouton noir du troupeau,

à la livrée de deuil. Ce mercenaire va d'une ligne
à l'autre et, n'était la numérotation, on en viendrait
à croire que l'on s'est trompé de destination.

C'est le tramway noir, qu'une romancière connue, au rire
inoubliable, photographia un jour, pour l'emmener avec
elle de festivals de polar en rencontres d'écrivains.


Elle s'est endormie

Elle s'est endormie, sur le bord de la route,
elle a fermé ses beaux yeux bleus et a laissé
la mer l'envahir. La mer et l'océan de l'enfance.

Elle n'a rien fait pour s'y opposer. Négligeant de
s'allonger, elle s'est recroquevillée, comme une enfant
perdue. Des accents d'autrefois la berçaient. Avec de

subtiles épices sur la pointe de la langue. Quarante
minutes se sont écoulées, puis elle a repris la route,
silencieuse. Et d'un mot, elle m'a invité à en parler.

Com escric / Comment j'écris

Molt sovint, em pregunten perquè escric,
si saben perfectament que no publico
gran cosa.

Peró mai ningú m'ha demanat com escric.
A l'ordinador, amb dos dits. Lentament.
A partir d'una imatge, d'un so, o de la

més pura de les casualitats. Me mouen
l'amor, la tendresa, la gana, la tristesa
aliena. En començar, no sé en quina llengua

escriuré. La primera paraula ho decideix,
o el primer vers, d'una tirada famolenca.
Algunes vegades, com aquesta, sóc jo

l'inspirador i escric per a defensar una
de les meves llengües estimades i sota
amenaça. I em deixo emportar. Lluny.

***

Très souvent, on me demande pourquoi j'écris,
alors que l'on sait parfaitement que je ne publie
pas grand chose.

Mais jamais personne ne m'a demandé comment j'écris.
À l'ordinateur, à deux doigts. Lentement.
À partir d'une image, d'un son ou du

plus pur des hasards. Je suis mu par
l'amour, la tendresse, la faim, la tristesse
d'autrui. En commençant, je ne sais pas dans quelle langue

j'écrirai. Le premier mot le décide,
ou le premier vers, d'un seul tenant affamé.
Parfois, comme aujourd'hui, c'est moi

l'inspirateur et j'écris pour défendre une
de mes langues aimées et menacées.
Et je me laisse emporter. Loin.

Seconde

Elle est le parent pauvre du temps,
juste un tic-tac sur la trotteuse
oubliée tout en haut de la salle

des pas perdus de la gare. On dit
le jour "j", l'heure "h", on se lève
à la première heure. Mais la seconde,

qu'est-elle, à part cette apostrophe
redoublée des chronométreurs avisés
qui lui préfèrent d'ailleurs ses

parties : dixième, centième, millième.
Et pourtant que ne donnerais-je pour
une seconde avec toi, qui ne me secondes

pas à l'instant qu'il est ? Mes doigts 
se serrent sur l'image des tiens qui
lentement s'égrènent. Par seconde.

samedi 24 mars 2018

Roser

No tenc es teus mots, amic meu.
Ni aquells d'ahir tan balsamàgics,
ni aquests d'avui, d'acurada

tendresa. Es meus són pocs i
malhàbils. Devora es gran teatre,
fosquet, vam xerrar i sa seva veu,

lentament, em va pintar un món senzill
i bell on l'amor no es decideix sinó
que neix a dues veus en una gran illa amiga.

***

Je n'ai pas tes mots, mon ami.
Ni ceux d'hier, si embaumagiques,
ni ceux d'aujourd'hui, à la tendresse

soignée. Les miens sont peu nombreux et
maladroits. Tout près du grand théâtre,
à la tombée du soir, on a parlé et sa voix

lentement, m'a dépeint un monde simple
et beau ou l'amour ne se décide pas mais
naît à deux voix dans une grande île amie.

Nuque

Ta nuque, raidie par la fatigue des jours
et la grisaille qui force un peu ta vue,

ta nuque dégagée par un mouvement subit et
dont la pâleur attire ma main gauche désœuvrée.

ta nuque qui ondule sous ma paume chaude et 
se recroqueville, le menton contre la gorge,
les yeux clos et ouverts à un azur autre où

nous marchons tous deux. La journée t'appelle,
la semaine n'est pas encore finie. Ordonnances,
pharmacie, ta nuque se raidit. Tu es partie.

Fraises

Maduixes, fresas, morangos, fragole,
strawberries et tant de langues ignorées,
les fraises, par leur éclat, échappent

au corset des mots justes et requièrent
l'adhésion enthousiaste. Coupez-les en
deux, disposez en coupelles leur cœur

tout nu et vous ferez d'un humble dessert 
une fête impromptue pour les grands et les
plus petits. Les grands siroteront à grand

bruit le vin mêlé de sucre dans lequel elles
assombriront leur incarnat, les petits téteront
la crème en bombe qui leur ménage un hiver

de fantaisie. Mais avant tout cela, dans le jardin, 
au petit matin, débusquez-les dans le feuillage et 
découvrez-y de l'aimée le petit nez joli.


Dimanche

Ah qu'il est doux, parfois,
de mettre la charrue avant 
les bœufs. La longue litanie

de la semaine s'interrompt et la
syllabe qui en closait les jours
introduit brutalement le dernier.

Dimanche. Le jour tant attendu et
où, délicieusement, l'on ne sait
que faire. Le lit est de glu,

les volets tardent à s'ouvrir. La 
faim saisit mais le repas viendra 
tard. Bien humble est le seigneur

qui m'interdit d'y travailler et
je ne fais plus partie des ouailles
qui se pressent à l'office. L'envie,

toute simple, me prend de l'apéritif
familial que génération après génération,
nous appelons «impératriss» en hommage

à notre aïeule minorquine qui connaissait
bien mal le français. - Que prendras-tu,
maman ? - Un whisky, bien sûr. Du Bowmore.

vendredi 23 mars 2018

Hic et nunc

Ici, dans ce train qui avance sous le soleil,
croisant tant de vies sans visage et de maisons
aux volets verts encore clos.

Ici et maintenant, en cette heure exacte où le
printemps prend force. Vivre ce temps avec une
infinie reconnaissance. Rendre grâce à la vie

qui me fait présent de chaque instant et dessine
ton noble visage. Aucune inscription sur le marbre.
Je ne suis pas épigraphe, d'autres me l'ont appris.

Non, tout juste tes doigts sur mon front qui tracent,
malhabiles, le jour et le quantième. L'heure, peut-être
aussi : vendredi vingt-trois mars à neuf heures et

quarante-six minutes, cependant que de Sète, je traverse
le pont de fer oxydé. Sur l'étang, le vent infatigable,
dessine des ridules glacées. Au loin est Balaruc où l'on

accomode, en sauce, d'exquis céphalopodes. Sur ma droite,
tout près de mon austère grand-mère paternelle, se tient Paul
Valéry et ses «cris aigus des filles chatouillées».

jeudi 22 mars 2018

Haiku de les hores

No em diguis res,
i deixa passar les hores,
t'estan esperant.

***

Ne me dis rien,
et laisse passer les heures,
on t'attend.

Cocons / Cavités salines

a P.P. i J.J. en el dia mundial de la poesia

És una neu curiosa, que sobreviu a l'hivern,
omple de tendresa líquida les anfractuositats,
abans de deixar-les òrfenes a la duresa del sol.

Prest es forma la crosta de mil capes desposades
i brillen els vulgars diamants que no trobaran
dit ni orella. Si la calcigues, casualment

extraviat, sentiràs un cruixit delerós que et vol
menjar la cama. Hauràs caigut en un cocó, i sabràs
que de l'illa cobejada ningú en surt il·lès.

***

C'est une neige curieuse, qui survit à l'hiver,
elle remplit de tendresse liquide les anfractuosités,
avant de les laisser orphelines à la rigueur du soleil.

Bientôt le croûte se forme, en mille couche épousées
et de vulgaires diamants brillent qui ne trouveront de 
doigt ou d'oreille. Si tu la foules aux pieds, par hasard

égaré, tu sentiras un craquement délicieux qui veut te manger 
la jambe. Tu seras tombé dans une cavité saline, et sauras
que de l'île convoitée personne ne sort indemne.

mercredi 21 mars 2018

Quicus / Pépé

Segur que m'estàs llegint, rere el taulell
de Sant Pere o rere la barra del dimoni.

Quicus, iaio, continua a guiar-me pels
camins estrets de la vida, amb flaire
d'aquella farigola que amenitzava les

teves sopetes del vespre. Fa anys que 
m'invento els aires d'òpera que cantaves
amb veu de tenor furibund. No els retrobo

tots. Per això escric tant de versos petits,
farcits dels detalls de la vida que em vas ensenyar.

***

Pour sûr, tu es en train de me lire, derrière le comptoir
de Saint Pierre ou derrière le bar du diable.

Quicus, pépé, continue à me guider sur
les chemins étroits de la vie, fleurant bon
ce thym qui égayait tes

soupettes du soir. Ça fait des années que
je m'invente les airs d'opéra que tu chantais
avec ta voix de ténor furibond. Je ne les retrouve

pas tous. C'est pour ça que j'écris autant de petits vers,
farcis des détails de la vie que tu m'as enseignée.

Persiennes

De l'antique Perse, elles n'ont rien gardé.
Ou presque. Le goût du secret, peut-être.

Closes l'été, à l'heure de la sieste, elles
me voient évéillé, derrière elle. À moi seul,

n'était ma corporéité, je serais tour de guet,
sur mon île estimée. Mais je suis là, silencieux
et leur rouge entre en moi, comme les rais de

lumière vive hâlent mon front dégarni. De la vie,
je cueille les miettes, mon encens, ma myrrhe,
moi qui en Dieu ne crois plus ; et des hommes,

je quête l'empreinte légère. Derrière les persiennes,
je me revois étudiant quand, de La jalousie, page

après page, je cherchais le charme singulier, avant
de courir vers la mer qui bientôt m'avalait.

Pignons

Ils sont l'amande du pauvre,
l'ovale tendre et clair sous
la gangue dure et noirâtre.

En Provence, sur la terrasse
ombreuse, on les recueille
dans un mortier de grès,

avant d'en faire de humbles
accompagnements. Un jour,
je les vis exaltés par le

bleu de l'azur. C'était à Sidi
Bousaid, tout en haut de l'escalier
du Café des Délices, parmi des cages

à oiseaux vides qui pendaient au plafond,
comme de tristes fanals. Ma mère m'y avait
envoyé, friande d'originalités. Je vis

alors combien les pignons, dorés par
l'extrême chaleur, agrémentaient le thé 
à la menthe qu'alors on me servit.

dimanche 18 mars 2018

Le halage ou les deux canaux

Les haleurs ne sont plus qui remontaient péniblement
le cours des canaux envasés. Qui a la force de ses bras,
qui tirant le bât d'une bête aveugle. L'herbe a repoussé

qu'écrase le pas leste des coureurs ou la démarche distraite
des promeneurs du dimanche. Tout à la noble tâche de donner
leur ombre aux haleurs disparus, les platanes n'ont pas vu

venir le chancre coloré qui les décime par boisseaux. Le canal,
tout près de ma demeure, se désquame, ralentissant la marche, à
l'approche de l'été. L'eau s'épaissit et semble être un abîme

où plongent incontinent mes souvenirs d'enfant. Je longeais alors
des Flandres le canal exutoire, dans l'horreur des rats musqués
qui dévoraient la berge, et je songeais à ce canal moiré dont me

parlaient mes parents exilés. J'y allais l'été, sous le faix des
cigales, l'estomac lourd de l'écœurante odeur de l'omelette flambée
au trois-six, mais jamais nous n'y restions alors que j'eusse tant

aimé que l'on y saucissonât. Le laissant sur la route, on bondait
la 404 pour, avec les cousines, se baigner à Portiragnes. L'eau était
froide et le sable vaseux lançait mon cœur vers mes canaux désirés.



samedi 17 mars 2018

Martes

La Marta no fou mai aquell personatge
bíblic humil i tan humà de la Bíblia.

La Marta, fins al meu darrer dia, serà
l'estimada del Miquel Martí i Pol.

Avui, el nom, en duplicar-se, s'ha tenyit
de tristesa. Dues Martes, la Rovira,

la Pascal, l'una d'esquerra, l'altra de
dreta, intel·ligents i cultes, acaben de

vendre's per un plat de llenties a uns
homes dolents i acarnissats contra tot

un poble que les va votar, ple d'esperança
i de goig. On sou, i on aneu, Martes del

meu desencant? Fugiu d'aquella política de
passadissos i calabossos. Reaccioneu!

La nostra Catalunya, tan estimable, s'ho mereix,
y espera un futur vuit de març sang i or i

no pas morat d'aquells cops que la població,
els vostres germans i germanes, va patir.

Sensations en chemin

La main a glissé dans le sac, aveugle,
elle nage et ondoie parmi les granulés
tièdes. 

J'imagine, autrefois, le sable ainsi, que
l'on mêlait à la chaux pour bâtir des murs
de défense ou de contention.

Mais le grain est plus gros, plus complexe,
aussi, plus tendre enfin. Des lentilles ou
des pois cassés. 

Je penche pour les lentilles. La rencontre de
quelques pierres menues me confirme dans cette
hypothèse. 

Alors de quel couleur sont-elles ? Vertes ou
délicatement blondes, orange corail ? Qu'importe.
Jamais je ne les mangerai,

bouillies et offertes, impudiques, dans un cornet
en papier. Je ne suis qu'un voyageur de passage,
fatigué, et qui s'est assis 

à côté de ces légumes secs ensachés. Je me redresse
déjà. Ma main droite est toute poudrée. J'ouvre enfin
les yeux. 

Sa surface est discrètement dorée, mate. Pourquoi pensé-je
aussitôt à Lawrence d'Arabie, Kessel et la Tobrouk d'un taxi
de fantaisie.

Courte sera la route, hasardeux le cheminement, et j'ai
tant faim de ces lieux communs par où, indolent et frileux,
jamais je ne suis passé.

vendredi 16 mars 2018

Abécédaire

Fin d'après-midi,
la pluie tombe sur tes mots,
soupe d'alphabet.

jeudi 15 mars 2018

À l'ami qui ne viendra pas

Un vélodrome nous accueille où ne roule
aucun cycle. Entre Atlantique et Pays d'Òc,
nous nous y sommes fait un havre brossien.

Jalousie du bar vert ou caprice des express
qui s'enrouent ? Qu'importe. Il sera dit que,
cette fois-ci, la poésie qui, si souvent,

nous unit, nous tiendra éloignés l'un de l'autre.
Alors, pas rancuniers pour un sou, avril nous verra
regagner le temple des mousses blondes pour y parler

de ces autres amis qui nous unissent, de Sant Celoni
à Alaior, en passant par Montagnac et Marseille, pour
le plus beau des présents : un moment d'éternité.

Tanka de la nuit

Viendras-tu bientôt,
ou préfères-tu me faire
encore languir.

J'éteins toutes les lumières,
l'orage est là, mais pas toi.

mercredi 14 mars 2018

Homes amb seny / Des hommes sensés

al Raphaël, mesquinet, que ha d'explicar «Hom fora seny»

Són dos. Poetes i amics, amants de 
les persones i no pas de la gent.

Es van trobar fa anys i panys, per
una casualitat orientada, a Besiers,
a la vora del Plateau des Poètes.

Te'n recordes, Jordi d'aquelles dones
de la vida, que ballaven sobre aires
del Claude François y de la Dalida

mentre ho feien tot per a complaure't
amb un bocí de pa i una llesca de pernil
dolç? Foren hores decisives. Nasqué

l'amistat profunda. Un dia, al Zürich 
de Barcelona, amb el teu còmplice Pere,
em demanares d'escriure les meves memòries, 

després d'escoltar unes anècdotes arranjades.
Facta non verba. Que la vida no ens castigui
massa aviat i compartirem els dies, aperto libro.

***

à ce pauvre Raphaël qui doit expliquer «Homminsensé»

Ils sont deux. Poètes et amis, amants des
personnes et non pas des gens.

Ils se sont rencontrés il y a des lustres, par
un hasard orienté, à Béziers,
à côté du Plateau des Poètes.

Dis, Jordi, tu t'en souviens de ces dames de 
petite vertu qui dansaient sur des airs de
Claude François et de Dalida

tout en faisant tout pour t'être agréable
avec un morceau de pain et une tranche de jambon
blanc ? Ce furent des heures décisives. La naissance de

l'amitié profonde. Un jour, au café Zurich,
à Barcelone, avec ton complice Pere,
tu m'as demandé d'écrire mes mémoires,

après avoir entendu mes anecdotes arrangées.
Facta non verba. Que la vie ne nous punisse
pas trop tôt et nous partagerons les jours, aperto libro.

Cependant que tu dors

Cependant que tu dors, volets tirés,
si loin de moi, je m'approche à pas
lents, pieds nus, épousant de la plante

le sol un peu frais. Tu as tourné le dos
aux importuns et aux soucis. Ta nuque,
rebelle, a vaincu tes cheveux et s'offre

à moi en toute confiance. Je pourrais être
un cruel janissaire au cimeterre tranchant,
je ne suis qu'un amant, timide et attentif.

Le drap, que je croyais étranger à la scène
qu'il volie, vit, sur ton rythme serein,
en épousant ton souffle. Il dit ton cœur

plus que la nudité ne saurait dire ton corps.
Tu es exténuée. Tu as gagné la place libre
d'un lit pour deux où mon souvenir déjà

te caresse. Pourquoi pensé-je soudain à
Paul Valéry et à son «cimetière marin» :
«les cris aigus des filles chatouillées» ?

mardi 13 mars 2018

El seminari / Le séminaire

Deixa córrer les hores, la platja vindrà,
com una tela groga, un mantell de paper.

Pensa en els amics aplegats, la sala petita
i clara, com d'un convent de xiu-xius sucrats.
Prepara la teva intervenció, ma non troppo

car els estudiants volen alt i la seva gana
és immensa. Fes el que vulgui la gran callada,

la teva illa, i molt aviat la seva. Oblida el
que dius, escolta el poeta, la seva veu, de
ritme lent i rocallós, i escriviu, allegro.

***

Laisse courir les heures, la plage viendra,
comme une toile jaune, une capeline en papier.

Pense à tes amis réunis, à la salle petite
et claire, comme un couvent de chuchotis sucrés.
Prépare ton intervention, ma non troppo

car les étudiants volent haut et leur faim
est immense. Fais ce que veut la grande taiseuse,

ton île et très bientôt la leur. Oublie ce
que tu dis, écoute le poète, sa voix, au
rythme lent et rocailleux, et écrivis, allegro.

Le fragment

Il y a peu, c'était encore une belle bâtisse,
aux pièces harmonieusement agencées. Le bois
clair se mariait à la brique sombre et on

l'eût dit édifiée pour mille ans. La neige,
singulière en ce moment de l'année, sale,
grise et empesée en décida autrement.

Il ne fallut pas plus de trois grincements
pour que la bâtisse ne fût plus. La neige
fondit, le soleil de la fin mars vint,

emportant avec lui la griseur de l'orage.
Nostalgique de l'antique demeure qui avait
réuni, autour d'une généreuse kémia, cousins

et nièces, frères, tantes et amies, j'allai
me recueillir sur le tas de gravats qui taisait
sa silhouette hautaine. D'entre les ruines,
je saisis qui un pan de tapisserie, qui un jouet

d'enfant, qui le plomb percé d'un tuyau improbable.
C'est alors que je revis celle qui convoquait les
siens, fabuleuse lectrice aux mains toujours ouvertes.

La fantaisie me porta à imaginer les pluies d'octobre
sur la ruine. Les pluies et le limon, la poussière faite
glaise. Des ans passeraient, des générations et puis des

siècles. De la bâtisse, plus rien ne demeurerait. Plus rien ?
Voire. Un enfant, grattant le sol, trouverait un verre peint
où, autrefois, naguère, on servait le thé chaud, en Méditerranée.

lundi 12 mars 2018

Comme d'habitude

C'est un petit homme, le cheveux gris et rare,
dans un gilet de laine bleue. Son corps dodeline
doucement. Il est assis à l'un de ces pianos dont

les gares se sont fait le singulier dépositaire.
Jamais il n'arrête de dodeliner et les mélodies
s'enchaînent. «Avec le temps», «Comme d'habitude»,

«l'Arnaque», «Une Histoire d'amour»... Ah le joli
bastringue. Du saloon au caf'conc', il n'y a
qu'un pas que je franchis aisément. Seul.

Les gens courent, se bousculent, le contrôle, illusoire,
continue d'opérer sous des fourches prétendument caudines.
C'est la salle des pas perdus. Il me l'avait fait oublier.

Les doigts

Pas n'importe lesquels. Pas les doigts boudinés 
des poussahs alanguis saisissant les douceurs 
sans la moindre délicatesse.

Ni les doigts fins et noueux des caissiers à
visière comptant les billets qu'une main autre
engloutira prestement.

Non. Les doigts. Tes doigts avec lesquels tu écris
si bien quand l'échange se fait. Tes doigts sur ma
peau, au hasard d'une mémoire indélébile,

labile, et qui la répètent inlassablement dans 
la tiédeur de l'alcôve, sans que nul ne les voie
mais que mon nez les devine à mille ans de là.

Tes doigts qui travaillent toute journée. Accompagnent,
guident, réconfortent. Tes doigts qui ouvrent un loquet
que l'on croyait fermé et parlent une langue, 

deux, mille. Tes doigts qui se font ouïe et me supplient 
de leur parler des assoiffés la mélopée mutine. Tes doigts dont 
j'espère, chaque jour, que de moi jamais ils ne prendront congé.

dimanche 11 mars 2018

Nolite mittere margaritas ante porcos

Pourquoi me suis-je trouvé aussitôt
dans cette cuisine ? La pendule battait vite.
Les tommettes tiédissaient mes pieds

déchaux. Un livre usé par tant de mains,
souple et grisé par les regards, m'était
une curieuse compagnie, qui m'abîmait

en elle, avant de me rejeter brutalement à
la pleine conscience. Le temps s'égréna.
J'étais bien. Entre mes deux fils.

Le grand sur les routes yvelines, souriant
de sa franche générosité ; le petit emmitouflé dans trois épaisseurs de couvertures et rêvant

aux voitures naguère contemplées.
De la prosatrice, le style était alerte,
la phrase pétillante. Je souris à la

phrase de l'Évangile, fort certain qu'en ce dimanche de l'hiver finissant, je n'irais pas
jeter des perles aux pourceaux.

vendredi 2 mars 2018

Café des Lices

Ignorant des tournois qui un jour s'y firent,
à l'ombre glacée des remparts, le café des Lices 
surprend le voyageur égaré par la calligraphie de 

son enseigne battant aux treize vents. Nulle hélice
et si peu de vices. La musique, bonne, s'y écoule
sans que les rares clients ne lèvent les yeux de

la presse locale qui croustille sous leurs doigts. 
Dans un coin du comptoir, obligeant et curieux de
tout, le patron veille. Il maîtrise le temps mieux

qu'une vie ne m'a appris à le faire. L'envie me prend
soudain, d'effacer les tableaux noirs et d'y inscrire
à la craie blanche des menus de fantaisie. Mais je n'en

fais rien et vous écris, tout à l'affût des menus changements
d'une après-midi de fin de vacances dans la cité des papes
que mon amour couve de son regard si bleu et envoûtant.


L'homme aux deux noms

à J.-N. B.

La maison est petite qui m'accueille
en ce lundi soir. Bruits de couverts
sur l'arcopal et de verres de rosé

clair. Je visite et j'observe, j'écoute
les accents rocailleux, les langues
mêlées. On daube ma méconnaissance

d'un plat connu de tous. Je dis que 
je viens d'une île où les labours secs
ont goût de sel. La maison se vide peu

à peu des occupants qu'avale brusquement
une nuit glacée à l'encens de souche.
Il demeure là avec son épouse et un ami

cher. Il commence par m'écouter parler
d'un pays frère, longuement violenté,
comme pour me jauger. Et quand ma parole

s'épuise, d'une voix lente et assurée,
il entreprend de me narrer ses racines,
de part et d'autre d'une ligne de glaise

et de pleurs. Ce nom qu'il pourrait porter
et qu'il recèle en son for.Cet aïeul de
cœur et non de sang qui quitta le sud pour

s'en aller couper les épaisses futaies d'un
nord qui sortait de la guerre, avant de s'y
marier à la plus jolie des mamans, naguère

abandonnée. Il ne m'en dira pas plus et, à
son tour, la nuit l'avalera, tenant ferme
la main de son épouse. Entre deux noms.