dimanche 18 mars 2018

Le halage ou les deux canaux

Les haleurs ne sont plus qui remontaient péniblement
le cours des canaux envasés. Qui a la force de ses bras,
qui tirant le bât d'une bête aveugle. L'herbe a repoussé

qu'écrase le pas leste des coureurs ou la démarche distraite
des promeneurs du dimanche. Tout à la noble tâche de donner
leur ombre aux haleurs disparus, les platanes n'ont pas vu

venir le chancre coloré qui les décime par boisseaux. Le canal,
tout près de ma demeure, se désquame, ralentissant la marche, à
l'approche de l'été. L'eau s'épaissit et semble être un abîme

où plongent incontinent mes souvenirs d'enfant. Je longeais alors
des Flandres le canal exutoire, dans l'horreur des rats musqués
qui dévoraient la berge, et je songeais à ce canal moiré dont me

parlaient mes parents exilés. J'y allais l'été, sous le faix des
cigales, l'estomac lourd de l'écœurante odeur de l'omelette flambée
au trois-six, mais jamais nous n'y restions alors que j'eusse tant

aimé que l'on y saucissonât. Le laissant sur la route, on bondait
la 404 pour, avec les cousines, se baigner à Portiragnes. L'eau était
froide et le sable vaseux lançait mon cœur vers mes canaux désirés.