lundi 28 novembre 2016

Naissance d'un poète

C'était un vendredi soir. Comme un grain
breton sur une vitre sans tain, les pleurs
s'étaient abattus dans les yeux d'une mère

fourbue. Son fils petit ne savait que faire,
il tournait, l'entourait de ses bras timides
et incertains. Quand, soudain, il eut une idée.

Il prit une feuille et s'empressa de faire comme
son père qui, autrefois, l'avait charmée. Il dessina
et écrivit, tordant la langue à son désir, de l'amour

les vers les plus achevés. Les pleurs cessèrent, comme
l'arc-en-ciel, sous le fait du soleil, incurve parfois
les lèvres. Un poète était né. Qui longtemps nous enchantera.


Noltros sis

(picant-li l'ullet a la Mercè Ibarz)

A poques passes del pis d'una novel·lista estimada,
una illa al bell mig de la ciutat, com una reducció
olorosa de s'illa nostra, tan propera en la llunyania.

Érem cinc, perdó: sis, que el fotògraf no hi surt al seu
clixé; haviem dinat bé i visitat un estudio fora del temps,
és a dir molt més temporal que cadascú de nosaltres,

emportant-nos litografies primes i tranquil·les. Xerràvem.
Xalàvem mentre la tarda trigava en acabar-se. Es barrejaren
els accents. Del nord, de l'est i del centre. Xaloc i garbí

es partiren la conversa. De cinema i literatura. De llengua, 
també. Sobretot, potser. Al balcó d'un pis del fons, tres 
llençols penjats ens ensenyaren a cremar la nostra bandera 

per a assaborir-la millor. S'aproximaven «las cinco de la tarde»
lorquianes. Res de toros ni de banyes sangonenques, però. Catalunya
triomfant ens segava els vents i s'independitzava, per fer-nos millors.



dimanche 27 novembre 2016

Une aiguille, quelle aiguille ?

à A.B., père et fille.

Le chemin était long et étroit,
empierré et poudreux, l'homme
marchait lentement, ne sentant

rien de la chaleur qui brûlait
ses épaules. À un moment, sans
qu'il n'y prît garde, une épine

entra sous son pied gauche, le pied
du cœur, sec et déchaussé. La marche
s'entrava, peu lui importait, il allait,

faisant son chemin à sa guise comme
Antonio Machado le lui avait enseigné. 

À un moment, un autre, sans qu'importât
la durée qui le séparait du premier,
l'aiguille chut et la blessure, aussitôt,

se referma. Un sourire apparut, sa tête
dodelina, avec un grand A et il reprit
sa route, son ombre tiède à ses côtés.



jeudi 17 novembre 2016

Un café

Hasard de la nuit. La correspondance
ratée d'un cheveu, les barrières levées,
une place inconnue. Un café m'accueille.

Le café. Celui qui m'habite depuis que Pépé
a vendu le sien, il y a cinquante ans. Je traîne
ma valise, le café, qui allait fermer ses portes

me les ouvre. Clients souriants, sur le départ,
la patronne, derrière son comptoir. Belle comme
la nuit. Voix cassée. Un soupçon d'accent portugais.

Les voix s'enflamment, elle sait les calmer, invitant
à la confidence, sans rien montrer de sa vie. 
Noblesse naturelle, à mille lieues des marquises

de pacotille. L'heure tourne, une autre correspondance
approche, je vais devoir partir. Le sourire aux lèvres.
J'ai retrouvé l'esprit du café de Pépé. Je suis bien.

Obrigado.

L'anniversaire d'un phoète

Les phoètes sont rares.
Leur anniversaire encore
plus. Entre automne et
hiver,

chaudement disposé au
mitan, j'en connais un qui
sourit, en roulant sa clope
parsimonieusement.

Bouche close, tout juste ourlée
de mousse rousse. Non, Juju,
ne t'inquiète pas, c'est de bière
que je parlais.

La journée commence à peine.
Il en sera le centre recevant les
hommages des amis, de l'aimante.
Moi, dans mon train,

j'attendrai un jour de non-anniversaire
pour avec lui de la ville arpenter le
passé. Lui avec son  appareil, moi avec
ma plume, riant tous deux comme

larrons en foire.

Sa voix

Je ne la connaissais pas.
Je me l'étais imaginée, bien sûr,
quand, pour la deuxième fois,

en proie au mal, soucieuse pour
ses enfants, elle s'était évanouie,
me laissant le silence pour parfum.

Ou dans les chaudes inflexions de
ses amis, une heure durant, parlant
d'elle, la citant, la récitant.

Grain clair-obscur, un peu gros sous
les doigts, comme semoule de kamout
ou grève de la Côte Vermeille.

Puis elle m'est venue, sans crier gare,
à deux pas de la place Wilson, dans un
café étincelant sentant la friture bon

marché et la hâte incessante des étudiants
vers le soir. Ce furent d'abord quelques
minutes. Impérieuses, dictées par une courte

visite à un ami sien, curieux libraire au
pandémonium moisi et au nom stendhalien.
Coupées par le réveil du petit, se blotissant

dans la chaleur maternelle. Puis le temps nous 
fut donné, en amples nappes, sans limite.
Curieusement, j'étais intarissable, lui narrant

ma vie par ses bords singuliers. Je lui laissai
peu d'espace, elle sut s'y glisser. Avec son rire
unique, amusé, dans la spontanéité d'une enfant

s'abreuvant à la source, avant de se coucher. Elle
me donna sa confiance, dès le début. Son cou endolori,
sans qu'elle n'y fît attention, se dégagea de l'étreinte

d'une écharpe enfiévrée et, dans les interstices, que,
volubile, à peine je lui laissais, elle m'apparut 
tout entière pour ne plus jamais me quitter.

mercredi 16 novembre 2016

LIVRE-OBJET

Butor. Encore et toujours
que la mort s'essoufle à effacer.
Non plus celui de La modification,

mais l'universitaire de mes premières
années et son Répertoires-II, usé par
mes yeux incertains. L'amour du livre-

objet ne l'a pas attendu, moi qui m'enivre
à les flairer, mais il l'a conceptualisé, en
en faisant sinon un viatique, du moins un

vademecum. La nuit est en son terme et
le jour tarde qui jalouse les lueurs du pavé
anthracite. Je suis à Toulouse en pensée,

porteur de deux volumes minces et silencieux.
Je les soupèse avec confiance. Leur encre
coule depuis longtemps dans mes veines.


mardi 15 novembre 2016

Nit d'amor

Una nit d'amor, de son profund,
estrellada i fosca, sense sentir
res de les ventades de gel.

Sense somni o gairebé. Nit de
silenci, de mots rars, d'hàpax
potser. La màgia de la tumba

viva com una pansa al cau de
l'orella. Deixa que l'occident,
Inconscient, es torni orient.

lundi 14 novembre 2016

Kumato de marché

Une poésie du cœur de la nuit,
comme une tomate noire que le rasoir
tranche, une kumato qui laisse s'échapper

quelques graines dans la liqueur dorée.
Une poésie pour toi, précieuse comptable
de livres et de mots au cœur de ton île,

de la mienne aussi. Tu attends, je le sais,
je te fais languir un peu, je t'ai imposé
dix minutes, je ne les excéderai pas.

Se donner et se retenir. Et si les mots,
choisis et échangés, n'avaient pas le même
sens ; si tes livres, malgré un nombre égal

de pages et une semblable reliure de veau
clair, ne racontaient pas les mêmes histoires ?
Qu'importe, tel le symbole grec, les deux

moitiés de la tomate kumato se rejoindront
et, en silence, réapprendont à lire ensemble
les paroles si longtemps oubliées.

mercredi 9 novembre 2016

Une fleur

« La mort est le sort commun des hommes, 
et c'est folie de n'y pas penser.» 
                               (Montaigne, Essais, I, 19)

Une fleur, mais pas l'absente de tout bouquet
ni celle des couronnes mortuaires, des rosières
ou des candidats élus. Une fleur de bitume,
quelconque.

Une migrante des champs, réfugiée à la ville,
au hasard des rafales. Une fleur rudérale,
saxifrage à force de patience. Le ciment 
se disjoint

et dans l'arène engendrée, la graine pousse
et se développe. Tige gracile, d'un beau vert
clair, parcourue d'un duvet fort malgré le
tremblement.

Et qu'importent les noms que les langues lui
prêtent. Poppy, amapola, rosella, coquelicot,
elle vit fière et enlumine la grisaille 
des rues.

Jamais ne la coupez et préservez-la des maisons
blanches et des tribunes marines. Passeront les
politiques au fard terne, son rouge leur survivra,
il crie ma liberté.

mardi 8 novembre 2016

Deux voix

à P.G. et J.P.

Deux voix. Deux voix amies.
Aussi dissemblables qu'égales,
enfermées dans l'obscurité de
fichiers à suffixe. Interminable

litanie de uns et de zéros, de blancs
et de noirs. Et voilà que je les dévoile,
un temps, un temps seulement. Une à deux 
minutes chacune, un peu d'éternité

hors du bocal. La langue prend vie, les images
s'échappent des contraintes de la typographie
soignée. Au diable la douceur du vélin, l'odeur
de l'encre oubliée au fond de l'entrepôt.

Nulle guitare, nul projecteur. La voix dans son
grain brut. Dédoublée. Pour l'une j'ai dû jouer
de filtres, la ville nous ayant étoupés. Pour 
l'autre, saisie dans la pénombre de l'étude,

je suppose, je n'ai rien fait que de m'en émerveiller.
Ces voix, digitalisées au fond de ma musette, je les
emporterai avec moi, des rives tolosanes aux rivages

de mon île. Je les ferai entendre sur fond de texte brut,
pareillement retranscrit et traduit. Et puis j'écouterai,
dans le silence des cœurs, la voix unie des poètes qui,
un jour, un seul, se dissocièrent pour se retrouver à jamais.