jeudi 31 décembre 2015

BONNE ET HEUREUSE ANNÉE 2016

Je ne vous souhaite rien cette année,
que me sont les mois et les jours ?

Je vous écris à quelques heures de
l'an neuf et je pense à votre regard,

votre souffle, votre conversation sans
qui je serais une âme errante, bien peu

digne de vos vœux. Continuez à vivre,
je vous prie, aimez, doutez, soyez.


Visites nocturnes

À deux reprises, la porte grattée
par des ongles petits. Serré dans
son pyjama gris, il a les yeux
dans le vague.

La nuit n'a plus d'heure et l'air
a pâli, il fait foid, je le borde
dans son lit. Un bisou, un câlin,
tendresse infinie.

Souvenir de nos discussions graves
et du monde qu'il étire par ses 
questions précises. Il dort encore
et il pleut sur la ville.

mercredi 30 décembre 2015

No diguis

No diguis res,
amiga de mots
crus i de tendres
esguards.

No diguis res,
mes deixa'm passar
vora el riu fresc de
la teva escriptura.

Nedaràs soleta com
un veler, caminaré tot
sol i aprendré segur,

que d'una llengua a l'altra,
La veu no canvia mai, quan
el pas és ben cert i el camí

seré

Une place

Une place à l'orée de la ville,
sirop de pluie froide sur les murs.

Des cafés réunissent les habitués
Qui s'y pressent et parlent fort.

Je marche, longe et pénètre,
ce génial bric à brac, au cuivre

mal frotté. Mais déjà ma mémoire,
mal assurée le trahit et je devrai

à l'amie toujours vigilante, de m'en
éveiller souvenir, moi qui n'y passe plus.

Confidences

Elles lient et ouvrent.
À des mondes neufs,
par des mots nouveaux.

Solidement enracinées
dans l'enfance, ou bien
inopinées au fil de l'eau,

elles sont une inflexion,
jamais une insistance,
une sage invitation à

poursuivre le chemin,
chacun de son côté,
mais en commune

espérance.

mardi 29 décembre 2015

Haïku à l'encan

Écailles de bronze,
ton regard blond sur la Seine,
ventes mirifiques.

Un orphelin de deux pieds

Pour qui ne sait écrire, l'alexandrin est juste,
commode et bon marché, riche et équilibré.
Mais enlevez deux pieds, l'édifice s'effondre.
On cherche et on tâtonne, on compte sur ses doigts.

On délaisse la rime, on se vend au premier,
on pense y arriver, on abandonne vite.
Puis à l'alexandrin, harassé on revient,
jurant mais un peu tard qu'on ne vous prendra plus.
Sur ses oreilles blanches, Valéry dort et rit.

Objets trouvés

Objets trouvés, au hasard
de l'attente dans la vaste 
salle des pas perdus. Chéris. 
Conservés un temps. Vendus,

parfois. Jamais jetés. Stylos,
blagues à tabac, carnets, fioles,
parapluies, foulards, jouets de bois,
et puis l'un qui séduit et attache,

durablement. Doux et sale, malodorant.
Le doudou d'un enfant, pâli par les
lessives et les suçottements et noirci
par l'empreinte zébrée d'une chaussure

large. Mais, qui peut bien marcher sur
le seul compagnon d'un enfant sans s'en
apercevoir, sans aussitôt vomir la bile

accumulée au fil des ans mauvais ? Le doudou
lavé, démarqué, assoupli est devenu un autre,
à la saveur du même, et depuis lors attend,
patiemment que sa cueilleuse revienne en

jouvence.

Il y eut

Il y eut cette photo triste,
un matin d'hiver, les deux arbres
nus, les cinq voitures à l'arrêt,

le rouge de la plus petite, sur
la droite comme le vermillon d'une
huile de Staël. Silence. Éternité

de l'attente, le travail qui tarde,
et la photographe de l'instant qui
imprime sa silhouette sur le carreau

brillant. Filigrane léger, palimpseste
d'ombre que l'ongle gratte comme le doigt
efface sur la buée, les mots d'amour lancés.



lundi 28 décembre 2015

De l'amour et un cliché

De l'amour. Beaucoup. Et un cliché.
Envoyé, retouché, inséré, et le livre,
oublié un instant, toute une semaine

revit. L'enfant se penche. Sur son nez
les lunettes pèsent. Il lit. Mais que sont
ces consonnes qui zèbrent la page

et que pourtant jamais on ne dit ? Minute
après minute, le panier s'alourdit qui du monde
le festin inépuisable prédit.

Des maux

Des mots. Puis la voyelle s'ouvre,
grimaçante, et les mots deviennent
maux. La confidence tranche, trahit
qui voulait étre amie.

Trop d'amour tue l'amour, dit-on.
Et les mots, les pauvres mots ?
Pauvre richesse d'un saltimbanque
nu qui ne comprend que peu

à un monde qu'il prétendait sauver.
Humilité. Un peu d'humilité, un soupçon,
et les maux seront moindres, les confidences choisies.

Et puis...

Et puis il y eut cette nuit...
Nuit de glace, nuit de sel,
du silence froid, de la bouche
desséchée.

Ces insomnies de part et d'autre
des rêves de papier. La fièvre de
l'une et le regret de l'autre. Les heures,
tant d'heures gaspillées

et pourtant nécessaires. L'harmonie
partagée, l'harmonie ressentie. Échanges
puis discussion à part soi. L'amer, l'amer
toujours recommencé.

Injuste pulsation car la vie est belle qui
déroule nations et continents, le sac sur
le dos, un baluchon de douceurs, le sourire
d'une enfant à qui on a donné son cœur.

dimanche 27 décembre 2015

Diumenge de rams

Un diumenge de rams, al cor fred de l'hivern.
Centenes de persones tancades en una sala,
d'un poble tot pensen dibuixar el futur.

Mes l'home és lliure i s'aplega quan vol,
de reunions previstes prou coneix el dol.
I decideix de les festes que li donen consol.

Un dia vindrà. Els nens se'n mofaran
d'aquestes reunions de vella política,
seques, estèriles, i en riuran ben fort.

La grande maison

Silence sonore. Les épaules ont froid,
les bras ne savent que faire qui naguère étreignaient.
Ils s'en sont allés, à Martigues je crois.

La route les a bus, le café refroidit.
Le silence s'emplit des fous rires étouffés.
L'une vous manque qui, longtemps,

chaque soir, vous réclamera. Mais, à
l'adolescence, le temps brûle les poches
et février est là qui déjà vous réunit.

La maison est vide pour qui ne la connaît
car votre cœur l'emplit de cent complicités
qui vous réchauffent l'âme et insufflent la vie.

Une servitude légère

La vie changea. Les enfants élevés,
il vous fallut choisir ailleurs un nouveau métier.
De Narbonne à Montpellier, vous connûtes

l'étroit omnibus propice à la rencontre,
mais forte était la routine, et les visages clos.
Cinq ans, vous fîtes le trajet à côté d'un sourire

qui jamais ne se déscella. Double servitude,
à l'aller, au retour, et les pages glissaient.
Parfois l'habitude s'égayait, la servitude

s'allégeait. Rencontres hasardeuses,
Pas un jour répétées. Saveur d'un monde
ancien où, à huit assis sur la moleskine,

on saucissonnait en parlant du chien gris.
Derrière vos lunettes, dans le matin clair,
vous en faites l'offrande à qui saura vous voir.

samedi 26 décembre 2015

Une enfant dans son lit

Une enfant est dans son lit, 
au prénom de merveilles, elle dort,
profondément. Sans jamais la troubler,

elle épouse sa tiédeur et lui confie
sa chaleur de parente aimante. Silence.
Respiration de l'enfant sur le seuil

de l'adolescence. Moments précieux comme
seul la Nativité sait en ménager. À distance
dans la chaleur d'une famille autre, je souris.

vendredi 25 décembre 2015

Épicène

Comme une lame vive, le genre partage
et mutile, laissant en lambeaux bientôt
secs, les racines d'une commune appartenance.

Par la magie de l'étymologie et d'une grammaire
complaisante, des noms d'animaux et des prénoms
humains y échappent, plongeant le cueilleur dans

les délices du doute et du questionnement. Derrière
le rideau factice, il trouvera, la vérité de l'être
unique et donnera à l'épicène le genre qu'il ou elle

voudra.

Un vélo sur la Robine

Cliquetis le long de l'onde froide,
parsimonie de la pédale. Juste pour
avancer sans tomber. Vingt-cinq décembre,

le halage est désert et les péniches
aveugles. Narbonne est loin déjà et les Barques
me manquent. Le froid descend d'un coup et

la luminosité décline, vous vous penchez et
allumez l'éclairage. Pourquoi songé-je soudain
à Trenet ? La promenade reprend. Délice des

heures ultimes. L'année est en son terme. Au loin,
les victuailles refroidissent que l'on ravivera pour
la clore. Un express passe tout près, riche de rencontres.

Barcelona

Quant et trobo a faltar,
reina dels marges, delícia
dels viatgers. Dos dies ja
passaren i em trobes assegut

a la taula familiar, escoltant
el Jordi Barre cantant Nadal.
Mes les seves ballades no em roben

el cor i al teu costat em voldria
desplaçar. De Trinitat Vella baixaria
el turó, m'aturaria en un cafè petit,

em beuria un got de vi dolç i als gossos
perduts parlaria de la meva vida que al teu
recer m'hauria agradat passar, dia rere dia.

Mains

«Tu as les mains de ton oncle».
Mon grand-oncle adoré, poète et
céramiste. Aucun compliment

ne pouvait me faire plus plaisir.
Ces mains que l'on immortalise
dans le plâtre, à peine décédées,

ces mains que l'on tranche aux voleurs,
refuge de l'âme qui de l'individu passe
la frontière. Mains qui écrivent pour

les heures ou les siècles à venir, mains
caressantes qui enseignent le plaisir.
Mains qui guident les foules opprimées

et du moribond allègent la traversée. Vos mains
aussi, que je ne connais pas, et qui vers un autre,
se tendent tout à coup. Mains bénies. Pain de vie.

Un Noël

Tranquille, sans cri ni vocifération.
Quelconque. Merveilleusement. Les cadeaux
attendent et l'arbre est tout petit. Il n'y a pas

d'enfant jeune, pas encore du moins. Le réveillon
fut sage, les petits plats dans les grands, pas trop.
Sur l'écran de verre, un ténor souriait. Nous le regardions,

un peu, tout à notre conversation. Nous étions trois. Ma mère,
mon père et moi. Deux cent trente-et-un an. Un grand saut en 
arrière, comme si sous Louis XVI, la Noël on fêtait.

La nuit est passée. Au fond de l'appartement, mon père ronfle
comme les ogres de l'enfance qui me faisaient trembler. À côté,
ma mère empaquette des friandises pour la compagne de l'un de mes

fils grandet. La rue est grise, sans une voiture, la nappe est d'or.
Le temps nous fait hommage et se ralentit un brin. Que précieuse est
la journée de ce vingt-cinq décembre, parents et fils un instant rassemblés.

Une enfant de la nativité

L'hôtel affichait complet, on se méfiait
des étrangers. Pensez-donc, un va-nu-pied
de charpentier et sa jeune épousée.

Un âne et un bœuf soufflèrent sur la paille
et en firent un foyer. Jésus naquit qui fut
enmaillotté avant que le Grand Livre ne s'en

saisisse et sur le bois le fixe de clous
ensanglantés. D'autres naquirent, d'autres
naîtraient. Tel ce Brian par les Monty Python

en épingle monté. Ou cette enfant quelconque
devenue rare et précieuse aux yeux d'un musicien
lui même rare, aimé de ses amis et d'autres,

tant d'autres aussi. La fureur était sur cette année.
Kennedy, Piaf, Cocteau laissaient leurs mots,
leur âme étant partie. L'ami avait sept mois,

son frère le gardait. De l'enfant, l'amour fut menacé
et un instant on crut qu'à la vie elle serait refusée,
les regards un temps écartés, sur le vert de ses yeux

enfin se reposèrent. La vie renaissait. Le monde était
en trêve, le rhum à Cuba tiédissait, tant de Vietnamiens
sur leur terre mouraient. Et elle, divine, s'élevait.

jeudi 24 décembre 2015

Une âme

Une âme que nul ne voit,
derrière le sourire qui fait
réveillon, une âme légère et 
qui vibre, doucement, tendrement.

La conversation s'allongera dans
la chaleur d'un vieux cognac, le soir
n'aura plus d'heure. Loin, si près,
La Callas alternera avec Paul Desmond.

On oubliera la fête et le nom de l'année,
on rira fort, on sera bien, et l'âme égayée
derrière les élégantes lunettes, prendra sa
part au plaisir, sans que nul ne le sache.

Un home ha mort

Un home ha mort pel carrer,
a Barcelona, prenent el sol.

No el coneixia i la grisor
envaeix un estanc de Sant Andreu,

tancat a hores d'ara, mentre, fora,
la gent es prepara per nadal. Fa fred

i fosc pels carrers on solia caminar amb
parsimonia, com havia viscut. Un sol. Era

un sol, em diu una amiga seva. Nadal s'apropa
sens ell, però amb el seu ressó inconfusible.

mardi 22 décembre 2015

Une nuit particulière

Il y eut cette journée particulière
où le délicat Marcello et la belle
Sophie tissèrent un amour impossible

et il y eut, voici peu, votre nuit
particulière auprès de cette enfant
qui n'était pas la vôtre mais qui

était de votre sang et parlait vos mots.
Elle ronflait fort, mais vous ne pestiez
pas. Vous fîtes de ce bruit régulier

un express brûlant les étapes de la vie,
en une simple nuit. Transsibérien à la
Cendrars, petite Jehanne de France...

El sillón mágico

En un estanco del barrio popular
donde desayuno medio bocadillo,
a pocos pasos, está un sillón
multicolor. Mullido, bien hecho.

Listo para acoger a las ancianas
parlanchinas que hacen la bondad
de acercarse al templo del tabaco
y de las hojas de papel oloroso.

Me lo presentó hace un par de días
la rubia anfitriona y me descuidé
de sacarle una foto. Dentro de poco,
corregiré el error. Mientras tanto,

me lo vuelvo a imaginar. Vacío, abierto,
repleto de conversaciones fugadas e
inalcanzables a quien visita tan poco
un lugar caluroso i tabacogedor.

Lire, lier, élire

Comment en vient-on à lire ?
En défaisant l'écheveau, en
en déliant la ligne confuse
comme on délace ses souliers.

Je songe à mon petit devenu
grand, subitement. Il lie,
à présent les lettres et
les sons se façonnent.

Alchimie précise et précieuse,
horizon reculé. Le goût de lire
viendra qui l'emportera vers 
des terres inconnues.

Il liera ce que l'on croyait
jusqu'alors inliable. Viendra
bientôt, s'il le veut, le temps
d'élire et la voie vers la

liberté.

lundi 21 décembre 2015

Un oiseau

Brun, petit, frissonnant,
sous le plumage fin, tombé
entre vos mains, Dieu sait
quand et de Dieu sait où.

Et qui vous parle soudain,
sans remuer le bec, en tremblant,
le frôlement est une liquide,
il porte une voyelle. Douce,

rousse. Lou, lou, lou. L'oiseau
vous souffle son nom que, sans
hésiter un instant, vous vous
mettez à répéter : Lou, lou, lou.

Al marge

Al marge del soroll i dels passos
aliens, camino solitari cap a la
infantesa oblidada i per inventar.

M'imagino traginant aigua als afores,
allà on diuen -encara no sé llegir-
que la ciutat està perdent el seu nom.

Altres paraules, altres accents. Borda
un gos amb to trencat d'autobús. El pont
s'ha trencat i no el volen reparar.

Quedaré al marge de la ciutat anònima amb
el meu càntir ple de llàgrimes salades.
Qui me'n voldrà comprar, ara que sóc tot sol?

Me hiciste

Me hiciste cambiar de lengua,
por unas palabras, unas horas,
unas caricias en el papel.

Me callé y me puse a escribir.
De otra forma. Como si me hubiera
vuelto zurdo. De golpe. Latidos.

Lentos. Palabras ajenas que se hacen
tibias según avanzan las horas. Últimas
en Barcelona, primeras en nuestra amistad.

Su libertad

Su libertad es la tuya,
es la mía, es la nuestra.

Por las sendas avanza con
los ojos vendados de seda.

La sigo sin agachar nunca
la cabeza. El abrigo oscuro

le oculta el cuello como un
estandarte morado. Silencio

de pisadas en la nieve, huellas
angélicas que rechazan los elfos.

Callo ¿o me callo?. La dejo avanzar,
libremente, apaciblemente. Me está

enseñando algo que todavía no sé
vislumbrar. ¿Mi libertad? Tal vez.

Pousser la marche

(petite poétique des limites)

Pousser la marche, oublier les chemins appris,
longer la roche où pousse l'herbe mais plus
le béton. Fermer les yeux, funambule sur le pont
en réfection.

Laisser sans regret la Vieille Trinité où est, cachée,
la prison des mineurs. S'arrêter un instant près de 
la Maison de l'Eau. Dégringoler la rue en pente
dans cette Trinité Neuve où les balcons s'ennuient.
Saluer la marchande des quatre saisons

et le Pakistanais qui met en broche la viande à rôtir.
Se laisser pénétrer par les marges multiples du cœur
de ville sans cesse repoussé. Classes, ethnies, langues
histoire,orographie. S'arrêter enfin au cimetière de 
Saint-André, y recevoir l'appel de l'ami cher et, en 
cinq minutes, décider d'un livre sur la ville en ses marges.


Ainsi conçois-je la marche poussée. Et le hasard orienté.



«Bon dia»

Fa mesos que m'invita,
sense saber-ho, en pronunciar
aquestes paraules senzilles
i plenes per a cadascú i mai
per a qualsevol.

El trobareu rere el mostrador de
fusta fosca manipulant el teclat
complicat d'una caixa solemne.
Ben pocs el veuen i no li goso
parlar,

com si fos un d'aquests déus tutelars
de la vida senzilla i menestral que
retrobo, estada rere estada, al bar
estimat on Sant Andreu encara viu
les humils esplendors passades.

Et la nuit

Et la nuit t'a accueillie
en son sein de lin clair,
le voyage t'avait exténuée.

Tu ne fis pas un pli et vite
t'endormis. Au réveil, le drap
s'était ridé de mille plis,

de monts et de vallées, de courbes
et de forêts. L'angoisse et le plaisir
sans cesse t'avaient agitée. Tu n'en sus

rien. Moi, tout au loin, entre les murs
serrés, sans rien en dire, bouche bée,
j'assistais émerveillé à l'histoire

en cours, une suite d'événements minimes
mais qui, chacun, étaient une écaille de
ta vie offerte mais jamais exhibée.

Cueillir

Cueillir la ville,
des fleurs de béton,
pour toi qui ne la 
connais pas.

Suivre la rape lente
des voitures sur l'asphalte,
s'emplir l'ouie de mots neufs
de la langue connue,

traquer l'humanité, clochard
terrestre, le sac sur le dos.
Délaisser l'appareil et ses
pesants objectifs,

mémoriser chaque détail et
s'en faire un potage tiède
pour les soirées d'hiver.
Cueillir,

oui : cueillir, et ne jamais
s'en lasser. Sant Andreu,
Porta, Vilapicina... Que d'amours
croisés

et de peines frôlées. Les bureaux
de vote ont fermé, démocratie
tranquille. Can Fabra et son petit
musée. 

Le Boca & Boca et ses seiches
persillées. Les seaux de Moritz
à peine entamés. Deux langues
épousées

et qui en moi se mêlent, intimement
et à jamais. 

Un enfant au zoo

J'ai reçu, de mon enfant le plus petit,
quelques photos qui le montraient au zoo.

Mine grave, yeux de braise, silence ponctué
de doigts interrogateurs. Alors j'ai fermé
les yeux et j'ai fait miens les clichés.

J'ai retrouvé sa voix, à trois cents kilomètres
de moi, je me la suis réinventée, riche de la vision
des loups, des singes et des grands fauves. Dans 

la poussette, les peluches souriaient paisiblement,
en devenant les simples images d'un monde que mon enfant,
Martí, découvrait, un dimanche de décembre bientôt passé.



dimanche 20 décembre 2015

Lleida

De Lleida no coneixia res
o ben poc. En trobar-me
casualment amb una lleidatana,

quequegí i li diguí un fet sens
importància. No li parlí de la Seu
Vella ni del fred que m'hi sorprengué.

Li parli de les graelles petites on els
cambrers servien els cargols. «Llaunes,
es diuen llaunes», em corregí. Llavors, 

cap cot, comprenguí que d'aquesta nova amiga
m'ensenyaria molt i guardí a la motxilla una
novel·la seva com a guia per moure'm millor

per l'estimada llengua nostra.

Farrigo-farrago

Aquest aparador no serà un farrigo-farrago?
-¿Qué quiere decir? ¿Un batiburrillo? Pues, no lo sé.

Però no ets tu la responsable d'aquest local?
-Si quiere. Yo le doy otro nombre, más placentero.

I quin, sisplau, senyora responsable?

-«Yo no digo mi canción

sino a quien conmigo va»...





Mise en abyme

Le carré est dans le rectangle ;
dans le carré un autre carré, 
son reflet. Jeux d'ombre et de

lumière, des bandes se superposent.
Au centre, une aquarelle fine. Deux
couleurs et leurs nuances. De l'eau.

Séchée depuis longtemps, comme les larmes
de celle qui tient le lieu représenté en
dix traits et quelques lettres.

À l'intérieur, on reconnaît les cadres et
les photos qui distinguent le débit. Stylisés
ils sont le squelette d'un quartier dont Merche est

une âme.



Route

La route fut longue qui t'arracha
à l'année finissante et aux amis
ennuyeux. La nuit précédente avait
été un rasoir froid, silencieuse,

hostile. Aussi fus-tu heureuse de
gagner le midi entre le chien et
le loup, dans la grisaille du soir.

Tu parlas peu, soupas légèrement,
refusas la compagnie des parents
retrouvés que tu verrais le lendemain,

Et tu montas dans ta chambre d'enfant
pour y pleurer longuement, amèrement.
Au matin tes yeux étaient clairs et
les draps embaumaient le plaisir.

Quand tu m'en fis part, je souris,
je t'avais accompagnée. Et bue.

Dues fotos antigues

A l'aparador de l'estanc, trobareu de tot
si la necessitat del tabac no us cega la vista.

Cartells, caixes, ampolles, fusta, plàstic i ferro,
un popurri del dia a dia d'actors desapareguts.

Fotos en blanc i negre, retocades, eixamplades, de
l'antiga Sant Andreu, menestral i entranyable. Entre

aquelles, nombroses, us en trec dues que no hi tenen
res a veure, en aparença, i en observar-les deixareu

de banda les « mises en scènes» del Doisneau. Un home
i una dona somriuen, plàcids, com si tinguessin tota

la vida al davant. Són el pare i la mare de la meva
amfitriona del dia i guien les meves passes. Plàcidament.



Una trobada casual

Érem quatre però només en surten
tres a la foto contra el mirall groguenc.

Arraconats per uns pocs instants de descans,
al mateix costat de la llibreria. Tres negrotes,
trenta-tres somriures i la conversa interminable.

Parlàvem de tot i el temps no ens sobrava. Entre
les lletres distintes de les dedicatòries, exquisites
i personalitzades, vaig sentir una miqueta de l'alè

de vida que neix al matí, entre boires, quan els caçadors
es queden amb unes pinzellades de plumes, viu l'ocell, enlaire.


samedi 19 décembre 2015

Ils sont / Son

À Merche et Manu

Un couple comme tant d'autres,
croit-on, et pourtant...

Si vous allez du côté de Sant Andreu,
remontez sa rue principale, un peu
après la courbe. Au fond d'un débit

de tabac étroit, interminable à qui sait
ouvrir les yeux, ils vous accueilleront,
serrés, aimants, disponibles, prêts à

vous aider à cheminer dans l'existence.
Il a la voix rauque, elle a un sourire
à foison qu'elle distribue en languettes

de couleur à l'entrée du magasin. Sur les murs,
des photos, au sol des caisses d'une existence
antérieure.

Le sel de la vie. En deux personnes.

***

Una pareja como otras tantas,

dicen, sin embargo...

Si pasas por Sant Andreu, 

ve por la calle mayor, justo
después de la curva. En el fondo de un estanco

estrecho, interminable para quien sabe

andar de ojos abiertos, te acogerán,
apretados, amantes, disponibles, listos

para ayudarte en el camino del vivir.

Él tiene la voz ronca, ella un sinnúmero
de sonrisas que reparte en tiritas 

de color en la entrada de la tienda. En las paredes,

una fotos, en el suelo unas cajas procedentes de una existencia
anterior.

La sal de la vida. En dos personas.




Un plaisir

La main frôle la peau, douce et claire,
au moment de l'endormissement. Frôlement
de la cuisse contre le drap rêche. Sursaut.

Les doigts se courbent. Pliure sue. Le souffle
prend son rythme et le temps se fait autre.
Incarnat des lèvres qui s'entrouvrent. Éminence

à nulle autre pareille. La vague lèche le sable
qui se croyait oublié. Course appariée des runners
sur le sable tendre. Trébuchent et reprennent.

Les yeux se ferment et s'ouvrent sans voir. Visage
exténué. La main repose contre le drap, perlée en
son terme. La voix de la Callas, enfin,  bat aux tempes.

Et l'amour, me direz-vous ?

L'amour ne se cherche ni ne s'invente,
il vient comme tombe dans la main, léger,
le pétale du coquelicot fraîchement coupé.

Il se savoure, à petites lampées, whisky
tourbé que la paume, patiemment, a réchauffé,
puis il s'en va, laissant une empreinte tiède.

L'amour se reçoit, sans a priori ni précaution,
il n'a pas de sexe même si le sexe le guide. Il est,
c'est tout, c'est beaucoup. Sans lui, que serions-nous ?

Au Versalles, à Sant Andreu

Le marbre est froid et les mots vont vite,
patins de lettres sur le lac gelé. Sur la droite,

la faïence tinte, en cadence, le percolateur tousse,
le service commence. Lentement. Mon voisin tourne

les pages du quotidien. Un autre découpe avec parcimonie
une omelette au jambon. Saveurs simples. Plaisirs intenses.

Les rues m'appellent déjà mais j'en diffère la course, je veux
modestement m'imprégner de l'humanité tiède d'un samedi périphérique.

mardi 15 décembre 2015

Capital del delit

Per qui estima els versos
sensibles de Paul Éluard,
Capitale de la Douleur
no és pas la Ciutat de
la llum sinó el dolor
màxim.

M'estimo més la meva tendra
capital del delit que no és
ni serà París o la Madrid 
d'una nova alcaldessa. 
És la Barcelona dels carrers 
de barri, 

secs i sonors. La Sagrera, Nou
Barris o l'entranyable Sant Andreu, 
on visitaré un estanc viu que és
- això diuen - com un petit centre 
del món. I amb l'ajut d'una càmera
petita, 

ja pensaré en el llibre que farem,
plegats, a la primavera, l'amic Lionel 
i jo, com dos homes lliures que busquen
la vida a cada cantonada i que no aturen
els seus passos fins els límits insegurs
de la pròpia humanitat.


Una desconeguda imperfecta

No la conec y su nombre no me sabe
a hierba. Una amiga preciosa em prestà

el seu nom. Amb un post. Unes paraules
i vet aquí que em passo un quart d'hora

viatjant per part del seu món petit. La lluna
hi surt a migdia, es perd el cotxe i camina
per un poble amb una maleta pesada.

Com la meva amiga conta contes. Com ella és indispensable per al nostre món cansat.

Qui dira

Qui dira la solitude du martin-pêcheur
entre les pages du vieux dictionnaire.

Sans une illustration qui chante ses couleurs
ni un peu de cette eau vive à poissons.

L'atroce état que d'être une définition
que pas un ne regardera sinon par hasard

ou pour se désennuyer. Qui dira... Non pas.
Qui le mimera. Et avec lui volera.

lundi 14 décembre 2015

Un peu, beaucoup, passionnément

Étranges amours. Masculines
au singulier, féminines au
pluriel.

Aimer l'amour, le laisser
dévider la bobine d'une vie,
cahoter.

Plutôt que l'ennui d'une classe
sous une voix faussement étrangère
et cassée, 

laisser voguer l'esprit vers des sommets
insoupçonnés. Sous la crête d'écume,
le rouleau profond.

Puis s'enfoncer dans la nuit, riche
de l'évasion. Et l'aimer. Un peu, beaucoup,
passionnément.

Un regard

Sage, ourlé de noir,
lointain, à ras la table
de bois clair.

L'heure tarde et la vie,
au dehors, exige un pas vif.
Le regard s'en est allé,

La table vide semble plus claire.
Dans mes yeux, deux cernes se posent,
insistants.

Et si

Et si le temps m'était donné,
je le voudrais miettes
sur notre table au déjeuner,

Quand tu serais partie,
il couvrirait mes mains
d'une poussière de sable

je t'attendrais et dormirais,
songeant aux vacances qui 
s'approchent et nous rapprochent.

Mais le temps passe, laissons-le
filer. En filant, c'est de la bonté
la toile qu'il tisse sans arrêt.

samedi 12 décembre 2015

Le livre perdu

Un livre s'est perdu dans le courrier
que je destinais à une amie. Un livre
qui parlait d'une vie de peines et de 
joie, d'une femme tournée vers les autres,

sans grandiloquence. Soupe de mots, lettres
herbeuses, le volume est mince qu'on tira un
jour des réserves d'une librairie pour l'envoyer
se perdre du côté de Chartres. Péguy grimace

sur la ligne de front qui faucha l'océan des blés
et mon cœur sanglote. Un peu, juste un peu, car
je sais qu'il réapparaîtra et que je te l'offrirai.
Avec, en prime, quelques vers de Péguy...

Un gâteau et une amie

La petite cuisine embaume ;
tout contre la vitre glacée,
le petit four a des transparences
d'or. Tu reçois. Une amie.

Le temps peut bien s'inviter
à la table basse et tourner et
retourner lentement en bouche
le délice à la poire.

Il saura se taire et retenir
son souffle hâtif. Un brin.
La conversation s'écoulera,
lente et délicieuse.

Un jour viendra où l'amie
reviendra, encore et encore,
et la place de Gaulle contiendra
à peine vos devis.

mercredi 9 décembre 2015

«sexus» vs. «saxum»

Le sexe et la roche. 
Pas seulement. La paronymie
éclaire et l'obscurantisme
perd sens.

«Sexus» c'est étymologiquement,
la coupure. Entre les seuls 
genres sexués ? Pas seulement.
Le sexe

crée l'individu. Distinguer,
pour mieux associer, comme
dans ces photos après l'amour,
de paix.

«Saxum», c'est la roche sacrée,
sacrificielle, la roche de mort,
aussi. Faire disparaître les photos
d'une exposition

toulousaine, c'est écraser les visages
dessous la pierre que l'on croyait sacrée.
Alors, jouons avec les mots contre le délit
et le crime qui l'inspire.

Ne choisissons pas et cherchons une parole
tierce : «sacrum» ou quand le cul, tout cru,
deviens objet de culte. Et la peste soit des
cagots.

Retarder

Retarder la lecture, offerte ;
ne plus tenir, délaisser le mince
volume qui captive, essai de vie
sur une image sépulcrale,

allumer vivement la lampe latérale,
saisir nerveusement les cent quatre-vingt-dix
pages serrées sous une jaquette blanche
et odorante, la déplier, la retirer un temps,

s'émerveiller du contraste entre le noir de la
brochure et la pâleur de l'emballage. Lire en
positif puis en négatif la quatrième de couverture
comme une invite à retarder encore plus la lecture,

abandonner enfin, ouvrir le volume largement, y plonger
le nez, humer le velin bouffant sucré par l'encre sèche,
se rendre compte de l'artifice de la fraîcheur, feindre
la déception -achevé d'imprimer en août, pourquoi a-t-il

attendu octobre pour être légalement déposé ? -, reculer
son visage, pêcher des pages au hasard, pécher -beaucoup-
en en bouleversant l'ordre, puis se laisser gagner par la
lecture et envoyer la nuit finissante au diable vauvert.

«On ne peut écrire sans désir», proclamait en un faux vers
de romance le livre demeuré de côté, en attente, en stand by,
comme disent les réclames. Et la lecture, sans désir se peut-elle
aborder ? Je ne sais. Je pense à celle qui me l'offrit.

(Ma mère du Nord de Jean-Louis Fournier vs Leïla Mahi 1932, un essai de Didier Blonde)

mardi 8 décembre 2015

D'une mère l'autre

Ma crêche est de carton ocre, rectangulaire,
à mille autre pareille et qui ne s'en distingue
que par mon adresse imprimée sur fond blanc.

Nul âne ni bœuf de convenance, une rainure plutôt,
que l'ongle incise pour en exhumer deux briques
claires, inégales, d'un même auteur.

Je ne connais pas l'homme qui les fit mais en reconnais
l'odeur, la langue et le propos. Un chant à la mère
que l'on croyait ineffable

et qui vient comme un torrent assagi. Ma crêche vient
d'une femme, à nulle autre pareille, mère de mon enfant,
en miroir infini.

En me donnant ces livres, en plein cœur de l'Avent, elle 
m'invite à écrire sur ma mère, ce que rarement je fis, 
comme un jour son fils le fera sur elle, c'est promis.


Un partage

Un partage particulier, vif, unique.
Non de ceux qui peuplent le quotidien,
comme de rompre le pain frotté d'huile
et de le savourer en commun à l'ombre
d'un tilleul.

Un partage de mots plutôt, serrés comme
harengs sur fil au sortir de l'hiver.
Les mots d'un poète que je fus, à la dérobée,
comme souvent, et qui ne se remémore plus
son vol prométhéen

Les mois se sont écoulés, d'argent ; les enfants
ont ri en poussant, et voilà qu'une voix amie
m'en fait part. Alors je cligne de l'œil à Boris
et lui dis, goguenard : oui, les robinets peuvent 
bien accoucher de poissons, on ne leur en tiendra

plus rigueur.

lundi 7 décembre 2015

Aquesta França

Aquesta França no és la meva
i camino per les voreres, fredes.

L'altre dia, a Tolosa, trencaren
una petita exposició que ensenyava

un amor diferent. Avui, dues dones
rosses, d'una mateixa família, parlen

d'un pais on no em reconec. Passen
les hores, el petit dorm i somia. L'escolto.

Quina pau, poblada de delícies, apreses
de la boca d'una mare i d'un pare que són

d'aquella França, de concòrdia i respecte,
ben lluny de la vedella d'or que se'ls vol empassar.

Une rue latérale

Ville froide, minérale,
au pavé sonore, la faim

guide mais ne contraint pas.
Plus loin est la foule qui crisse

sur le gravier. La devanture est
coquette, l'intérieur chaleureux.

Moleskine framboise et chocolat
pour s'asseoir et aux murs, des

tableaux végétaux. Silence des
lèvres qui se closent sur des mets

inouïs. Tout un Japon s'invite à la
table des passants hasardeux.

Le petit dévore comme jamais il
ne fit. Adultes miroirs. Midi bascule

et le samedi se fait dimanche.
Promesse de retour et de dérouter

le hasard, une fois encore. La brûlante
infusion a refroidi, la course reprend.

Un, deux, trois : maison magique

Ta course, la sienne, le souffle
du poursuivant entre les arbres.

Et à l'instant d'être rattrapée,
le tronc, providentiel, la maison

magique de fantaisie. Que Versailles
est loin en cette allée latérale où

le vent a fraîchi. La course reprend,
le poursuivant est le persécuté.

Dorénavant, délicieusement, il suffit
d'être trois pour s'inventer un monde.

mardi 1 décembre 2015

Les murs de l'asile de Roger Gentis

Pourquoi ce livre m'a-t-il tant marqué ?
Mes parents me donnaient une somme 
rondelette à l'internat de la khâgne où j'étudiais

et j'achetais des livres. Des Pléiade, bien sûr,
mais aussi des Folio, des Payot, des Garnier-Flammarion,
je refusais les systèmes mais dévorais leurs éminences.

Une collection avait ma préférence, celle de
François Maspero. Des livres minces, tout en hauteur
que je n'ouvrais jamais franchement et dont je humais

longuement le papier épais. Sur le lit étroit de la thurne,
sous un calicot de fortune («Une seule bite de Dunkerque
à Tamanrasset», au marqueur bleu sur papier hygiénique rose),

je dévorais les lignes et les limites de mon monde se déplaçaient. 
L'envers devenait l'endroit, le jour la nuit, le silence se peuplait
de mots que je faisais tourner en bouche sans en comprendre

vraiment le sens. Ainsi vint Gentis, avant le Wittgenstein du
Tractatus logico-philosophicus, dont encore aujourd'hui je
me plais à répéter théâtralement les premières propositions.