vendredi 30 novembre 2018

Deixa'm / Laisse-moi

Deixa'm rallar,
Deixa'm escriure
sa meva llengua,

mentre te dorms.
Per tu, treuré
es còdols des camí

i te'n faré joies
precioses, maragda
i rubi, i una polida

pedra verge de sa lluna.
Ja estàs dormida, en pau, i 
llanç s'àncora as teus llavis.

***

Laisse-moi parler,
laisse-moi écrire
ma langue,

cependant que tu t'endors.
Pour toi, je tirerai
les cailloux du chemin

et je t'en ferai des bijoux
précieux, émeraude
et rubis et une jolie

pierre vierge de la lune.
Tu es déjà endormie, en paix, et
je lance l'ancre vers tes lèvres.

La mélodie du visage

Elle observe les visages,
non pour salir ou médire,
mais pour cueillir les

détails ténus qui composent,
harmonieusement, une mélodie
neuve, à mille lieues des

attitudes convenues. Un pli 
des lèvres, un froncement des
sourcils, une ride au front et

cette subite rougeur qui envahit
même les plus faibles ou les plus
vieux, ceux qui croient que leur

place n'est pas, ou n'est plus,
dans le concert des nations. On
la croit lointaine, froide,

professionnelle, en un mot.
Elle est tout le contraire et
les yeux mouillés des mélodieux

l'emplissent d'une joie sereine
que le soir, tard le soir, à son
âmi elle confiera. Mélodieusement.

L'oubli et la patience

J'ai oublié ta langue,
la langue que tu parlais,
j'ai rempli d'étoupe mes

petites oreilles et j'ai
regardé tes lèvres me parler,
me modeler, dessiner mes yeux,

esquisser mon sourire ou un pli
de mes joues. Puis je me suis
oublié et le mouvement de tes 

lèvres, pareil au poulpe qui danse
pour avancer à reculons, je t'ai
recomposée, patiemment, pour toi. 

Émeraude

Tu ne portes pas de bijoux,
ta peau est une plage de sable
si fin qu'on y voit à peine

l'empreinte des coquillages
qui y modelèrent ta couche.
Mais il suffit qu'une goutte

de Get 27 glacé coule du pli 
droit de ta lèvre pour que
tu te pares de la fraîcheur

soudaine des sous-bois en mai.
Odeur de champignons éclos,
d'humus foulé aux pieds et,

tout contre le granit moussu,
l'illusion d'une gemme de
sagesse aux arêtes aiguës :

une émeraude vive à l'eau
si pure que l'espace alentour
s'évanouit comme ta langue

joue, parfois, avec ce bonbon
acidulé qui donne à ma bouche
le regret impérieux du plaisir

passé.

La nacre

Tout dans le regard. Le plus soyeux
des mirages. Concave et douce sous
la main, elle embellit l'œil qui s'y

pose et rend jalouse l'essence qui, des
réservoirs, s'échappe brusquement en nappes 
muettes sur l'asphalte. Mais la plus belle

des nacres est celle qui n'a pas de nom.
Le lent cheminement de l'escargot sur le
formica chair de la cuisine, ou tes lèvres

au réveil quand le café est plus qu'un rêve
et déjà s'impatiente dans le lourd percolateur
en acier chromé... Pardon : nacré !

jeudi 29 novembre 2018

Fronteres / Frontières

a Lionel, foeta

Invisibles línies de sang,
fronteres meves de la nit,
quan fosquegen els cristalls

nus dels afores sense nom.
A cada costat, un barri,
les seves lleis i silencis.

Però aquí mateix, els magatzems
no tenen noms sinó números i
la rara gent que hi passa no pot

o no sap llegir. Línies visibles
sense lletres, pentagrames sense
notes. «La vérité, l'âpre vérité».

Un gos perdut pixa els seus plors
secs en un fanal cec. La fredor de
novembre em crema els ulls oberts

de no poder dormir. Ciutat dels marges,
odiada i adorada, em voldràs per amant?
Dos mesos, vuit setmanes. Un pessic de pols.

***
à Lionel, phoète

Invisibles lignes de sang,
mes frontières de la nuit
quand s'assombrissent les vitres

nues des banlieues sans nom.
De chaque côté, un quartier,
ses lois et ses silences.

Mais ici même, les magasins
n'ont pas de nom mais des numéros et
les rares gens qui y passent ne peuvent

ou ne savent lire. Lignes visibles
sans lettre, portées sans note.
«La vérité, l'âpre vérité».

Un chien perdu pisse ses pleurs
secs sur un réverbère aveugle. Le froid de
novembre brûle mes yeux ouverts

à force d'insomnies. Ville des marges,
haïe et adorée, me voudras-tu pour amant ?
Deux mois, huit semaines. Une pincée de poussière.


Malgrat els teus ulls / En dépit de tes yeux

A la memòria de Javier Egea

Ja no em veuen els teus ulls,
blaus de cala estreta illenca.
Se'n van anar al país gèlid

de les olives, a prop d'un forn
de pa que diuen excepcional i
que em va deixar la boca buida

dels teus petons de riu. Malgrat
els teus ulls amats, delejats, 
adorats i fugits, segueixo caminant

a la vora de les voreres grisenques.
Sense fixar-m'hi mai. No vull perdre
la meva aigua fosca. Fins a retrobar-te.

***

Tes yeux ne me voient plus,
d'un bleu de crique étroite d'une île.
Ils s'en sont allés au pays glacé

des olives, près d'une boulangerie
qu'on dit exceptionnelle et qui
m'a laissé la bouche vide

de tes baisers de rivière. En dépit
de tes yeux aimés, désirés,
adorés et enfuis, je continue à marcher

le long des trottoirs grisâtres.
Sans jamais m'y arrêter. Je ne veux pas perdre
mon eau sombre. Jusqu'à ce que je te retrouve.

mardi 27 novembre 2018

Bulles de savon

Je ne sais pas écrire.
Ma main est gauche, 
qui court sur le clavier,

en croyant y danser.
Mes vers sont de lin
grège, tout froissé

et l'encre sent mauvais
quand je me la figure.
Si j'étais Dieu ou, au 

moins, l'un de ses angelots,
c'est sur la surface fine et 
moirée des bulles de savon 

que j'écrirais, jour après
jour, l'amour que j'ai pour 
toi, d'un mouvement vif

du poignet, sans nulle pesanteur.
Tu y lirais mes lèvres, l'aigu
de mes sourcils, et les milliers

de pas que, pour toi, j'ai fait
depuis des lunes, dans la brume
des villes ou la torpeur des ports.

Saint-Clair

Contre G. B.

La côte est rude et pourtant le mont
est si doux, éminence gracile sur le
miroir des eaux. Ça sent l'iode des

huîtres et la graisse des moteurs.
Une barque légère fend l'eau rosée
du matin vers ce point d'horizon

que la vue toujours m'ôte. La ville
est sonore, tout contre le canal. Un
fringant immeuble s'y écaille sous

le faix des méchants. Un vieux fou 
de cousin et sa fille bancale, tout
accrochés aux millions qu'ils croient,

ces sots, être un passeport pour le Styx.
Mais si Sète rayonne, c'est à la criée,
dans le Quartier haut ou entre la graine

et le mulet, et pas dans les papiers graisseux
d'un fraudeur andorran. Passeront les mois,
je ferai du pédalo et il ne sera plus là.

Un petit scaphandrier

«Sommes-nous des poissons, sommes-nous des oiseaux,
pour franchir aisément, et ces monts et ces eaux ?»
Pourquoi ces vers de Saint-Amant le baroque sont-ils

soudain présents à ma mémoire, alors que je regarde 
Martí tourner dans une antique fusée aux allures de 
bathyscaphe ? Collé au hublot, son visage emprunte 

le scaphandre des vieux aventuriers de l'extrême. 
Il sourit mais ne parle pas, perdu dans les ténèbres 
des grandes profondeurs avant de se réveiller d'un

bond, le manège ayant cessé de tourner. Le froid le
saisit au dehors, il remonte son cache-nez mais son
sourire demeure énigmatique, en bon capitaine Nemo.


mercredi 21 novembre 2018

Une évanescence

à N.H., pour son anniversaire

Si lointaine, trois syllabes oubliées
et qui revivent dans ta bouche. Un lever
de soleil dans la nuit de notre finistère.

Ce monde vit dans tes confidences et le timbre
d'une mère à jamais attentionnée. Une question
me taraude. Quel est le grain de la terre que

foulent aujourd'hui les lourds véhicules et que
tes ancêtres grattaient pour en tirer des fruits d'or 
qui jusque au marché de la Madeleine te conduiraient ?

Une page

Il suffit de glisser une page sous tes yeux,
une page volée d'un livre frais émoulu sur un
triste présentoir. Quelques lignes, l'amorce

d'une histoire dont chacun des mots renvoie à
une actualité révolue, racornie, oubliée dans
une vieille malle d'osier déposée, un jour,

dans les combles par la tante Ernestine. Et te
voilà à chercher ce livre dont tu ne connais rien
et dont tu apprendras qu'il fut écrit par le père

de l'une de mes étudiantes, lié à elle par une
passion aussi pudique que jubilatoire. La neige
du roman fond et du roman tu fais déjà un âtre.


mardi 20 novembre 2018

The medium is the message

à A.P.R.

Déplier. Une fois, deux fois,
trois fois. Minutieusement,
avec émotion et componction.

Retrouver les gestes de l'enfant
du demi-siècle écoulé, dénouant,
défaisant, déchirant pour découvrir

sous le présent désiré, l'amour vif
du parent attentif. Une fois, deux fois,
trois fois, je revis les gestes oubliés.

Sous mes doigts, le clair et l'obscur
zèbrent l'attente. La pendule s'est arrêtée,
un visage apparaît, bien plus gros que le mien.

Familier avec des yeux espiègles derrière
les épais verres des lunettes d'écaille.
Au revers, c'est un kaléidoscope de lignes

qui jouent au prestidigitateur ou au combat
de cerfs-volants chinois. Je n'ai pas pris
mes lunettes. Je devine des vers, j'en sais

l'auteur, mais je veux que la langue entre en
moi comme, autrefois, la pluie coulait sur mon
tablier d'écolier. Barcelone. Dunkerque,

tout se mélange en noir et en blanc. La langue
chère, inaccessible, de l'oncle adoré, miroite
comme aujourd'hui sous mon regard acéré mais

candidement inculte. J'ai chaussé mes lunettes,
la pendule s'est remise à battre, je m'assieds
pour dialoguer enfin avec Joan Vinyoli, si estimé.





dimanche 18 novembre 2018

Un gilet

Froissé dans la boîte à gants
et par chance, ou par hasard,
jamais utilisé.

Un gilet qui s'épanouit un instant,
renoncule d'or, puis est sagement
plié selon les conseils du réseau.

Derrière le pare-brise, à droite,
bande réfléchissante en évidence.
Elle n'a pas d'amis. Des collègues.

De nuit. L'hôpital à vingt kilomètres.
Elle panse, sans relâche, des vieux, dans
la plainte infinie des yeux sans regard.

Elle vit seule. Un chat et un oisillon,
tous deux au désir éteint. Comme elle,
croit-on, car elle, elle rêve mais n'en

dit rien. Ils l'attendent au rond-point 
de la prison. Ils sont dix, hommes et 
femmes, prématurément âgés, comme elle.

Ça rit. On saucissonne. On bloque mollement.
Quelques dialogues à vingt mots. Le soir
brusquement tombe. L'assemblée d'or, d'un coup,

se disloque. Elle rejoint sa maison, son chat
et son oisillon. Elle dormira avec son gilet,
en boule, comme un bouquet de jeune mariée.

samedi 17 novembre 2018

Un anniversaire

La pluie bat au carreau
et la vitre glacée pleure,
le quartier peine à luire.

Novembre bascule vers l'hiver.
En son dix-septième jour, pas un
brave pioupiou pour retourner le

fusil et fraterniser avec le peuple
vigneron. Non, tout juste un éclair
de lumière sur un visage dont la barbe

de phoète blanchit jour après jour.
Lionel a quarante-six ans, le gamin.
Il prendra son Canon, non pour faire

la guerre, mais pour peindre l'amour. 
Des choses simples. Des lieux et des
gens. Ou des Combis qui passent...

Le bar a lu

Le Bar à Lire s'en est allé,
fatigué de mouiller en cale
sèche au milieu de tant de

liqueurs. Son amarre rompue,
l'ancre jalouse a emporté tous
ces volumes qu'un jour, aimants,

nous lui portâmes et dont l'encre,
à présent, au petit jaune frais
se mêle. Je n'y naquis pas poète

mais c'est là qu'un jour Sophie
bien avant Lisbonne, me guida.
J'y récitai mes vers. On m'y écouta.

Nous partageâmes le pain chaud
frotté de tomates et la vie simple.

Derrière le comptoir, Sarah et Stéph
veillaient, mon meilleur ami s'y plut
Et tant d'autres un jour s'y aimèrent.

Alors bon vent à toi l'esquif, pas frêle,
tes voiles sont de feuilles et
nos cœurs sont éplorés.

vendredi 16 novembre 2018

Une rose. Rouge

Une rose. Rouge.
Foncée en son cœur
et plus claire

alentour. Pommée
comme un chou vert 
et ferme comme ta 

chair au matin. Une
rose de silence et
de désir. Affable,

ondulant au moindre
souffle du vent ou
de mes lèvres.

Rouge sang. Sans
blessure ni aucun
jaillissement.

La vie réticulée
en de milliers de
vaisseaux où coule,

sereine, la sève de
mes yeux fascinés.
Cette rose, c'est toi.

On és ara / Où est maintenant

On és ara Binibeca,
la platge dels anys
de l'adolescència.

Binibeca nou i no pas
la Binibèquer d'ara
que miro amb nostàlgia.

Aleshores, el meu germà
i jo portàvem samarretes
blanques i estretes

«Club nautico Binibeca
vell» i sortíem a la nit
a prendre una copa a

la cova d'en Xoroi. Recordo
la meva mare -tan jove!-
parlant amb fruïció la seva

llengua dormida el 69 amb la
rosa del Gilbert Bécaud i que
he conservat per parlar-vos-en.

***

Où est maintenant Binibeca,
la plage de mes années
d'adolescence.

Binibeca nou et non pas
La Binibèquer d'à présent
que je regarde avec nostalgie.

À l'époque, mon frère et moi,
nous portions des t-shirts
blancs et étroits

«Club nautico Binibeca
vell» et nous sortions le soir
prendre un verre dans la

grotte d'en Xoroi. Je me souviens
de ma mère -si jeune !-
parlant avec délice sa

langue endormie en 69 avec la
rose de Gibert Bécaud et que
j'ai conservée pour vous en parler.

Sur le vif

Un croquis. Un schéma.
Tes lèvres au réveil,
emmitouflées voici peu,

et naissant à la fraîcheur.
L'arête de ton nez qui fuit
et casse la mine tendre.

Le bois du crayon s'imprime
dans la blancheur sans t'écrire
comme je le souhaiterais.

Tu t'es levée et tes lèvres
font corps avec le café brûlant.
Ne restent alors que mes mots

pour manifester, en gris sur fond
bistre, ce que furent tes lèvres
au réveil : la naissance de Vénus.

lundi 12 novembre 2018

Blessée

Cela a commencé par un rien,
une remarque insidieuse sur
une démarche maladroite prise

en entrant et aussitôt tordue
par le désir du mâle tout-puissant.
Puis ce furent des frôlements,

des paroles grasses, lancées 
d'un ton gouailleur à la foule
soumise des inconditionnels.

Le matin devint de chêne, la nuit
n'étant plus le havre de naguère.
Le cou faisait mal, le visage dans

la glace avait troqué son incarnat 
pour le bistre vilain. Tu craignais
le regard des voisins, du crémier,

de la factrice comme de l'huissier.
La porte de l'entreprise avait pris
des kilos, des quintaux. Derrière :

le masque grimaçant d'un carnaval à
la James Ensor faisant chœur à l'infâme
qui, de ne pouvoir t'avoir, te boutait

hors des murs. Au plus profond de l'amer,
alors que ta jupe s'était déchirée dans
la porte-revolver, tu reçus d'une amie

comme un pétale violin. Quelques mots,
une pression sur le bras, une infusion
brûlante, partagée à petites lampées.

L'homme mourut, d'une angine de poitrine.
Tu ne le sus pas. Qu'importe. On m'a dit
que tu cultivais, sereine, des myosotis...

Si tu savais

Si tu savais comme je les envie,
ces doigts sages en baguettes de fée,
que le soir mutin ravit à mes yeux,

pour de secrets délices. Si tu savais
comme je voudrais leur encre tiède
sous ma plume indocile. Je serai alors,

de ton désir, un funambule rhapsode,
clamant à l'envi l'envie de ta clameur,
le soir, ce soir, sur ton canapé rouge.

Sept heures

Ton dos endormi
est-il lézard au soleil
ou bien violoncelle ?

Ton silence

Ton silence me plaît qui entre les mots se loge.
ce battement de sang bref, qui se cache et m'appelle.
Tes yeux, ta peau, ta voix suspendue et ta vie que

toujours je recherche, dans un sourire et dans mes vers
d'appel. Je m'en repais comme l'antilope courbe ses bois
vers le tiède marigot avant que le soir ne se ferme.

Ton silence, noir de Soulages, est un son doux, continu,
qui berce mes nuits quand ton coussin est froid. Je lui
parle parfois, en silence, sans bouger les lèvres. Mais

mes doigts piaffent de retrouver leur damier sonore pour,
en rafales violines, t'écrire le fruit tendre de ton silence
que les draps, à tout moment, jalousement, eussent ravi.

Will

à J. J.

Un battement de pendule odorante
et l'homme aux cent visages, l'auteur
tout nom et sans visage, entre tes vers,

humblement, se fraie un chemin. À pas
comptés, par dix syllabes, comme on
mesure le tissu à l'aune ou à l'empan.

Amputé de son terme, son nom est volonté.
Will. Presque «oui» dans l'une de mes langues
qu'il aurait rejetée pour un godet de vin.

Mais déjà ton texte m'appelle, ce haut volume
blanc, et le train ne cesse de freiner. Puissent
tes vers être la Béatrice de Dante ton ami.

Sens- tu ?

Sens-tu l'eau qui glisse sur tes épaules,
dans l'étroite gaine de carreaux et de verre ?
C'est la mer de mon île que j'ai enfermée

dans une bulle tiède et que je réchauffe de
mon souffle avant de t'en imprégner en battements
réguliers. Le sel n'y est jamais violence et

l'iode s'y fait ambassadrice des rivages du Nord,
des fjords sombres du Septentrion que les dieux
ont oubliés pour notre plus grand désir. Attends,

attends un peu avant de t'oindre de Vanille. Attends
que je me glisse entre le carreau froid et le jet
brûlant et que, de ta vie, je hume l'humeur salée.

dimanche 11 novembre 2018

Foulées

Régulières, lourdes quand
la pente s'amorce, les foulées
dictent au cœur la ronde des

saisons. Légères en été, meubles
en hiver, tendres aux équinoxes.
Tu cours et le sang bat aux joues

qui, lentement, s'empourprent.
Jamais la terre n'est autant entrée
en toi. Et tes cellules, infinis 

systèmes solaires rêvent à d'autres
cellules, salines, sororales foulées.
et si la course éveillait la conscience ?

jeudi 8 novembre 2018

He soñado / J'ai rêvé

He soñado con la yema de tus dedos,
he soñado con tus dedos por mi espalda
y me he dormido. Profundamente.

Tienes nombre de princesa y las princesas
no existen más que en los sueños infantiles
o en el ensueño de los adultos extraviados.

He soñado con las lágrimas de tus ojos,
un llanto de goce o de gozo, como una risa
inacabable por debajo de la funda.

Tienes el valor de una obrera y las obreras
no existen más que entre las páginas de revistas
antiguas o en el libro abierto de mi corazón.

***

J'ai rêvé du bout de tes doigts,
j'ai rêvé de tes doigts dans mon dos
et je me suis endormi. Profondément.

Tu as un nom de princesse et les princesses
n'existent que dans les rêves enfantins
ou dans la rêverie des adultes égarés.

J'ai rêvé aux larmes de tes yeux,
des pleurs de jouissance ou de joie, comme un rire
interminable dessous la couette.

Tu as le courage d'une ouvrière et les ouvrières
n'existent qu'entre les pages des revues
anciennes ou dans le livre ouvert de mon cœur.

El túnel / Un tunnel

No qualsevol. Un túnel de llum,
callat, sota una ciutat estimada.
Un parèntesi fora del temps comú

on ens podríem estimar, com dos
desconeguts que l'atzar s'hauria
endut, de viatge breu i salí.

Però no m'agrada el condicional
i ja surt el tren del túnel.
La sal s'ha mullat, ens hi banyarem.

***

Pas n'importe lequel. Un tunnel de lumière,
silencieux, sous une ville aimée.
Une parenthèse hors du temps commun

où nous pourrions nous aimer, comme deux
inconnus que le hasard aurait emportés
dans un voyage bref et salin.

Mais je n'aime pas le conditionnel
et déjà le train sort du tunnel.
Le sel s'est mouillé, nous nous y baignerons.

Caresse aveugle

Caresse doucement le papier,
du bout des doigts. Ferme
les yeux, n'y sens-tu pas

des rondeurs ? Ce sont mes
doigts, au dessous, aveugles
et qui cherchent ta chaleur.

Peinant à s'y unir, ils ont
pris le clavier et, de là,
t'écrivent et te caressent.

mardi 6 novembre 2018

Quand tu dormiras

Quand tu dormiras,
je serai un souffle
au creux de tes bras.

Quand tu rêveras,
je serai ta bouche
tout contre le drap.

Quand tu aimeras,
je serai la voûte
d'où tu me verras

dimanche 4 novembre 2018

Silence et lecture

La pluie tombe au-dehors,
je ne l'entends plus, moi
qui frissonnais naguère.

Je t'ai rejointe sous le
duvet de plumes de cane
et j'ai ouvert un livre

odorant et serré. Viatique
pour mes voyages immobiles
entre Pérou et île de France.

Je ne sais pourquoi, je songe
à la France antarctique d'André
Thevet, étudiée avec passion,

il y a trente ans déjà. Pourquoi
voulait-on à tout prix, en ces
temps de somptueuse innocence

trouver un équilibre à l'œcoumène
étroit ? Et pourquoi Moro délaissait-il
sa langue des petits pas pour la lourde

nappe de Péguy ? Mystère d'un lecteur
que le sommeil appelle et qui ne désire
que tes bras. Pour y lire sûrement.

samedi 3 novembre 2018

Un diari / Un journal

a M.M.V

No és un diari qualsevol,
uns fulls arrugats que el
vent s'enduu cap a l'oblit.

És un quadrat de plata,
un cub d'argent valuós.
Me l'envia un vell amic,

des del cor d'una illa
estimada, a tota hora
del dia. No espera res

ni em demana res. Ho fa
per pietat illenca, per
mantenir viu el vincle

que m'uneix als meus
avantpassats, il·lustres
o humils. I ho aconsegueix.

***

Ce n'est pas un journal quelconque,
quelques feuilles froissées que le
vent emporte vers l'oubli.

C'est un carré d'argent,
un cube de métal précieux
que m'envoie un vieil ami

du cœur d'une île
aimée, à toute heure
du jour. Il n'attend rien
ni ne me demande rien. Il le fait
par piété îlienne, pour
maintenir vivant le lien

qui m'unit à mes
aïeux, illustres
ou humbles. Et il y parvient.

Un repas

Un repas rêvé, imaginé,
à distance, cependant qu'à
genoux, je frotte patiemment

les carreaux gris. Un repas d'amis,
nombreux, ou un repas avec ma mie,
sur une terrasse improvisée.

Le vin blanc y coulerait glacé,
inondant le dos de quelque convive
jaloux de notre entente sans pareille.

On rirait avec lui, avec eux, puis on
courrait, sous la lune rousse, jouer 

nos cœurs aux dés et inventer la nuit.

Mollement

Ferme la porte mollement,
laisse un rai de lumière
me donner l'illusion

du jour éternel. À ton
côté, j'imaginerai que
la porte s'entrouvre

mollement et laisse, peu
à peu, dégoutter la rosée
de l'aurore. Fraîche,

douce au palais et à mon
front brûlant. Alors, vers
toi je tournerai mon souffle

et j'enluminerai tes rêves,
mollement puis voluptueusement,
quand la porte se refermera.