jeudi 27 avril 2017

Temps variable

Le temps qu'il fait ou 
le temps qui passe ?

Avril a déjà défilé et
ses fils m'ont fait un
joli manteau d'Arlequin.

Le temps qui passe ou
le temps qu'il fait ?

Que courtes sont les heures
sans toi, tout à la tâche,
dès potron-minet.

Et que longues sont nos minutes,
une fois les aiguilles jetées.

mardi 25 avril 2017

Elle s'appelait Virginie

Qui donc s'en souviendra
dans vingt-huit années ?
Vingt-huit ans, c'était

son âge jusqu'à la semaine
dernière. Sa mère pleure
des larmes de lait. Tu lui

as téléphoné et tu t'es tue.
Tu lui as tu l'admiration pour
celle qui avait consacré ses

moments de répit à étudier pour
soigner les plus malheureux qu'elle.
Tu as raccroché le combiné froid,

tu as attendu sept journées, des
dizaines de consultations, puis
tu m'en as parlé et Virginie

est née à mes yeux et à ma voix
pour ne plus te quitter. Dans
vingt-huit ans, tu t'en souviendras.

Fleur

Futile, fluide, elle file.
La fleur ne se cueille
ni se retient. Elle laisse

le regard la caresser
avant de s'envoler.
A-t-elle un nom ?

Non pas. Zéro ou bien
mille. La nommer c'est
comme de mettre du

sel sur la queue d'un
oiseau. Mais sois triste
et elle t'apparaîtra.

vendredi 21 avril 2017

Momo

Rencontre d'un jour,
serment de toujours.
Un jour j'ai rencontré

Momo au PMU de Verneuil,
je l'ai dépanné et nous 
avons bien discuté,

promettant de nous revoir
un vendredi. Promesses
d'ivrogne. Délicieuses

car nous savions, tous 
les deux, que cela ne se
passerait peut-être jamais.

Beauté de l'instant de
l'échange entre deux inconnus.
Le temps file qui déjà nous sépare.

Que nombreuses soient ces rencontres.
Un jour, souhaitons-le, elles nous
débarrasseront de l'envie de la guerre.

jeudi 20 avril 2017

Nos mots

Mes mots se sont faits tiens, il y a si peu,
il y a longtemps déjà. La tête me tourne quand
tu m'écris car je ne sais qui de nous deux

à l'autre parle. Les lettres vacillent et scintillent,
les empattements s'étreignent et se renversent.
Palindromes, visages serrés et qui se confondent

hardiment, si j'avais le temps, sur de larges feuillets
je tracerais la ligne tremblante entre texte source et
texte cible. Mais je ne l'ai pas et en toi je nous tais.

Ferroviaires

De trains en trams, ils s'aiment.
L'acier doux les trempe et les anime.
Qui sont-ils ? Une femme et un homme

croisés, entre deux terminus. Des plantes
rudérales qui longent le ballast et se
balancent au vent, ils ne verront rien.

Qu'importe. Ils les portent dans leur cœur
mieux qu'œillet à la boutonnière. Le temps
les happe, ils n'en ont cure. La distance

les réunit, à leurs corps demandant. Si vous
gagnez un jour une gare de banlieue, arrêtez-
vous un instant vous les y verrez tenir les rails.

Te savoir

Te savoir en réunion, appliquant
de la recherche fondamentale toute
l'humanité. Te savoir concentrée

et me glisser, espiègle, tel un
lutin déplumé, pour te voler des
miettes d'attention par de bas

subterfuges, sourire avec tendresse
à l'évocation de ton visage rieur
et revenir ici, encore plus aimé.

À colin maillard

Je déferais lentement le ruban qui te ceint
le poignet, adorable, et te le nouerais autour
de la tête, masquant de tes yeux les orbites

closes. Je te murmurerais des mots sans queue
ni tête, sur un rythme incantatoire, je te ferais
tourner par trois fois en te tenant fermement les

épaules. Le monde cesserait alors son manège et,
au réveil, le ruban dénoué, commencerait une vie,
autre, pleine et nôtre, jusqu'au lendemain, au moins.

Des vers

Des vers contre des photos,
ah le bel échange. Des taches
noires, griffures d'ongles et

froissements de dents contre
tes doigts sur le papier glacé.
Un temps neuf se dessine, ses

repères volent en éclat. Tu as
dix-huit ans et moi dix-huit mois.
Tiens-moi par la main, chausse-moi

de vent et garde ta jupette. De la
terre au ciel, à cloche-pied faisons
marelle et aimons-nous, surtout.

Milo en avril

Dans la joie d'Élodie et de Thierry

Deux yeux bruns ont fendu l'amande
cette nuit, goûtant l'air tendre de
leurs parents. Et avril s'est fait

mille pour accueillir Milo en son sein.
Que tressaillent les clochettes du muguet
de mai qui forcit. Un petit de femme et

d'homme est là. Le printemps est une
bénédiction pour ses parents. L'été à
quatre sera profusion. Il en a de la

chance ce Milo et je songe, attendri,
à la revue de l'université qui, en touches
subliminales, en prolongera l'impression.

mercredi 19 avril 2017

Et si je n'avais pas vu

Et si je n'avais pas vu les femmes que je regardais,
si je m'étais contenté de lire dans le brillant de
leur peau l'image complaisante de mon visage hâbleur.

Et si j'avais passé des années à me leurrer en les 
trompant à la va-vite par une littérature de colifichets
ou un sourire creux, bouffi de complaisance amène.

Le demi-siècle passé, les femmes pédalent dans l'eau froide
d'une piscine sous le guide d'un jeune homme élégant que je
ne suis plus. Je me rengorge de memento mori. Mais elles,

patiemment, à chaque coup de pédale, dans une sage complicité
de congénères, elles composent des vanités sans nul besoin de
crânes évidés ou de références à Philippe de Champaigne.

«La femme est l'avenir de l'homme», fadaise aragonienne...
Facta non verba. J'entre en silence et les regarde faire,
comme cette quinca croisée voici quelques heures. Justaucorps

couleur corbeau, chaussures de vent rose fuchsia, elle est passée
sans dire mot ni me regarder, laissant le sillage d'un vaporetto
remontant les Syrtes de Julien Gracq. Conscience. Renaissance.

Pour l'amour d'une quinqua

De Mallarmé, j'ai délaissé les quinquets
et de Tintin, l'amer Picon et le quinquina.
Je me suis laissé prendre au filet des étoiles

filantes que me tendait une jolie quincaillère,
une quinqua peu fière et peu friande de cancans
et du qu'en dira-t'on qu'à Cancale on cueille.

J'ai remisé mes mots éculés et au soleil jaune
des renoncules j'ai exposé mon crâne dégarni
pour faire du pédalo sur la vague en rêvant.

Une image par la fenêtre

Par la fenêtre du tramway bleu bondé,
une image fugace, comme inventée :
une étudiante avance à cloche-pied,

rapidement, en s'appuyant sur sa seule
jambe gauche. Nulle marelle dessinée
à la craie, le sol est de gravillons

et sa nuque, couverte de cheveux bruns,
me tait ses expressions. Image fugace,
de quelques secondes. L'arrêt suivant,

je descendrai et l'oublierai. Jusqu'à
ce moment précis de ma nuit sans aiguille,
où elle me revient sans crier gare.

Alors je choisis de la tirer de l'oubli,
pour toi ma mie, qui dort sous cette
couette étrangère, dans la fragrance de

tes cheveux. Tes jambes sont disjointes
dans le sommeil, la gauche rompt le
parallélisme en se cassant à trente degrés.

Il est alors loisible, sans frais, de laisser
voguer l'imagination et de te faire rejoindre,
un instant, la fugace inconnue à cloche-pied.

mardi 18 avril 2017

Une tour Eiffel de bijoux

J'ai rêvé d'une Tour Eiffel
en fil de fer noir, plaquée
contre le mur d'un dressing

petit. Un présentoir délaissé
et trouvé au coin d'une rue,
une après-midi de juillet.

Tu y disposerais, deux à deux,
tes boucles d'oreille jolies.
Amarante et turquoise, aigue

marine aussi. Pour que de tes
oreilles les lobes juvéniles
jouent à se balancer, veux-tu ?

T'aimer

Sans un bruit, sans un mot,
sans bouger une once de chair,
yeux ouverts à la nuit

finissante. Attendre d'un petit
appareil de verre et de plastique
le signal de ton réveil ou d'une

soudaine insomnie. Coïncider par un
sourire de papier et être bien,
dans l'attente de te voir.

lundi 17 avril 2017

Des mots plus forts

Je voudrais trouver des mots,
des mots plus forts que ceux
qui existent dans les langues

que je connais. Des mots morsures,
des gribouillis griffes, des cris
cribles pour graver dans le marbre

ce que furent nos devis et nos joutes,
nos chuchotis en marge d'un monde vieux
qui radote. Aide-moi, ma mie, invente

de l'amour le volapük précis et fastueux.
Et rappelle-toi ces lettres de sueur qu'un
jour je traçai de mes doigts dans ton dos.

Relativité

La plage est de coton,
entre rouge et Vichy,
les minutes y coulent

comme autant d'heures.
Laissons, veux-tu, les
antiques horloges et

choisissons-nous des
repères neufs. Relatif
sera le temps. À nous,

à nos peaux trempées
d'aise, à nos paroles
sans terme, à notre

bouche unie qui décompte.
Un, deux, trois : soleil !
Ou lune, je ne sais plus.

Le jour vaut la nuit et la
nuit je mens, comme dirait
Bashung. Redressons-nous,

mon amour et gonflons de
nos soufles appariés la
grand voile de la vie

relative.

dimanche 16 avril 2017

Le dermophone

J'ai rêvé d'un appareil petit,
léger comme un sourire et qui
ne transmettrait ni la voix,

ni la vue, mais le souffle de
l'amant sur la joue de l'aimée,
la caresse de ses mains amies

sur la peau son alliée. Allumé
dans la nuit silencieuse, sans
nul grésillement ni lueur

agressive, il enchanterait les heures 
sans aiguille et rendrait présente
à chacun son âme énamourée.

samedi 15 avril 2017

Aquells llibres

Aquells llibres que no llegiré mai
i que m'acompanyen pel camí dels dies.

Els guardo a la butxaca de vellut i
me'ls acaricio amb un gest entre cansat

i confiat. Són com els milers de somriures
de gent desconeguda i creuada per les moltes

voreres dels meus viatges. A vegades, sense
que ho vulgui, em venen a la ment aquelles

cares sense rostre i penso amb deler en els
meus llibres ignorats, sense obrir i per llegir.

Unas pocas palabras

Unas pocas palabras,
en aquella lengua
otra, tercera o

humilmente cuarta,
para decirte lo que
actualmente siento

y percibo. Un arco 
iris de sabores mil,
desconocidos pues

había perdido las
palabras y por tu mano
las estoy recuperando.

La primavera se está
abismando en la mel.
A borbotones. Déjame

cantártela. Necesitaremos
días, semanas, hasta meses.
El tiempo es otra lengua.

Vingt ans

à Axel 

Un jour après un mathématicien,
de moi encore inconnu, tu as
vingt ans, Axel, et tu quittes

d'un mot le teenage éculé. Emplis
tes poumons d'air frais et tes yeux
des merveilles du monde. Je me souviens

de toi petit, toujours souriant, aimant,
curieux de tout et soucieux de chacun
des membres de ta jolie famille dont

je m'honore de faire partie. Le monde
désormais s'ouvre à toi. L'amour,
l'amitié, les études, le métier. Autre,

tu y seras toujours le même. Calme et
attentionné, fidèle à ce que tu es et
à ceux qui ont la joie de t'y accompagner.

Bon anniversaire !

Mille trois cent huit

Un nombre qui commence comme 
un recueil de contes et s'achève
comme une automobile. Ce ne sont

ni les lentilles ensachées, ni
les grains de sable d'un baquet
mais les poèmes que j'ai écrits

et publiés depuis bientôt trois 
ans. Chaque jour ou presque, dans
la joie ou la peine. Pour consoler

des proches, m'émerveiller d'une
fleur du quotidien ou, plus simplement,
de l'amour chanter les visages multiples.

Je suis rapide dans cet art petit mais
non mineur. Parfois on me lance des
défis, en temps, en forme ou en nombre.

Je m'y soumets et souvent les vainc. Plus
incertaine est ma capacité d'homme à savoir
réellement dialoguer, comme si mon cœur en

écharpe me voilait l'essentiel. Alors je me
remets à ma table, matin, pour vous, pour toi,
et du monde chante ce que je perçois. C'est tout.

Belles de nuit

On les appelle ainsi,
ces fleurs petites qui
dans les humbles jardins,

la nuit s'ouvrent dans
le noir. Ma mère, il y 
a bien longtemps, tard,

conduisit mon second les
voir. Il en garda l'image
impérissable. Aujourd'hui

que le temps a passé et que
le soleil est déjà haut, je
me demande pourquoi les belles

de nuit s'ouvrent ainsi dans
le noir profond. Pour capter
les secrets des plus jolies

des insomniaques et des poètes
de la nuit, plus doués pour les
vers que pour les diurnes devis.

jeudi 13 avril 2017

Une pendule

La pendule est sur le buffet.
Chiffres d'un autre âge sur
fond jauni. Le rouge et le noir

s'ignorent, tout comme le tranchant
des aiguilles que le polystyrène
protège. Peu m'importe leur course,

leur chevauchement prévisible et
jamais assouvi. Je n'ai d'ouïe au
pour le tic-tac lancinant, tantôt

proche, tantôt lointain. À la mi-mai,
cela fera trente-deux années qu'il
rythme, tranche à tranche, mes insomnies.

Je lui dois mes vers, mes doux devis et
mes foutues interrogations, je lui dois
les mots que je t'adresse, en ces heures,

cependant qu'au loin, exténuée, tu dors.
Je lui dois mon accent, la dissemblance
de mes voix et les trois langues dans

lesquelles je m'exprime. Tout à l'heure,
mais pas trop tôt, je gagnerai la couche
tiède où, en pensée, je te retrouverai.

mercredi 12 avril 2017

À perdre haleine

Un rien, une égratignure,
et les langues de se délier.

Les serments longtemps retenus,
devant le gouffre de l'inconnu

et les vents mauvais, se bousculent
et finissent par s'exprimer. Magie

des mots et des peaux. La langue se
défait de sa gangue. Foin des tournures

ampoulées et de la peur de se livrer.
L'absolu exige l'instant et l'étincelle

le bois touffu. Courons, veux-tu, à perdre
haleine, hors du monde, en nous. Enfin.

Parla'm

Parla'm en català,
si us plau, fes-me
l'august favor de

la llengua nostra,
una de les nostres,
de profunda humanitat.

Xalarem, deixarem les
normes establertes, la
cotilla rígida de

l'ortografia renovada.
De rellotge o de campanar,
l'hora serà nostra fins

que la mort, gelosa de
la nostra amistat, se'ns
empassi i parli català. 

Per antonomàsia

Un poeta fa anys,
avui, a la fresca.

Ha deixat ca seva
i camina pels carrers.

No el reconeixereu com
a tal, puix que els poetes

vertaders no ho semblen.
Un somriure lleuger, una

mà càlida, unes paraules
escollides que sonen sempre

com una acollida. No és un
poeta qualsevol; per a mi

és el poeta per antonomàsia.
Ja són dotze els anys que

portem d'amistat profunda.
Les meves paraules han begut

del seu tinter i si teniu temps
el dia 22 de maig, fosquet, ens

podreu veure plegats a la biblioteca
de Maó. Dues cares d'una mateixa moneda.

Vélos

Serrés, appariés,
ils empruntent
une côte raide.

La conversation
a cessé, les muscles
sont tendus. Sueur.

Plus tard, à l'ombre
de la haie, le sucre
sera partagé avec un

trait d'eau fraiche.
Tenues jumelles et
toi, incomparable.

Un téléphone

Il y eut nos voix,
longtemps espérée,
l'après-midi était

chaude, les volets
tirés. L'angoisse,
la fièvre, puis la

libération, pulsée,
au fil des minutes.
La nuit se fit. Dans

nos cœurs, retrouvés,
il faisait bon et tu
mâchas une réglisse.

Ta peau

Il y eut l'épuisement,
les heures de transport,
ton dos comprimé, puis

les lentes balades. Le mal
te prit, tu me le glissas
à l'oreille et t'installas

sur le ventre avant de tomber
dans un sommeil profond. Au
dessus de toi, sur le côté,

j'entrepris de te masser pour
te délasser. De la pulpe des
doigts, puis des phalanges

et des paumes. Je devenais
boulanger dans son sombre fournil, 
fasciné par la blancheur souple

de la pâte levée. Sans crier gare,
ta peau s'imposa à moi. Ce furent
des heures riches. Et tu frémis.

mardi 11 avril 2017

Je t'aime

En sept lettres et une apostrophe.
C'est toi qui m'as appris à prendre
la toute petite virgule qui scande

mes respirations et à l'exalter vers
toi. Je t'aime et je te porte en 
écharpe, où que j'aille. Mon eau, c'est

celle de tes yeux, si claire, si verte.
Tes cils sont mes ajoncs et la tendre
peau de tes paupières la plage ombreuse

où de la vie je sens le lent discourir.
S'il m'était donné de vivre une heure et
non pas mille, c'est avec toi que je

souhaiterais la vivre, main dans la main,
entre un jardin aux épices et un parking
ombragé. Je t'aime. En sept lettres et une '.

Brunette et nuages

On les dirait sorties d'un spectacle
pour enfants. Proprettes, complices,
étrangères à tes pas sur le gravier

incertain. Elles ont quitté le petit
poulailler que tu nettoies, entre lilas
et pensées. La nature fraîche du début

avril leur est profusion de détails et
de saveurs : un vermisseau, une graine
égarée. Et picoti et picota. Nuages défie

le ciel dans sa livrée céleste. Brunette
trompe son monde. On la jurerait sable ou
ocre léger. Chacune appartient à chacun de

tes deux garçons, concentrés dans le soin
qui requiert d'être attentif et ganté de
bleu. Un instant, je me suis vu en fermier.



lundi 10 avril 2017

Cette France dont on ne parle pas

La voiture avance irrémédiablement.
Les volets clos derrière elle,
la maisonnée se déplace vers le Nord.

La vue s'use au fil de l'avancée. Les
tuiles vermillon cèdent le pas à la
grise ardoise. Les blés verdissent sous

le vent. Les villages riants ont disparu
au profit de fermes boueuses. Lieux sans
nom, des autres ignorés. C'est le cœur de

la France, l'œil du cyclone des mots et des
idées. Le pays n'y est pas hexagone mais sent
la potée et le veau gras. Les habitants parlent,

on ne les écoute pas. Ta voiture file. Tu ne le peux 
pas non plus, mais tu me l'as glissé à l'oreille
et cette France que tu vois, j'en parlerai un peu. 

Le Nord du Sud

Je t'écoute et ne dis rien,
tu parles sous le rideau vert
de tes yeux grand ouverts.

Les heures passent et l'obscurité
se fait. Les limonadiers vaquent,
le lieu se vide. C'est l'heure

exquise, des autres oubliée. Il me
faudrait parler, tu guettes mes mains,
et mes paroles assoupies. Moi j'écoute

la chanson qui enfle derrière les mots,
ton accent qui, sans que je n'y prête
attention, dès le début m'a accroché

pour ne plus me laisser. Un accent cardinal.
Du Nord au Sud, à moins que ce ne soit le
contraire. Accent de mon enfance côtoyé,

goûté par mes oreilles et ignoré de mes lèvres
inexpertes. Tu es partie. Au loin en voiture
tu circules. Et moi je me l'invente à nouveau.

Gagner la mer

Irrémédiablement.
Au terme de la
semaine. Tout contre

la roche-frontière.
Délaisser de la ville
le charme suranné,

la douceur des épices,
l'âpreté du vin épais,
la transe des passants.

Partager des anneaux de
soleil et des boulettes
en sauce. Rire d'un rien,

peindre les pieds petits
d'un improbable serveur
du souvenir d'un acteur

aimé. Telle est la destinée
au terme du voyage. Quitter
les semelles poussiéreuses

et libérer ses pieds dans 
l'eau glacée comme qui dort
paisible, de se savoir aimé.

Les photos inventées

Devinées, inventées dans
une nuit sans sommeil,
elles rythment à coups

de pédales la balade le
long d'un bras du fleuve.
L'index caresse lentement

l'obturateur comme naguère
un autre, dans le creux d'une
paume aimée traçait de l'amour

l'étrange destinée. Sur les clichés
inventés, devinés, la nature verdoiera
et la route, durablement, poudroiera.

Boucles d'oreille

Interminables,
de bleu et d'or
balancées au bord

de l'eau. Elles suivent
la grâce d'un cou pâle,
le galbe d'un sourire.

Ah le joli pendule que
voilà. De Foucault ou
d'ailleurs. La terre

a des yeux bleus, de gris
et de vert mêlés. Sous la 
pulpe du pouce, les sphères

dansent avec l'oiseau d'or
et la chaîne est liberté.
Douceur d'une après-midi.


vendredi 7 avril 2017

Hors-saison

La nature, silencieuse,
dans un bruissement de
feuilles qu'écarte le

regard, se prépare.
Les fruits, oblongs
comme olives de velours,

tiendraient en main, si
d'aventure on les voulait
étreindre. On ne le fera

pas. Sage hiérogamie. Le
soleil, du matin au soir,
sera semence d'or sur 

la peau des abricots et,
un beau jour, sans que l'on 
ne sache vraiment comment

ni pourquoi, à l'image de
ces amours forts et longtemps
secrets, ils rougiront, timides,

d'entre le velouté orange. Une
bouche suivra la main audacieuse
pour les croquer et s'en repaître.



Silence

Tu m'as appris le silence.
Ou bien l'apprends-je seul
désormais. Après l'ivresse

des messages courts que les
longues lettres adoucissent,
les heures coulent, sans nulle

angoisse. L'estime est là,
patiente, et le retour de l'écrit,
de la voix ou des peaux frôlées

est un tel ravissement. Silence.
Vite, je suspends mes vers, et dans
le silence, je te retrouve enfin.

Aimer avec les doigts

J'ai rêvé que tu m'aimais 
avec les doigts, en secret,
au creux de la paume, entre

deux cahots sur la voie ferrée.
Patiemment, en lettres bâtons,
tu en décrivais l'odyssée lente

et progressive. Ce n'était qu'un
rêve. De ceux qui saisissent au
matin. Mais, encore maintenant,

je sens la pulpe de tes doigts,
tiédie, contre mes lignes de vie,
de cœur et de fortune infinie.

jeudi 6 avril 2017

Glicinas

Huyo de las flores cortadas
y prefiero aquellas que cojo
con la vista. Mía o ajena.

La tuya por ejemplo, cuando 
te alejas de casa, soñando
por senderos olorosos.

Magia de los recuerdos cercanos
y de la dulzura de los lazos
azarosos y esenciales.

A la pata coja, como por una
rayuela imaginaria, me inventas
glicinas violeta que me alegran.


Nos mots

Les mots étaient gelés, depuis bien
avant Rabelais et son Tiers Livre
d'argent. Année après année, suivant

les progrès de l'art de reproduire,
des incunables jusqu'aux tablettes,
ils avaient miroité d'un gel égal,

à la plastique ancestrale. Intimidés,
les nouveaux s'y fondaient et on 
finissait par croire que la langue 

s'était durablement figée. Jusqu'à
Vous, jusqu'à toi, jusqu'à nous, formes
vides du langage, les prénoms de nous

s'étaient gorgés, vampires insatiables.
Bien sûr, dans un premier temps, nous
nous cantonnâmes à l'usage, aux expressions

communes, usées par les baisers de tant de
congénères, puis nous optâmes pour les nouveaux,
au cœur de fleur. Et d'un coup, ils se dégelèrent.

Renoncer aux renoncules

Le plus tard possible. Les fleurs,
serrées en bottes et abreuvées,
s'épandent sous les yeux de la

vieille dame. Près d'un siècle de
plaisirs et de souffrances, d'attentes
sans fin. Et la vie qui bientôt s'achève.

L'œil n'a pas changé, depuis l'enfance.
Il papillonne et s'attache aux lueurs
inattendues du beau. L'ombre d'une

moustache, le mauve d'un coucher, la robe
ailée d'une coccinelle en partance. La dame
parle et se tait. Ses yeux jamais ne cillent.


Glycine

Au matin frais, tes yeux
réinventés, sur la glycine
longée. Rémi m'accompagne

dans des chemins encore
inconnus. Je ne lui dis rien.
Je cueille de la glycine les

clochettes odorantes que la
chaleur bientôt épuisera.
J'imagine ta main les caressant

comme la chevelure de tes enfants
aimés, quand ils étaient petits et
qu'à ton cœur et à ton esprit un

poète jardinier improvisé n'avait
pas encore fleuri. Les oiseaux pépient,
ils exigent leur part. Elle viendra.


mercredi 5 avril 2017

Un plafond de bois et papier peint

Un œil discret, ou non exercé,
y verrait un colombage discret.

La chambre est sous les toits,
que l'entrelacs des poutres de

bois sombre, des commérages
protège. Silence. Bienveillant.

Les poutres veillent et le buvard
clair s'imprègne des milliers de

devis. Que rien ne sorte de la pièce
et que le présent y parle d'avenir.

Élégance

Discrète. Une fragrance
légère sur le tissu à fleur.
La peau est tiède que le soir

boira. Marche lente et proche.
Déambulation. Les mains se frôlent.
Un restaurant accueillera les deux

devis, de blanc et de rouge croisés.
Costières. Rocailles éclatées à coup
de dynamite et les racines qui boivent

le sang de la terre pour le redonner,
sur les coups de dix heures à chacun
des deux assoiffés. Élégance. Unie.

La Porte d'Auguste

Petit, Alphonse Daudet
y jouait à la marelle.
De la terre au ciel,

sous les trois voûtes
empierrées. Auguste,
la porte a pourtant

perdu de sa superbe.
Les civilisations
s'édifient les unes 

sur les autres. Et la
porte s'enfonce dans le
sol, entourée de ruines

noires et silencieuses.
Le pas, à son approche,
y est moins sonore, les

amants qui la longent se
tiennent fort la main comme
si un étrange sortilège les

dissuadait d'y passer subjugués.
Au matin, la porte est d'or et
la vie s'y éternise lentement.

lundi 3 avril 2017

Rosa d'abril

Rosa d'abril, goig de maig.
Escolteu, alumnes, la tendra
violència de la llengua

i figureu-vos les primaveres
passades entre ruixats i sol
ixent. Us podria contar mil

històries d'abril, d'amor i
de por, de fragàncies i passes.
Però no ho faré. Ja no és temps

de fer-ho. Escolteu, alumnes,
dels mots la violència sobtada.
Deixeu el curs i aneu-vos-en.

El mundo es ancho y ajeno.

Une photo

Une photo depuis hier me poursuit.
D'une dame avec sa petite-fille,
en noir et blanc, instantanée.

Grâce. Des deux femmes. Grâce, comme
le prénom de la fille petite de l'ami,
pendant brun et plus âgé de la blonde

petite-fille d'un autre ami. Des pères
et leur fille, ou leur petite fille.
En ombre murale sur la photo. En infinies

conversations. Joan longe parfois la cour
de l'école de Gràcia puis lui raconte des
histoires insensées qui la fascinent et

la façonnent. Paco va chercher Olívia à
l'école et lui apprend le nom des arbres
et la course lente des escargots. Amour.

Nous irons

Nous irons danser, je te le promets,
comme ce dix-neuf novembre passé ou
comme l'été dernier, en août, je crois.

Nous irons danser, passée la frontière
et les durables inquiétudes. La langue
sera autre, dédoublée, que tu ne saisiras

pas, pas encore. La musique sera poussée 
un peu fort sur les platines. Laissant 
la grâce de la barre et du miroir et son

code immuable, nous évoluerons collés, soudés,
puis subitement disjoints. Il fera beau. Dans
nos cœurs, bien plus haut que là bas, le sais-tu ?

Frontières

à mon père, qui fut
douanier dans le Nord

Oublier de l'autoroute
le lancinant message qui
du bleu passe au vert pour

marquer le changement. Oublier
la ligne vermillon des atlas,
revenir à la frontière ancienne,

celle des lévriers chargés de tabac
et tirés par les douaniers comme pipes
en plâtre à la foire. Van der Meersch,

Maxence, La maison dans la dune, hors
du temps, de mon temps, papa, t'en souvient
-il ? Nous prenions alors, avec Maman et Alain 

la route de La Panne, de son Santos Café, 
des cigares Mercator, de ce filet américain  
à la couleur improbable. La route longeait

des Flandres le Canal Exutoire puis tu ralentissais.
Chaleur aigüe et rocailleuse des voix belges, de ce
parler ouest-flamand, diffusant sous les képis hauts

et biseautés des gendarmes du cru. Les couleurs, soudain,
s'inversaient, passant de la ligne jaune centrale au blanc
incandescent et du blanc latéral à l'or des caniveaux.

T'en souvient-il, papa, entre ta porte, des visiteuses de
la nuit, soigneusement étanchée, et la télévision ? Ces
frontières me manquent et, comme toi,  je ne suis plus douanier.

Écouter

Écouter tomber la pluie
sous l'ample parapluie
noir, prêté à des milliers.

Ne plus marcher, se laisser
envahir par l'odeur de chien
mouillé, d'escargots écrasés,

dissocier chacune des gouttes
tombant sur la popeline sombre,
comme autant de mondes en germe.

Se remémorer la marche sur le 
gravier sec tout contre le vieux
poulailler dont personne ne veut.

Revenir à la sensation vive puis
lente, à la perception aiguë d'un
envahissement irrémédiable.

Conscience soudaine qu'il est d'autres
mots que les mots, des sphères parfaites,
sur la popeline par ton rêve convoquées.