samedi 23 août 2014

IN MEMORIAM J. V.

À Jaume Vallbona

Il aimait les sonnets, du moins me le dit-il,
un soir frais de novembre, en pleine Barcelone.
J'avais quitté un temps l'habit de cicerone
pour l'écouter parler des vers les plus subtils.

Face aux plus mauvais mots, une bonne vallée
m'offrait des fruits nouveaux que je croyais caducs.
Mon palais s'effondrait, au décorum de stuc,
et des murs de papier me faisaient bel été.

Je me relis un brin, de Jaume ne dis rien,
mes mots s'envoleront mais resteront les siens,
avecque son sourire à jamais mystérieux.

Jeunes gens qui passez, courez les librairies,
oubliez son prénom, fuyez la barbarie,
qui vous guette alentour, mais souhaitez lui adieu.

(PS : en catalan, Vallbona signifie bonne vallée)

vendredi 22 août 2014

Le calamar mélancolique

Il était né quelque part dans le Golfe du Mexique, là où l'eau prend le goût des tortillas et le rythme des maracas de la côte. Il vivait paisible dans sa famille de calamares sosegados, sans nulle crainte, où chaque minute était un entrain à partager avec les autres. Il aimait les plaisirs, beaucoup, et même trop. Sa maman lui avait dit de ne jamais nager au loin, l'eau y était chaude mais dangereuse. On disait qu'elle ravissait à tout jamais ceux qui s'y étaient aventurés. Mais le petit calamar gracile n'en avait cure, un jour il quitta la vigilance de sa maman et s'en fut à l'est. L'eau était sombre, épaisse, silencieuse et diablement chaude, elle lui chatouillait les tentacules de frissons délicieux. Il ferma les yeux et s'y abandonna. Sans qu'il s'en rende compte, le courant, qui avait un nom de gringos, le Gulf Stream, l'entraîna au loin, loin, si loin qu'il n'y avait plus aucune terre autour. Des creux gigantesques, de plus de vingt mètres, l'agitèrent en tout sens, il essaya de nager à contre courant. Rien n'y fit, il était pris dans un tourbillon et l'eau qui perdait jour après jour des degrés lui parut bien vite plus froide que dans son cher golfe du Mexique. Il perdit l'appétit, négligea le krill alentour et devint mélancolique. Jusqu'au jour où le courant se ralentit, puis s'arrêta. Les eaux devinrent paisible et des rochers apparurent. L'appétit lui revint. Il faut dire que l'eau était grasse et fleurait bon le salchichón et le jamoncito de sa tendre enfance. Il s'en gava tant qu'il épaissit sans s'en rendre compte. Ses yeux se fermèrent, ses tentacules s'engourdirent. Un jour des enfants le retrouvèrent échoué sur une plage de la côte bretonne. Il mesurait 43 mètres de large, de la pointe d'un tentacule à l'autre. Les autorités le déclarèrent impropre à la consommation. Un enfant, plus téméraire que les autres, s'approcha de sa peau desséchée par le soleil inclément du mois d'août, au mépris de la puanteur qui peu à peu le rongeait. Il crut voir une flaque d'eau là où sa chair flaccide était la plus brune. C'était son œil, le calamar pleurait, le garçon, un blondinet qui aimait les côtes et les îles, n'en sut jamais rien. Sa maman l'avait appelé et lui au moins, à la différence du calamar mélancolique, il lui répondit et la rejoignit.

(histoire basée sur un fait réel, lu sur internet, voici une paire de semaines, de gigantisme animalier dans les estuaires bretons où l'on déverse des tonnes de lisier de porc.)

mardi 19 août 2014

L'ampoule à incandescence

Fouillant dans mes affaires, à l'occasion
d'un réaménagement, j'ai retrouvé une ampoule,
comme on n'en fait plus, l'une de ces ampoules

accusées de jeter l'énergie par les fenêtres.
Son globe, non dépoli, tenait en main et gardait
encore des éclats de peinture blanche, souvenir

lointain d'un rafraîchissement de plafond, un jour,
à Montpellier. À l'intérieur, telle la ballerine
d'une boîte à musique, le filament dansait.

J'enfichai sa douille dans un plafonnier nu, vissant
avec peine son culot oxydé. Je descendis de l'échelle,
commutai et touchai le globe jusqu'à rougir mes doigts.

Encore aujourd'hui, je garde, au creux de ma paume, la marque
vive de cette découverte fortuite et pense, enfin, aux jours
heureux que je vécus la bas et, ingrat, ne sus pourtant goûter.

lundi 18 août 2014

Le funambule de la pénombre

L'été touche à sa fin dans la lumière
pâle et poudreuse. Derrière mes volets
tirés, je suis un funambule de la pénombre.

Ma corde est de mots et de sons. Je lis, j'écris,
Le piano de Keith Jarrett alterne avec la contrebasse
de Charlie Haden. Where Can I Go Without You? s'égrène

comme une invite, ou un rappel. Non loin, la vie mûrit, bien
à l'abri, qui me tiendra bientôt les bras. Les moissons sont
fauchées et le vin frais tarde en grappes. Je suis un funambule

bien tempéré, sans clavecin, et mes savates usées aux cailloux
des chemins me rappellent que la vie est bien là et qu'il faudra
bien que je tire mes volets et m'en aille de par les rues, au hasard.

A friend of mine

She's a friend of mine, just a friend,
and she walks through the stony night.

She's a friend of mine and we talk about
blue poppies, mice and virtual cats. All

evening long.

samedi 16 août 2014

Étoiles filantes

Les Yeux d'Elsa ont nourri mon imaginaire
et ma jalousie aussi. Je ne pouvais lire
«Je suis pris au filet des étoiles filantes.
Comme un marin qui meurt en mer. En plein mois d'Août.»

sans éprouver une amère jalousie qui me mettait
le cœur au bord des lèvres. La raison en est
toute simple que longtemps je n'osai avouer :
je n'avais jamais vu d'étoiles filantes

et risquais bien peu de me prendre dans leurs rêts
de lumière. Si je vous en parle ce soir, c'est non
que mon amour-propre m'y autorise enfin mais parce que
voici dix-neuf heures et quarante-cinq minutes, j'ai vu

ma première Shooting Star, un trait blanc qui m'a eu en
plein cœur, sous la voûte céleste, à Lieuran-Cabrières.
Depuis le puceau se dévergonde et zèbre la chaussée de
ses espadrilles mitées avant d'entonner un Stardust sur mesure.

Une soirée improbable

à Marie, et à Christophe, son compagnon, qui y fut sans y être.

Ils sont cinq qui n'auraient jamais dû se rencontrer,
dans un village du pays clermontois, à flanc de coteau.
La maîtresse de maison les accueille dans une longue
robe bleu touareg. Il y a le jeune couple formé par une
institutrice en début de grossesse avec son compagnon,
brasseur en devenir, et l'ami anglais que le temps déliera.

La conversation s'anime autour d'un repas improvisé. De la
tapenade, des pâtés, du pain, du fromage et des tuiles salées.
L'ami catalan que je n'ai pas cité, votre serviteur, débouche
le cava de la concorde, pour inaugurer le long jeu de bulles.
Le brasseur débouche ses flacons bruns, sans étiquette, surmontés

de capsules de couleur. On goûte, on commente. L'inexpérience, jointe
au plaisir de l'être ensemble, pétille. Les bulles divergent, les saveurs
s'imposent. Des secrets se lâchent. La virée à Villeneuvette n'aura pas lieu.
Les six improbables s'allongeront, le nez dans les étoiles. Le ciel foncera.

En fond, la voie lactée s'imprimera dans les rétines fatiguées. On verra des
satellites croiser l'orbe obscur, souligné du clignotement rouge des éoliennes
d'Orient, invitant à un silence lourd, ponctué des onomatopées du brasseur et des

propos brefs du philosophe anglais. Des étoiles filantes seront vues. Plusieurs.
L'invité catalan qui a passé depuis longtemps le demi-siècle, verra enfin la sienne,

sa première. Plusieurs heures plus tard, par ces mots, il remerciera son hôtesse,

dont c'était ce soir-là la fête.

vendredi 15 août 2014

Écrire sur rien

Écrire sur rien,
en pentasyllabes.

Le souffle de vie,
la belle hirondelle.

L'air froid et brillant,
le bruit des express.

Le goût d'être seul,
l'amour des enfants.

Écrire sur tout,
en cinq brefs distiques.

dimanche 10 août 2014

Un altre estiu / Un autre été

Ja és hora de començar un altre estiu.
Mon fill petit, grandet, se'n va amb
sa mare a l'illa de Còrsega. Amb una
màscara i un tub del color de l'aigua.

Mentrestant, visc i penso, esperant la
vinguda d'un altre petit, mig català,
de fet un català sencer com ho veureu aviat.
La vida flueix i la paraula pren d'altres

rumbs. Tractaré de seguir els consells amics
cap a una expressió més depurada, menys allunyada
de la vida real. Serà temps de beure gots petits
de vi blanc, fresc i afruitat, i deixar córrer els mots.

***

Il est temps de commencer un autre été.
Mon fils petit, déjà grand, s'en va avec
sa mère sur l'île de la Corse. Avec un
masque et un tuba de la couleur de l'eau.

Pendant ce temps, je vis et je pense, dans l'attente
de la venue d'un autre petit, à moitié catalan,
complètement catalan, en fait, comme vous le verrez bientôt.
La vie coule et la parole prend une autre

direction. J'essaierai de suivre les conseils amis
pour une expression plus épurée, moins éloignée
de la vie réelle. Il sera temps alors de boire de petits
verres de vin blanc, frappé et fruité, et de laisser courir les mots.

jeudi 7 août 2014

La pell tèbia / La peau tiède

Despertar-se a la matinada,
en mig de la foscor, sentir
l'aire fresc que  batega
i la pell tèbia, ja en pau.

Vindran hores de molta feina,
tancat a casa o a l'aire lliure,
no temo ningú, el camí serà llarg.
M'acompanyen els amics, fins i tot

qui no ho vol ser. Agost ha pres tints
de setembre si bé tot just ha començat.
La vida no deixa de fluir i ja m'espera.
Endavant.

***

Se réveiller à l'aube
au milieu de l'obscurité, sentir
l'air froid qui bat
et la peau tiède, désormais en paix.

Bientôt viendront des heures de grandes tâches,
enfermé chez moi ou à l'air libre,
je n'ai peur de personne, ma route sera longue.
Je suis accompagné de mes amis et même 

de qui ne veut pas l'être. Août a pris des teintes
de septembre alors qu'il est tout juste en son début.
La vie ne cesse de couler qui m'attend déjà.
En avant !

mercredi 6 août 2014

Les motards Cinzano

Enfant, j'attendais avec impatience le Tour de France
pour voir les motards Cinzano, dans leur tenue de jockey
rouge et bleue égayer le spectacle de leurs acrobaties.

La première, que je croyais être la plus facile, consistait
à séparer le jambe de l'axe de la moto en respectant
l'équilibre d'un balancement de l'épaule opposée.

Dans la chaleur d'une après-midi biterroise, entre médiathèque
et Plateau des Poètes, à l'aller comme au retour, sans rien
connaître de ma passion d'enfant, Hadrien n'a cessé d'y jouer

sur son inusable trottinette et sans jamais perdre le sourire.
Le monde autour de lui, s'était suspendu, pendant quelques
heures et je fus heureux de m'y trouver avec lui.


mardi 5 août 2014

Vinyes seques vora el camí / Des vignes sèches le long du chemin

Passen les setmanes i quan s'acaben els dies
agafo el cotxe per a anar a buscar-te, fill meu.

M'esperes al centre del poble, darrere l'alta
finestra i, mentrestant, m'invento la trobada,

tot mirant les vinyes seques que voregen la ruta.
Hi treballen ton oncle i ton avi, seguint les passes

dels vostres avantpassats. No veig el raïm ni m'imagino
el suc que aviat fluirà. Mesos ardents, setmanes de plom,

mai he sabut apreciar la sang amagada de les vinyes i me'n
penedeixo. Me la descriuràs, quan siguis grandet, un dia

al capvespre?

***

Les semaines s'écoulent et à la tombée des jours,
je prends ma voiture pour aller te chercher, mon enfant.

Tu m'attends au centre du village, derrière la haute
fenêtre et, pendant ce temps, j'imagine notre rencontre,

tout en regardant les vignes sèches qui bordent la route.
Ton oncle y travaille, ainsi que ton grand-père, sur la trace

de vos aïeux. Je ne vois pas le raisin ni imagine
le jus qui bientôt s'écoulera. Des mois brûlants, des semaines de plomb,

je n'ai jamais su apprécier le sang caché des vignes et je m'en
repends. Dis, tu me le décriras, quand tu auras grandi, un jour,

à la tombée du soir ?

L'arbre sense cireres / L'arbre sans cerise

Amb mon fill petit, acostumàvem a passejar-nos
darrere de casa nostra. Li agradava, sobretot,
entrar de sobte en una finca abandonada,

caminar entre les herbes altes i aturar-se davant
d'un arbre alt. Un dia el vérem carregat de
fruites rodones i vermelles. Se n'empassà, àvid,

un grapat sucós i sortírem cantant. Passaren setmanes,
anàrem a la vora del mar i oblidàrem la casa abandonada.
Fa uns dies, volgué reprendre l'antic costum

i tornàrem a l'arbre. Era nu, amb les fulles resseques.
Mon fill buscà les fruites adorades. No hi eren. Llavors
li vingué, de sobte, la consciència del temps que flueix.

***

Avec mon fils petit, nous avions pris l'habitude de nous
promener derrière chez nous. Il aimait, par dessus tout,
entrer soudain dans une propriété abandonnée,

marcher parmi les hautes herbes et faire halte devant
un arbre haut. Un jour nous le vîmes chargé de
fruits ronds et rouges. Il en avala avidement

une poignée juteuse et nous sortîmes en chantant. Des semaines
passèrent, nous allâmes au bord de la mer et nous oubliâmes la maison
abandonnée. Il y a quelques jours, il voulut reprendre l'ancienne habitude

et nous revînmes à l'arbre. Il était nu, les feuilles sèches.
Mon fils chercha les fruits adorés. Il n'y étaient plus. C'est alors
que lui vint, soudain, la conscience du temps qui passe.