mercredi 25 octobre 2017

Latitude

Sur quelques vers de J. A. Valente

Je ne veux rien, ou si peu,
écouter l'eau couler sur ta peau,
te préparer le café brûlant dans

une petite tasse, lever les yeux
de mes livres et me laisser guider
par les poètes aimés. Aussi je fais

de l'eau qui gicle sur tes épaules
l'improbable cascade d'une nuit de pleine
lune et je te couche à mes côtés, te berçant

de ma main avant de clore tes paupières d'un
souffle de giroflée. Alors, dans le silence,
je me ferai lézard sur ton corps apaisé.

mardi 24 octobre 2017

Una foto privada / Une photo privée

No la puc publicar, i en tenc tantes ganes.
S'hi apleguen uns familiars en torn d'un
al·lot petit.

Quants somriures dempeus, tanta blancor,
la tardor s'ha pintat d'ulls primaverencs
i Maó hi és més que l'orient

petit d'un occident ple d'esperances. No us
diré el nom de l'al·lot festejat, ni del seu
cosí nascut uns dies enrere.

Me'ls guard a sa butxaca per afrontar s'hivern.
Qui m'hauria dit que em vindria tanta joia,
a la tardor de sa meva vida?

Un amic, un amic profund i fidel, que dedicà al
meu fill petit, un llibre seu. I aquesta foto,
em pens que la puc publicar.

***

Je ne peux la publier et j'en ai tellement envie.
On y voit réunis les membres d'une famille autour
d'un petit enfant.

Que de sourires debout, que de blancheur,
l'automne s'est peint d'yeux printaniers
et Mahon y est plus que l'orient

petit d'un occident plein d'espérances. Je ne vous
dirai pas le prénom de l'enfant célébré, ni celui
de son cousin né quelques jours auparavant.

Je les garde dans ma poche pour affronter l'hiver.
Qui m'aurait dit que j'aurais une telle joie,
à l'automne de ma vie ?

Un ami, un ami profond et fidèle, qui a dédié à
mon fils petit, l'un de ses livres. Et cette photo,
je pense que je peux la publier.




vendredi 13 octobre 2017

S'il m'était

S'il m'était donné de vivre dix vies,
je t'y aimerais. Par petites bouchées,
à petites lampées. Le soir je te prendrais
la main et nous irions chercher la chaleur
du jour tout contre le crépi diffus des villas

au crépuscule. Tu me parlerais de musique et je
rirais un brin, j'imaginerais tes portées comme
autant de fils électriques où te regarderaient

de sages martinets, deux à deux, dos à dos, le vol
suspendu et la chair par nos amours tiédie. S'il m'était...
Mais il m'est donné, en cette heure, tout à l'ouest de
Paris. Babylone n'est plus et les rails se patinent
d'ennui. Ils t'attendent. Me souriras-tu ?

Marque déposée

Simply n'est plus. Ses lettres déposées
ont laissé une empreinte grise sur le crépi.

C'est maintenant, je le sens, que Simply commence
à exister. Mon souvenir des mois passés le débarrasse

des scories. Je retrouverai ses employés repris par
une enseigne faussement champêtre, j'écarterai les néons

et le plastique bon marché, pour retrouver ce carreau jaune
ébréché qui m'avait ému, près des legumes, lors de mon premier

passage. Les marques défilent. Des noms improbables effacent
les habitudes. La mémoire glisse, je m'y refuse. Archéologue

de l'anodin, fouineur du presque rien, j'y fais mon miel en
emplissant ma besace. Après Simply, ce sera l'ancien garage

Renault, je le sens, et déjà mon pas s'accélère. Un jour, je
ne serai plus et ma marque, enfin déposée, sera lisible. Un temps.



jeudi 12 octobre 2017

El dia de la disparitat

De sang i d'or, dues banderes.
l'una de seny i de rauxa,
l'altre d'odi i de supèrbia.

Mans obertes contra ganyotes
que escopen. Una mateixa sang
i l'or dels ossos amagats.

No us deixeu enganyar, homes i 
dones de bé, fugiu de la disparitat. I
de l'octubre, estimeu el dia trenta-dos.

Mon ami

Il élague des oliviers sauvages
qui lui cachent le soleil, ses mains
se gercent et saignent. Il a les lèvres

serrées. Je l'ai connu des vers plein la
besace. La besace est contre le banc de
pierre blanc. Il la reprendra. Plus tard.

Son cœur a sauté les mers, d'île en île.
Il est tout à la chair de sa chair et à
la chair de la chair de sa chair. Que longues

sont les journées. Branches et feuilles d'olivier
ne sont rien à côté. Et qu'importe si le soleil
ne parvient pas à en écarter la frondaison.

Il élague des oliviers sauvages. Son chat roux
le regarde avec bonhomie et confiance. Pour 
une fois, le temps ne détruit pas, il construit.

Patatxap, patatxup / Pataplif, pataplouf

«Onomatopeia que reprodueix el soroll 
que fa una cosa en caure, especialment 
a l'aigua.» Així parla el diccionari,

aliè a la cursa dels homes. I penso en
el petit Martí amb les seves botes verdes,
o en el teu fill petit, ja gran, i en les 

seves pomes dels mangas estimats. Si tingués
una vida per davant, o dues o tres, em colliria
aquests sorolls inesperats i te'n faria un ram

viu. Per fer memòria de la vida que passa i del
tendre frec dels objectes que cauen, a l'atzar,
per a fer-nos créixer, inexorablement.

***

«Onomatopée qui reproduit le bruit
que fait un objet en tombant, en particulier
dans l'eau». Ainsi parle le dictionnaire,

étranger à la course des hommes. Et je pense 
au petit Martí avec ses bottes vertes,
ou à ton fils cadet, déjà grand, et à

ses pommes des mangas qu'il aime. Si j'avais
une vie devant moi, ou deux ou trois, je cueillerais
ces bruits inattendus et je t'en ferais un bouquet

vif. Pour faire mémoire de la vie qui passe et du
tendre frôlement des objets qui tombent, par hasard,
pour nous faire grandir, inexorablement. 

Il a

Il a un prénom, mais tu ne le diras pas,
pas encore. Ses lèvres se ferment sur la
goutte tiède de sa mère et l'air encore

lui coûte. Plus tard, quand tu le nommeras,
il videra le verre de lait glacé au sortir
de la course et il respirera à grandes bolées.

Les jours passent, longs comme des mois sans
pain. Ses yeux s'ouvrent, gris comme le bleu
de l'aube. La famille fait corps et l'attend.

Un arrêt

Et mon pas rapide s'est arrêté,
sur ce vieux lierre, tu sais.

Dans ton quartier. Des insectes,
étrangers à ma course, s'y croisaient.

Le souffle court, j'ai forcé ma vue
pour m'égayer dans leurs transports

étroits. La cloche m'a surpris, puis
l'odeur du jasmin. Je savais proche

la tiédeur du salon, l'ombre de ta
terrasse, et pourtant, tout à la marche
vive, j'étais demeuré aveugle et sourd

au cercle exigeant d'un jour qui vivait.

dimanche 1 octobre 2017

Un poeta fa classe / Un poète fait cours

Un poeta fa classe. Fa temps.
Tan poc de temps. Dempeus.
Vestit com qualsevol dels seus

alumnes, callats i atents. Boca
tancada, parla amb els ulls i
amb les mans, com si tingués

tot el món, tebi, palpitant, entre
elles obertes. El món, dibuixat amb
retolador negre a la pissarra blanca,

són aquestes línies corbes que han guiat
i guien el seu dia a dia entre petjada
i petjada. Les illes, amb, principalment

l'orient de la més oriental, allà on tot
neix amb la certesa de morir-se un dia.
Portugal, tan rectangular com un volumen

de Pessoa, i Espanya, sense cap frontera
amb aquesta França que estima tant i que
els nostres alumnes deixen per llegir-lo.

***

Un poète fait cours. Il y a longtemps.
Si peu de temps. Debout.
Habillé comme n'importe lequel de ses

élèves, silencieux et attentifs. La bouche
close, il parle des yeux et
des mains, comme s'il tenait

le monde entier, tiède et palpitant, entre
elles ouvertes. Le monde, dessiné au
feutre noir sur le tableau blanc,

ce sont ces lignes courbes qui ont guidé
et guident son quotidien, pas à pas.
Les îles, avec, au premier chef

l'orient de la plus orientale, là où tout
naît avec la certitude de mourir un jour.
Le Portugal, aussi rectangulaire qu'un volume

de Pessoa, et l'Espagne, sans aucune frontière
avec cette France qu'il aime tant et que
nos élèves à tous deux laissent pour le lire.



Privautés

Songe au tout début de notre lien, à ce vouvoiement
que le rapport académique commandait. Songe combien,
rapidement il nous fut un délice. Nous marquions

un respect excessif par des formules de cuivre rutilant.
Puis nous nous permîmes quelques privautés sans jamais
en briser le havre solennel. Un jour je te tutoyai, fou

que j'étais. Je m'en surpris. Tu ne le relevas pas. La pâte
déjà levait et, au dehors, les passants continuaient de longer
l'étroite rue aux réverbères éteints. Nos âmes scintillèrent.