vendredi 31 janvier 2020

Eh l'amour !

L'amour de Ferrat vagabonde,
sur le formica d'une tablette
ou dans les yeux, fatigués,

du contrôleur du matin. Fredonné,
accompagné par le ballet des doigts
sur la vitre froide, il est hommage.

Hommage à la vie qui passe et aux
lèvres qui, charnues, l'appellent
de leurs vœux. Hommage à la mer,

étale ou impétueuse, et à son sel qui,
au printemps, refleurira pour ne plus
jamais cesser de nous iriser la vue.


Une odeur

Une odeur de pommes de terre bouillies,
chaude, lourde, envahissante, dans un
omnibus du matin, sans que nul fourneau

n'y rougeoie. Magie de la chimie du rail
ou de la prégnance du souvenir. À mes côtés,
l'on somnole, le visage fermé et la narine

close. Aurais-je imaginé cette odeur douce
à mon cœur ? Mémoire des patates pelées
dansant dans le faitout de fer-blanc qui

nous servait de couscoussier, en de rares 
occasions. Désir de longues conversations
avec mon grand fils qui au terminus m'attend.

jeudi 30 janvier 2020

Una cassola de fang / Un plat en terre

A la memòria de la senyora Olivé

Una cassola de fang,
ampla, profunda, per
coure-hi versos prims

entremaliats. Un grapat
de fideus fugissers deixant 
la foscor del dolcenc rebost.

Vernís brillant de la terrissa
muda i marques obscures al fons
mat. Records dels fogons d'abans

que preparaven la tinta venerada.
De la Xina o de la Sagrera -¿Qué
más da?- Preparar-ne el sofregit

de lletres i sons per elaborar-hi
una salsa sil·làbica, d'una llengua
a l'altra, com passa de mà a mà el

rovell de l'ou amb ambicions de 
maonesa. Deixar coure a foc lent
per assaborir-ne la cançó. Xup-xup.

***
Un plat en terre,
large, profond, pour
y cuire de minces vers

espiègles. Une poignée de 
vermicelles fugaces laissant
l'obscurité du garde-manger doucereux.

Vernis brillant de la terre cuite
muette et marques sombres sur le fond
mat. Souvenir des fourneaux d'autrefois

qui préparaient l'encre vénérée.
De Chine ou de La Sagrera -Peu
importe!- Préparer un coulis

de lettres et de sons pour y élaborer
une sauce de syllabes, d'une langue
à l'autre, comme passe de main en main

le jaune d'œuf avec des ambitions de 
mayonnaise. Laisser cuire à feu doux pour 
en savourer la chanson. À petit bouillon.


mardi 28 janvier 2020

Désir

Ni des îles ni des ires.
Nul emportement, nulle fuite.
La pénombre et le sang qui bat

au bout de chaque doigt, dans
la pulpe striée d'identité.
Le silence se fait et les yeux

brillent dans le noir. Un feu sans 
couleur, le souffle de Vulcain et
les draps qui se froissent, emportant

les portées fraîches d'une mélodie
à peine composée. Les peaux se noient
et les deux noyés négligent la surface.

Regarder

Regarder le large, et se retenir
Se retenir de gagner la mer hauturière
où sont les poissons bleus et glacés.

Regarder la mer vous fouetter le visage,
d'iode et de sel, pour regagner les larges
avenues de la ville blanche et poussiéreuse.

Regarder l'horizon avaler tout rond le disque
solaire comme une vulgaire dragée et rire de
la chance que le temps, espiègle, vous a donnée.

Un angle singulier

à une amie entreprenante

Comme si l'espace repoussait
les limites, la pièce se meuble
de vide et de silence.

Un foyer sans attache, de pierre
et de métal, qui rougeoie et se tait.
Un piano blanc tout contre le mur.

Et tant de vide sur le pavement clair
et brillant. Sans y être, je le vois,
depuis un angle singulier.

À distance. Les chats veillent sur
l'ordre du lieu et n'ont cure des
parsecs évoqués. Physique et

cosmologie sont ici des métaphores.
Rien de plus. Rien de moins. Le bonheur
est une danse qui réduit les distances.

Non è vero?

- Non è vero che mentire
è un piacere, amore?

- Io non la penso così.
Mentire è così brutale.

- E se io mento per 
accarezzarti tutta?

- Allora stai zitto,
la carezza sarà più vera.

Huellas dactilares

Un día me rozaste el hombro,
izquierdo, y me abrazaste con
tanta fuerza que me olvidé.

Ahora que el invierno cobra
fuerza en la alcoba anacarada,
lejos de ti, pienso en el roce

ligero y en las huellas que,
delicadamente, casi sin quererlo,
me imprimiste, profundamente.

lundi 27 janvier 2020

Comme au début

Comme au début le silence,
les mots biffés, les pages
froissées, à la corbeille

jetées, puis un mot lancé.
Quatre syllabes chantantes ;
sur l'onde un parchemin.

Alors la plume s'affûte,
les doigts se rident,
sans un souffle de repos.

L'encre rougit et du cœur
exhale le tréfonds, marine
senteur de mon visage enfoui.

Désaffectée la caserne

«Il faut apprendre à écrire
avec des mots gorgés de silence.» 
                        (Edmond Jabès)

Si lent est le silence
et un torrent la phrase ;
je rêve que tu danses
au milieu de mes cases.

Si lourde est ton absence,
si close est la caserne
où tu caches tes cernes
en rêvant de l'enfance.

Si rêche est mon éponge
et ton front un brasier
que le moindre baiser
sait la passion qui ronge.

Parler le vent

à mon père

J'écoutais parler le vent,
gravement, entre les tombes
blanches au soleil.

Midi avait sonné sur Saint
Clair et, comme chaque année,
mon père me menait devant

le marbre haut, pour une brève
prière. Ma vue, enchevêtrée aux
cyprès noueux, se perdait dans

la mer, s'attachant au sillage
des cargos disparus. Mon père
ne parlait pas, pas encore,

du moins, et nous redescendions
vers les canaux endigués où l'on
servait des calamars ficelés

et du vin frais de Pinet. Valéry
s'emparait alors de la voix de
mon père et les décasyllabes

se succédaient. Moi, je quittais
ce toit tranquille où marchaient
des colombes et, en pensée,

je gagnais Perpignan où l'on servait
du Byrrh, tiré de foudres de chêne,
où, un jour, fermenteraient mes vers.

dimanche 26 janvier 2020

Changer de langue

Changer de langue.
Délibérément. Deviner
sous la langue autre,

commune, le grain aimé
de la voix. Interlocution
plus que dialogue. La raison

importe moins que la parole
croisée, apprise, il y a
longtemps puis peaufinée de

l'expérience commune, des lectures
partagées, proposées ou délaissées
avec confiance. Pieuses rengaines

fredonnées comme un clin d'œil entre
ces deux qui, dédaignant le monde et
ses conventions, ont changé de langue.

Ta voix

Les couleurs se sont éteintes
et le soir a fraîchi. Le repas
expédié, l'heure est à la table

de bois et au travail. Minutieux,
exigeant. Des mots mis en forme
pour en faire des livres.

Éventails tendre de papier acide.
La maison est silencieuse, radio
éteinte. Ta voix, d'une caresse

sur le clavier, le déchire soudain.
Lentement, gravement, et les poèmes
défilent, visage au fil des ondes.

samedi 25 janvier 2020

Aimer

Laisser glisser le temps,
retrouver la promesse.
Sourire à chaque instant
que sa bouche caresse.

jeudi 23 janvier 2020

El mirall dels mots

a D.P.O.

És un mirall curiós,
silenciós i visible,
a la muda i vistós.

Quan fosqueja el dia
i em criden els ocells
de paper vitel·la,

m'hi inclino i hi passo
la mà, amb parsimònia.
Reconec paraules d'abans,

inspirades pel més pur dels
amors, assaborint la lleugera
diferència del gest traductor.

***

C'est un curieux miroir,
silencieux et visible,
muet et criard.

Quand le jour s'obscurcit
et que m'appellent les oiseaux
de vélin,

je m'y penche et j'y passe
la main, parcimonieusement.
Je reconnais des mots d'autrefois,

inspirés par le plus pur des 
amours, savourant la légère
différence du geste traducteur.

Laisser

Laisser parler le cœur,
puis s'adosser au mur
tiède, patiemment chaulé.

Ne plus compter les vers,
ni les syllabes. Envoyer
le vieil hexasyllabe

au diable Vauvert. Vivre
le présent, le revivre,
sentir combien l'étoffe

est douce qui glisse entre
les doigts, avant de tomber
au sol, dénudant l'odalisque.

mercredi 22 janvier 2020

À mots ouverts

Les mots dansent sur la page,
tentés par le blanc des marges
endiguées. Ils demeurent liés

un temps, un temps seulement,
puis se disloquent en autant
d'îles anguleuses ou rondes.

Un lagon, un pic enneigé,
un gibet déserté, une haie
touffue et une quille perdue.

Puis, quittant mes yeux, ils
tombent dans ma main qu'ils
réchauffent un brin, charbons

ardents sans le buisson de 
Moïse. Je la referme alors
et m'en vais de par les chemins.

mardi 21 janvier 2020

En contrebas

La colline est de pierres qui se consument
au soleil. Pas une tige, pas une graminée.
Le soleil est si fort que le vent se pose

et passe son chemin. Rondeur séculaire de
l'arête qu'émoussent les pas des rares
observateurs. En contrebas, agglomérées,

des demeures ont la couleur de la pierraille
brûlante. La vie ne s'y voit pas qui, cependant,
y grouille dans un brouhaha étouffé.

On s'y repaît d'olives brunes et d'une eau au goût 
de métal, tirée de rares gourdes.En contrebas sont 
nos frères, qui nous ressemblent tant.

Une poupée

à la mémoire de F.

Une poupée au vernis terne
et aux yeux inexpressifs.

Une poupée boudinée dans
des habits d'un autre âge.

Une poupée couverte de sang
séché, de sang noirci.

Une poupée silencieuse sur
un piano au couvercle fermé.

Une poupée qui crie l'absence
d'une petite fille au regard

de jais et de mercure, courant
vers l'eau vive en riant.

Une poupée mille fois vue et qui,
à chaque fois, pleure ma disparue.

lundi 20 janvier 2020

Mais que douce

Mais que douce est la main, 
qui jamais ne se donne,
à celui qui fredonne
sans véritable entrain.

Et que belle est la bouche
qui rit, mastique et pleure
en se moquant de l'heure
qui l'appelle à la couche.

Car libres sont ces parts
qui choisissent ton tout,
en négligeant du fou
le merveilleux hasard.

Si blanche

Si blanche est ta peau,
sous les cheveux, qu'un
jour, sans un mot,

j'ai choisi d'y élire
domicile et d'y venir,
à deux, à trois,

à quatre parfois quand
le pouce, nonchalant,
se joignait à la finesse

des trois premiers doigts.
Lent ballet de nos peaux
qui se parlaient en silence,

cependant que l'eau, sous
nos yeux, caressait les ajoncs
en une étreinte interminable.

Une racine barbare

Une racine barbare,
astringente à la coupe
et qui laisse sur les doigts

comme l'amertume d'un savon noir.
Pudeur de la chair fine, rougeur 
de la côte cannelée.

Délice de mon enfance, cuisant à
gros bouillons dans la vergeoise
sombre avant que d'enluminer mes

jeudis, entre l'HLM et le canal
exutoire, si haut dans les Flandres
que les cartes, souvent, nous oubliaient.

Cicatrizonrisa


Hoy, en la frente, mi amor,
sin ni siquiera temblar,
me ha dibujado una sonrisa
con sus dedos anacarados.

Dulce cicatriz con la que voy
por las calles anchas y vacías,
buscando a quien me conozca,
y se atreva a hablar.

Nada de besos impresos con carmín
en la mejilla helada. Pero sí el
fulgor y la sangre que bullen
por su alma hechicera.

Promesse

in memoriam Pernette du Guillet

«Je t'ai promis au soir, que pour ce jour
Je m’en irois a ton instance grande
Faire chés toy quelque peu de sejour».

La promesse fit un four et la dame
ne put accomplir son vouloir, auprès
de son tendre ami. Les siècles passèrent,

le souffle de Pernette s'en fut, balayant
ses cendres légères. De ses lobes jolis,
je ne sais rien mais ses décasyllabes

ont une fraîcheur qu'envierait Valéry,
et ce soir là m'obsède où, dans la décrue
du jour, une parole naquit que la nuit étouffa.


Langue des cygnes

Les cygnes nagent lentement
sur le miroir de jais, glacé,
étrangers à la foule qui se presse

au bord du canal endigué. Nage sans
remous ni brusque changement de cap
et dont le sens disparaît aux yeux

de l'observateur pressé. Pourquoi
pensé-je soudain à tes lèvres sous
mes doigts avant l'incarnat, devant

la glace. Lente danse sans objet,
sinon celui d'un hommage fugace,
de soie, à ton ineffable beauté.

dimanche 19 janvier 2020

No em parlis / Ne me parle pas

No em parlis del teu món.
Deixa que me l'inventi,
amb els seus sons, colors,

olors. Me'n parlaràs després
i me n'ensenyaràs la gramàtica
subtil amb les seves inflexions.

No em parlis del teu forn.
Deixa que me l'inventi,
per coure-hi el nostre pà.

***

Ne me parle pas de ton monde.
Laisse-moi l'inventer,
avec ses sons, ses couleurs,

et odeurs. Tu m'en parleras après
et tu m'en enseigneras la grammaire
subtile avec ses inflexions.

Ne me parle pas de ton four.
Laisse-moi l'inventer,
pour y cuire notre pain.

samedi 18 janvier 2020

Ne parle pas

Ne parle pas. Laisse mes doigts
caresser tes lèvres, en apprendre
le dessin délicat, l'entêtante

carnation, rider leur pulpe sage
à la buée tiède de ton souffle.
Mordille-les, redresse-les, fais

de leur tension soudaine une alliée
pour la nuit qui s'approche, vorace
et silencieuse, bien au-delà des mots.

Data science

Les bits défilent et se regroupent,
s'agençant et se réagençant dans 
l'instant. Le courant passe, puis

s'interrompt. Lumineuse simplicité
de l'architecture binaire. De proche
en proche, un alphabet se crée, puis

des mots, des phrases, des vies et des 
clichés. Par millions, par milliards.
Patiente, industrieuse, une ingénieure

échafaude les algorithmes qui les traquent,
les trient, les regroupent et font le miel
d'une profession. Et de nous autres.

Et ta peau

Et ta peau s'est ouverte,
sans violence ni blessure,

comme l'enveloppe se scelle
sous la langue du secret.

Mes doigts s'en souviennent,
gorgés de sève claire, dans 

leurs sillons inlabourés et mes 
yeux, inhabitués, s'y posent,

sombres colombes appariées,
dans l'attente de l'été. 

Bruges

À mon fils Vincent,
sur des traces romancières

Canaux glacés et noirs,
miroir séculaire où
nagent des canards.

Souvenirs de l'enfance
emmitouflée, des gaufres
collant aux doigts et

des cache-nez de laine
écossaise qui démangent
et vous forcent à éternuer.

Mais tout cela n'est rien
face à la nouvelle d'une
promenade improvisée, sur

les traces d'un enquêteur
désabusé, de son adjoint
maniéré et d'une jolie juge

dans la simplicité de sa beauté.
La Duvel coule épaisse dans
l'estaminet. La nuit tombe

d'un coup et le roman s'incarne,
au débotté, dans un message bref,
au père tendrement adressé.


Mots

La main, désœuvrée, court lentement
sur le crépi beige des murs déshabités,
perdant peu à peu de sa sensibilité.

La pulpe des doigts blanchit et ses
sillons se comblent de poudre légère.
Il est temps alors de rentrer,

de remettre à plus tard la promenade
et de caresser ton dos tendrement,
d'y retrouver des doigts les sillons

profonds en imprimant sur ta peau la 
poussière légère du crépi. Lettres, puis 
mots quand le souffle se joint aux doigts 

et susurre à son grain,incontinent, 
l'essence même du désir, avant que de 
te retourner, pour te voler un baiser.

Abismació / Mise en abyme

A s'ànima de n'Àngel

Mir, a distància, sa meva mare
que està llegint un blog de s'illa
nostra. Emoció de sa seva mà que,

sense saber-ho, em guia pes mots
i es sentit de l'article, tornant-me
al passat. Quinze anys. Quatre amics.

N'Isma, na Fina, n'August i n'Àngel.
Sempre present, n'Àngel. Mots, colors
i un sentit rar des migjorn de sa vida.

***

Je regarde, à distance, ma mère
qui lit un blog de notre île.
Émotion de sa main qui,

sans le savoir, me guide dans les mots
et le sens de l'article, me ramenant 
au passé. Quinze ans. Quatre amis.

Isma, Fina, August, Àngel.
Toujours présent, Àngel. Mots, couleurs
et un sens rare du midi de la vie.


D'autres points cardinaux

L'ascension est longue, le bois touffu,
De la main gauche, je caresse un tronc
humide, m'attardant sur la mousse

qui m'indique le nord. Je suis sur l'ubac
ombreux. Brisant le silence, je prononce
les deux silences en prolongeant l'initiale.

Uuuu-bac. Fermée, antérieure arrondie, elle
m'invite à m'évader et à inventer d'autres
points cardinaux. Du désir et de la crainte,

mon nouveau nord est ce midi tempéré, à l'heure
de la sieste, le nord est insituable, partout,
ineffable. Peur de l'inconnu et de la déception.

Mon orient est naissance et mon occident réalisation.
Je suis si peu, un grain de sable sur la plage, au
couchant. Et le monde m'offre tant. Kalya...

vendredi 17 janvier 2020

Un bruit de faïence

à la Dream Team de Kalya

Un bruit de faïence, derrière moi,
dans les cuisines silencieuses,

et le repas se poursuit, se prolonge.
Nous sommes sept à nous restaurer,

sans hâte. Dans les verres, les bulles
montent lentement, grêles, hasardeuses,

et pourtant certaines du juste chemin
jusqu'à la surface. On parle de poisons

insidieux et d'une île de contrastes, aux
plages emmaillotées. Je mange lentement,

savourant chaque bouchée et chaque confidence.
Je me tais et j'apprends. Le travail reprendra,

se dénouant subitement sous quatre mots lancés par 
Pierre. «Care and cure different». Injection bienveillante. 

Je songe à Simon Pierre dans la Vulgate :
«Tu es Petrus et super hanc petram ædificabo

ecclesiam meam» et à Rabelais : «Je ne bastis
que pierres vives, ce sont homes». E la nave va...

mardi 14 janvier 2020

Tes livres

Que tes livres sont riches, qui 
s'amoncellent sur ma droite.

Épais, denses. Sur fond ivoire ou
illustrés, ils me dévoilent un monde
neuf que je ne m'empresse plus

de découvrir, mais que je goûte,
au hasard des doigts et du regard,
comme autant de terræ incognitæ

pour les anciens marins qui, du vaste
monde, ne guettaient que ce que les
portulans et les sextants offraient.

lundi 13 janvier 2020

Un autre silence

Et le silence s'est installé.
Non pas l'absence des sons,
dont le ressac amorti demeure,

mais celui des mots, des lettres,
des bouffées, des rires et des cris,
qui manquent tant qu'on finit par

croire qu'ils ne furent qu'illusion,
reflet de la lumière frappant l'œil,
dans le miroir des songes.

L'espace, naguère partagé, défile entre 
les doigts comme un jeu de cartes entre 
les mains d'un croupier fatigué.

Et l'absence de tout bouquet, que l'on
croyait réservée à d'autres, se fait jour
en filigrane dans cet autre silence.

Égée

À mon fils Jérôme

Une cuisine comme un bureau.
Derrière, assis, un chef triste,
au sourire bon et fatigué.

Peu de choix, une odeur douce
et tiède de tagines. Au mur,
de pierres nues, l'empreinte

de la Cappadoce taillée dans le
bois. On mangera de peu, buvant
lentement un vin mauvais.

Nous parlerons beaucoup. Il fera
chaud. Nous serons heureux. Puis
nous rejoindrons la nuit glacée.

Ophiure

De ta vie, mes yeux s'étaient 
asséchés. Ni larme, ni moire.

Alors j'ai plongé la main dans
le sable, ophiure à cinq bras. 

Et mes doigts ont vu de ta vie
le sel agile et senti ton rire,

unique, et qui me plaisait tant.
L'obscurité se fit. En ressortant,

ma main vint avec une coquille,
nacrée. Mon cœur voulait l'emplir.

dimanche 12 janvier 2020

Brume amour

La brume est sur les vignes,
cotonneuse. Minces nappes
d'un blanc épais.

Givre partout ailleurs. Dur,
craquant sous le pied tendre
des égarés. L'amour me guide,

en silence, qui dessine mon
sourire chaud. Union des mers
et des langues. Sérénité.

vendredi 10 janvier 2020

Cauchemar

La ville s'est vidée,
ses habitants, silencieux
s'en sont allés.

Je les vois qui suivent la
pente vive des caniveaux en
crue. Bruits de sonnailles

et de caoutchouc qui couine.
Aveugles, les fenêtres pleurent
le verre naguère embué et décoré

de figurines découpées. Nulle ombre
derrière. Ma main glisse sur le cuivre
glacé d'une sonnette en relief.

J'hésite et me retire. Sur un panneau,
un pigeon me regarde de son œil rond,
sans bouger, insensible à la pluie

qui dégoutte. Je l'invective mais nul
son ne sort de ma bouche et mon parapluie
ne s'ouvre pas. 

C'est alors que je cours vers la bouche de
métro. Ses grilles sont fermées et l'eau
dévale l'escalier et s'engouffre sombrement.

Solitude

La pluie s'est installée, lente,
constante, glacée. Un arbre noircit
sur lequel s'appuie une bicyclette

autrefois blanche. Un cadenas d'argent
l'y lie étroitement qui dégoutte gravement.
La selle, de cuir usé, est toute gonflée

et se craquelle. Les pneus, aux rayons ternes,
baignent dans la boue qui se forme peu à peu.
Solitude infinie de l'objet désormais sans usage.

Plou / Il pleut

Plou. A la ciutat estimada.
Un plugim lleuger i fred
que ho esborra tot.

Paraigües de color que passen
sense rostre. Caminar fangós,
inhàbil. Soroll de rodes molles.

Són hores de manyaga il·lusió,
sense cap pressa, amb el desig
d'anar més endavant, de recordar

cada instant, de percebre mots i
carrers, com si fossin teus. Molt
més enllà dels somnis i del mar.

***

Il pleut. Sur ma ville aimée.
Une petite pluie fine et froide
qui efface tout.

Parapluies de couleur qui passent
sans visage. Démarche boueuse,
maladroite. Bruit de roues mouillées.

Ce sont des heures de joie paisible,
sans nulle hâte, avec le désir,
de progresser davantage, de se rappeler

chaque instant, de percevoir mots
et rues, comme s'ils étaient tiens. Bien
au-delà des songes et de la mer.

jeudi 9 janvier 2020

Crepuscle / Crépuscule

M'agrada com és el cel al crepuscle.
Blau clar amb inacabables franges rosa.
Uns minuts infinits fora del trànsit

i de la remor ciutadana. Després, a les
fosques, entro en el bar de la cantonada
i escolto el soroll de les tasses

i les converses dels clients. Bàsquet,
futbol, tabac, receptes de començament
d'any. Vida. Pura, inestimable.

***

J'aime comme est le ciel au crépuscule.
Bleu clair avec d'interminables franges roses.
Quelques minutes infinies hors du trafic

et du bruit de la ville. Ensuite, dans
l'obscurité, j'entre dans le bar du coin de la rue
et j'écoute le bruit des tasses

et des conversations des clients. Basket,
football, tabac, recettes de début
d'année. La vie. Pure, inestimable.

mercredi 8 janvier 2020

Paupières

J'ai pensé à tes paupières, 
sans khôl, la nuit, closes.

Si fines et parcourues de
mille tremblements.

J'imaginais tes yeux vivant
la journée écoulée, bariolée
de sons et de couleurs,

de senteurs et de goûts. Tes
yeux guettant le point du jour,
entre tes paroles savantes,

jamais doctes. J'ai rêvé à tes
paupières, longuement, puis les
miennes se sont closes.

Dans tes mains

L'amour est dans tes mains
et tu ne le sais pas.
Tièdes, chaudes, fortes ou

alanguies, tes mains ouvrent
les livres que tes yeux balaient
et ta voix enchante. Elles tirent

la chaise aux amies pour les inviter
à ta table ou confectionner des bouquets
quand Valentin pense aux souffrants.

Tes mains, parfois, à l'été finissant,
pianotent sur un clavier pour, du temps,
conjurer l'oubli et exalter d'autres mains.

Point du jour

Le point du jour paraît une illusion
et, du lit au lycée, c'est la même
pâte noire qui te gèle les mains.

Pourtant, tu t'es levée, douchée,
vêtue, restaurée, prenant partout
de vives lumières : draps blancs,

eau brûlante, thé rouge et jus orange.
Le point du jour, donnée astronomique,
te messied. Laissons-le aux poètes et

à leurs aubades surannées. Le jour
est course et sourire et les taxis
rouges piaffent de t'accompagner.

mardi 7 janvier 2020

Une fatigue

Une fatigue discrète,
presque insidieuse, qui
ralentit les gestes

et refroidit la peau.
La fatigue des cours et
des courses. L'obscurité

si longue de janvier et ce
printemps qui tarde mais 
déjà pointe dans les bouts

tendres des amandiers. Envie
de paix, de repos, de sommeil
et de la chaleur des gens aimés.

Una caixa de cítrics / Une caisse d'agrumes

a L. B.

Una caixa de cartró malmesa,
sense embolicar, tota coberta
d'estrelles petites, vermelles.

Oberta com una boca famolenca.
Teatre petit d'or fos i de foc.
I, a dintre, la profusió del món:

Aranges grosses, taronges boniques,
rodones, esfèriques, bombes de goig,
plenes de suc viu i de somnis venidors.

***

Une caisse en carton cabossée,
non empaquetée, toute recouverte
de petites étoiles rouges.

Ouverte comme une bouche affamée.
Petit théâtre d'or en fusion et de feu.
Et, à l'intérieur, la profusion du monde :

Gros pamplemousses, jolies oranges,
ronds, sphériques, bombes de joie,
pleines de jus vif et de rêves à venir.


Marthe et Marie

Je ne les connais pas, je les ai aperçues
sur un polaroid couleur des années 70.

Déjà âgées,elles sourient à l'objectif,
au terme de ce qui doit être un repas

familial. Le flash à cube incandescent
a mal fonctionné, une obscurité profonde

avale l'espace alentour, si ce n'est les
restes du banquet sur la nappe claire.

Je ne les connais pas. Elles s'en sont allées.
Mais je n'oublierai pas leur sourire. Jamais.

Je ne connais pas

Je ne connais pas ta mer.
L'eau calme et grasse qui
clapote à ton port,

ni l'écume déroutante qui
se fracasse sur la grève,
après t'avoir portée,

un instant sur ses crêtes
iodées. Je ne connais pas
cet océan que tu nommes

mer, ni les poissons bleus
que l'on fait griller, à peine
pêchés, dans l'éblouissement

du zénith. Non, je ne la connais
pas, mais je rêve aux jours où
tu m'y initieras.

Une poire

C'était une belle poire.
Renflée, lourde dans
la main.

Son pédoncule court,
ligneux, invitait, d'un coup,
bref, à l'équeuter.

Je n'en fis rien, jouissant
de son poids dans la paume
et sentant, sous mes doigts,

sa peau comme un cuir fin,
élégant, un poil desséché par
l'abandon sur un coin de table.

Des secondes passèrent et je
revis l'histoire de mes jours
passés à cueillir d'infimes

détails du quotidien et à me
préparer à les oublier, n'était
l'appel du poème.

Sans la peler, je me décidai
enfin à la mordre, à l'inciser,
puis à me gorger de sa chair

ferme et douceâtre. Ce furent
des moments intenses, libre
action de grâce à la vie.

lundi 6 janvier 2020

Silenci / Silence

a E. B. F.

Silenci d'arrels i de soques,
aparença de pedres i record
de la vida tèbia i fecunda.

***
Silence de racines et de souches,
apparence de pierres et souvenir
de la vie tiède et féconde.


Parle-moi

Parle-moi, dis-moi la vie,
ne la raconte pas, tes yeux
sont là pour ça.

Parle à voix basse, le soir.
Silences, inflexions cassées.
Moi, yeux clos, oreilles

aux aguets. Parle-moi jeune,
parle-moi enfant, laisse couler
la voix des autres que tu as 

faite tienne. Patiemment, sans 
même le vouloir. J'ai vingt-cinq

ans, je suis d'encre et de papier
et ma peau a un goût de sel,
qui te plaît bien.

Parle-moi, rends-moi la vue,
ne me la décris pas, ta voix
est là pour ça.

Mon petit roi

à mon fils Martí

Mon petit roi ignore les conflits,
les luttes intestines. Son royaume
tient dans chacune de ses petites

mains : un sujet de céramique blonde
et une part de galette au beurre.
Sa couronne n'est pas en or, elle ne

porte nulle pierrerie chatoyante.
Elle est en carton peint et il ne la
quitte jamais. Toute scotchée,

rafistolée maladroitement, elle est 
une peau de joie et pas de chagrin,
un manteau d'Arlequin pour qui porte

le nom d'un saint guerrier qui en deux
coupa le sien pour l'offrir au démuni.
Mon petit roi, c'est celui qui sourit !