vendredi 29 juin 2018

Le train file

Le train file dans le soir ralenti, sur 
un très fin bandeau d'acier et de ballast.

À ma gauche et sur ma droite, la surface frisée
des étangs se ride de dentelles. Les muges qui
fraient viennent s'y empétrer, jalouses des

huîtres qui y feignent le bijou. Mais déjà l'eau
s'assèche et la terre rougeoie, griffée de vert
et d'ocre, pressentant les barriques. Des vins

lourds et sirupeux en seront tirés mais le train
file, qui n'en a cure, et vers son terminus s'en va.

Est-il ?

Est-il de plus sûr guide que le chemin,
de plus fière maîtresse que la route ?

Je ne suis moi qu'en cheminant. Du sud
au nord et du nord au sud. La course du

soleil m'est une compagne fidèle, qui trace
une croix d'or sur mon cheminement.

Et s'il me fallait des havres, sur cette
curieuse trajectoire, ce seraient tes baisers,

au creux de ton auto, quand tu me regardes et 
que je ne te vois plus, tout à la couture d'une

étoffe nouvelle, de serge et d'organdi. Mais que
tes lèvres de moi se descellent, et je m'évanouis.

jeudi 28 juin 2018

Un présent

à Jennifer

L'enveloppe est petite, fine.
Elle porte, à l'encre violette,
mon nom de plume.

Mes doigts sont gourds qui tentent
de l'ouvrir, avec le secours improvisé
d'un couteau d'office émoussé.

L'adresse, d'une écriture menue,
n'y résiste pas. À l'intérieur,
un bristol, clos d'une vague,

également violette, et le programme
d'un récital qui me fait voisiner
avec des noms connus et d'autres

à connaître. Bien sûr, le temps
s'est écoulé ; bien sûr le son de
la guitare s'est envolé. Qu'importe.

Il y avait ce matin, au centre de 
ma boîte aveugle, le cœur de papier
d'une amie de toujours.



mardi 26 juin 2018

El pallagot i el pallagostí / Le petitou et la sauterelle

Te'n recordes, Alain, quan érem petits,
al nord de França, on tot és gris, moll
i fred? La nostra mare et deia

pallagot, «el pallagot de sa mare». I rèiem
mentre vèiem caure lentament les gotes grosses
de la pluja de Flandes.

La mare utilitzava una altra paraula, semblant,
del seu Rosselló llunyà, però molt més misteriosa:
pallagostí, un animal fabulós que saltava de camp

a camp, empassant-s'ho tot fins la desolació. Només a
la nit, a les fosques, s'aturava i començava a cantar.
Un cant ronc i lent, ritmat com unes campanades a mort.

Fora plovia i sota els fanals cecs, no passava ningú.
Ens inventàvem un món que, ja grandets, coneixeríem
un dia, al Rosselló, a l'aguait dels pallagostins.

***

Tu te souviens, Alain, quand on était petit,
au nord de la France, où tout est gris, mouillé
et froid? Notre maman t'appelait son

petitou, «le petitou à sa maman». Et on riait,
tout en voyant tomber lentement les grosses gouttes
de la pluie des Flandres.

Maman utilisait un autre mot, semblable,
de son lointain Roussillon, mais beaucoup plus mystérieux :
sauterelle, un animal fabuleux qui sautait de champ

en champ, avalant tout jusqu'à la désolation. Ce n'est que 
la nuit, dans le noir, qu'elle s'arrêtait et commençait à chanter.
Un chant rauque et lent, rythmé comme un glas.

Dehors, il pleuvait sous les lampadaires aveugles, nul ne passait.
Nous nous inventions un monde que, plus grands, nous connaîtrions
un jour, dans le Roussillon, à l'affût des sauterelles.

dimanche 24 juin 2018

Deux ombres

à ma mère et à mon frère

Sur le rivage, y faisant halte
dans la contemplation du ressac.
La mer, si fine, leur fait l'hommage

d'un bandeau de dentelle qui les lie,
un instant. Un instant d'absolu. L'homme
est plus grand, solidement campé sur ses

jambes. La femme, gracile et élégante, semble
porter une robe longue du romantisme anglais ou,
qui sait, des Gens de Mogador, dont elle fut,

jadis, naguère, une spectatrice enjouée. La photo
n'a pas duré plus de quelques instants, mes vers,
quelques minutes. Mais l'amour est infini.


La meva llengua / Ma langue

La meva llengua no és un muscle viu,
ni un tros de carn deixat de la mà
dels homes.

La meva llengua parla quan acluco
els ulls i deixo anar el fil tendre
dels somnis i de la imaginació.

És una font sobtada, mil llibres a
la vegada, un nus gordià de mots
i de girs, on el timbau del Conflent

frega la seda aspra del cocó menorquí.
La meva llengua no és un muscle viu.
Són tots els musclos de la meva mar

que s'obren, regalimant sal i suor,
quan el cos, exhaust, s'apropa a pas
lent de la fredor del ponent.

***

Ma langue n'est pas un muscle vivant,
ni un fragment de chair, abandonné de
tous.

Ma langue parle quand je ferme
les yeux et laisse aller le fil tendre
des rêves et de l'imagination.

C'est une source soudaine, mille livres à
la fois, un nœud gordien de mots
et de tournures, où le ravin du Conflent

effleure la soie âpre de l'anfractuosité minorquine.
Ma langue n'est pas un muscle vivant.
Ce sont toutes les moules de ma mer

qui s'ouvrent, dégoulinant de sel et de sueur,
quand mon corps, épuisé, s'approche à pas
lent de la froideur du couchant.

Ne t'en va pas

Ne t'en va pas, reste, reste encore.
Un peu. La houle fut forte et nous
voguâmes loin, entre des caps distants,

en silence, nos bouches exhalant, de
Chypre, les plus rares parfums. Le sommeil 
est tentant, si proche, qui nous séparera,

alors même que nous sommes si près, ainsi
conjugués par le souffle court et les joues
empourprées. Ne t'en va pas, reste un brin.

Je sais des histoires sucrées comme un rayon
de miel et des contes affreux, à faire trembler
un sage. Ne lâche pas mes yeux, et je t'en parlerai.

mercredi 20 juin 2018

Laisser (bis)

Laisser l'écran de côté
et regarder le ciel d'un œil
neuf. S'émerveiller du jour

qui se lève dans les gerbes des
arroseuses poussives et bruyantes.
De la ville, saisir terrasses

et pignons, y imaginer la vie tapie
et qui dort encore. S'enchanter de
la Saint-Jean qui approche et de la

folie musicale qui saisira les quartiers.
De petits bals improvisés en food-trucks
solidement installés.

Laisser l'écran de côté et n'y revenir que
quand la vie, touchante et enjouée, marquera
une pause et nous laissera orphelins. Un temps.

lundi 18 juin 2018

Memento

Alors le père s'en est allé,
délaissant son anniversaire
et la fête des pères.

Pour en faire, à nos yeux et à
nos cœurs esseulés, de bien
curieux cénotaphes,

comme ceux que mon fils m'invita
à longer, hier dimanche, un peu
avant midi.

Les suppliciés gisaient sous la
pierre claire et les tombeaux
alignés ne portaient que 

des lettres, noires toutes. Memento,
impératif futur que la langue appauvrie
a déserté.

Souviens-toi, oui, souviens-toi, passant,
de ce roi serrurier, et de mon père aussi,
qui fut homme de bien.

Laisse

Laisse la mer battre lentement,
lécher doucement tes chevilles
que juin a dénudées.

Laisse le sable un peu grossier,
rougi par les siècles, leur faire
cocon. 

Puis regarde l'horizon, l'orbe
gracile, par delà la mer étale
que les vaisseaux ont délaissée.

Les jours traînent et la vie est 
là. Simple, unique. Bien sûr,
bientôt la nage t'absorbera

et le soleil, allongée, te couvrira
d'une fine couche de sel. Qu'importe,
laisse la mer battre doucement.

dimanche 17 juin 2018

Lampions

Juin approche de son sommet et les jours
n’ont plus peur de la nuit, leur voisine.

Mon imagination, opposite, me précipite
en novembre, dans les rues. et sur les places

de Dunkerque la grise. Le tambour roule,
la procession de la Saint-Martin avance

lentement. Je n’ai pas dix ans, je grelotte
dans mon manteau à boutons marron.

Je peine à tenir haut la fine baguette où
est accroché un lampion de papier coloré.

La flamme vacille et la chandelle menace
d’embraser le frêle fanal. Mon père, non

loin, à ma gauche, est un géant brun. Avec

lui je n’ai pas peur et j’avance, j’avance.

samedi 16 juin 2018

L'ombre d'un visage dans la nuit

Ainsi je suis. Ecce homo.
Couché. Yeux ouverts.
L'ombre d'un visage dans

la nuit de juin, qui sait être
glacée en son septentrion.
Le corps ne bouge. L'âme

va vite et le sommeil tarde
à exiger son dû. La parabole
des talents s'impose, durable

vague contre la falaise de craie.
Il n'est de vie que quand on aime
à distance et se souvient.

jeudi 14 juin 2018

Palimpseste

Gratter, gratter encore.
Non pas la terre sèche où
se sont usés mes pas,

mais une peau de mouton, 
épaisse et veloutée, où
d'autres, avant moi, ont

écrit avec un peu de leur
sang vif. Songer à l'antique
maison, à ses sept couches

de papier peint, sous lesquelles
le crayon d'un maçon de 1852
avait écrit des chiffres,

clairs pour lui, abscons pour nous.
Ce mur à nouveau vierge où j'invitai
mes fils à écrire un brin,

pour les générations futures.
Gratter, gratter encore.
Pour que mes enfants, un jour,

puisse à leur tour gratter le
précieux parchemin avant d'y laisser
leur empreinte, commune et unique.

mardi 12 juin 2018

Une part de tarte au flan

Il y a longtemps, bien longtemps,
plus d'un demi-siècle, ma mère
sortait avec moi sous la pluie

de Dunkerque. Nous longions le kiosque
à musique et faisions halte dans une
pâtisserie claire aux vitrines remplies.

Invariablement, je choisissais une part 
de tarte au flan que la dame emballait
dans du papier de soie. De là, nous gagnions

un petit café aux murs pavoisés d'écossais.
Ma mère, toute en chignon, rêvait en buvant
un café et en fumant un peu de tabac anglais.

Moi, je sirotais en mordant à pleines dents
dans la part de tarte au flan. Jamais je n'ai
désiré avoir pour moi la tarte tout entière,

comme si je devinais déjà qu'en parts, le plaisir
est meilleur, combinant le désir et la délectation.
Nous repartions alors et la pluie, soudain, cessait.

Un présent

Il n'est que de sentir battre tes paupières,
au cœur de la nuit, pour me sentir heureux.

Sages papillons qui se refusent à quitter
la soie des traits reposés pour s'en aller

voler de par le vaste monde. Tes yeux, au dessous,
s'ouvrent à la pénombre à laquelle ils s'habituent.
Tu distingues, dans l'austérité du lieu, des détails

familiers et, par le nez, en perçois la fragrance
discrète et prégnante. Tu ne me réveilles pas, tu

ne sais pas que, tout à côté, ou à des années-lumière,
je te regarde et m'enchante de deux petits papillons clairs.

Deux rives

Non pas deux rives de la Méditerranée,
qui se regarderaient en chiens de faïence,
comme le mystérieux Farghestan captivait la seigneurie

d'Orsenna, mais une plage de l'Atlantique et une
côte de la mer d'entre les terres, avec chacune
leurs baigneurs improvisés et leurs inconditionnels.

Ici l'on ouvrirait du bassin les huîtres juteuses,
accomodées de citron et de vin blanc frais ; là on
se ferait un creux douillet dans la dune déjà chaude,

à l'ombre d'un pin parasol, large et fièrement dressé.
Sur les deux rives, l'eau serait fraîche et délicatement 
salée au point que la nuit vorace, intimement, les confondrait.

lundi 11 juin 2018

Vigie

Sur la jetée, un phare silencieux,
jette une lumière régulière en quartiers.

L'eau bat contre la digue. Comme
un frôlement de soie que toi seule

perçois. La nuit n'existe que par ce
phare dressé qui la découpe et tes

pieds nus qui dans l'onde se mouillent.
Silence des alter ego, un temps appariés.

Un amic a Cadis / Un ami à Cadix

La primavera no acaba de néixer,
entre ventada i ruixats. L'amic
s'exhaureix i, quan torna a casa,

no reconeix la veu de l'estimada
ni la remor del mar. Necessita una
altra terra i una altra aigua,

un poble gran o una ciutat petita.
Ho deixa tot, s'enlaira i ara el
veureu caminar amb els ulls ben

oberts per la costa de Cadis, entre
Déu i els homes, l'oceà i la pedra
blanca. Hi troba bona gent i costums

eximis. Per vint duros, li porten una
cervesa de barril amb olives trencades.
S'hi sent bé i jo espero els seus versos

novells.

***

Le printemps n'en finit pas de naître
entre coup de vent et averses. Mon ami
s'épuise et, quand il rentre chez lui,

il ne reconnaît pas la voix de son aimée
ni le bruit de la mer. Il a besoin
d'une autre terre et d'une autre eau,

un grand village ou une petite ville.
Il laisse tout, s'envole et le voici
qui marche les yeux bien

ouverts sur la côte de Cadix, entre Dieu 
et les hommes, l'océan et la pierre blanche. 
Il y trouve de braves gens et d'excellentes 

coutumes. Pour cent pessètes, on lui donne 
de la bière à la pression avec des olives cassées. 
Il s'y sent bien et, moi, j'attends ses vers

novices.

Du corps et du cœur

- Du corps et du cœur, lequel l'emporte-t-il
quand, sous ta main, les vers défilent ?

- À vrai dire je ne sais, ma main se serre et
mon front se ride, je me retiens, me concentre

et me laisse aller, tous muscles détendus. Mais
quand je me relis, pour corriger les scories que

l'écriture rapide ne manque de parsemer, je sens
battre mon cœur et les mots, naguère si faciles,

m'échappent aussitôt. Alors, comme un pied de nez
à ce discret dilemme, j'en fais un mot-valise : cœurps.

Une rouge fleurette

La pluie du printemps ne sait pas mentir..
Ses gouttes sont grosses mais tièdes.

Passé l'effroi de la première ondée, on
sort gaillardement, jambes nues, chercher
des petits gris ou de sombres Bourgogne.

Les ronces, jalouses de tant d'entrain, et
furieuses d'avoir été douchées, nous barrent
le chemin et la peau, si fine de l'obscurité

hivernale, se laisse bientôt prendre au fouet
subit de leurs tiges. Nul amour de part et d'autre.
De la précipitation et de la naĩveté. Et cependant

me reviennent les vers de Ronsard, mon poète de la pluie :
     «Quand une ronce en vain enamouree,
     Ainsi que moy, du vermeil de ses bras»

et je me plais à voir, dans le sang vif qui perle
de l'égratignure, l'empreinte de douleur que, parfois,
sans le vouloir, mes vers impriment.

vendredi 8 juin 2018

Acompanya'm / Accompagne-moi

Acompanya'm, amiga, fes-me companyia.
Amaina. Caigudes, ses veles ploren
ses antigues travessies.

Ja és temps d'inventar-mos rutes noves.
M'agafaràs del braç i jo te guiaré sense
perdre l'alè. Callats, capcots, amb els ulls

encesos i ses galtes vermelles, caminarem,
dia i nit. Perdrem el sentit des temps
i de s'espai i no veurem ses peuades

que mos seguiran. Acompanya'm, amiga,
fes-me companyia. De llevant a ponent,
sa nostra illa no passa d'una peuada.

***

Accompagne-moi, mon amie, tiens-moi compagnie.
Le vent tombe. Affalées, les voiles pleurent
les anciennes traversées.

Il est à présent temps de nous inventer des routes neuves.
Tu me prendras par le bras et je te guiderai sans
perdre haleine. Silencieux, tête basse, les yeux

enflammés et les joues rougies, nous marcherons,
nuit et jour. Nous perdrons le sens du temps
et de l'espace et nous ne verrons pas les pas 

qui nous suivront. Accompagne-moi, mon amie,
tiens-moi compagnie. D'est en ouest,
notre île ne dépasse pas un pas.

L'attente

Le père s'en est allé,
en vingt-quatre heures,
ses beaux yeux bleus

ne me voyant plus. Mais
que penser de cette dame
qui hante les couloirs clos

d'une ville à olives ? Petite,
décharnée, vêtue d'un pantalon
trop ample, noué d'une ficelle,

elle promène son passé depuis
des mois déjà, suspendue à un
balcon de la Méditerranée

ou une base aérienne atlantique.
Sa fille cadette souvent la visite,
désemparée par l'incessante noria

d'une conscience déboussolée. Alors
l'attente, dans le couchant de la Drôme
prend des accents d'occident révolu.

jeudi 7 juin 2018

Rosella / Coquelicot

Has fregat mai el pètals vius
d'una rosella que balla? Sense
collir-la, guanyant a poc a poc

la delejada confiança. En apropar-t'hi,
la flor perd el seu color de most fresc
i s'assembla als matisos de l'amant

desitjada. La mirada se t'enterbol i els
dits comencen a temblar. Perds la paraula
i s'imposa set lletres de foc: rosella.

***

As-tu déjà frôlé les pétales vifs
d'un coquelicot qui danse ? Sans
le cueillir, en gagnant peu à peu

la confiance ardemment désirée. En t'y approchant,
la fleur perd sa couleur de moût frais
et s'assimile aux nuances de l'amante

désirée. Ton regard se trouble et tes
doigts commencent à trembler. Tu perds la parole
et dix lettres de feu s'imposent : coquelicot.

Une passion singulière

Silencieuse et constante,
elle guide mes jours et
enchante mes nuits. Comme

un péché précieux, j'éprouve
une passion exclusive pour la
peau, si difficile à fixer en son

grain et ses coloris volatils.
Je m'en emplis les yeux, le nez
et les lèvres, forçant ma mémoire

à ne point s'y arrêter longtemps
pour faire renaître une quête aussi
vaine qu'irrémédiablement nécessaire.

Une maison de vers

Le jour, je marche dans les rues,
cueillant de l'anodin le parfum
entêtant. La nuit, dans l'obscurité

sans heure, j'en fais des vers, par
deux ou par trois, en unités brèves,
sans trop m'y attarder. Puis je les

relis, je les relie, les tapotant comme
un jeu de cartes que l'on assemblerait
en sachant parfaitement que, du tapis vert,

il ne connaîtrait jamais le velouté addictif.
Alors je les publie, aux quatre vents, avec
une régularité inégale et je donne à chaque

mot de la langue la pierre qui, à mon sens,
lui fait encore défaut puis mes maisons s'en vont 
de par le monde, humbles bateaux de papier.

Silenci / Silence

Dorms. Estàs dormint. Cansada per un dia
llarg d'estudis. El mal de cap t'ha deixat.
Per unes hores. Unes poques. No ho saps,

però el silenci de la cambra és la remor
de la mar quan juny ens roba la foscor de
la nit. Ja no tens aquesta mirada de cala

petita, a Alcaufar o Cervera, i endevino els
teus pensaments secrets i inefables. Si el
silenci és d'or, ells són d'aiguamarina.

***

Tu dors. Tu es en train de dormir. Fatiguée par une grosse
journée passée à étudier. Ton mal à la tête t'a quittée.
Pour quelques heures. Peu. Tu ne le sais pas,

mais le silence de la chambre, c'est la rumeur 
de la mer quand juin nous vole l'obscurité de
la nuit. Tu n'as plus ce regard de petite

crique, à Alcaufar ou à Cerbère, et je devine tes
pensées secrètes et ineffables. Si le
silence est d'or, elles, elles sont d'aigue-marine.

En pla

En pla. En es meu. No pas en es seu.
Es meu pla és una barreja de girs apresos
i de mots heretats. Pedres planes. Còdols

vius, salobre invisible. Port quaranta anyets
tractant d'aprendre sa nostra llengua i em veieu
quequejant amb un somriure de beat.

Sa meva llengua és un pobre pla. Ni un pla d'estudis
ni es pla d'uns amargats que s'amaguen darrere uns
doctors valencianistes per escupir es seu verí com

un coltell d'escates mortes, de llevant a ponent.
Un dia moriré, com ells, però em sobreviurà sa llengua
nostra, barreja de girs apresos i de mots heretats.

In absentia

- La pensée est-elle périlleuse ?
Passe-t-elle le voile léger entre
les êtres et peut-elle imprimer

sa marque comme un sceau déloyal ?
- Les mots trompent, ils nous emportent,
nous desservent et nous déçoivent.

Dans l'instant. Or le temps qui passe
ne nous appartient pas qui relie les
générations en un long chapelet d'ombres

singulières. Et penser vient de peser.
Or qui pèse éprouve de ses mains et de
ses yeux l'objet de sa convoitise ou de

leur abandon. Il n'est donc point de pensée
périlleuse mais juste, en absence, l'exquise
et respectueuse coïncidence de deux unicités.

mercredi 6 juin 2018

Encaustique

Je ne suis pas sûr de savoir
ce qu'elle est ni si elle en est,
mais j'aime son odeur et la main

qui colle à la surface du bois traité.
Les menues imperfections, fissures, fêlures,
disparaissent sous sa patine et les yeux

se mirent dans le reflet par elle inventé.
L'encaustique échappe à l'analyse ou à la
savante définition. Elle fixe le bois dans

un état éternellement transitoire et donne
le tournis au fou qui souhaite s'y reposer,
comme la vie et le devis des muses nos amies.

lundi 4 juin 2018

Le trépas

à mon père

Deux syllabes, séparées,
deux accents, comme un glas
lancinant, j'ai ce mot en moi

depuis plus de trente ans. Mon
père me l'a enseigné, dans ma folle
jeunesse, par une confidence. La mort

ne l'inquiétait pas, seul le tourmentait
le trépas, le passage. J'ai pris part à
ce passage, en son début, et ne puis en

parler. Mais j'ai compris alors que les mots
n'étaient pas d'habiles conventions ou de
commodes rendez-vous. Je l'ai éprouvé dans

la chair qui m'a fait chair et ce regard si bleu
qui ne me voyait plus. Le trépas est passé, les
cendres reposent auprès d'un poète, d'une peintresse

et d'un limonadier, mais je n'oublierai jamais la chaleur
qui, peu à peu, quittait un front que, dans ma vie, je
n'ai pas suffisamment embrassé pour le laisser passer.

Elle griffe le vélin

C'est un livre dont on ne veut plus.
Les bibliothécaires l'ont exclu des
nouveaux rayonnages et il attend

le chaland dans cette SPA du pauvre.
Il a pour nom Les coloriés mais,
quand je l'ouvre, c'est la pâleur

de son papier tranchant sur le noir
sépulcral qui me saisit et me glace.
Puis il me fait signe, me séduit,

cédant la place à sa sœur l'écriture,
toute en plats et en déliés imaginés,
en ligatures et en italiques penchées.

Elle griffe le vélin, mieux que chat
son panier. La pulpe de mes doigts
frissonne et se laisse envoûter.

Je hume longuement le papier en son cœur
et me décide, en me plongeant, à révéler
au monde de mes sentiments l'inanité d'un

désherbage hâtif qui, sans la main amie
qui l'a sauvé, aurait fini au pilon gris,
sans nul lecteur pour lui faire cortège.