mardi 23 janvier 2018

Rêve de janvier

Ce soir j'ai rêvé de toi, ma tante X.
L'air de Barcelone, le miroir d'un trottoir et les réverbères de Gaudí.
Je me tenais face au balcon d'une vieille demeure.
Tu marchais et parlais seule, le long du trottoir blanc.
Tu souriais au monde, debout, toute seule face à ton monde.
Tes traits délicats, fine la vie et les seins gonflés.
Touchant l'univers, mais pas les humains.
Je me suis retournée, appelant mon mari d'un cri:
tu as vu, tu as vu, c'est elle! ma tante X ! 
Tu vois comme elle est belle ?
Tu vois comme elle est jeune ?
Je me suis tourné vers le trottoir blanc et j'ai appelé : Tatie !
Tatie ! Je l'ai encore appelée.
Elle s'est arrêtée, s'est arrêtée, le regard absent, puis hostile. 
Puis elle m'a vue. Elle a levé ses yeux transparents vers le vieux balcon 
et nous nous sommes penchées l'une vers l'autre pour nous donner la main.
C'est si facile: toi et moi, nous voir, nous serrer la main.
(À quoi aura servi tout ce courant électrique 
qu'ils t'ont fait passer à travers le cerveau?)

Stefania Sònia Buosi Moncunill, 
traduit de l'italien
par M. Bourret Guasteví

mardi 16 janvier 2018

Douceur

Sept lettres d'infini,
deux syllabes où la langue
touche par deux fois le palais

aimé avant de se clore sur la râpe
de la gorge. Tout ce peu et tout ce
qui manque à ma voix et à mes doigts.

Apprends-moi de la douceur la fable,
la flûte incandescente, le flou divin,
ta vie tapie dans tes sommeils rêvés,

vécus, patiemment observés, quand le drap
se fait rêche, au contraire de ta peau et
de ton souffle attendus patiemment depuis

la lointaine aube des marchands, chargés 
d'épices et de draperies, sans toi, sans toi.

dimanche 14 janvier 2018

Una sopa de xirivia / Une soupe de panais

Mai heu tastat el gust amarg de la xirivia?
Un sabor exigent, d'una urgència mai probada.

Combinat en una sopa espessa, fumant, tancada
entre les parets cegues d'una cassola de ferro

colat, amb la tendresa d'una carbassa Butternut
de pell llisa i oblidada. No la rebreu pas. Ella

us vindrà a abraçar, com una amant somiada, a punt
d'agafar el bus cap als barris alts de la goxdivina

capital. Li donareu les gràcies a l'estimada per haver
obert el receptari a la pàgina que us faltava cap a

l'Itaca dels sabors. Escates de sal? Un polsim. Nata
espessa? Una bona cullerada. I la mort us deixarà en pau.

Un temps.

***

Avez-vous jamais goûté la saveur amère du panais ?
Un goût exigeant, d'une urgence jamais éprouvée.

Combiné en une soupe épaisse, fumante, enfermée
entre les parois aveugles d'une casserole de fonte,

avec la tendresse d'une courge Butternut
à la peau lisse et oubliée. Vous ne le recevrez pas. Il 

viendra vous embrasser, comme une amante rêvée, sur le point
de prendre son bus en direction des hauts quartiers de la divine

capitale. Vous remercierez votre aimée d'avoir ouvert
son livre de recettes à la page qui vous manquait vers

l'Ithaque des saveurs. De la fleur de sel ? Une pincée. De la crème 
épaisse ? Une bonne cuillerée. Et la mort vous laissera tranquille.

Un moment

samedi 13 janvier 2018

Une poche percée

Deux amies avaient pris rendez-vous,
un soir de janvier, là où l'Europe
finit.

L'une d'elle, sur un jeu de dés, avait
choisi d'offrir à l'autre un plat de
vermicelles aux poissons,

comme elle avait appris à les préparer,
au bord d'une autre mer. Le plat devait
se faire d'encre et être dégusté à la nuit

tombée. Hélas l'amie première, de l'encornet
perça la poche, et les lettres, bientôt, les
mots, les phrases, sur la chaussée versèrent.

Alors elle fit de soleil sa fideuà et régala
l'amie qu'un Gros plant avait légèrement
éméchée, en ce soir de janvier.

vendredi 12 janvier 2018

Quelques mots

Quelques mots de Samson François,
lâchés après la moire de Ravel.

Des mots inattendus, chaleureux.
Simples et justes. J'ai toujours

aimé le piano de Samson François,
qui jamais en moi ne s'est fixé

mais souvent a accompagné ma course
dans les rues, sans nul besoin de me

le recomposer. Et voilà que ses mots, 
sans âge, les mots d'un mort à un autre

mort, m'émeuvent comme la première cerise
en bouche quand le printemps n'en peut plus

de courir vers l'été. Je ne m'en souviens plus,
j'en ignore la portée, mais leur sautillement

me contraint à arrêter ma course dans les rues
et à venir vous en parler. En signe d'immortalité.

mercredi 10 janvier 2018

Solitude

La porte vitrée à deux battants
s'est refermée et le soleil est bas.

La lumière n'entre plus. Ou si peu.
Il est temps de s'asseoir au bureau
et de feuilleter les anciens manuels.

Bientôt, des malades, ce sera la visite.
Pour l'instant, tu t'en dégages et lis
du passé les cas emblématiques.

Or tu ne sais que trop, comme voici peu,
dans le taxi, aux verres opalisés, qui te
conduisait à l'hôpital général, que les livres,

par un automne soudain, perdent leurs feuilles,
face aux individus que la mort inclémente accroche.