mardi 30 avril 2019

Un distique et un haïku

Tu m'as percé à jour, le soir était de paille,
les heures ont passé et mes doigts sont de Braille.

L'abstrait est couleur.
Le jaune cru d'une nappe
un brin mouchetée?

Lungo la costa / Le long de la côte

Non posso vivere senza
amici. Il mare sarebbe
triste e le strade vuote.

Domani non è sicuro
e ieri una caramella.

Con gli amici, cammino
lungo la costa, lento,
parliamo d'amore e sogniamo.

***

Je ne peux vivre sans
ami. La mer serait
triste et les rues vides.

Demain est incertain
et hier un bonbon.

Avec mes amis, je marche
le long de la côte, lentement,
nous parlons d'amour et nous rêvons.

mercredi 24 avril 2019

El bes / Le baiser

No diguis res. Dóna'm un bes.
Una besada. Tendra, llarga.
Buida els carrers del soroll

quotidià i escolta el cant viu
dels ocells nous. No tenim temps.
Tot just una vida. Més aviat dues.

No diguis res. Dóna'm un bes.
una passejada. Pels carrers vius
de la ciutat nova. I estimem-nos-hi.

***

Ne dis rien. Donne-moi un baiser.
Un baiser long et tendre.
Vide les rues de leur bruit

quotidien et écoute le chant vif
des oiseaux neufs. Nous n'avons pas le temps.
Tout juste une vie. Ou plutôt deux.

Ne dis rien. Donne-moi un baiser.
Une promenade. Dans les rues vives
de la ville neuve. Et aimons-nous-y.

Un pomeriggio / Une après-midi

Un pomeriggio d'amore.
Ma non vero. Inventato.
Per le strade di Parigi.

Lentamente. Senza baci.
Ma con passione. Muta.
Giusta. Innamorata.

Mi piace la città dopo
il lavoro. I l'amore.
Inventato. Senza baci.

***

Une après-midi d'amour.
Mais pas vrai. Inventé.
Dans les rues de Paris.

Lentement. Sans baiser.
Mais avec passion. Muette.
Juste. Énamourée.

J'aime la ville après
le travail. Et l'amour.
Inventé. Sans baiser.

Lectures

A J. P.

Assegut a sa banqueta de molesquine,
llegesc. Lentament. Sa lletra és petita,
es fragment m'agafa de la mà i no el puc

deixar. Set pàgines. Un capítol inicial
amb els marges marcats per s'impressor.
Devora sa pantalla, es cafè, fred, dibuixa

es matí. M'aixecaré prest i m'aniré a reunir
amb en Joan que me'l va passar. De moment,
no dic res i llegesc. No par de llegir. I bec.

***

Assis sur la banquette de moleskine,
je lis. Lentement. Les lettres sont petites,
le fragment me tire par la main et je ne peux

le laisser. Sept pages. Un chapitre initial
avec les marges marquées par l'imprimeur.
À côté de l'écran, le café, froid, dessine

le matin. Je me lèverai bientôt et j'irai rejoindre
Joan qui me l'a passé. Pour le moment, je ne dis 
rien et le lis. Je n'arrête pas de lire. Et je bois.

Griffures

à E. M. G.

La nuit est proche, la nuit est loin,
cinq heures d'express et l'inquiétude
d'arriver en retard. La main droite

tient un livre, gracile, élégante. Une
main qui écrit et qui aménage et qui, là,
oisive, attend. La gare n'est plus loin,

le lycée gris aux murs délavés, la salle
sonore, l'effusion des collègues qui sont
aussi des amis. La main se tend, à la façon

tendre et gauche d'une excuse. Rougies, fines,
des griffures la signent. Le chat, mon chat,
cette nuit. Et le souvenir de l'île de s'imposer.

dimanche 21 avril 2019

Un editore / Un éditeur

a X. A. 

Traduttore traditore.
Ma l'editore? Tra l'editore
e la vita c'è un colore.

Blu. Blu a strisce alzate.
Come un libro di teatro novo
e antico tradotto in catalano.

La vita. Una passeggiatta per
la città medievale con amici
e bambini. Barcellona, Sabadell,

Russia. Catalano e spagnolo.
Due parole in francese. La vita.
Arrivederci... ma mai addio.

***

Le traducteur est un traître.
Mais l'éditeur ? Entre l'éditeur
et la vie, il y a une couleur.

Bleu. Bleu à rayures en relief.
Comme un livre de théâtre neuf
et ancien traduit en catalan.

La vie. Une promenade dans
la ville médiévale avec des amis
et des enfants. Barcelone, Sabadell,

la Russie. Du catalan et de l'espagnol.
Deux mots en français. La vie.
Au revoir... mais jamais adieu.

jeudi 18 avril 2019

Niente e tutto / Rien et tout

Non capisco niente. Il sole
brilla e la luna piange. Noi
siamo. Te e me. Parole giuste.

Mi piace scrivere e sognare.
Almanaccare. Domani è oggi e
sogno che sono al tuo fianco.

***
Je ne comprends rien. Le soleil
brille et la lune pleure. Nous,
nous sommes. Toi et moi. Justes paroles.

Il me plaît d'écrire et de rêver.
De rêvasser. Demain est aujourd'hui et
je rêve que je suis à tes côtés.

Un livre ancien

La page tourne, avec difficulté.
Le livre est ancien, son grain
attache les doigts et les retient.

À chaque ouverture, une brise d'oubli.
Les mots, patiemment alignés, attendent
une voix pour être la danseuse de la boîte

à musique et dans l'obscurité replonger,
après avoir un brin tourné, dans les paillettes
d'un rite apprivoisé. Les vers sont réguliers,

les strophes répètent un ordre immuable. Graphie
ancienne, avec des ligatures et des empattements.
On a convoqué les vieux mythes pour parler avec

pompe de baisers grappillés. Soudain un mot m'attache
qui me parle de toi. Derrière la phrase est la vie.
Que fais-je encore là ? Je ferme le livre, tu luis.

Le silence des baisers

Ils se sont tus, il y a longtemps déjà.
Sur la nuit des terrasses, dans la ville
chaude et bruyante. Baisers de mots

soufflés dans le cliquetis métallique
des anciens combinés. On refaisait le monde,
sans vraiment y toucher. Les points cardinaux

étaient posés. De Dunkerque à Tamanrasset, comme
aurait dit un vieux général, secoué par un combat
second, et dont la verve césarienne savait encore

faire mouche. À force de caresser entre nos mains,
le globe de métal et de jouer, yeux clos, à découvrir
les lieux du monde où nous pourrions aller, nous nous

étions tracé une géographie de fantaisie, avec son pôle,
son équateur et ses points cardinaux. Le temps était nôtre,
si l'espace nous était refusé. Alors les baisers... De sel

et de passion, de lèvres éprouvées d'une pulsion, puis desserrées
avant que le sang qui les gorge au monde ne s'écrive. Peaux collées,
épousées, tièdes de la sueur proche des haleurs descendant les canaux.

Des mots, de sages mots. Des mots fauves sentant la savane âpre,
la joute délicieuse au bord de la mer en été. Le tulle délicatement
enlevé, la saharienne sur le rivage brusquement déposée, les pieds

des amants nus faisant du sable une joyeuse panade milanaise avant
de courir souples et comme dissociés dans le soir finissant.
Nostalgie ? Non pas. Bonheur serein. Je sens la voile se gonfler.

Un milliard de pas frôlés

à mon grand fils

On annonce des centaines de millions,
un milliard, peut être, d'espèces
fiduciaires, pour rafistoler la vieille

et massive cathédrale que la nuit sans
lune a plongée dans un gouffre noir,
de cendre et d'eau. Plus de flèche.

Le fracas de pierre a préservé le coq
de métal, noirci, qui gît de côté et
ne donne plus la direction des vents.

T'en souvient-il, Vincent ? Nous aimions
la frôler de nos pas, cette ombre pure
qui nous cachait le soleil pour nous

inviter à la marelle, d'île en île.
Cité, Saint-Louis. On aurait dit du Péguy.
Ou du Desnos. Si distincts, si semblables.

Notre marche était lente et nos pas nombreux.
Nous n'en avions pas conscience, nous cheminions
et étions bien. L'ombre demeure, gorgée et fendillée,

sentant le brûlis des chaumes de la Beauce et de la Brie.
Il nous prendra l'envie de la longer à nouveau, quand
le brouhaha des badauds d'un jour se sera tu. Le veux-tu ?

dimanche 14 avril 2019

D'un soir l'autre

Le soir est doux, dans l'or des platanes.
La bibliothèque fermée, les livres dorment
à côté et me laissent écrire et rêver.

Peu de gens passent. D'un pas gauche et distrait.
Dimanche s'éteint et la semaine semble si loin.
Quel est ce papier clair, à l'écriture serrée,

qu'une dame chiffonne avant de le fourrer en poche ?
Elle est passée, lèvres pincées, avec ce non-regard
que Duras, à vingt ans, m'enseigna. Je songe, soudain

aux petits chevaux de Tarquinia et à ce Square, où,
la lecture lente, je passais des heures à me rengorger
d'un ennui de fantaisie qui, depuis, jamais ne m'a quitté.

Un bus toussote et s'étonne de me voir assis sur le siège
passager sans que nul ne soit au volant. Je lève les yeux,
il est parti, sept heures ont sonné, la semaine peut commencer.

Mistelles

On les dit doux et enivrants,
ces moûts épais que l'on coupe
d'eau de vie à l'été finissant.

Ils sont pour moi un mot, volé,
quand j'étais enfant et que mon
père, se rappelant l'âge tendre,

évoquait les cargos d'Algérie qui
venaient, en secret, à Sète, couper
le vin clairet et le revigorer.

Mot rond comme des lèvres, mystérieux
comme un souffle tant de nuits espérés.
Les ans ont passé, en moi les mistelles...

vendredi 12 avril 2019

Occidens

Laisser la soif déchirer la nuit,
se lever d'un bond, tâtonner, oublier
le fil tiède qui conduit à la fausse

lumière qui méconnaît les ombres et 
fait un jour laiteux. Ne pas attendre le 
monde à l'est, délaisser la lueur pâle.

Ouvrir largement la fenêtre à l'ouest.
S'inventer le vent du large, glacé et
saumâtre, venu de l'Atlantide, à jamais

engloutie. Fermer les yeux et laisser
entrer les embruns jusqu'à gercer les
cellules des deux sacs de chair qui,

naguère, tiédissaient, inconscients de
leur rôle. Abandonner enfin l'infinitif,
ses injonctions de recette de cuisine.

Me voici, tiré des temps anciens. D'un
poète oublié, andalou, je feuillette
les pages pour te parler, mon amie sans

visage ni voix. La peau frissonne dans
la nuit, j'en aime la musique. Tes doigts
sur un tambourin. Tout près est l'Occident.

lundi 8 avril 2019

Âmavril

à A, S et L.

Je tournais et retournais
ma langue dans ma bouche
soudain sèche. Avril

m'avait ravi, sans un cri,
la douce inspiration. Yeux
ouverts, cœur chancelant,

j'avançais dans l'austère
salle du courrier de la vieille
faculté, quand elle saisit

ma main, de la blancheur d'une
enveloppe close. En son sein,
tout contre un doudou rose,

une âme me souriait, yeux clos,
sereinement. Alma delicada, bajo
la luz de unos bucles libres.

Ses paupières étaient à l'image
de son poing gauche fermé.
Comme serrant jalousement un secret

à trois personnes réservées. Sa mère,
son père, dont elle percevait le doux
empressement, et elle, dont la photo

accompagnerait ma journée, sans que
jamais je ne songe à la publier.
Le bonheur, más que una palabra:

una alma, la suya.