dimanche 30 juin 2019

Nostàlgia de l'estanyol / Nostalgie de l'étang

Diuen que fa temps, el lloc on visc
era un petit estanyol. Un eixam viu
d'invisibles mosquits, un brunzit fosc

de gatoses embullades i una terra verge
de petjades. El formigó el va esborrar
com una goma de cautxú. Presoners

cridaners, veïns amb graelles, ningú
se'n recorda. Mes jo, quan la canícula
fosqueja, en sento la nostàlgia. Crua.

***

On dit qu'il y a longtemps, le lieu où je vis
était un petit étang. Un essaim vivant de 
moustiques invisibles, un bourdonnement sombre

d'ajoncs enchevêtrés et une terre vierge
de traces de pas. Le béton l'a effacé
comme une vulgaire gomme. Des prisonniers

criards, des voisins à grillades, nul ne
s'en souvient. Mais moi, quand la canicule
s'assombrit, j'en sens la nostalgie. Crue.

Donner à voir

par L. I.

Le jour est laiteux. Nul besoin
d'artifice scintillant. Ni soleil
ni nuages. Grisaille de la clarté.

Le fond est une page et les poteaux
de bois une portée d'où partent, fins,
des câbles caoutchoutés vers le fini.

Le temps s'est arrêté à la Nouvelle,
mi d'aube, mi de soir, l'appareil
noir pèse dans les mains de l'artiste.

Donner à voir est son credo. Sans fard,
ni fièvre, sans la suffisance du cliché
parfait. Le lait de la vie. Et sa grammaire.


vendredi 28 juin 2019

Un lit trop étroit

Formica bleu pâle sur les armoires
de la chambre de tous oubliée.

Au centre est un lit de fer, étroit.
Lit de douleur et d'attente. Silence.

Heures longues. Pas un chant d'oiseau
et la lune que les arbres ont ravie

prie en silence, de sa face immuable.
Au creux du lit, la fièvre d'un regard.

dimanche 23 juin 2019

No volia / Je ne voulais pas

No volia escriure, escriure versos,
volia deixar entrar la frescor del matí,
les converses dels veïns, el xiu-xiu dels petits.

Sabia que hauria de tornar a França, sense cap
rossinyol per guiar-m'hi. Em fixava en el curiós
sotragueig de la gran locomotora negra portada

pel més gran dels cambrers. La llengua catalana
corria per les meves espatlles, barrejada amb les
ones de l'aire acondicionat. La duresa del marbre

em duia al tremolor de les fulles del José Agustín,
orfe de la mare i dels regals ensangonats. Al fons
se sentia un estàndar americà, «A Friend Of Mine».

***

Je ne voulais pas écrire, écrire des vers,
je voulais laisser entrer la fraîcheur du matin,
les conversations des voisins, le pépiement des petits.

Je savais qu'il me faudrait rentrer en France, sans
rossignol pour m'y guider. Je m'attardais sur le curieux
vacarme de la grande locomotive noire menée par

le plus âgé des serveurs. La langue catalane 
courait sur mes épaules, mêlée aux
vagues de la climatisation. La dureté du marbre

me conduisait au tremblement des feuilles de José Agustín,
orphelin de mère et des présents ensanglantés. En fond,
on entendait un standard américain, «A Friend Of Mine».

jeudi 13 juin 2019

Un dinaret / Un petit repas

Plou i fa sol, les bruixes no es pentinen.
Dinen al meu costat en un petit bistrot
del bulevar Blanqui.

Carn crua amb espècies. Un steak tàrtar,
com diuen aquí. Són tres. L'una beu vi
blanc, l'altra negre i la tecera una birra.

Les sento xerrar mes no les entenc. Deu ser
una barreja de llengües incompatibles. Una
mica de rus, un pessic de quètxua, un dit

de menorquí i tres cullerades de Volapük.
No m'han vist o no em volen veure. Si ho fessin
et voldria al meu costat, pel carrer clar i moll.

***

Il pleut et fait soleil. Les sorcières ne se coiffent pas.
Elles déjeunent à côté de moi dans un petit bistrot
du boulevard Blanqui.

De la viande crue avec des épices. Un steack tartare,
comme on dit ici. Elles sont trois. L'une boit du vin
blanc, l'autre du rouge et la troisième une bière.

Je les entends bavarder mais je ne les comprends pas. Ce doit
être un mélange de langues incompatibles. Un brin
de russe, une pincée de quechua, un doigt

de minorquin et trois cuillerées de Volapük. Elles ne m'ont 
pas vu ou ne veulent pas me voir. Si elles le faisaient,
je te voudrais à mes côtés, dans la rue claire et mouillée.

Palimpsestes

Sur les murs blancs, de fines pellicules
de vie : visages, arabesques, sentences,
plaques de rue au mauve évanescent.

La pluie, le vent, font leur œuvre lente,
constante, impitoyable. Ce ne sont pour
l'heure que de fines griffures. Un jour

viendra l'effacement. Mais, de la Butte 
aux Cailles aux rues réticulées, je garderai
au fond de mon cœur un peu de ces mains qui, 

un jour de printemps ou d'automne, savamment 
ou grossièrement, les encollèrent sur la paroi 
rêche et vide d'un quartier oublié.





Daumesnil montant

à P.C.

La foule se presse, il est neuf heures,
elle ralentit dans un goulet avant l'ample
quai de la ligne 6. Visages fermés. Parapluies

serrés contre le cœur où serait le génie, selon 
le lointain Musset. L'odeur aigre des aisselles
tôt levées ne peut masquer l'angélique musique

d'un petit homme ramassé dans un coin, tenant tout
contre son cœur, une harpe trapue au bois usé.
Quelques notes volées, une pièce de cuivre prestement

déposée. Les «Merci !» qui s'entrechoquent et un bout
de papier vert glissé dans la main du flâneur fugitif.
Plus tard les notes s'égrèneront. Dans l'anonyme montée.



mardi 4 juin 2019

Blat de muntanya / Blé de montagne

a un foeta

Perquè m'arriba la veu càlida
del Joan Pau Giné quan miro
aquesta foto en blanc i negre?

Silenci. No veig res del vilatge
d'Err que conec prou bé i que el
bon amic del Lionel m'ofereix

de bon matí. Espigues ufanoses,
com una cabellera rossa, amada.
La diferència com a riquesa.

El sacrifici de les espigues
dorades que prest segaran per
a fer-ne el nostre pa de cada

dia, el sol secret que cadascun
de nosaltres porta a dintre, com
un missatge de pau universal.

***
Pourquoi la chaude voix de Joan 
Pau Giné m'arrive-t-elle quand je 
regarde cette photo en noir et blanc ?

Silence. Je ne vois rien du village
d'Err que je connais assez bien et dont
mon bon ami Lionel me fait offrande

de bon matin. Fiers épis, telle
une chevelure blonde, aimée.
La différence comme richesse.

Le sacrifice des épis
d'or qui bientôt seront moissonnés pour
en faire notre pain quotidien,

le soleil secret que chacun
de nous porte en lui, comme
un message de paix universelle.


Tu aurais eu

à mon père

Tu aurais eu quatre-vingt-quatorze
printemps en cette chaude journée,
près des traverses goudronnées

que tu aimais. Tu me disais, narquois,
que le monde n'existait pas avant ce jour 
de juin de mil neuf cent vingt-cinq.

Je me récriais, flattant ton immense
mémoire, tu ne répondais pas. Tes beaux
yeux bleus s'étaient délavés au fil

des ans et Proust, pages serrées, dormait
auprès de Balzac dans la grande bibliothèque
sombre. Tu avais peut-être raison, je n'y étais

pas. Mais là, un an et onze jours après que
la chaleur eut quitté ton front, tu es là
par la voix et le geste que je n'oublierai pas.

Matí de calitja / Matin de brume

a P. G.

Bufa el vent entre els arbres alts,
fresc, tot es silenci i no m'he tret
el barnús blau. Són hores llargues

de feina i de lectura. No aniré a Maó.
Pas aquest mes de juny i el cel amic
se n'ha adonat. No plora encara, guarda

una mica d'esperança. Jo no. Penso quiet
en la tardor propera i el ressol dels dies
escurçats. En l'amic Paco entrevist breument

a l'estació de Perpinyà acordonada divendres.
Caminàvem de pressa i xerràvem molt. I tan poc.
S'instal·la la calitja, les aus comencen a cantar.

***

Le vent souffle entre les arbres hauts, fraîchement, 
tout est silence et je n'ai pas enlevé mon
peignoir bleu. Ce sont des heures longues

de travail et de lecture. Je n'irai pas à Mahon.
Pas ce mois de juin et le ciel mon ami
s'en est rendu compte. Il ne pleure pas encore et garde

un brin d'espoir. Pas moi. Je pense calmement
à l'automne si proche et aux reflets du soleil des jours
écourtés. À mon ami Paco, brièvement entrevu

à la gare de Perpignan barrée vendredi.
Nous marchions pressés et bavardions beaucoup. Et si peu.
La brume s'installe, les oiseaux commencent à chanter.