dimanche 29 juillet 2018

Digue'm / Dis-moi

Digue'm: com és la vida a Santander,
la remor de l'oceà, la cala immensa
i recargolada, la casa del Galdós

i els amors secrets? Em diràs Amador,
de cognom, i Casimir, de nom. M'obriràs
els ulls, una hora més que a la vora

del meu mar illenc. Digue'm: com són
les veus càntabres, el timbre sec de
les oclusives oceàniques? Que no sé

res del món ultramarí i bec de la teva
saviesa antiga. Aleshores, apavaigat,
trobaré el nom de la cala desconeguda.

***

Dis-moi : comment est la vie à Santander,
la rumeur de l'océan, la crique immense
et tortueuse, la maison de Galdós

et les amours secrets. Tu m'appelleras Amador,
de nom, et Casimir, de prénom. Tu m'ouvriras
les yeux, avec une heure en plus qu'au bord

de la mer de mon île. Dis-moi : comment sont
les voix de la Cantabrie, le timbre sec des
occlusives océaniques ? Car je ne sais

rien du monde de l'outremer et je m'abreuve à ta
sagesse antique. Alors, rasséréné,
je trouverai le nom de la crique inconnue.

Les mouettes

Comme une vague au milieu de la nuit,
elles sont venues d'un coup, les mouettes.
La mer tanguait sous leur voix et l'air

embaumait l'iode et le varech. Je me suis
dressé, le drap n'était plus la surface
étale du soir mais un océan de ridules

brossées par la pluie ; le coup de tabac
soudain qui alerte les marins et fait trembler
les familles. Le ventre gonflé de sardines,

le chalutier avance lentement, bondit, s'envole
sur une crête puis plonge lourdement. L'air est
de plomb. Vide. Nul gabian, nul goëland, nulle

mouette. Les oiseaux reviendront au matin quand
le bateau, accablé de sommeil, ouvrira confiant
ses cales à la plongée subite d'un bec, avide

de reflets d'argents et de sourires figés. Alors,
oubliant le chant des mouettes, je me coucherai
et de la nuit retrouverai la lente litanie.

samedi 28 juillet 2018

Amagatalls de paper / Cachettes en papier

L'al·lot agafa sa bicicleta,
en companyia de son pare.
Són els últims dies de juriol.

El sol crema alt i s'aigo és rara.
Passen ràpidament, devora es matolls
ressecs, sense un mot, els ulls fixos

en sa brúixola d'or ; busquen un amagatall
virtual, un invent de paper i no el troben.
L'al·lot se'n riu : son pare l'acompanya.

***

L'enfant prend son vélo,
en compagnie de son père.
Ce sont les derniers jours de juillet.

Le soleil brille haut et l'eau est rare.
Ils passent rapidement, près des buissons
desséchés, sans un mot, leurs yeux fixés

sur la boussole en or ; ils cherchent une cachette
virtuelle, une invention en papier et ne la trouvent pas.
L'enfant s'en moque : son père l'accompagne.


Lluna de guix i de sang / Lune de plâtre et de sang

a Pau Gener, foeta

Silenci dels observadors
en herba, els uns al Molí
de Vent, els altres a l'illa

de les pedres i del vent.
Aquí, adossada als immobles
cecs, la lluna és de guix

tebi. Allà, en mig del cel salat 
i fosc, la lluna es vesteix
de sang. Un mateix astre,

dues visions, rica cadascuna
d'una intensa humanitat.
Silenci! la lluna corre, cega.

***

Silence des observateurs
en herbe, les uns au Moulin
à Vent, les autres sur l'île

des pierres et du vent.
Ici, adossée aux immeubles
aveugles, la lune est en plâtre

tiède. Là, au milieu du ciel salé 
et sombre, la lune se vêt
de sang. Un même astre,

deux visions, riche chacune
d'une intense humanité.
Silence ! la lune court, aveugle.

Petit théâtre

Jour après jour, songeant à de petits
locaux ombreux, quand la chaleur
se fait intenable et impose

l'alternative entre le bock glacé
et la parole inconnue, tu te glisses
dans des salles obscures, sur des

chaises étroites. Ça sent l'humidité
des caves, le moisi des vieux livres,
tes yeux s'aveuglent dans la rare

contemplation. Et là sur scène, des
femmes et des hommes, des enfants et
des vieillards grimés, rejouent

l'histoire du monde, aux yeux d'un
public maigre ou devant un auditoire
replet. Une heure, peut-être deux,

tu oublies le charroi des routes
poussiéreuses et de l'autrui feint,
savoures la pantomime allègre.

vendredi 27 juillet 2018

antihaikuriós / antihaikurieux

De rovell fosc és la nit
i els ocells callats
somien en ous ferrats.

***

La nuit est de rouille sombre
et les oiseaux silencieux
rêvent d'œufs au plat.

Un défi

Non pas un duel, une cruelle
confrontation de deux sujets
qui s'oublient pour n'être plus

qu'objets. Non : un défi. Un défi
sans enjeu, entre de vieux amis
et de parfaits complices.

On tire au sort un lieu ou un mot, 
et on le tend à l'autre en un temps
fort réduit. Puis on publie et on

se lit, se relit, se relie. Précieux
défi qui, en silence, proclame que
l'entente, aussi, est affaire de mots.

Que douce est la fatigue

Que douce est la fatigue 
qui me saisit, tout cru,
au milieu de la nuit.

Ma tête bourdonne et mes yeux
pèsent de ne pouvoir se fermer.
Je tourne et m'assieds, heureux.

Heureux de ces soucis minimes,
en prise avec la terre et le roulis
des rares automobiles. Un vent coulis

caresse mon dos et m'invite à écrire,
ce que je fais, émerveillé par ces heures
qui me sont encore prêtées, pour quelque temps.

jeudi 26 juillet 2018

Une borne-frontière

Les blés murs se couchent
sous le vent et des hommes
ignorent les lignes de sang.

La pierraille du chemin roule
sous le pas lourd des marcheurs.
On incline la tête ou lève brièvement

son couvre-chef. Les saluts mêlent
les langues et les accents. Au détour
du regard, dans un buisson touffu,

une masse de granit marquée de chiffres
se tait et veille : la borne frontière.
Que jamais plus son granit, des larmes

des fugitifs, de la sueur des arrivants,
ne se couvre. Il fait si beau dans le ciel
et l'épaisse chevelure des blés frissonne.


Dis-moi

-Dis-moi, des étoiles du ciel...
- Oui, parle, je t'en prie.

- ...Des étoiles, quelle est...
- Continue, je t'en supplie.
-... la plus brillante, est-ce...

- Poursuis, je t'en conjure...
- Est-ce moi, à tes yeux ?

- Et que vois-tu dans mes yeux,
en cet instant précis, dis ?

- Il fait si noir et tes yeux sont
si sombres que je ne saurais te dire.

- Force le regard, oublie l'obscurité.
- Je me vois, moi. Est-ce vrai, est-ce toi ?

Elle s'était endormie

Elle s'était endormie,
sur un fauteuil de rotin
tout contre le mur clair,

à droite de la télévision.
Elle s'était endormie,
paisiblement, respirant

profondément, la tête un peu
penchée. Son fils -peu importe
que ce fût l'un ou l'autre -

la veillait, en silence, un œil
attendri sur ces séries policières
dont elle était si friande, elle qui

jour après jour veillait sur leurs venues. 
Bien sûr, la très légère fraîcheur d'une
nuit de la fin juillet la sortit du rotin

inconfortable, mais il était déjà loin, et
sa pudeur n'en fut pas affectée. Yeux ouverts dans 
son lit d'adolescent il lui sourit, elle ne le sut.

Il entendait les cloches

L'insomnie le tenaillait sur la toile
cirée jaune du séjour. Accablé de chaleur,
l'appartement s'ouvrait au roulis des voitures.

Il pensa soudain à ce poète mort tôt, en marge
de la ville, et crut entendre sonner des cloches
dans le lointain. Graves, lentes, découpant chaque

heure rare de la nuit. Il eut soudain l'impression
qu'une bouffée de fraîcheur le nimbait et il pensa
à celle que la nuit emportait sur les routes de soie,

le cœur dans les étoiles et les doigts gercés des rêves
vespéraux. Sur ses lèvres, un peu de glace aux fruits,
avait laissé la marque légère des plaisirs inouïs.

dimanche 22 juillet 2018

Un rapide

Inattendu, imprévu, encore sans nom,
il emporte tout sur son passage et
l'Avenue d'Argentine retrouve son 

passé de torrent sans berge, tout lit,
les voitures sont des boules de couleurs
qui s'entrechoquent et sont avalées par

la nuit soudaine. De l'anthracite du ciel
à la Sienne sombre de l'eau il n'y a plus 
de nuance. Le regard se pétrifie et le corps

se délite. La grande ville aux ambitions de
Babylone des temps modernes n'est plus qu'une
coulée informe dans les soubresauts du rapide.

Un quartier humble

à Lionel qui me fit une promesse 
que je n'oublie pas

Il est à Barcelone un quartier humble
aux limites mal définies et au nombre
de divisions incertaines. Son nom dit

qu'elles sont neuf mais, dès le début,
elles furent treize. J'aime m'y rendre,
logeant, en ses marges, dans un hôtel

minable que je quitte dès que la rue
m'appelle, comme en ce jour de février,
voici plusieurs années, où le carnaval

des enfants de Porta me tira du sommeil,
à dix-huit heures précises. On y parle
castillan, les marchés sont serrés et

les coins de rue fourmillent de vendeurs
aux produits improbables. Pour l'embrasser
d'un seul trajet, on joue au funambule sur

les huit couloirs des voies rapides au trafic
étourdissant comme des gongs. Quand les pieds
fatiguent et que l'on monte haut, le bâti

s'effiloche et les herbes sèches craquent sous
les pas. Nul crucifix à son sommet, ni calvaire.
Ne les cherchez pas. S'il existe, Dieu se cache

dans les étroits cafés qui sentent le vin et l'huile
de friture. La vierge des douleurs tient boutique
de confection et les angelots espiègles font les poches

aux touristes égarés. Si Mandiargues revenait, il y
déplacerait son Sigismond de malheur et, de Montherlant,
la petite Infante de Castille s'y peindrait les ongles en violet.

Noche cerrada

Cerraste los ojos
y con la mano izquierda,
al azar, escogiste una.

Una bola de colores, 
entre las tres que teníamos. 
Roja y amarilla.

Cerré los ojos
y me reuní contigo,
orientado por tu mano

izquierda. Cundieron
las palabras como aceite
por el hule de la tienda

familiar. No sabíamos
a dónde ir. Nos dejamos 
guiar por el curso tierno

de las horas, de noche,
sin manecillas ya.
No nos despertamos

porque no nos habíamos
dormido. Fue una noche
en blanco. En rojo y

amarillo también. Al alba,
se coló el azul, cambiamos
la bandera...

...et nous nous mîmes, soudain
à parler en français.

No diguis res / Ne dis rien

No diguis res,
que s'aixeca el cel,
encara salat pels teus ulls.


No diguis res i deixa la meva
pell ser paper en blanc per als
teus dits. Sense moure'ls.


Tot just un somni. Com de cossos
adormits a la lluna de València.
Dorm, amor, i amb tu em reuniré.

***

Ne dis rien,
car le jour se lève,
encore salé de tes yeux.


Ne dis rien et laisse ma
peau être papier vierge sous
tes doigts. Sans qu'ils ne bougent.


Juste un rêve. Comme de corps
endormis à la belle étoile.
Dors, mon amour, et je te rejoindrai.

samedi 21 juillet 2018

Carrer de les Arracades / Rue des Boucles d'oreille

És un carrer estret,
un modest carreró, perdut
a dalt de la ciutat,

allà on els immigrants
es feren casetes de maó
al començament dels 70.

No hi passa ningú, ni s'hi
atura cap parella d'amants
desorientats. Un carrer

qualsevol com se'n cantaren
fa tant de temps. Si vols,
un dia t'hi invitaré.

Seurem a la fresca, callats,
compartirem el pa i la ventresca
i ens inventarem arracades de pirata.

***

C'est une rue étroite,
une modeste ruelle, perdue
tout en haut de la ville,

là où les immigrants
se firent des maisonnettes en brique
au début des années 70.

Nul n'y passe, il ne s'y
arrête aucun couple d'amants
désorientés. Une rue

quelconque comme on en chanta
il y a tant de temps, Si tu le veux,
un jour je t'y inviterai.

Nous nous asseoirons à la fraîche, silencieux,
nous partagerons le pain et la ventrèche,
et nous nous inventerons des boucles de pirate.

Et la langue

Et la langue a parlé,
sans mot dire, dans de
subtiles inflexions.

Il apprit sur sa bouche,
devinant chacun des mouvements
qui formaient sons, syllabes

et mots. Puis il goûta ses
silences au réveil, devina
ses pensées qui nourriraient

autant de mots neufs et de phrases.
Nulle volonté de la mimer ni de la
contrefaire. Elle était un horizon

neuf, avec son coloris, le souffle
de la brise sur la côte, le grondement
de l'orage dans la chaleur d'un été

étouffant. Oui, la langue avait parlé.
Il ferma les yeux et celle qu'il avait 
inventée lui parla, avec subtilité.

vendredi 20 juillet 2018

Un homenatge / Un hommage

Un homenatge humil
a un homo que no en vol.
Un amic profund amb qui xerr

varies vegades as dia. Mos coneixem
des de fa ben poc. Un any i mig, tota
una eternitat de mots i lectures vives.

Viu a Lô on l'espera sa seva estimada que
té nom de rosa i cor de menta dolça.
Mes on s'hi troba a gust és a sa figuera

verda, dins una cabanya de fusta clara
o entre les mates, de llevant a ponent.
Crec que no em podria passar un dia sense

enviar-li uns versos o beure de sa seva
saviesa. Es diu fill del mar i la calç
amb camamil·la als ulls. I l'admir, clar.

***

Un hommage humble
à un homme qui n'en veut pas.
Un ami profond avec qui je parle

plusieurs fois par jour. Nous nous connaissons
depuis bien peu. Un an et demi, toute
une éternité de mots et de lectures vives.

Il vit à Alaior où l'attend son amoureuse qui
a un prénom de rose et un cœur de menthe douce.
Mais où il a ses aises c'est près du figuier

vert, dans une cabane en bois clair
ou entre les arbustes, d'orient en occident.
Je crois que je ne pourrais passer un jour sans

lui envoyer quelques vers ou boire à la source
de sa sagesse. Il se dit fils de la mer et de la chaux
avec de la camomille dans les yeux. Et je l'admire, bien sûr.

Tu ne m'as pas parlé

Tu ne m'as pas parlé d'amour,
le vent soufflait sous la tonnelle,

portant du jasmin l'essence suprême,
m'invitant à l'envoûtante rêverie.

Tu ne m'as pas parlé d'amour,
nous avions mieux à faire, comme

de partager le vin frais et la glace
mentholée, sous le dais tendre des tuiles.

Tu ne m'as pas parlé d'amour,
je ne t'en ai pas parlé non plus.

Nous avons laissé glisser le soir
jusqu'à l'heure violette puis, pris

d'un frisson soudain, nous nous sommes
inventé les draps qui nous emporteraient.

Coins de rue

J'aime les coins de rue,
depuis toujours ou presque.

Je n'avais pas huit ans,
les copains m'apprenaient

le vélo d'une grande bourrade
dans le dos et je tournais,

tournais sans m'arrêter, comptant
à haute voix les coins de rue

traversés jusqu'au choc inévitable
avec une ménagère aux bras chargés.

Mais c'est à Barcelone que la passion
s'en est ancrée. Dans mes longues

promenades dans les rues, crayon en main.
Je voulais comprendre pourquoi une héroïne

de Juan Marsé, aux cheveux de feu, subsistait
dans le souvenir des enfants devenus vieux

comme le soleil tiède de leurs coins de rue.
Alors je suis allé de café en café, coin de rue

après coin de rue, entamant le matin d'un café
court et d'un petit sandwich au boudin blanc.

J'y ai tracé de nombreux écrits, sur des nappes 
en papier d'abord, puis sur le clavier fidèle

de mes petits ordinateurs portables. J'y ai parlé
d'amour, je l'ai rêvé, puis l'ai vécu, à cloche-pied,

le cœur dans les étoiles et la main sur le papier
jauni des romans de ma lointaine jeunesse.

A mitges / À moitié

A mitges, la lluna ens uneix,
sense que ho sapiguem, amiga.

Des d'aquí sembla un globus
perdut i partit, orfe de ta mà

estimada. Per veure'l, deixa
la xafogor dels murs grisos

i aixeca els ulls, sense por
ni vergonya. Encara som infants

que s'inventen els jocs quiets que
afaiçonen les mans i regalen el cor.

***

À moitié, la lune nous unit,
sans que nous le sachions mon amie.

Vue d'ici, on dirait un ballon
perdu et fendu en deux, orphelin de ta main

aimée. Pour le voir, laisse
l'étouffante chaleur des murs gris

et lève les yeux, sans peur
ni honte. Nous sommes encore des enfants

qui s'inventent les jeux calmes qui
façonnent les mains et régalent le cœur.


jeudi 19 juillet 2018

Frivolitat / Frivolité

Una paraula deixada a l'atzar,
entre lectura i lectura. Un mot
com un retrat. De vida i gust.

Res menys lleuger. Pur amor a
la gent i als perfums que passen.
Quatres síl·labes, entre labiodental

i dental, ambdues sordes, com un xiuxiueig
estiuenc. Per quina raó penso, de cop i volta,
en les botigues de Frivolités d'un agost parisenc?

Entre Zola i Haussmann, Benjamin i Apollinaire,
entenc de sobte que el meu discórrer pel món es
fet de frivolitats. I no m'hi trobo sol, oi?

***

Un mot laissé au hasard,
entre deux lectures, un mot
comme un portrait. De vie et de goût.

Rien de moins léger. Un pur amour pour
les gens et les parfums qui passent.
Quatre syllabes, entre labiodentale

et voyelle médiane, assourdies, comme un chuchotis
d'été. Pour quelle raison pensé-je, soudain,
aux boutiques de Frivolités du mois d'août à Paris ?

Entre Zola et Haussmann, Benjamin et Apollinaire,
je comprends tout à coup que ma traversée du monde est
faite de frivolités. Et je ne m'y trouve pas seul, n'est-ce pas ?

mercredi 18 juillet 2018

Une tentation

Si basse était la branche,
si grande était la faim,
ce n'étaient que des nèfles
qui tenaient dans la paume.

Et, ni vu ni connu,
voici qu'on les emporte,
faisant de tous nos pans
d'opulentes besaces.

Soudaine tentation
et merveilleuse prise,
mais la faim assouvie,
le remords nous saisit.

Et au propriétaire
on s'intéresse
pour le dédommager.
Mais l'homme avait grand cœur,

le gage fut petit.
Il abhorrait la rime
mais aimait les six pieds.
En vers il fut payé.

Un tic-tac

Il est, chez ma mère,
une curieuse pendule
au dessin suranné.
Le jour, elle tranche

les heures, plus sûrement
qu'un couteau de tripier,
en silence, avec discernement.

Par contre, la nuit tombée,
quand la toile cirée jaune
exige ma part de vers,

elle se fait entendre, d'un tic-tac
grave, comme pour me faire tourner
le dos et m'inviter à dormir,

alors, à sa cadence je résiste,
et, sans qu'elle n'y prenne gare,
en cinq coups de cuillère à pot,
de mes mots, lui rends hommage.


Circulaire

Madame Nicolas, sur un banc de la faculté,
a égaré un gros volume orange, de cahiers
médiévaux. Je ne connais pas cette dame,
ni à la faculté me suis rendu mais, parmi

trois mille, à minuit, m'en voici averti.
Qu'un volume épais de la bibliothèque,
portant austère cote, puisse être dérobé,
je l'avoue, me cause grande joie, nonobstant

la peine de sa récente emprunteuse (ah le vilain
mot qui de la vile entraîneuse a le mauvais sabot),
je m'en réjouis car j'imagine les pages ombreuses
craquant sous le soleil et s'envolant d'un coup,

vers de fraîches contrées où l'âge est moins moyen
et le rosé plus gouleyant, avant que de se reposer,
disjointes à l'envi sous un regard ami.

Sans destinataire

Cédez vite au sommeil,
il frappe à votre porte ;
dans le tain du vermeil,
vous me sembliez accorte.

Mais de vous retenir,
la force m'est ôtée,
et s'il me faut partir,
mon rêve est dévoilé.

Qu'importent les eaux chaudes,
au fieffé matelot,
la chair d'un'reine Claude
est un si beau cadeau.

Sonnez, sonnez encor,
mes vers fort bien troussés,
mon marin est sans port,
vous êtes épuisée.

mardi 17 juillet 2018

Je reviendrai

Je reviendrai à Nîmes,
à la fraîche, en terrasse.

Nîmes me fut volée, en lisant,
la Marge, de Mandiargues, et 
du nom d'Antonin, jamais je n'eus

de fils. Je passai des années à
lentement me la figurer, puis me
décidai à la sillonner, le soir,

de boutique en boutique. J'y croisai
la reine d'Angleterre et lui fis
l'hommage d'un souper discret,

à l'ombre des arènes. Longtemps,
mes trains la longèrent sans jamais
s'y arrêter, même dans un hoquet

de la motrice écarlate. L'heure est venue.
Je prendrai mon sac-à-dos et m'y arrêterai.

lundi 16 juillet 2018

Vint anys després / Vingt ans après

Els grans eren petits i jugaven pels carrers
del poble muntanyenc ; el batlle havia muntat
una pantalla gegant i els turistes s'hi havien

aplegat. «Et un, et deux et trois zéro». França 
guanyà, tothom s'abraçava i els petits, eixerits, 
ja no tenien l'obligació d'anar aviat al llit.

Vint anys han passat, els petits han crescut i ja
són homes que comparteixen la cervesa i el gelat.
D'altres petits van néixer i ara miren els grans

amb enveja. He envellit, força, peró no he perdut
el somriure de fa vint anys i quan em demanen si
eren millors els del 98, contesto «quatre à deux».

***

Les grands étaient petits et jouaient dans les rues
du village de montagne ; le maire avait monté
un écran géant et les touristes s'y étaient

pressés. «Et un, et deux et trois zéro». La France
a gagné, tout le monde s'embrassait, et les petits,
espiègles, ne devaient plus se coucher tôt.

Vingt ans ont passé, les petits ont grandi. Ce sont
des hommes qui partagent la bière et la glace.
D'autres petits sont nés qui regardent les grands

avec envie. J'ai vieilli, pas mal, mais je n'ai pas perdu
le sourire d'il y a vingt ans et quand on me demande si
ceux de 98 étaient meilleurs, je réponds «quatre à deux».

Un ciel de juillet

Sans un toit de maison, ni une colline,
minutieusement circonscrit par le cadre
de la fenêtre au réveil,

le ciel ne bouge pas, contrastant avec
la rumeur lointaine des orages déjà là.
Équilibre rare de grisaille et de lueur,

il me tire de la noirceur d'un cauchemar
de tombe et suspend mon regard ; la faim,
la soif peuvent attendre, je suis riche

de ce don unique, refusé à tant qui ne sont
plus, ravis par la mort ou la démence sourde.
Je suis maître du monde, d'un monde d'un mètre

sur un mètre et demi. Bien sûr, je me lèverai,
bien sûr je ferai à mes enfants l'honneur du
déjeuner chaud, mais mon guide sera ton ciel.


samedi 14 juillet 2018

La mer, la mer...

Elle a délacé ses minces sandales,
et se masse les pieds épuisés par
la lente marche des semaines.

Le jour est en son terme, à l'est
de l'île où il était né, voici
quelques heures.

Le sable blanc s'est grisé, il gagne
lentement en fraîcheur. La mer, étale,
le lèche, impatiente de tes pieds

qui tardent à s'immerger. Tu marcheras
un brin, je n'en sais rien, la figure
m'en est offerte, d'un coup vif.

Marche malhabile ; à plusieurs reprises,
tu manqueras tomber et mouiller ta robe
bleue au sel des siècles partagés.

De ton retour, des sandales à nouveau
lacées, je ne saurai rien, mais je garderai
à l'esprit et au cœur, la mer, si timide,

la mer, la mer toujours recommencée...

Le moulin et le feu

à Anaïs

Dans les bras de son père,
la petite tient son moulin,
comme une fée sa baguette.

Le visage de son père s'écarte,
un temps, de sa joue pour souffler,
une fois, deux fois, trois fois.

Les pales de couleur commencent
à tourner. L'obscurité se fait
et son père n'oubliera jamais

deux yeux ronds de charbon,
fixes sur ses joues gonflées.
Les minutes passent, le moulin

ne cesse de tourner quand, soudain,
un vacarme de couleurs se fait
entendre, dans le dos de la petite

qui frissonne et se serre contre
la joue au souffle suspendu.
Elle est courageuse et jamais

ne pleure alors que la guerre
inconnue embrase le ciel qu'elle
zèbre longuement sur des airs

d'opéra. La petite n'en peut plus
et s'endort, secouée à chaque
nouvelle salve. Les lumières

de la ville se réveillent, la foule
commence le lent repli, le feu cesse,
et le moulin recommence à tourner.

vendredi 13 juillet 2018

Une cigale

sur un cliché d'Éric Vinches

Elle est celle qu'on ne voit pas, qu'on 
dissimule sous un pluriel indistinct,

le vrombissement ami, à mille lieues du
bourdonnement inquiétant des guêpes toutes

proches, celle qui, en groupe dissimulé dans
la dense ramure, incarne à elle seule

le latinisme «summa arbor». Le bruit passé,
on retrouve parfois sa trace qui craque sous

les doigts. Chrysalides translucides qui signent
la vie qui évolue et se transforme et non la mort

qui efface tout. Alors quand un ami, accablé de chaleur,
en croque une, aux vrais airs de terre cuite vernissée,

le cœur s'emballe et la reconnaissance affleure aux lèvres
devant un insecte qui perd sa personnalité pour, un été

durant, enchanter nos oreilles, et donner à nos vies,
ce rythme annuel sans qui elles n'auraient plus de sel.



jeudi 12 juillet 2018

Perpinyà / Perpignan

Diuen que és una ciutat de cent vint mil
ànimes i no sé quants quilòmetres quadrats.

Per jo, Perpinyà és una torre blanca que
domina una rotonda verda on sa remor de cotxos

no s'atura mai. Allà des de fa gairebé cinquanta
anys, hi viu sa meva família, devora es somnis

blancs des peus negres avesats. És una talaia
callada sobre es món convuls i amargat i, cada

vegada que sent un pesar a dintre meu o dubt entre
dues posicions, torn i, amb mumare, xerr. Sense callar.

***

On dit que c'est une ville de cent vingt mille
âmes et je ne sais combien de kilomètres carrés.

Pour moi, Perpignan, c'est une tour blanche qui
surplombe un rond-point vert où le bruit des voitures

ne cesse jamais.C'est là que, depuis près de cinquante
ans, ma famille habite, près des rêves

blancs des pieds-noirs habitués. C'est une tour de guet
silencieuse sur ce monde sans queue ni tête et aigri et, chaque

fois que je sens une peine en moi ou que j'hésite entre
deux positions, je reviens et, avec ma mère, je parle. Sans me taire.

Petrus

Au diable les grands crus
et leurs étiquettes ampoulées.

«Tu es petrus et hanc petram
ædificabo ecclesiam meam.»

Je pense à Simon, à ce géant
débonnaire qui laisse ses filets

pour partir suivre un moins que rien
qui se dit l'élu de Dieu pour le rachat

des hommes. Il sera le chef de cette Église
à bâtir, porteur des clés d'un paradis neuf

où il convient de dédaigner la vengeance pour
ambitionner, humblement, d'y entrer. Mais, surtout

je pense à l'homme de foi qui, par trois fois,
son maître reniera avant que le coq ne chante

et, en entendant le coq chanter, pleurera amèrement
sur sa bassesse et sa pusillanimité. Humain Petrus,

si humain.

Com un costum / Comme une habitude (tanka)

Fumeja la tassa,
camines sense marxar,
llegeixes la pluja

que cau a bots i barrals
secs, sense mullar-te mai.

***

La tasse fume,
tu chemines sans marcher,
tu lis la pluie

qui tombe à verses,
sèches, sans jamais te mouiller.



La cursa del dies i dels versos / La course des jours et des vers

Quin dia és avui? El dotze.
I quants poemes has escrit? Disset.

Quatre anys ja han passat, de juliol 
a juliol, n'has escrit mil set cents

cinquanta-vuit, un dia sí i l'altre no,
un dia sis i l'altre zero. Enamorat

o desesperat, pel teu plaer o la seva
il·lusió, per celebrar un amic o cantar,

a versos lents, l'amarga defunció. Has confós
els temps, has barrejat les llengües; els amics

t'han guiat per oloroses colines o camins molt
estrets. T'has sentit lliure, dels editors

has rebutjat l'escassa oferta. El llibre és per
escriure i no tens temps per perdre. Si t'atures

un dia, si deixes erm un mes, segur que voldrà dir
que la mort se t'apropa i que cal tancar el tinter.

***

Quel jour est-on ? Le douze.
Et combien as-tu écrit de poèmes ? Dix-sept.

Quatre ans se sont écoulés, de juillet
à juillet, tu en as écrit mille sept-cent

cinquante-huit, un jour oui, un jour non,
un jour six et l’autre zéro. Amoureux

ou désespéré, pour ton plaisir ou leur
joie, pour fêter un ami ou chanter

en vers lents l’amère disparition. Tu as confondu
les temps, tu as mêlé les langues, tes amis

t’ont guidé sur des collines odorantes ou des chemins
fort étroits. Tu t’es senti libre, des éditeurs

tu as refusé les rares offres. Le livre reste à
écrire et tu n’as pas de temps à perdre. Si tu t’arrêtes

un jour, si tu laisses stérile un mois, pour sûr ça voudra dire
que la mort s’approche de toi et qu’il te faut refermer l’encrier.

Des rimes et des alexandrins

Laisse aller ton cœur vif, sa chamade dressée,
du vers que l'on dit libre, oublie la liberté,

réponds à l'injonction, à la subtile drogue,
des marrons désirés, choisis la verte bogue,

oublie le vieux couplet et la stophe assassine,
le distique t'attend, sa musique est divine

et pour quelques euros, il est des cahiers vierges
que l'on dit de musique, rayés de dix portées

où tu pourras écrire, le peu d'ans qu'il te reste,
pour que du vers libre, tu refuses la geste,

la libation facile ou le charme désuet.
et pour encor danser, choisis le menuet

des syllabes comptées, des rimes en miroir ;
si sûre est la défaite, si belle est la victoire.

La nuit

La nuit est en son cœur
et le sommeil s'en est allé.

La pluie à gros grains, chauds
et lourds, s'est arrêtée. L'air

est sonore et ne bouge que peu.
C'est l'heure des courses ultimes

pour les taxis épris d'absolu. Si près,
derrière des vitres sales, les alcools

forts attendent ceux qui ne se reconnaissent
plus dans le corset étriqué des douze heures

sociales. Le livre m'attend, odorant, orangé 
en ses marges et serré en sa tranche. Et pourtant,

c'est vers toi que je me tourne, encore si loin, dans
les terres et le sommeil. Je rêve de plaisirs simples,

d'un onglet partagé, de vin frais et de devis, de tes 
lèvres aussi. Le temps nous est compté, la nuit avance,

tu dors. Bientôt les arroseuses, bruyamment, te réveilleront,
avec toutes ces bennes égueulées par les immondices d'été.

N'était ce cahier, hâtivement noirci, je ne me souviendrais
plus de ces heures passées à patiemment t'évoquer.

Des fils aux pères

à J et A, à leurs pères surtout

Ils ont choisi de se retrouver un lundi,
non pas au soleil mais dans l'ombre anisée.

Une durable amitié les unit, de notes et de
bons mots, née au terme de l'adolescence et,

depuis, patiemment cultivée.Les heures avancent,
les voix se cassent au rauque dans les souvenirs

évoqués. Ils ont perdu leur père, tous deux, à si peu
de distance, alors que, pour eux, le siècle en deux

s'était fendu. Les pères s'estimaient sans jamais se le
dire, dans une station balnéaire où les rails, brusquement,

s'élargissaient. Des oranges aux poupées, des guitares aux
colifichets, le commerce les réunissait, au doux son de la

pascaline et des taxes assujetties. L'un était de la ville
des volcans, l'autre de la capitale du vin. Ils avaient alors

fière allure et le cheveu si brun. L'été les halait, derrière
les lunettes noires, l'un à la caserne, l'autre dans la

maison en courbe. Les fils s'en souviennent et leur rendent
hommage, au douanier et au transitaire, épris d'absolu,

les yeux tournés au matin vers ce rayon vert illusoire 
que, depuis, les fils, appariés, ne cessent de s'échanger.

mercredi 11 juillet 2018

Gare

Ne crie pas gare, oublie tes hésitations,
cours-y, cours à la gare où elle t'attend.

La bâtisse est étroite et les volets tirés.
Une seule voie la longe, envahie d'herbes

folles et le quai se craquèle sous les 
plantes rudérales. Les express n'y font plus

halte, les omnibus n'y passent même plus. 
Mais n'aie crainte. Aie confiance, assieds-toi 

sur le banc de pierre et attends, elle viendra, 
à l'heure où les chiens se transforment en loups

et vous quitterez la gare, seuls, main dans la main
pour vous enfoncer dans la nuit qui vous sera donnée.