J'aime les coins de rue,
depuis toujours ou presque.
Je n'avais pas huit ans,
les copains m'apprenaient
le vélo d'une grande bourrade
dans le dos et je tournais,
tournais sans m'arrêter, comptant
à haute voix les coins de rue
traversés jusqu'au choc inévitable
avec une ménagère aux bras chargés.
Mais c'est à Barcelone que la passion
s'en est ancrée. Dans mes longues
promenades dans les rues, crayon en main.
Je voulais comprendre pourquoi une héroïne
de Juan Marsé, aux cheveux de feu, subsistait
dans le souvenir des enfants devenus vieux
comme le soleil tiède de leurs coins de rue.
Alors je suis allé de café en café, coin de rue
après coin de rue, entamant le matin d'un café
court et d'un petit sandwich au boudin blanc.
J'y ai tracé de nombreux écrits, sur des nappes
en papier d'abord, puis sur le clavier fidèle
de mes petits ordinateurs portables. J'y ai parlé
d'amour, je l'ai rêvé, puis l'ai vécu, à cloche-pied,
le cœur dans les étoiles et la main sur le papier
jauni des romans de ma lointaine jeunesse.