dimanche 1 juillet 2018

Sur un alexandrin

«Le bateau est loin déjà, mon âme a pris le large».
En français, mon cœur balance entre le décasyllabe
valéryen et l'alexandrin irrémédiablement racinien.

Mais, toujours, il revient vers le vers de douze
syllabes, mes douze tribus d'Israël à moi.
Nous étions en classe de cinquième, j'étais enrobé

et complexé. Je cherchais la vie et la vérité sous les 
vers du théâtre classique quand soudain fit irruption
dans la cour du collège, un élève originaire des îles

sous le vent. Il ne parlait que par alexandrins, coupés
à l'hémistiche, comme mu par une curieuse infirmité.
Le prosaïsme des propos tranchait avec le balancement

accompli de la forme. Son expression agaçait les autres
jusqu'à la violence irrépressible. Moi, j'étais fasciné
et recherchais sa conversation, à petites lampées.

Le souvenir m'en est revenu en lisant cet alexandrin
improbable et pourtant attendu. Le corps peut défaillir,
quand l'âme, immatérielle évanescence, veut bien rester.