mercredi 1 janvier 2020

Les ports

Je suis né en marge d'un port,
dans les brumes du canal exutoire.
J'allais à l'école en longeant
son eau noirâtre et grasse.

Plus loin, étaient les griffes obliques
des grues émaciées, avec leurs feux
oranges, et le bruit de l'acier que

l'on frappe. Puis j'ai lu Carco, Mac
Orlan, Martín et Montalbán. J'ai traqué
d'autres ports, à la chaussée sonore.

J'ai bu du vin mauvais en marge des zones
franches, je me suis frotté aux marins
échoués. J'ai bu des accents, comme d'autres

des picon-bières. Puis un jour j'ai abouti
à Casa Port où travaillait mon père. J'y ai
retrouvé les odeurs de l'enfance et le vol

bas des mouettes repues. Mêmes griffes noires,
avides de minéraliers et dockers échoués dans
des sortes d'estaminets. Je n'y suis pas entré.

J'ai préféré donner du temps au temps et convoquer
mes fantômes avant d'en franchir le seuil, mains
dans les poches, et sourire aux lèvres.