mercredi 19 avril 2017

Et si je n'avais pas vu

Et si je n'avais pas vu les femmes que je regardais,
si je m'étais contenté de lire dans le brillant de
leur peau l'image complaisante de mon visage hâbleur.

Et si j'avais passé des années à me leurrer en les 
trompant à la va-vite par une littérature de colifichets
ou un sourire creux, bouffi de complaisance amène.

Le demi-siècle passé, les femmes pédalent dans l'eau froide
d'une piscine sous le guide d'un jeune homme élégant que je
ne suis plus. Je me rengorge de memento mori. Mais elles,

patiemment, à chaque coup de pédale, dans une sage complicité
de congénères, elles composent des vanités sans nul besoin de
crânes évidés ou de références à Philippe de Champaigne.

«La femme est l'avenir de l'homme», fadaise aragonienne...
Facta non verba. J'entre en silence et les regarde faire,
comme cette quinca croisée voici quelques heures. Justaucorps

couleur corbeau, chaussures de vent rose fuchsia, elle est passée
sans dire mot ni me regarder, laissant le sillage d'un vaporetto
remontant les Syrtes de Julien Gracq. Conscience. Renaissance.