mardi 1 décembre 2015

Les murs de l'asile de Roger Gentis

Pourquoi ce livre m'a-t-il tant marqué ?
Mes parents me donnaient une somme 
rondelette à l'internat de la khâgne où j'étudiais

et j'achetais des livres. Des Pléiade, bien sûr,
mais aussi des Folio, des Payot, des Garnier-Flammarion,
je refusais les systèmes mais dévorais leurs éminences.

Une collection avait ma préférence, celle de
François Maspero. Des livres minces, tout en hauteur
que je n'ouvrais jamais franchement et dont je humais

longuement le papier épais. Sur le lit étroit de la thurne,
sous un calicot de fortune («Une seule bite de Dunkerque
à Tamanrasset», au marqueur bleu sur papier hygiénique rose),

je dévorais les lignes et les limites de mon monde se déplaçaient. 
L'envers devenait l'endroit, le jour la nuit, le silence se peuplait
de mots que je faisais tourner en bouche sans en comprendre

vraiment le sens. Ainsi vint Gentis, avant le Wittgenstein du
Tractatus logico-philosophicus, dont encore aujourd'hui je
me plais à répéter théâtralement les premières propositions.