mercredi 9 décembre 2015

Retarder

Retarder la lecture, offerte ;
ne plus tenir, délaisser le mince
volume qui captive, essai de vie
sur une image sépulcrale,

allumer vivement la lampe latérale,
saisir nerveusement les cent quatre-vingt-dix
pages serrées sous une jaquette blanche
et odorante, la déplier, la retirer un temps,

s'émerveiller du contraste entre le noir de la
brochure et la pâleur de l'emballage. Lire en
positif puis en négatif la quatrième de couverture
comme une invite à retarder encore plus la lecture,

abandonner enfin, ouvrir le volume largement, y plonger
le nez, humer le velin bouffant sucré par l'encre sèche,
se rendre compte de l'artifice de la fraîcheur, feindre
la déception -achevé d'imprimer en août, pourquoi a-t-il

attendu octobre pour être légalement déposé ? -, reculer
son visage, pêcher des pages au hasard, pécher -beaucoup-
en en bouleversant l'ordre, puis se laisser gagner par la
lecture et envoyer la nuit finissante au diable vauvert.

«On ne peut écrire sans désir», proclamait en un faux vers
de romance le livre demeuré de côté, en attente, en stand by,
comme disent les réclames. Et la lecture, sans désir se peut-elle
aborder ? Je ne sais. Je pense à celle qui me l'offrit.

(Ma mère du Nord de Jean-Louis Fournier vs Leïla Mahi 1932, un essai de Didier Blonde)