vendredi 2 mars 2018

L'homme aux deux noms

à J.-N. B.

La maison est petite qui m'accueille
en ce lundi soir. Bruits de couverts
sur l'arcopal et de verres de rosé

clair. Je visite et j'observe, j'écoute
les accents rocailleux, les langues
mêlées. On daube ma méconnaissance

d'un plat connu de tous. Je dis que 
je viens d'une île où les labours secs
ont goût de sel. La maison se vide peu

à peu des occupants qu'avale brusquement
une nuit glacée à l'encens de souche.
Il demeure là avec son épouse et un ami

cher. Il commence par m'écouter parler
d'un pays frère, longuement violenté,
comme pour me jauger. Et quand ma parole

s'épuise, d'une voix lente et assurée,
il entreprend de me narrer ses racines,
de part et d'autre d'une ligne de glaise

et de pleurs. Ce nom qu'il pourrait porter
et qu'il recèle en son for.Cet aïeul de
cœur et non de sang qui quitta le sud pour

s'en aller couper les épaisses futaies d'un
nord qui sortait de la guerre, avant de s'y
marier à la plus jolie des mamans, naguère

abandonnée. Il ne m'en dira pas plus et, à
son tour, la nuit l'avalera, tenant ferme
la main de son épouse. Entre deux noms.