lundi 23 mars 2015
Derrière le parebrise
le noir comme fulgurance,
deux fils blancs pendent
paisiblement de tes oreilles.
Tu parles, garée sur le trottoir
étroit. Un sourire, un claquement
de portière, tu es déjà loin et
le rétroviseur efface d'un coup
la fulgurance sombre. Longtemps,
je penserai à cette rencontre
impromptue, vive comme le sel et
la tequila d'un shooter.
mercredi 18 mars 2015
Absence
la violence de l'air
glacé dans les poumons,
les yeux clos et les lèvres
cherchant la chaleur de la mère.
Puis vint la marche et l'éloignement.
Des proches, des siens, pour se retrouver
en cherchant l'autre : ami, copine, amante,
sœur. Ce furent des années longues et riches
où toute rencontre nous construisait patiemment.
Aujourd'hui la sérénité s'installe, je vois en
l'absence, les absences, un ferment de vie et je fais
de mes absent(e)s les cartes d'un jeu que je bats avant
d'en tirer une au hasard et de la contacter. Mes ami(e)s
sont mes soleils. Sans l'absence, en aurais-je eu conscience ?
lundi 16 mars 2015
Les amis venus tard
J'ai un faible, et même deux,
pour les amis venus tard, à l'âge
où l'on croit que l'amitié n'est plus
de mise. Émerveillé, intimidé, on s'y
engage à pas de loup, de crainte de ne
commettre l'irréparable. La lenteur est
notre guide. On attend, on s'imbibe,
on boit la langue étrangère, la langue
étrange. On pense aux années perdues
à ne pas les avoir connus et aux années
qui s'ouvrent, fécondes et surprenantes.
«- Ça existe le hasard ?», me demandas-tu
tout de go, un jour que Platon nous invitait
à son banquet. Je ne te répondis pas mais
je songeai incontinent au lien de soie
qui liait ce soir de septembre où tu m'appris
à débiter de la bière aux nuits de Masami où
David m'en servit une plus forte, plus odorante
aussi, celle-là même qui faisait, en d'autres
lieux, le délice des plus grands de mes enfants,
compagnons de judo de Rémi, astre solaire de
ce système neuf et envoûtant.
vendredi 13 mars 2015
(Dé)raison
comme celle de proposer à l'amie
une pincée de sel et l'huile de la vie.
Il suffit de peu parfois pour s'y aventurer
sans craindre la réponse car seule répond
la nuit. Alors, soulagé d'avoir enfin osé,
on part à cloche pied sur la jonque légère,
cueillir des songes l'ombrelle aventurière
et l'on s'avoue hardi que belle est la raison.
Infans : qui ne parle pas.
le cercle, un temps,
me le fit croire.
Filles et garçons,
regardaient fixement,
les mains sur les genoux,
et m'écoutaient jouer avec
une télécommande jaune,
pour mieux les captiver.
Je me tus, le silence s'installa,
doux, chaud, la journée avait été
longue. Pour eux, pour moi.
Allongés, nous nous serions assoupis,
mais ils étaient assis et ma station
debout pesait. C'est alors qu'ils parlèrent.
Peu mais avec justesse. La timidité volait
en éclats, la parole se libérait. Ils avaient
pavoisé la salle de dessins pleurant la liberté,
en parlant franc, ils lui rendirent la vie
qui lui avait été ôtée.
Le manteau noir
rosissant l'asphalte,
et pourtant tu t'en
étais muni, de cette
ombre seconde qui, noire
du froid souvent te protégeait.
Tu remontais Ledru-Rollin
vers un arc sans triomphe au
bistre atrophié. De ta poche
gauche dépassaient deux trois
fleurs sur une robe, elle-même
sur une couverture mate et carrée.
Je n'y étais pas. On me le dit
et je le vis. En format dix sur dix.
Tu t'étais fait flâneuse, en marge
de nos pas et la ville, sous ton
manteau, sagement s'étirait pour
de mes pages absorber la portée.
mercredi 11 mars 2015
Le salon de thé
de marchands de tissu venus
crier leur soudaine richesse,
ce fut un lieu coquet, à la
lumière tendre, plein de senteurs
exquises et de dames à écran,
deux à deux, table à table. Nous
y parlâmes d'amours vécues séparément,
je t'accablai longtemps de paroles
vives et d'interminables récits.
D'un sourire tu faisais mouche
et des dames nous oubliions l'écoute.
Ce fut un lieu coquet et qui maintenant
n'est plus, vitrine fermée à la nuit
de velours.
Confettis
qui plaisaient à Stendhal puis des chutes
de papier emportées dans la pièce que l'on
utilisait pour élever des soyeux les vers
énamourés. On les jetait sur les noces pour
féconder l'esprit et de vin triste parfois
ils s'imbibaient. Et les voici, aujourd'hui,
dans ma main qui te font compagnie.
J'ai rêvé
une amie de pas et de parcours, ombre tiède dans les rues,
mes rues. Je lui montrerais mes anciennes géographies,
par delà Gambetta. La rue au sens désormais inversé
où se tenait la maison profonde, tendre repaire aux huit
pièces et à la porte d'acier peint close sur les autobus
inclinés, nous frôlerions l'ancienne vitrine dont on voit
encore le dessin et où un homme de bien et son épouse des
porcs en gelée taillait la large oreille et la langue pointue,
nous longerions l'aqueduc sec et son ombre maligne, le jeu de
tambourin diaboliquement incliné, nous nous inventerions au
pied du château d'eau le parcours des enfants apprenant de la
circulation le curieux entrelacs et épuisés de gravir l'escalier
et ses marches usées, nous penserions à un baptême d'étudiants où
naquit une éditrice qui savait son Marchais. Puis nous nous perdrions
dans la ville connue, tout près de l'ancienne maison Roblot et de ses
serviteurs de mort et nous nous inventerions la paire inattendue d'un
chanteur emmerdeur et de son fort des halles. Je sais que cette amie
existe, je lui ai même donné un titre qui lui sied à ravir :
flâneuse des deux rives au percolateur enroué.
mardi 10 mars 2015
Geografies del vent / Géographies du vent
Un títol i res més. Un anunci, una espera,
la impressió de caminar amb els ulls tancats
pels passadissos del temps. El temps de l'escriptura
aliena, misteriosa, i de la lectura pròpia, sucosa.
I, en la llunyania, el record de les geografies amades,
apreses dia rere dia als llibres de text o descobertes
a la boca de les estimades. D'aquestes, el vent, tan fort
ahir, s'aturà de sobte i l'amic poeta me'n tornarà l'alè.
***
Un titre, rien de plus. Une annonce, une attente,
l'impression de marcher les yeux clos
dans les couloirs du temps. Le temps de l'écriture
autre, mystérieuse, et celui de la lecture propre, juteuse.
Et, dans le lointain, le souvenir des géographies aimées,
apprises jour après jour dans les livres de classe ou découvertes
sur les lèvres des amantes. De ces dernières, le vent, si fort
hier, s'est arrêté soudain et l'ami poète m'en restituera le souffle.
Des mains sur le formica
et mon esprit s'envole. Planches
de teck ou d’okoumé. Le brun varie
du clair au sombre et la vague ne suit.
Mais la soirée avance et tes mains,
un instant ouvertes, se replient et
se glissent contre ton fourreau noir.
L'éponge froide sur le formica vide
peinera à en effacer la trace tranquille
et tes mots chaleureux et distants sauront
les reformer avant que la nuit, un brin
jalouse, ne m'engloutisse dans son sein.
lundi 9 mars 2015
Le Masami
s'y retrouver. Merci Sophie,
merci Rémi, de me l'avoir confié,
merci David de m'y avoir accueilli.
Masami n'est pas là qui l'intitule
en secret. La musique s'écoule, mi-latina,
mi jazzy, aguicheuse comme un demi renflé
de Chouffe frappé. Deux sandwiches, une mitraille
de pommes de terre. Les dames sont belles qui devisent.
Tout contre la porte, leur table havane se fait as de carreau,
les mains caressent le formica froid, la mousse colle au verre
blanc, j'écris, elles ne me voient pas, je ne les connais pas
mais qu'importe, elles sont la bouffée tiède d'un lundi sur la terre,
au Masami, ce petit bar en courbe qui dit l'essentiel sans jamais s'en vanter.
Michel
serrées dans un plastique translucide.
Il est sur le départ mais ne partira pas,
deux dames souriantes l'ont arrêté. Je le vois
de trois-quart profil. Ses cheveux silver sont tirés
en arrière. De quoi parle-t-il ?, je ne le saurai jamais.
Derrière son comptoir, David l'invective : quel dragueur !
Il n'entend pas. Il joue son histoire, yeux écarquillés.
Mais déjà l'heure tourne. ¡Hasta mañana! Il est parti.
La musique baisse, les dames prendront un sandwich,
la nuit a avalé Michel. Un Michel qui n'était pas moi.
Des confettis sur sa tête
de couleurs. Le bonhomme brûlé, la ville
s'assoupit et espère. Le printemps, la Saint-Jean.
Une frange noire n'attend pas qui glane les savoirs,
funambule entre deux rives. Et si les confettis s'en
sont allés empoussiérés dans le triste caniveau,
Sophie, entre Roanne et Sainte-Anne, a décidé de se les
inventer, tièdes, chatoyants, ingravides, tourbillonnants,
et les voici sur sa tête et dans mes yeux. Jusqu'à ce soir,
peut-être.
samedi 7 mars 2015
Dix-huit années
Dix-huit années de vie,
d'amour et de sourires.
Ta fille exulte, elle est
ton centre. Tu te tais
et l'écoute. Elle a ses mots
et ton timbre. Sa langue
court les rues et s'attarde
aux coins ensoleillés.
Ses amis la fêtent et la
fêteront encore comme,
naguère, tu le faisais à
l'ombre fraîche de Grenoble.
Que belle est l'existence et
que noble en est le cours
quand l'amour le borde et
le conduit sans le délimiter.
jeudi 5 mars 2015
Un bar privé
Silence de la pièce.
Des ombres immobiles,
une table de formica
gris foncé. Deux flûtes,
une bouteille glacée.
Une assiette de douceurs
salées et ta voix.
Les heures fileront,
les hauts tabourets
couineront, inutiles.
Nous ne bougerons pas,
les sujets s'égreneront.
Amitié par touches,
sans poids, libre,
au gré des faits,
de l'échange ou de
l'emprunt. Amitié
qui lie sans attacher
où chacun, de part
et d'autre du formica
sait le bonheur fragile
et le hasard serein.
Frôler le mur
dans le silence des pas,
laisser glisser la main,
ouverte, sur le crépi,
ralentir la marche,
en éprouver l'aspérité
puis embrasser la paroi
froide et inerte,
ne plus bouger,
pleurer
bas.
Martí timide
et se blottit dans le cou odorant.
Douceur de l'étreinte volée. Et voilà
qu'il se redresse et accroche la dame
d'un sourire enjôleur. Le petit gredin.
Sans un son, à pas comptés le voici..
qui invente du caché-coucou l'éternelle
palette qui le tiendra cent ans. Au moins.
mardi 3 mars 2015
Oranges maltaises (en hexasyllabes libres)
Sur la table reposées,
les oranges attendaient,
pâles et bien juteuses,
le couteau du pianiste,
l'ongle de la coiffeuse
ou le soleil de mars.
Que loin est La Valette
et tendre est cette nuit ;
dormiras-tu ma mie
au creux de ses bras clairs
ou préféreras-tu
de Gruissan les chalets ?
Rendez-vous
qui n'en sont pas. Le soir
n'est pas plutôt tombé que
tu es d'un saut chez moi,
en quête d'un tuyau pour
remplir l'un de ces aquariums
tropicaux qui, jour après jour,
tapissent les murs de ta maison.
Un doigt de vin et quelques gâteaux
plus tard, nous avons repris le cours
de nos histoires. Tes yeux pétillent,
je me tais, le sommeil me taquine mais
je lutte pour coucher sur le papier, avant
qu'il ne soit trop tard, deux ou trois accords
plaqués sur un piano à La Valette et tes yeux
d'ébène tiède pour qui je briserais tant de lunettes.
lundi 2 mars 2015
De livre et de sel
Bien sûr il y eut Comadira et ce livre épais
qui lui mange la part juteuse de la vie,
mais il y eut surtout cette mer sans rivage,
tes pleurs sans tristesse, la vague sans cesse
recommencée. Les mollets faisaient mal.
La côte était raide et, là haut, le lac salin
ne bougeait. Tu chantais les yeux clos
et de tes muscles je m'étais fait deux oreilles.
Nous fûmes heureux qui ne le cherchions pas.
Dans l'étreinte, tu étais moi. Moi je voulais
simplement te ressembler. La route nous
avait unis qui si souvent disjoint. Tu te tus,
je parlai et la terre, soudain, s'ouvrit.