lundi 22 septembre 2025

Une grillade familiale

Le grill de Saint Laurent
ne tire pas des larmes,
il accueille serein
l'offrande de Victor.

Les côtes sont de veau
et d'un bœuf médaillé.
Les ceps des vieilles vignes
font un lit de rougeur.

Le dîner sera bon
qui nous rassemblera
dans la ferveur d'un soir
où nous serons unis.

Nous le célébrerons
en pensant à Mamie
qui surnommait Victor
son petit marmiton. 






Dins els ulls de la nora / Dans les yeux de la bru

Les floretes són grogues
i l'espelma vermella.
La pregària és senzilla
en la capella vella.

És dia de tristor,
és dia d'alegria.
entre final d'estiu
i dia de tardor.

Colors de Catalunya
i colors de Marisa.
El record de la sogra
dins els ulls de la nora.

L'escena és al Miracle,
on resa el santuari
per les persones bones
que han deixat els seus.

***

Les fleurettes sont jaunes
et rouge est la bougie.
La prière est si simple
dans la vieille chapelle.

C'est un jour de tristesse
et c'est un jour de joie,
quand l'été est fini
et l'automne commence.

Les couleurs catalanes,
les couleurs de Maryse.
La belle-mère vit
dans les yeux de sa bru.

La scène est au Miracle,
où prie le sanctuaire
pour les bonnes personnes
qui ont quitté les leurs.













foto: Roser Blàzquez

Un monument discret

Un monument discret
per publicar l'amor
que sent una noieta
per un noi del seu poble.

Un grapat de pedretes,
unes fulles de roure.
Una lletra elegant
que es vol inesborrable.

El còdol que és al mig
té forma del seu cor.
El cor de la noieta
d'on raja tinta pura.


 

Un lieu discret

Il est un lieu discret
pour écrire matin,
à l'heure où les clients
occupent la terrasse.

J'y compose parfois
dans mes deux langues mères,
puisant dans l'atmosphère
l'impression de l'instant.

Le sourire de Jade
et la voix de Fafa.
Le comptoir où l'on vient
refaire sa journée.

Les sénateurs dehors
donnent à l'intérieur
le crédit nécessaire
pour s'y sentir chez soi.

Les tabourets sont hauts
qui attendent les heures
où l'on dégustera
des bières et du Byrrh.

Mais pour l'instant j'écris
devant un café noir
en songeant à ceux qui
après moi y boiront.





vendredi 19 septembre 2025

Vingt septembre

À la fin de l'été,
au début de l'automne,
elle est née d'Antoinette
un matin de septembre.

C'était un samedi
et son père servait
les clients habituels
dans leur petit café.

À la fin de l'été,
au début de l'automne,
je sens grandir en moi
sa présence discrète.

mercredi 17 septembre 2025

Trombones oubliés

C'est le dernier achat
que je fis à ma mère.
Un jeu d'attache-lettres
pour classer ses papiers.

Des trombones pour rire,
des boucles argentées,
serrées dans une boîte,
dans un ennui discret.

À lequel échoira
un hasard profitable,
celui d'être choisi
pour classer des papiers ?

Mais ma mère n'est plus
et la boîte est fermée.
Dans le noir du buffet,
elle attend sa lumière.





lundi 15 septembre 2025

Un bouquet pour Yuki

Elle s'appelle Yuki,
je ne la connais pas.
Une amie du quartier
de mon cousin second.

Elle est un pont léger
entre deux langues sœurs
qu'unit l'humanité
et disjoint la graphie.

Elle va de l'une à l'autre,
cueillant des fleurs françaises
pour un faire un bouquet
à porter au Levant.

Elle s'appelle Yuki,
je ne la connais pas,
mais Thierry la connaît
qui lui offre un bouquet.

samedi 13 septembre 2025

TOUT ÇA / TOT AIXÒ

 J’ai vu tomber en cascade des flocons immenses et blancs

comme un chapelet macabre de pétards... qui une fois au sol brûlaient tout ;

et alors,

j’ai vu les hôpitaux submergés par un courant constant

de corps blessés entrant dans ce courant incessant.


J’ai vu se dresser les paumes, se dresser la prédication, et... aussitôt après,

j’ai vu tomber sur ces mêmes espérances... des dizaines,

des centaines de kilos de bombes et d’armement ;

et alors,

j’ai vu le sol d’une école tapissé

d’une étendue de linceuls d’un blanc immaculé.


J’ai vu des nuages de feu, des nuages de poussière, des nuages de cendre,

parce que tout n’était que fleurs brûlées, oliviers brûlés, personnes brûlées ;

et alors,

j’ai vu des ambulances avec des moribonds, des blessés, des infirmiers...

des ambulances prises au pièges dans des rues intentionnellement picorées.


J’ai vu couper l’électricité et couper l’eau. J’ai vu s’éteindre la voix

et se fermer les yeux, la vie de deux-cents journalistes, un par un.

J’ai vu l’élimination chirurgicale par les snipers :

universitaires, designers, docteurs, artistes, professeurs... poètes ;

et alors,

j’ai vu le drone, ce jouet des tueurs à gages, faire feu,

faire feu sur un jeune à bicyclette.


J’ai vu la séparation des corps dans une large file :

les femmes et les enfants à gauche, les hommes à leur droite... les hommes marchant.

Et ces hommes je ne les ai pas revus.


J’ai vu des dizaines de bras maigres se tendre avec des casseroles, des écuelles multicolores,

dans l’attente d’une louche d’eau avec quatre grammes de riz ;

et alors,

j’ai vu des enfants mangeant de la nourriture pour chien, mangeant de l’herbe, mangeant du papier et des pierres... et buvant de l’eau des flaques de la mort.


J’ai vu les intempéries dans les maisons, les intempéries dans les tentes,

les intempéries dans les rues de la mort...

et alors,

j’ai vu des pêcheurs mitraillés sur la plage

et des corps écrasés par la chute de caisses de biscuits secs

du haut de deux avions.


J’ai vu des bébés en chair et en os agoniser dans des couveuses, comme des urnes

transparentes.

J’ai vu des congélateurs de glace transformés en morgue où s’empilaient des corps ;

et alors,

j’ai vu des mains, amputées, des bras amputés, des jambes amputées...

comme on ampute l’espoir.


J’ai vu des pères et des mères gratter le sol et les murs pour en sauver des vies...

d’un, de deux, d’innombrables immeubles effondrés ;

et alors,

j’ai vu de petits yeux et de petites mains suppliant pour leur corps emmuré,

piégé entre les pages du livre d’un futur définitivement cimenté.


J’ai vu les quinze membres d’une même famille (grands-parents, parents, fils, nièces, oncles)

fauchés d’un seul coup par la faux d’une haine acharnée ;

et alors,

j’ai vu accroché au fer forgé d’un immeuble éventré,

et qui se balançait, le corps d’un jeune, là-haut, au quatrième étage… et qui se balançait.


J’ai vu bombarder des écoles, des universités, des mosquées,

et jusqu’à des cimetières rasés et profanés.

J’ai vu de profondes et longues excavations dans le sable,

avec des dizaines de corps dans les linceuls bleus… impunément rangés ;

et alors

j’ai vu des chats, des chiens, des mules et des chevaux… honteux et désorientés.


J’ai vu aller d’ici à là et de là plus au-delà,

des milliers de personnes marchant en caravane.

J’ai vu des orphelins sans chaussures et sans pain ;

et alors,

j’ai vu deux frères le visage tout blanc abattus

au moment de grappiller la farine d’un sac.


J’ai vu ces mêmes hôpitaux, vus il y a maintenant un an,

rasés, bombardés et effondrés ;

et alors,

j’ai vu deux sacs poubelles contenir

les restes humains de frères de sang.


J’ai vu une fois, deux fois, trois fois se dresser une main ensanglantée

voter contre un cessez-le-feu, voter contre un cessez-le-feu ;

et alors,

j’ai vu s’étendre le siège de la violence,

et, comme une immense toile d’araignée, s’étendre le siège de la faim.


Derrière tout cela j’ai vu mourir un monde et renaître une bête :

la bête éternelle.


Et tout ce que j’ai vu,

    tout ça nous l’avons tous vu.

Et tout ce que j’ai vu

    les autres l’ont aussi vu.


TOT AIXÒ, poème de Neus Purtí Cirera @neuspcirera mis en musique par Sebe Helde 

traduit du catalan par Michel Bourret Guasteví

=> lecture en catalan

=> lecture en français


He vist una caiguda en cascada de volves immenses i blanques

com una mascletà macabra … que en tocar terra tot ho cremava;

i llavors,

he vist els hospitals regats per un corrent constant

de cossos ferits entrant dins el corrent incessant.


He vist aixecar els palmells, aixecar la prèdica, i… tot seguit,

he vist caure sobre aquells mateixos anhels… desenes,

centenars de quilos de bombes i d’armament;

i llavors,

he vist el terra d’una escola encatifat

amb una estesa de mortalles d’un blanc immaculat.


He vist núvols de foc, núvols de pols, núvols de cendra,

perquè tot eren flors cremades, oliveres cremades, persones cremades;

i llavors,

he vist ambulàncies amb moribunds, ferits, infermers…

ambulàncies atrapades entre carrers intencionadament picotejats.


He vist apagar el llum i apagar l’aigua. He vist apagar la veu

i apagar els ulls, la vida de dos-cents periodistes, d’un en un.

He vist la quirúrgica eliminació dels franctiradors:

catedràtics, dissenyadores, doctors, artistes, professors… poetes;

i llavors,

he vist el dron, la joguina dels sicaris, disparant:

disparant sobre un jove amb bicicleta.


He vist la separació dels cossos en llarga filera:

dones i canalla a l’esquerra, homes a la seva dreta… homes marxant.

I a aquests homes ja no els he tornat a veure.

He vist desenes de braços prims allargant-se amb cassoles i palanganes multicolors,

esperant un cullerot d’aigua amb quatre grams d’arròs;

i llavors,

he vist nenes menjant menjar de gossos, menjant herbes, menjant paper i pedres

… i bevent aigua dels bassals de la mort.


He vist la intempèrie de les cases, la intempèrie de les tendes,

la intempèrie dels carrers de la mort…

i llavors,

he vist el metrallament d’uns pescadors vora la platja,

i l’aixafament de cossos per la caiguda d’unes capses de rònegues galetes

des de dalt d’un parell d’avions.


He vist uns nadons de carn i ossos agonitzant dins incubadores, com a urnes

transparents.

He vist frigorífics de gelats a mode de morgue on s’hi han apilat uns quants cossos;

i llavors,

he vist mans, amputades, braços amputats, cames amputades…

com qui amputa l’esperança.


He vist pares i mares gratant el terra i les parets per sostraure’n vida…

d’un, de dos, d’incomptables edi cis esfondrats;

i llavors,

he vist uns ullets i unes manetes suplicant pel seu cos emparedat,

atrapat entre pàgines d’un llibre d’un futur ara cimentat.


He vist els quinze membres d’una mateixa família (avis, pares, lls, nebodes, oncles)

segats d’un sol cop per la falç d’un odi contumaç;

i llavors,

he vist agafada d’un ferro de forja d’un edifici esventrat,

el cos oscil·lant d’una ànima jove, allà, a la quarta planta… oscil·lant.


He vist el bombardeig d’escoles, d’universitats, de mesquites,

i fins els cementiris arrasats i profanats.

He vist profundes i llargues excavacions a la sorra,

amb desenes de cossos amortallats de blau… impunement arrenglerats;

i llavors,

he vist gats, gossos, mules i cavalls… avergonyits i desconcertats.

He vist anar d’aquí cap allà, i d’allà cap a més enllà,

a milers de persones caminant en caravana.

He vist orfes sense sabates i sense pa;

i llavors,

he vist dos germans amb el rostre emblanquinat abatuts

en el moment d’espigolar la farina d’un sac.


He vist aquells mateixos hospitals, vistos ara fa un any,

arrasats, bombardejats i esfondrats;

i llavors,

he vist dues bosses d’escombraries contenir

les restes humanes d’uns germans de sang.


He vist una, dues, tres vegades aixecar-se una mà ensangonada

votar en contra un alto el foc, votar contra un alto al foc;

i llavors,

he vist estendre’s el setge de la violència,

i, com una immensa teranyina, estendre’s el setge de la gana.


Rere tot això he vist morir un món i renéixer una bèstia:

la bèstia de sempre.


I tot això que jo he vist,

    tot això ho hem vist tots.

I tot això que jo he vist

    també ho han vist els altres.

mardi 9 septembre 2025

Rue des Cuirassiers

La rue des Cuirassiers
dans les années soixante
et la famille unie 
dans Saint-Jacques le fier.

Des chouchous dans l'osier
qui pèse et scie le cou.
Une télévision
pour prix de cette tâche.

Car c'est loin de Saint-Jacques,
au nord de la cité,
que mon ami grandit
dans les gradins du stade.

Plus tard il veillera
sur le club admiré,
donnant à son équipe
son fils pour y jouer.

Bien loin des Cuirassiers
et du quartier du père,
le fils incarnera
son sens de la famille.

Un jour il poursuivra
la geste familiale
en devenant un père,
des chouchous plein les mains.

Un récit d'Evariste

En veste de motard,
coiffé d'une casquette,
il est venu porter
une voix du passé.

Un jeune homme asturien
fuyant le bordelais
pour revenir lutter
contre les insurgés.

Les combats, la défaite,
la frontière glacée...
Puis les camps d'Argelès
et de Saint-Cyprien.

La fille d'un pêcheur
qu'il laissera grandir
pour lutter en soldat
contre l'armée du Reich.

Le retour au pays
de la fiancée fidèle.
La joie de cinq enfants
naissant dans leur foyer.

Evariste se tait.
Il a tombé la veste
et la casquette noire
pour clore son récit.

Il parlera longtemps
de notre actualité,
jouant de sa faconde
et de mille artifices.

Mais moi je garderai,
au fond de mes pensées,
la fille du pêcheur
et le beau légionnaire.