La voix ralentit jusqu'aux confins de l'intelligible, comme une lettre d'amour froissée se déchiffonne sous les larmes et la paume tremblante. Quarante années d'amours et de pleurs à écouter Romy en secret, à la tombée de la nuit, comme l'alcoolique retire la flasque de whisky de la chasse d'eau puis Youn Sun Nah, née quand Sautet tournait, est venue. Sans l'effacer, elle a su l'infléchir, lui rendre le grain que le ressassement avait fini par émousser et je me suis décidé, enfin, à revoir Les choses de la vie et cet amour qui se brise, sans retour possible, contre un camion conduit par un acteur de seconde zone, entre Aragon et Castille, inoubliable amant d'une maman poisson.
La photo est ancienne. Sur la scène improvisée d'un étroit balcon de cité, un prêtre de fantaisie feint de prier. Coincée par les mains jointes, une serviette tient lieu de viatique. Plaquée contre le torse, elle rutile évidée, brillant un peu plus au niveau du fermoir en métal vil plaqué de dorure écaillée. Cette serviette a une histoire et pas précisément celle d'un viatique de carnaval. Elle fut longtemps un vade-mecum, celui de mon père, officier des douanes, allant et venant en train entre Perpignan et Cerbère où il avait sa recette. Quand il revenait chez nous, le soir, nous guettions son arrivée, délaissant souvent l'embrassade pour l'étreinte de la serviette. Si elle demeurait plate, nous vaquions à d'autres occupations, mais si elle se gonflait de sphères infinies, nous jubilions. C'étaient, à n'en pas douter, des oranges tardives, navels, navelines et sanguines, mon soleil en petit qu'à ma mère longtemps je tins secret. Il les avait puisées, en guise d'échantillons, dans un wagon de bois aux confins de l'Espagne et nourrissait, sans le vouloir, une mémoire qui à présent écrit.
Lentament, sense pressa, no com abans, quan seguia la cursa boja dels amics i no parava mai, oblidant l'aspre reflex del mirall vertader. No. Estimar. Veritablement. Caure en el pou fosc del son trencat, deixar entrar el silenci i pensar en l'altra que encara no existeix, ésser de paraules i de tendresa muda. Apropar-me'n, a poc a poc. Deixar passar els dies, les setmanes, els mesos, acostar-me perillosament a la mort, ma mort. Retrobar la vida amb forma de pell tèbia. La seva. *** Lentement, sans hâte, pas comme avant, quand je suivais la course folle des amis et n'arrêtais jamais, oubliant l'âpre reflet du miroir véritable. Non. Aimer. Véritablement. Tomber dans le puits obscur du demi-sommeil, laisser entrer le silence et penser à l'autre qui encore n'existe pas, être de paroles et de tendresse muette. M'en rapprocher, peu à peu. Laisser passer les jours, les semaines, les mois, approcher dangereusement la mort, ma mort. Retrouver la vie sous la forme d'une peau tiède. La sienne.
Six bandes de couleur. Pour le moins. Peut-être un peu plus. Un Nicolas de Staël assagi. Nulle terre. L'eau imprègne tout. Le sable, les algues, les bois flottés ou hardiment plantés. Si c'était la mer, on la dirait étale. Mais c'est l'étang et l'étang ignore le temps. Les pêcheurs sont partis ou ne sont pas encore arrivés. L'heure est inhabituelle qui a rougi les yeux du photographe. Six bandes, peut-être sept, ou neuf. Chiffre magique. Nulle transcendance. L'attente est humaine, bien humaine. Un paysage ? Assurément. Portion du territoire embrassée du regard ou est-ce le regard que le cliché embrasse ? Je souris, je pense à Jésus marchant sur les eaux du lac de Tibériade et à Pierre venant à sa rencontre avant de s'abîmer en proie au doute soudain. Que l'onde est poissonneuse que cache la lenteur. S'il m'était donné d'accompagner Éric, le photographe, je me ferais bien une ligne avec un hameçon au bout et je resterais là, à ses côtés, attendant un poisson que jamais il ne photographierait.
à E. S. Eric parle avec passion, de ses yeux vifs et humides. Circonlocution apéritive. En haut de l'étroit escalier, gorgé de premiers clichés, tranchants comme des rasoirs, on attend. L'heure peut bien tourner, l'essentiel est là, dans une poignée de rectangles sous verre. Un village de pêcheurs abandonné. Du vent, de l'écume, une lune qui troue l'obscurité de son halo doré. Et surtout, comme une leçon de vie, l'insaisissable rivage, la limite entre le sable et l'eau. Litus des Anciens. À quoi pensait Ovide sur la Mer Noire ? Je ne sais. Ou, plutôt, Eric, qui travaille sans filtre et est prêt à dépenser huit heures de son existence pour un seul cliché, me l'enseigne en un rectangle de papier.
La habían bautizado con este apodo, Girona sortia de la dictadura i el català tardava a imposar-se o almenys se l'imagina després de tants anys. Venia del nord, on el seu pare construia dics de roques i formigó. La coneixien per l'accent i les maneres. Ella només volia jugar amb ells i integrar-se. El mil·lenari tardava a morir. Els mestres feien servir ordinadors groguencs que pesaven com els primers televisors. No s'hi entenien. Helena reia i els altres es contagiaven. Un dia ja no eren els altres ni ella la francesita. Però això és una altra història.
Un meuble blanc, neuf et qui sent le vernis frais, et, derrière, une conversation qui prend corps. le motif de la visite est une formalité bancaire, compliquée, et qui recevra un accueil inattendu. Très vite, un nom surgit du passé : Étienne Magret, le grand-père d'origine catalane, professeur d'espagnol dans le Millau des mégissiers. Je prononce son nom, fais rouler le "R" et m'interromps brusquement sur la dentale sèche comme le bois que coupait le père d'Étienne avant que l'Espagne ne le jette dehors avec sa femme et ses quatorze enfants. Un sourire naît sur le visage de la jeune femme de l'accueil. Les souvenirs affluent mais déjà d'autres clients arrivent. Le papier qu'elle me tend est chaud. Sous les chiffres, je devine l'ombre d'Étienne et, intimidé, je lui souris.
à A. P.-T. et à sa famille Un petit fantôme s'en est allé, discrètement, au milieu d'une belle après-midi. Ce matin encore, il prenait le soleil à l'abri du vent. Il s'en est allé, mais pas bien loin ; nul besoin de photos ou d'enregistrements, il viendra au moment le plus inattendu, de ses maîtres unis, quêter un sourire, la caresse d'un index, un mot tendre à la saveur d'un gâteau au yaourt posé sur le coin de la cheminée pendant qu'au dehors les enfants riront et s'ébroueront.
Même allongé d'un jour par l'artifice des anciens astrologues, le mois était le plus court de l'an et les heures coulaient insouciantes. La pluie avait cessé qui bordait encore l'asphalte, nostalgique des jardiniers bedonnants. Le banc épousait la courbe tiède d'une présence ingravide et l'air, sous les feuilles, résonnait des mots échangés. Combien de personnes encore s'y assoiraient,faisant halte, avant la cité à boutiques, de retour de la gare ? Il ne le savait, elle non plus, rencontre inouïe que le matin noua et le zénith défit, avant que tout là haut le Bien Aimé n'en rie.
Antes de ser colilla muerta y reseca había sido pitillo incandescente. Pero ¿Por qué diablos se le ocurrió colarse por una fotografía en blanco y negro, en el lugar exacto donde estaba la cara? ¿Quién la sujetó con esas intenciones, buenas o malas? Poco importa. Me quedo mirando el clisé borroso y me imagino el rostro de la bella desvanecida. Me ayuda el orillo ennegrecido. Me lo imagino de peinado moreno y lacio, ojos grandes, semblante apaciguado. Y por un curioso movimiento de inversión, desaparece el entorno y me sonríe el rostro.