mercredi 24 février 2016

Une serviette de skaï noir

La photo est ancienne. Sur la scène
improvisée d'un étroit balcon de cité,
un prêtre de fantaisie feint de prier.

Coincée par les mains jointes, une serviette
tient lieu de viatique. Plaquée contre le torse,
elle rutile évidée, brillant un peu plus au niveau

du fermoir en métal vil plaqué de dorure écaillée.
Cette serviette a une histoire et pas précisément
celle d'un viatique de carnaval. Elle fut longtemps

un vade-mecum, celui de mon père, officier des douanes,
allant et venant en train entre Perpignan et Cerbère
où il avait sa recette. Quand il revenait chez nous,

le soir, nous guettions son arrivée, délaissant souvent
l'embrassade pour l'étreinte de la serviette. Si elle
demeurait plate, nous vaquions à d'autres occupations, 

mais si elle se gonflait de sphères infinies, nous jubilions.
C'étaient, à n'en pas douter, des oranges tardives, navels, 
navelines et sanguines, mon soleil en petit qu'à ma mère

longtemps je tins secret. Il les avait puisées, en guise 
d'échantillons, dans un wagon de bois aux confins de l'Espagne
et nourrissait, sans le vouloir, une mémoire qui à présent écrit.