vendredi 16 septembre 2016

Retouch'mode

Au pied de la haute tour d'écailles
est un petit parallépipède de commerces
oubliés. PMU, boucherie, fruits et légumes,

ainsi qu'une curieuse mercerie, au lourd
rideau de fer, surmontée d'une enseigne
défraîchie mais qui a dû faire florès

en son temps : «Retouch'mode». Les écailles
de l'immeuble sont récentes, encore caparaçonnées
d'échafaudages. Une peau de nacre pour masquer

les errances d'un quartier à bout de souffle,
saigné de sa population. Il est huit heures
trente. Non loin, la sonnerie de l'école Annie

Fratellini a avalé les élèves éparpillés derrière
le grillage et le regard inquiet des mères voilées
en route pour LIDL. Une dame s'approche soudain

du rideau qu'elle soulève avec peine. Le chignon
ramassé trahit des couleurs lointaines, la blouse
est sombre, ajustée, et les lunettes, déjà perchées

au bout d'un nez court et épâté, anticipent les retouches
du jour, sous la lampe économe. Je n'en saurai pas plus,
la dame s'est émue de ma présence. Me prend-elle pour un

aigrefin aux maigres cheveux d'argent ou, pire, pour un
promoteur en mal de juteuses démolitions ? Elle est belle,
pourtant, à milles lieues des canons des magazines, cette

humble mercière qui, un jour, a posé sa machine dans un
quartier alors en devenir et, épuisée, par le glas lancinant
des jours maussades, s'y est enracinée. Memento vivere.