Je vis entouré de livres. C'est ainsi.
Depuis longtemps. Étudiant, je consacrais
ce que me donnaient mes parents à en acquérir
de nouveaux, au papier fin et jauni et à la reliure
en peau de veau. Ceux qui viennent me visiter pensent
que j'en ai beaucoup et que je les ai tous lus. Ils prennent
le désordre de mes trois étroites bibliothèques pour le signe
d'une activité effrénée. S'ils revenaient quelques semaines
plus tard, ils s'apercevraient de leur bévue. Je n'ai pas beaucoup
de livres et je ne les ai pas tous lus. Mais ils me font côté et
j'aime y vérifier ce que je croyais avoir oublié ou m'émerveiller
à nouveau devant le point noir nervalien. Or, voici que, naguère,
alors même que de Kamel Daoud je lisais le dernier roman sur une
fine plaquette rouge qui pourrait contenir les lectures de dix vies,
je les ai vus qui me regardaient, convaincus, tout à coup, de l'inanité
de leur présence au monde. L'un d'eux surtout, dont j'avais coupé
les pages voici quarante ans avec mon Laguiole d'interne. S'était-il
aperçu que son alter ego, sous forme digitale, s'était tapi bien au chaud
de la fine plaquette ? Je ne sais. Toujours est-il que je crus le voir
trembler de ses deux-cents feuillets. Nul reproche dans aucun de ces volumes
à la couverture souvent brisée ou écaillée, à la tranche noircie par mes doigts
ou jaunie par les ans. Une confiance plutôt. Sous les auspices de l'imposant
dictionnaire catalan, valencien, baléare en dix volumes qui sait bien, lui, que
la consultation de son édition digitale ne m'empêche pas de lui caresser les côtes.