Imaginez deux sirènes, au plus chaud de la saison,
dans cette période qu'on appelle l'été de l'été.
Deux sirènes loin des côtes et que la piscine,
élégamment dallée, ne parvient plus à rafraîchir.
Elles ont laissé le village et arpentent lentement
la rue piétonne de la ville non loin en compagnie
de leur mère amusée. Leur objectif à toutes deux,
pourtant assez différentes, est d'écourter les pointes
de leur chevelure brune. Rien de plus, rien de moins.
Objectif louable et à peu de frais. Un sirop brûlant
coule sur la chaussée, comme résine en pinède. La boutique
du coiffeur se rapproche, surmontée du curieux cylindre
tricolore. La masse des cheveux est intenable et le bandana
n'est déjà plus qu'un lointain souvenir. Le coiffeur -ou la
coiffeuse car en cet instant de la nuit mon imagination défaille-,
en les voyant toutes deux, affûte ses ciseaux. Ce n'est plus
une coupe mais de la sculpture, le poignet lui fait mal qui
perle de rosée. À ses pieds, deux masses de cheveux bruns,
que l'on jurerait jumelles. Sa boutique fermée, le coiffeur
se rendra compte qu'il a oublié d'en balayer le sol. Vous dirais-je
qu'en me promenant la nuit dans la ville en silence j'ai été
alerté par un bruit comme de glissement sourd et que, me penchant
sur la devanture aveugle, j'ai cru y voir les queues de deux sirènes.