Au coup de sifflet, elle enfonça la main dans la poche de son manteau. À l'intérieur, elle y portait la balle avec le cœur tricolore, et une enveloppe pliée avec une lettre et une adresse à Barcelone. Elle approcha son visage de la fenêtre et son souffle embua la vitre. Elle serrait si fort la balle que celle-ci lui transperçait la paume de la main. La gare s'ébranla, lentement, comme si quelqu'un l'étirait par derrière et son père disparut avec le quai. Sa mère n'était pas venue, elle l'avait embrassée sur le pas de la porte, en sanglots, parmi des géraniums rouges. Dieu te bénisse, ma fille ! Son père lui avait dit qu'à Barcelone, on viendrait la chercher à la gare, qu'elle travaillerait dans une grande maison, comme bonne, et elle avait senti son âme se déliter. Elle n'avait que treize ans et elle quittait sa maison avec pour seule compagnie une balle au cœur tricolore. Son petit monde, tout à coup, devint immense. Immense et hostile. Elle appuya la tête contre la fenêtre et se laissa bercer par les cahots du train pour oublier la peur. Elle ferma les yeux comme pour cacher ses rêves et ses larmes. Une vie tout juste entamée roulant sur un chemin de fer et de fumée qui l'éloignait de la misère mais la poussait, irrémédiablement, vers un destin de servitude.
Roser Blàzquez Gómez, «Barcelona»,
traduit du catalan par M. Bourret Guasteví.