mardi 22 septembre 2015

Un journal de Gide

à S. R.

Le carton s'effiloche et se gonfle,
la couverture de plastique n'est plus.

Le Journal de Gide crie son silence sur
le formica blanc qui borde les Allées,

entre une grammaire espagnole et un roman
pour enfants ; la Pléiade a délaissé les

rayonnages distingués où s'ennuient ses
congénères. À qui a-t-il appartenu ce journal

finiséculaire ? Qui l'a tenu entre ses doigts
jusqu'à en peler le cuir fin. Journal d'un soir

pour moi, d'une vie pour celle ou celui que la mort
où le vol déposséda, je me prosterne et flaire les

reliefs passés de tes sueurs anciennes. Mon Dieu est 
bien de ce monde, nulle ferraille à un bois ne le cloua.

Il passe de main en main, se reproduit de bouche à
oreille, portant un peu de l'inénarrable humanité que

le texte ne dira jamais mais qu'il manifeste aux yeux
de tous. «Ecce liber. Homo vester sum». Que s'envolent

les mitres comme celle de l'infâme Cañizares, c'est tête nue
que je quitte les allées, laissant le Journal à un acheteur

anonyme qui en prolongera l'usure douce, mêlant sa sueur 
à celle du lecteur originel qui tressaillit en l'achetant.