lundi 28 juillet 2014

Une chaussette

Noire, empoussiérée, raidie par l'ombre
lente derrière la machine, elle attend
ma main qui la libère. Pourtant ce n'était

pas elle que j'étais venu chercher mais le
petit ballon de basket de mon fils. Je la porte
à mon visage, elle ne sent plus rien et le temps

semble l'avoir abandonnée, comme l'avait abandonné
sa sœur de fil d'Écosse dont je ne sais plus rien.
Je ne porte que des chaussettes noires, ou presque,

pensant, naïf, centrecarrer ma distraction, mais les
noirs diffèrent et les chausettes se dépareillent.
Dépité, j'enfile mes espadrilles, plante nue et libre.

Le moulinet

Le matin est gris, les couleurs pâles,
le moulinet ne cesse de tourner, à l'oblique
dans son lopin de terre. J'ai jeté ma montre
hors du gousset et je ferme les yeux à mon écran.

Mon temps, c'est lui qui me le donne, dans ses
grandes envolées au hasard d'un souffle. Quand
il s'arrête, la vie reprend son cours : lointains
camions, coqs enroués. À ses côtés, le petit l'imite.

On le croirait son enfant, il fut le premier, empoté à
la verticale avant qu'un tourbillon ne le couche.
Petits moulins, que font la pluie et le beau temps,
adoucissez nos vies et accueillez des hommes les petits.

samedi 26 juillet 2014

Hadrien a la gatzoneta / Hadrien accroupi

La foto no és meva i la badia
que omple el fons és la de Roses.

Hadrien vesteix una de les seves
samarretes que ja són história.

Mira sa mare amb amor. No sé res de
la foto, n'endevino el moment: el

capvespre. La platja és buida, els grans
molls i gruixuts. Fa seixanta anys, la seva

àvia, que tant l'estima, s'hi trobava, amb
la seva cosina. Les colines no portaven

cases i l'aigua semblava sense fons. Estimo
ma mare i encara més m'estimo el meu petit ja gran.

***

La photo n'est pas de moi et la baie
qui remplit le fond est celle de Rosas.

Hadrien est vêtu de l'un de ses
t-shirts qui sont déjà passés à la postérité.

Il regarde sa mère avec amour. Je ne sais rien de
la photo, j'en devine l'instant : 

le soir. La plage est vide, les grains
mouillés et grossiers. Il y a soixante ans, sa

grand-mère qui l'aime tant s'y trouvait avec
sa cousine. Les collines ne portaient pas

de maisons et l'eau semblait sans fond. J'aime
ma mère et j'aime encore plus mon petit devenu grand.



vendredi 25 juillet 2014

Entre freda i tèbia / Entre froid et tiède

a l'Àngel Mifsud

Em recordo de la sorra freda,
a Binibeca, a la matinada.
S'aixecava el sol lentament,
com després d'una mona de
pomades ben fresques.

Els grans eren gruixuts i embarassaven
els passos. Ara m'imagino la platja
sonora i tèbia. Arriben els primers
turistes i les gavines ja se n'han anat
a l'illa de l'Aire.

La sorra tèbia invita al bany i al passeig.
No tan sensual com la calenta, esbossa l'amor,
sense mai pronunciar-ne el so. La deixo penetrar
i retrobo els meus records d'adolescent on el
demà ja formava part d'un avui tremolós.

***

Je me rappelle le sable froid,
à Binibeca, au petit matin,
le soleil se levait lentement,
comme après une bonne cuite de gin
et de citron bien frais.

Les grains étaient épais et entravaient
les pas. Maintenant j'imagine la plage
sonore et tiède. C'est l'arrivée des premiers
touristes et les mouettes sont déjà parties pour
l'île de l'Air.

Le sable tiède invite au bain et à la promenade.
Moins sensuel que le chaud, il esquisse l'amour
sans jamais en prononcer le son. Je le laisse pénétrer
en moi et je retrouve mes souvenirs adolescents où 
demain faisait déjà partie d'un aujourd'hui tremblant.

Procrastination

Le vilain mot que voilà, qui réveille
le latiniste des classes terminales.

Belle excuse, rocailleuse en bouche,
pour justifier le farniente honteux.

Alors, oui, je procrastine (soyons
barbares) et je remets à demain

ce que je pourrai faire aujourd'hui.
Mais toujours avec un soupçon de

nostalgie, une nostalgie pressentie, car
si je remets à demain ce que je devais

faire aujourd'hui, c'est pour donner à ces
heures une épaisseur que le temps cruel leur vole.

jeudi 24 juillet 2014

Un château de sable

Vendres n'est pas Deauville
et je suis maladroit. Mon fils
petit remplit le seau que je tasse

à la main. Je le renverse et dois
le rafistoler. Il est déjà reparti et
les seaux se succèdent. Une deuxième

tour, un rempart façonné à quatre mains,
puis une troisième et une quatrième. J'impose
des modèles qu'il rejette. Pourquoi une cour

creusée au centre ? Il comble et tasse le carré
circonscrit par les tours, puis en ajoute une
cinquième à l'arrière. Ah la belle étoile que voilà.

Les flots lents du soir n'en auront pas raison et dans
un geste ultime, il foule au pied la belle ouvrage
partagée. À quand le prochain ? En Catalogne, peut-être.

mercredi 23 juillet 2014

Diàleg / Dialogue

- Ets un camaleó, ets camaleònic,
canvies d'estil i de motius segons
la cursa del vent.
- Ho creus? De veritat?
- I tant! Ets un desastre poètic. Qui pot
creure en les teves paraules?
- Tens raó, és la meva feblesa. Però també
és la meva força.
«Yo no digo mi canción,
sino a quien conmigo va».

***

- Tu es un caméléon, tu es caméléonique,
tu changes de style et de motifs selon
la course du vent.
- Tu crois ? Vraiment ?
- Je veux ! Tu es un désastre poétique. Qui peut
croire à tes paroles ?
- Tu as raison, c'est ma faiblesse. Mais c'est aussi
ma force.
«Je ne dis ma chanson
qu'à celui qui m'accompagne». (final du Romance de l'infant Arnaldos)

Anar més enllà

Més enllà del que sóc,
dels meus gustos i desitjos.

Per terres desconegudes i plaers
sense tastar. Fa poc, parlava del
mot "viatges" en català; un amic

meu em contestà que els catalans
solien viatjar. Jo viatjo poc i molt.
Em passo el temps sobre les carreteres.

Vint-i-cinc mil quilòmetres des que em comprí
un cotxe de segona mà el setze de novembre.

Però solc fer sempre -o quasi sempre- els mateixos
trajectes: Montpeller on treballo, els Alps on viu
mon fill gran, Perpinyà on són mos pares, Barcelona,

la meva ciutat tan estimada on somio i bec del món.
Ara necessito d'altres mons, d'altres terres, d'altres
mots i d'altres percepcions. On vaig? No ho sé. Veureu.

Un petit café ?

J'aime attendre la question, la quêter
sur le sourire qui m'accueille ; alors
l'envie me prend de répondre de façon
faussement convenue. «- Pourquoi pas ?»
ou «- Va pour un café». Et c'est parti
pour cinq bonnes minutes.

Si l'on me donnait un euro pour chacun
des cafés que j'ai bus dans ma vie,
je serais millionnaire. J'en ai bu dans
des restaurants de grand luxe, à la sauvette
dans des bistrots de port, chez des mondains
coincés et chez des gens simples et profonds.

J'en ai bu de serrés et odorants et des allongés
insipides, des brûlants à Paris, et des glacés
à Grenade. Mais partout la même chaleur. Alors
quand on me propose un café, spontanément ou au
débotté, je me précipite et partage avec reconnaissance
ce beau moment d'humaine complicité.

mardi 22 juillet 2014

Le poisson d'or

Il mijote doucement sur un coin du fourneau,
l'enfant ne cesse de parler, insensible au
fumet qui envahit la pièce et convoque le monde.

Sa mère, d'une voix douce l'appelle, il s'assied,
joue avec sa fourchette et le petit couteau de fantaisie
qu'elle a disposé pour qu'il fasse comme les grands.

Il mange sans s'arrêter de parler. Puis il lève les yeux
et demande : "- C'est quoi, maman ?" "- C'est de la dorade,
mon fils, un poisson plus précieux que de l'or"
. L'enfant

éclate de rire. "- C'est vrai, maman ?". Sa mère lui répond
d'un geste ; alors l'enfant s'exclame : "- S'il vaut si cher,
maman, on pourrait le vendre et aller prendre des nuggets à Mac Do !".

lundi 21 juillet 2014

Voyages, viajes, viatges

J'aime les voyages,
me gustan los viajes,
però els viatges
m'agraden encara més.

Mastego la paraula i
me l'empasso lentament.
Ensordida per la t que
la preced, la g invita

a tornar enrere, a reflexionar
sobre la relació entre una llengua
i la nació que s'hi mou, riu i plora.
Viatges no té res a veure amb viajes.

Res de res. L'arrel comuna és una trampa,
un miratge. Fa segles que els catalans viatgen
cuando viajan los españoles. Per favor deixeu
decidir els catalans. Je voyage déjà à leur côté.

Parlar, per fi? / Parler, enfin ?


He escrit tant i he parlat tan poc;
amant de les paraules, incansable
buscador de mots oblidats o rars,

he deixat passar l'alè de la vida;
el vent que bufava pel meu teclat
sonava fals i els sentiments es

fonien si és que els vaig tenir un
dia. Cançó desanimada amb mots
senzills de la tribu, aquestes

quatre estrofes em volen ensenyar
un camí nou, seguint les petjades
del conco Sindo per sa sorra calenta.

***

J'ai écrit tant et j'ai parlé si peu ;
amant de paroles, infatigable
chercheur de mots oubliés ou rares,

j'ai laissé passer le souffle de la vie ;
le vent qui courait sur mon clavier
sonnait faux et mes sentiments se

fondaient si tant est que j'en aie eu un
jour. Chanson découragée avec les simples
mots de la tribu, ces quatre strophes

veulent me montrer un chemin neuf,
dans le sillage des pas de
mon oncle Sindo sur le sable chaud.

Traduire l'urgent

Ces jours derniers, ma boîte
bruisse de courriels croisés.

À moins de quatre mois de la
consulation catalane, on me
sollicite pour traduire des

contenus qu seront publiés sur
le WEB. Humble tâche, tâche pourtant
essentielle où l'on doit s'effacer

devant l'urgence de l'entreprise.
Rien n'est plus éloigné de la traduction
littéraire que j'affectionne. Nulle question

de mouler son style dans celui de l'auteur qui,
toujours prime. Non : la vérité, l'âpre vérité,
comme disait Danton. Et pourtant, à une maladresse,

devant une coquille ou une faute, je sens vibrer
l'âme de qui rédigea et je souris devant une
entreprise qui jamais n'efface de l'homme la

singularité.

Le marchand de sable

Cela fait longtemps que je ne crois plus au
marchand de sable qui accompagnait Nounours
dans ses tournées pour endormir les enfants
à la fin de l'histoire.

Et pourtant, ce matin, je me suis réveillé
les yeux crissant de grains de plage, comme
ma bouche, hier encore, crissait du sable
des couteaux grillés à la poêle.

Il ne servit à rien de baigner mes yeux d'onde
claire, le sable était toujours là, vestige des
rêves lancinants qui me tinrent à demi-éveillé
entre printemps et automne.

dimanche 20 juillet 2014

Les heures

C'était il y a bien longtemps. Mon frère et moi,
nous tenions silencieux dans le salon tendu de
coton rose fané. Nos parents rendaient visite

à de très vieux amis, à Trouillas. Les heures
s'écoulaient lentement, au gré du balancier de
laiton de l'horloge murale. Immobile, hypnotisé

par la lenteur circulaire du laiton, je m'abîmais
dans les récits de la Grande Guerre que le Monsieur,
qui y fut adjudant, répétait invariablement.

Les années ont passé, les horloges se sont tues, même
dans les musées, et aujourd'hui encore, quand je vis
à plein un moment trop bref, j'aimerais y retourner

Sable mouillé

Le sable n'est plus chaud, il refroidit sous la pluie de juillet. Les pas des flâneurs s'effacent derrière la vitre où s'attriste le regard de l'enfant. Le seau, les jouets, les brassards attendront longtemps dans le coffre. La voiture file. Retour vers la maison où d'autres jeux se combineront et ce n'est qu'à la nuit tombée que l'or du sable chaud, libre, baignera ses yeux qu'il frottera nostalgique au réveil.


samedi 19 juillet 2014

Incongru

La jeune fille rit de me voir.
Elle est grande et mince, elle
chante en espagnol. Son regard

se porte plus à gauche. Sur le
trottoir, de l'autre côté des
arbres et de la route marche

un jeune homme aux cheveux ondulés
et brillants. Plus petit, plus
ramassé. Il chante le même air

sur un ton plus grave. Le temps
les emporte tous deux à leur rythme
et me rend à ma plaisante incongruité.

Du pareil au même ?

Ils sont deux, nous sommes deux.
Ils, ce sont un père en pantalon
d'hiver et une fillette en leggings.

Nous, mon fils de cinq ans et moi.
Nous jouons avec un ballon de cuir
jaune à combiner les règles du basket

et du football. Le match se jouera en
quinze points. Malgré l'orage qui gronde
au loin, l'après-midi s'écoule paisiblement.

Ses sandalettes et mes espadrilles bariolées
frôlent la balle comme dans une danse improvisée.
Eux se tiennent courbés au pied d'un conteneur

qui déborde d'habits sales. La petite trie les
pantalons dont l'homme fouille sans succès les poches.
Pris par le jeu nous rions et déjà ils ne sont plus.

Un pont de granit

Non pas entre présent et passé,
mais entre passé et passé : un pont
de granit traversé à pied, en vélo,
en voiture, il y a si longtemps.

Ouvrage d'art soigné, sans égard
pour l'humble terre de chaumes ni
pour le ru enjambé. Je serais bien
incapable de le retrouver sur l'Aubrac

du côté du Bouyssou, entre Laguiole
et Saint-Urcize. Mais un pont qui prend
sens aujourd'hui où le besoin tenaille
de relier les événements d'un passé

trop longtemps vu dans un kaléidoscope,
sans égard pour la richesse des gens
croisés ni la merveilleuse singularité
des événements partagés.

Une coquille

L'enfant regarde sa grand-mère
disposer les fruits de mer au fond
d'une coquille, les napper de béchamel,
les saupoudrer de chapelure et de râpé
puis les enfourner d'un geste sec.

Quel âge ont ces coquilles, à chaque fois
grattées, lavées puis réservées au fond
d'un placard aveugle ? Ont-elles jamais vu
la mer dont elles gardent le sel séché ?
L'enfant regarde la cuisson

derrière la vitre éclairée. La surface de
la coquille danse et se dore, des bulles
montent qui jamais n'éclateront. Il se méfie,
partagé entre le spectacle fascinant et la crainte
du repas à venir.

Il ne tiendrait qu'à lui, il choisirait plutôt
de Saint-Jacques la reproduction en plastique
blanc noyée de sucette amarante, un roudoudou,
dirait son père, avant de s'en pourlécher le
sourire et de fermer les yeux.

vendredi 18 juillet 2014

Ravachol

J'apprends à l'heure où les mouettes lèvent
le deuil de la nuit sans sommeil que Ravachol
naquit tout juste un siècle avant moi.

Vertige du temps qui file, j'en aurais bien donné
une paire. Mais non, le voici un presque contemporain.
"Que sont les siècles pour la mer" dit la sagesse grecque

reprise par Gallo. Moi je pense à une lame froide qui en
coupa le fil un jour de quatre vingt douze alors qu'il me
restait à vivre sur terre encore quelques années.

Brètols

Ja no suporto aquests brètols
que s'enduen la meva ciutat
blanca. Uns inconscients els

elegiren un dia i ja es creuen
autoritzats a imposar el caos,
amb hac de falsa etimologia

o no. Fa gairebé un segle, mon
oncle adorat dibuixava amb
carbonet des port sa cala Figuera.

Ara mon amic Miquel m'hi mostra
un desastre de formigó trencat i
de filferro patint. Ploro amb ell

la meva ciutat tan estimada.

dimanche 13 juillet 2014

Une rencontre

La farandole met le parterre sens dessus dessous,
on rit et, de n'oser chanter, on fredonne entre
ses dents. Tu es à mes côtés, toute de noir vêtue,
notre fils tressaille que la vielle et l'accordéon

entraîne. Nous ne nous léverons pas et ne nous joindrons
pas à l'antique farandola de Besièrs, la reportant à 
l'anh que ven. Soudain une jeune fille troue l'assemblée,
yeux clairs étincelants. On la jurerait étrangère à la joie

alentour. Lui, cheveux frisés, barbe épaisse et yeux de jais,
feint de ne pas l'avoir vue et de s'étonner de sa présence
soudaine. Ils s'étreignent, le torrent de paroles les submerge

et la farandole les bouscule avant de reprendre ses méandres
anisés. Ils n'en ont cure. Étrangers au paradis ? Je ne sais
et détourne le regard, les laissant à leur joie. Je te tiens la
main. Tu n'en sauras rien jusqu'à cette heure où je t'écris.