lundi 27 novembre 2017

Les dues serps del teu nom

Són dues. Amigues i alienes,
no es miren mai als ulls,ni es 
freguen les seves llengües agudes.

L'una és groga, com d'or fos, barrejat
amb sorra fina. L'altra és tan vermella
que es diria de sang fresca i verge.

Quan comença a fosquejar, arran de l'aigua,
trenen els seus cossos humits i silenciosos.
Només se senten els casacavells de les escames.

Remor celestial que necessita una altra llengua,
ultramontana i un combat de cada dia, la ment
en les arrels perdudes i, per fi, retrobades.

vendredi 24 novembre 2017

Quand tu sentiras

Sur quelques vers de Salvat Papasseit

Quand tu sentiras ma bouche,
s'approcher de la tienne, à pas
feutrés, retiens ton souffle,

ferme les yeux en découvrant
le drap. Je te prendrai toute et
ne voudrai te laisser. Le café

brûlant pourra bien attendre.
Je chercherai en son grain
refroidi la peau de ton épaule,

la tiédeur de ton cou. Tu dormiras
alors, clarté abandonnée à la main
ouverte, et je voyagerai heureux

dans chacun des sillons de ta paume
comme ces jeunes amants nés
à la passion, au tournant d'une nuit.

jeudi 23 novembre 2017

Une autre maison

Toute votre vie, vous avez marché,
de maison en maison, dans le même
village ou à travers la France.

De petits appartements, des villas
lumineuses, à la ville comme aux
champs. Partout, vous avez laissé

votre odeur, ce parfum qui n'appartient
qu'à vous et qui fait rougir le serpolet
et pâlir la lavande. Le fumet de la daube

se réchauffant à petits bouillons sur un
coin de gazinière, l'entêtant parfum de
fleurs d'oranger des navettes façonnées

par vos mains ou celles qui vous accompagnaient.
Une autre maison vous accueille, aujourd'hui.
Oh non, pas celle où vous vous réunissez pour

écouter Marianne et vous abreuver à sa sagesse
souriante. Non, celle des aquarelles vives et
des poèmes légers. Toute votre vie, en un mot.

mercredi 22 novembre 2017

La solitude du grutier

La cabine est petite. De verre.
Le monde, à portée du geste de
la main, est inaccessible.

Il fait chaud malgré le givre extérieur. 
Il a gravi les soixante-dix degrés 
de l'échelle il y a si longtemps 

que le souvenir lui en semble flou. 
Ses gestes sont précis mais il a oublié 
le goût de la terre qu'il convoie.

Il est un rouage, un simple rouage,
et il ne le sait plus. Loin, si loin,
l'immeuble s'élève. Un autre grutier

dont la flèche est parfois parallèle
à la sienne y contribue. Il ne le
connaît pas. Se sent-il aussi seul que

lui ? Main gauche, main droite, le regard
froid. Fixé sur le geste du compagnon
d'infortune en bas, moins payé et qui rêve,

qui sait, à gagner les hauteurs et un meilleur
salaire. Sait-il, au moins, comme lui-même le crut, 
jadis, que le ciel ne se gagne pas du haut d'une grue ?

dimanche 19 novembre 2017

Una senyora / Une dame

Demà faré anys. A les tres de la tarda en punt.
Molts anys. No massa. No tant com el cumul dels 
anys dels meus fills adorats.

Demà faré anys. Encara em queda una mica de temps
per parlar-vos d'una senyora que alguns de vosaltres
coneixen: la Maryse, ma mare. S'acabaven les últimes

setmanes d'un deceni sense guerra -a ca nostra, almenys,
perquè pertot arreu, fins i tot per culpa nostra, el món
sagnava-. La Maryse havia deixat el cafè càlid dels seus 

pares per seguir el seu marit, com Déu manava, aleshores.
No va menjar gaire. Els primers anys van ser de molts estalvis
i pocs somriures. De mica en mica s'omplia la pica, m'estava

esperant, ben lluny de sa mare que patia malalties del cor.
Era un dijous, al vespre. A casa hi havia la seva cosina.
Xerraven, fumava la cosina, la mare l'escoltava enraonar.

Afora queia un lleuger plugim i es creuaven lents paraigues
foscos. La gent preparava la Sant Nicolau, Nadal quedava ben
lluny. Xerraven en maonès, açò m'imagin. T'estim tant, mare!

***

Ce sera mon anniversaire demain. À quinze heures pétantes.
J'aurai un certain âge. Pas encore le grand. Pas autant que 
la somme des années de mes enfants adorés.

Demain, ce sera mon anniversaire. Il me reste encore un peu 
de temps pour vous parler d'une dame que certains d'entre-vous
connaissent : Maryse, ma mère. C'étaient les dernières

semaines d'une décennie sans guerre -chez nous, tout au moins,
car partout ailleurs, et même par notre faute, le monde
saignait-. Maryse avait laissé le café chaleureux de ses

parents pour suivre son mari, comme il était alors de rigueur.
Elle n'a pas beaucoup mangé. Les premières années, elle a davantage
économisé que souri. Petit à petit, l'oiseau faisait son nid, elle

m'attendait, bien loin de sa mère qui avait une maladie de cœur.
C'était un jeudi, soir. Chez elle, il y avait sa cousine.
Elles papotaient, sa cousine fumait, ma mère l'écoutait bavarder.

Dehors la pluie tombait fine et de lents parapluies se croisaient,
sombres. Les gens préparaient Saint-Nicolas, Noël était encore bien
loin. Elles parlaient mahonnais, j'imagine. Je t'aime tant, maman !

Un home ha mort / Un homme est mort

Un home ha mort, ben lluny d'aquí.
Un home ha mort i no el puc plorar.

La fredor de parets nues a Castella
me l'impedeix. Hi ha d'altres nits,
tan gèlides com la seva però amb

una consciència desperta, inquieta.
Qui tanca els ulls, no pensa en els 
que es queden, empresonats per ell.

***

Un homme est mort, bien loin d'ici.
Un homme est mort que je ne peux pleurer.

La froideur de murs nus en Castille
me l'interdit. Il y a d'autres nuits,
aussi glaciales que la sienne mais

la conscience éveillée, inquiète.
Celui qui ferme les yeux, ne pense pas à
ceux qui restent, emprisonnés par lui.

Simple

Être simple. Reposer le porte-plume
sur le côté, l'index tout imprégné
des odeurs âpres de l'encre bleue.

Imprimer la paume tiède sur la feuille
froide. Songer aux caresses passées,
au cou délicatement modelé, aux seins

menus et généreux. Attendre encore,
refuser de l'hexasyllabe le couperet
soudain, ou de l'alexandrin la cadence

alanguie, tourner sept fois sa langue
dans sa bouche comme naguère on le fit.
Être simple, une heure au moins. Et rêver.

Conversation

Ne versons pas en palabres sans fin, veux-tu,
renversons les verres de Chusclan et, sur 
le bouquet répandu, laissons, je te prie,

nos nez se verser en politesse, compter
leurs pieds comme on conte fleurette.
De six à douze, de sept en onze. Fuyons

l'équilibre du décasyllabe pour le retrouver
tantôt, au détour d'un rêve éveillé, notre soif 
enfin étanchée dans un étourdissement de sons.

jeudi 16 novembre 2017

Barre au sol

Mystère des arts du sol,
contre le linoléum froid.

La semaine touche à sa fin
et le poêle ronfle dans l'entrée.

Dans la salle, pas de livre, ou si peu.
Le corps déplie ses pages qu'il cache

aux yeux de l'importun. Une heure. 
Pas une minute de plus et le lourd

véhicule t'emportera dans la nuit.
Restera alors, sur ton dos refroidi,

le marbre franc d'un tapis par où tu
passas et sur qui j'écrirai. Peut-être.

mercredi 15 novembre 2017

Et le froid qui fait vivre

Mais que peut donc la nuit,
étrangère à l'enfant
qui rêvasse en marchant
sous la lune qui luit.

Cette enfant a grandi
au sortir de la scène.
Voici la sombre arène,
le contexte béni.

Silencieux bateau ivre,
la marche est un présent
et si proche est l'absent,
et le froid qui fait vivre.

mardi 14 novembre 2017

Griffer le papier

Elle griffe le papier,
d'une écriture serrée.

Les pages se gondolent
sous la sueur de la paume.

Depuis combien de temps
le fait-elle ? Je ne sais,

elle se tait et écrit, lèvres
serrées, nuque courbée. Elle

attend l'âge de femme, jour après
jour, nuit après nuit, elle griffe

le papier en réponse aux insultes
de la mère qui lui giflent la peau

et à la passivité du père dont les
yeux ronds sont des bouches de canon.

Les ans ont passé, la voilà prête et
l'écriture se fait de café et de moka

pour complaire à celle qui jamais ne
giflera sa peau ou ne griffera son papier.

lundi 13 novembre 2017

Una princessa fa anys

Té nom d'arbre de pau i el sol
pentina els seus cabells clars.

Avui fa anys, entre s'àvia i sa mare,
però amb qui es troba més pillina

és amb l'avi Paco que l'ajuda a preparar
s'invitacions per sa festa d'aniversari.

Molts d'anys, princessa Olívia, i que l'or
des teus cabells sigui el far des teu avi!

jeudi 9 novembre 2017

Sommeil volé

Je ne volerai pas tes baisers,
je les ai entre mes lèvres
et sur le côté.

Non, je grappillerai le sommeil.
Pas le tien, que je sais ébréché,
mais le mien qui se plaît à la

troublante discontinuité. D'un
coup de drap, comme une gifle, 
je me lèverai, j'enfilerai mon

peignoir bleu électrique et je
descendrai dans la pièce froide
et silencieuse. Tu l'animeras,

en pensée. Regard de mer d'Iroise
et cheveux de démonne pâle. Je ferai
silence, le cliquetis suffira. Alors

je boirai, à petites lampées, un café
brûlant les lèvres, puis les gelant
au fil de l'écriture. J'aurai alors

une nostalgie, pressentie, celle de
t'en servir un autre, au réveil, dans
une tasse de faïence, tels les mazagrans

de tes origines. Mais pour l'instant,
silencieux, j'écris et je vole au
sommeil la félicité enfin retrouvée.

mercredi 8 novembre 2017

Un amic entre dues espases / Un ami entre deux épées

al tercer fill de mumare

Sa vida m'ha ofert amics. Uns quants.
Preciosos. Mai molts. Mai massa.
M'han construït. A poc a poc.

Sempre he tingut s'impressió de què
em donaven molt més del que els confiava.
Tota sa profusió del món entre unes

poques mans. Quants són? Dos, tres, quatre ?
Ara en tenc cinc amb es meu germanet Alain
de capdavanter. Des del 63 del segle passat.

En Lionel, en Rémi, en Paco,i des de fa mig 
any en Ponç. Aquests són els principals.
Dos francesos i dos menorquins. Entre aquests

cinc dits de sa mà esquerra, sa mà del cor, n'hi ha
un de particular, en Paco. Sempre present. Una veu
dolça, un gran sentit crític, una cultura que no tenc

devora el mar que ens empassarà tots. S'altre dia
li vam trucar amb la classe. Ses alumnes li van fer
preguntes delicades. I ell contestant a totes.

Benèvol, humil, un somriure que no necessita cap
revolució de carrer. Ara m'adon que m'està llegint
i s'emociona. Apa, Paco, et bonne continuation!

***

au troisième fils de ma mère

La vie m'a offert des amis. Quelques uns.
Précieux. Jamais beaucoup. Jamais trop.
Ils m'ont construit. Petit à petit.

J'ai toujours eu l'impression qu'ils
me donnaient beaucoup plus que je ne leur confiais.
Toute la profusion du monde entre quelques

mains. Combien sont-ils ? Deux, trois, quatre ?
J'en compte à présent cinq avec mon frérot Alain
en tête de file. Depuis l'année 1963.

Lionel, Rémi, Paco, et depuis une demi-année
Ponç. Voici les principaux.
Deux Français et deux Minorquins. Parmi ces
cinq doigts de la main gauche, la main du cœur, il y en a 
un de particulier, Paco. Toujours présent. Une voix
douce, un grand sens critique, une culture que je n'ai pas

au bord de la mer qui nous engloutira tous. L'autre jour,
nous l'avons appelé avec ma classe. Les étudiantes lui ont posé
des questions délicates. Et lui qui répondait à toutes.

Bienveillant, humble, un sourire qui n'a pas besoin de
révolution dans les rues. Et maintenant je me rends compte qu'il me lit
et s'en émeut. Allez, Paco, et bonne continuation !

Aquesta nit / Cette nuit

Aquesta nit et parlaré en català.
Anit, no pas «anoche» que en castellà
és enyorança de passat i en català

promesa d'avenir. Et parlaré en català,
i tu no m'entendràs. Amant de les llengües
del nord, se t'escapa el sentit de les meves

paraules. Però ja sé que les escoltes i en esperes
la traducció. Claro, te las podría decir en castellano,
però et parlaré amb la llengua del meu cor que uns cínics,

més de cent cinquanta-cinc, però no tant com una gernació,
la nostra, volen esborrar a cops de porra i gargalls.
Et parlaré en català, i no me'n cansaré, ho saps, estimada.

***

Cette nuit je te parlerai en catalan.
Cette nuit, pas la nuit dernière car en castillan
c'est un regret du passé et en catalan

une promesse d'avenir. Je te parlerai en catalan,

et tu ne me comprendras pas. Amant des langues
du nord, tu ne saisis pas le sens de mes

mots. Mais je sais bien que tu les écoutes et en attends

la traduction. Bien sûr, je pourrai te les dire en castillan,
mais je te parlerai dans la langue de mon cœur que des cyniques,

plus de cent cinquante-cinq, mais pas autant qu'une foule massive,

la nôtre, veulent effacer à coups de matraques et de crachats.
Je te parlerai en catalan, et je ne m'en lasserai pas, tu le sais, mon amour.

Tu m'as accompagné

Tu m'as accompagné tôt ce matin;
tu m'as accompagné et tu t'en es allée.

Ta silhouette s'éloignait à petits pas
derrière la vitre embuée et le train déjà
prenait ses aises. Je ne sais pourquoi,

sans jamais t'en parler, je vis le wagon
comme l'un de ces décors de mauvais goût
des épisodes de la série Colombo. Ses sièges

amarante, un poil guindés, n'avaient rien à voir
avec le jeté de canapé cramoisi qui nous accueillit
un soir pour ne plus jamais nous laisser. Ou si peu.

Tu m'as accompagné tôt ce matin;
tu m'as accompagné et je ne t'ai pas quittée.

Ne me dessine pas

Ne me dessine pas un mouton,
trempe ta plume d'or dans ce
petit encrier de verre épais.

Le liquide y est épais et sombre.
On le croirait de nuit de Chine
mais il est canopée d'Amazone.

Et écris lentement, applique-toi,
le poignet cassé sur le vélin
blanc, forme, en italiques,

les lettres d'un mot de huit lettres :
«Émeraude». Aime rôle et me rôde.
Les lettres danseront et je te tiendrai.

mardi 7 novembre 2017

Un soleil de blé noir

La poêle est de nuit, ourlée de givre.
En son centre, le beurre fond et grésille.
Le maître de maison se tait et s'active.

Il y dépose une fine dentelle de blé noir,
tout ajourée, comme passée par les mains de
mille dentellières. Il la dépose et la retire,

l'oint de beurre, la tiédit puis la chauffe.
Oh la belle muleta et le vaillant matador.
Il n'y aura ni corne ni mort. Simplement,

inexorablement, la profusion de la terre :
andouilles de Guémené, beurre demi-sel, œufs,
compotée de pommes, fromages à foison.

Je le regarde, il ne le sait pas, je l'envie
secrètement car son art n'est pas neuf, toute
une vie et une généalogie le portent. Soleil !


lundi 6 novembre 2017

Une (simple) exigence


Pluies d'octobre

J'ai senti un vacarme
comme celui de la pluie
ou du métal des garde-fou.
De vingt-deux heures jusqu'au quart
une pluie précise de soir en soir.
Un mouvement secret et perpétuel
de temps et de larmes éclatant en sourires et clameur
quand je vis, de mon ample balcon,
que c'étaient les gens
qui donnaient de la cuillère sur l'humble casserole,
des foyers illuminés au crépuscule.

Et il n'est nul repos ces soirs-là ;
il continue de pleuvoir à heure fixe,
aucune trêve pour les marées
faites du matériau des rêves volontaires;
de la volonté des peuples
qui ne permettent que la vie
soit un simple fleuve par la volonté de ceux qui y contraignent;

Il pleut chaque soir
de vingt-deux heures jusqu'au quart
et il ne cessera de pleuvoir
jusqu'à ce que la terre soit toute gorgée de sens !

Emili Sánchez-Rubio
1er octobre 2017
traduit du catalan par M. Bourret Guasteví

samedi 4 novembre 2017

La fredor de la teva mà / La froideur de ta main

M'estàs esperant i encara no ho saps.
Dorms profundament, els llençols,
segons passaren les hores,

es feren de lli fi. Em buscares, sense
despertar-te del tot. Passaren minuts
i hores, la teva mà es tornà de vidre.

M'estàs esperant i aviat ho sabràs,
prepararàs el cafè cremant i la teva
mà s'escalfarà. Al teu costat seré.

***

Tu m'attends et ne le sais pas encore.
Tu dors profondément, les draps,
au fil des heures,

se tissèrent de lin fin. Tu me cherchas, sans
te réveiller tout-à-fait. Les minutes passèrent,
les heures, ta main se fit de verre.

Tu m'attends et bientôt tu le sauras,
tu prépareras le café brûlant et ta main
se réchauffera. Je serai là, à tes côtés.

vendredi 3 novembre 2017

Un pirate au réveil

Le teint halé, paupières sèches,
il dort. À l'oreille, un anneau mat
te parle d'Orient. Tu t'approches

mais n'oses l'embrasser. Sa barbe
claire est celle d'un homme et si
loin sont ses rêves. Tu l'imagines.

Il est bien sur le chemin de la vie.
N'était la lande bretonne, tu jurerais
qu'il étudie aux îles sous le vent.

jeudi 2 novembre 2017

«...con te nel core, in luce...»

in memoriam P. P. Pasolini

unes poques paraules. Sis.
Senzilles, tan crues com
la vida i tan fugaces.

La fredor de la platja,
han fugit les estrelles.
Només roman la lluna.

Silenciosa, gèlida. Un ull
enorme que demana justícia
per un cos i unes nafres

inesborrables. Più nessuno
lo porterà nel sud. Vora
el mar una noia plora.

***

Quelques mots. Six.
Simples, aussi crus que
la vie et aussi fugaces.

Le froid de la plage,
les étoiles ont fui.
Il ne reste que la lune.

Silencieuse, glacée. Un œil
énorme qui demande justice
pour un corps et des blessures

ineffaçables. Jamais plus personne
ne le mènera dans le sud. Au bord
de l'eau, une jeune fille pleure.

Une table de formica blanc

Étincelante sous la lampe basse du salon.
Il fait froid. La nuit, naguère de mille
feuilles, s'est faite de silence.

Vingt-quatre ans d'amour dorment dans quatre
lits harassés. Le jour n'est pas encore là,
avec les occupations de chacun, sur les routes,

ou dans le souvenir. Je me plais à imaginer ce
que fut cette table hier soir, à l'heure où
des Français sans fantaisie avaient expédié 

le dîner depuis des heures déjà, sur une table 
sombre de chêne lourd. Marinade lente, couverts
dressés, vins fins et rires pétillants. De cela,

rien ne demeure. Ou, du moins, l'air frais le laisse
croire. J'y perçois un délicat parfum de ripaille
et les rires ronflants des convives endormis.

mercredi 1 novembre 2017

Un pan de mur rouge

Le guéridon froid, de travertin
moucheté, est jaloux. La faïence
le boude. Elle n'a d'yeux que pour

toi. Cyclopéenne surface de moka
brun. Tu es nonchalamment
installée, regardant amusée le

photographe improvisé. N'était
le cramoisi des murs, on jurerait
que tu poses. Mais non, mon sang

est de papier peint, à ton image, et
le grand théâtre du monde peut
bien aller voir ailleurs si j'y suis.

Avec toi, ma Diane bleue, la vie
est plus qu'un songe : le lent
écoulement d'un fleuve de baisers.