mercredi 22 novembre 2017

La solitude du grutier

La cabine est petite. De verre.
Le monde, à portée du geste de
la main, est inaccessible.

Il fait chaud malgré le givre extérieur. 
Il a gravi les soixante-dix degrés 
de l'échelle il y a si longtemps 

que le souvenir lui en semble flou. 
Ses gestes sont précis mais il a oublié 
le goût de la terre qu'il convoie.

Il est un rouage, un simple rouage,
et il ne le sait plus. Loin, si loin,
l'immeuble s'élève. Un autre grutier

dont la flèche est parfois parallèle
à la sienne y contribue. Il ne le
connaît pas. Se sent-il aussi seul que

lui ? Main gauche, main droite, le regard
froid. Fixé sur le geste du compagnon
d'infortune en bas, moins payé et qui rêve,

qui sait, à gagner les hauteurs et un meilleur
salaire. Sait-il, au moins, comme lui-même le crut, 
jadis, que le ciel ne se gagne pas du haut d'une grue ?