mercredi 31 août 2022

Et la nuit est venue

Et la nuit est venue,
la conscience épurée,
le souffle serein

des amants harassés.
La nuit bleue. Unie.
Une ouate silencieuse

où s'étouffaient les bruits
du dehors, les insaisissables
mots de la tribu, bousculés,

galvaudés, érigés en monuments,
alors qu'il est si simple de
laisser venir la nuit...

Punts de pàgina

Punts de pàgines atzarosos,
trobats per lectors curosos
entre milers de llibres comuns.

Alenades de vida, gests urgents
de qui vol aturar-se en un mot,
una frase, o que criden a fora.

Tiquets de compra, velles entrades
de museu parcialment estripades,
un bitllet de banc arrugat, una flor

mústia amb olor de canyella. L'amor,
l'odi, l'avorriment, el desig, la por
i l'angoixa, entreteixint-se silents.

Elogi trilingüe (FR, CAT, ÒC)

Éloge de la rentrée

Les enfants somnolent,
les cahiers sont neufs.

Sur le tableau propre,
la mouche bleue écrit.

Dans la poche du petit,
un petit bout de craie.

***

Elogi de la tornada

Dormisquegen els nens,
els quaderns són nous.

A la pissarra neta,
la mosca blava escriu.

Dins la butxaca del petit,
un petit tros de guix.

***

Elògi de la dintrada

Somelhan los mainats,
los quasèrns son nòus.

Al tablèu net,
la mosca blava escriu.

Dins la pòcha del pichon,
un pichon troç de greda.

El borinot moribund

Ja no vola el borinot,
arrossega les ales grises
per la vorera rugosa.

Sense rumb ni alè. El nen
el mira llargament, baixa
de la bicicleta i l'evita.

Quin dolor en els seus mots!
El borinot ja no porta fibló,
sinó un cor que el trasbalsa.

Pages et voix

Mes lèvres sur tes pages,
et ma voix dans ta voix.

Sur les pages que tu lis,
sur la feuille que tu écris.

Dans la voix qui s'aventure,
dans ta voix qui me saisit.

mardi 30 août 2022

Parallélitude

Deux navires voguant
de conserve, d'est
en ouest, puis d'ouest

en est. Vent espiègle
qui déroute et confond.
Amour sans altitude.

Latitude de l'amour,
contre vents et marées.
Parallélitude.

Une plage de confettis

Une plage de confettis,
semés pendant la fête
et que l'on retrouve

esseulés sur le carreau
noir de la nuit. Pièces
de couleur, Arlequin

mis en pièces. P'tits trous
du poinçonneur des Lilas
abandonnés sur le quai.

La pau dels cors

Apa, deixa el que fas
i parla'm de la pau,
de la pau dels cors.

La pau dels cors és...
...és una bufada, 
un buf breu, definitiu,

un hàpax que no viurà
mai més, un llum blanc
que uneix pel camí.

ἅπαξ λεγόμενον

hápax legómenon,
la bouche s'ouvre,
le lâche, se clôt.

Mot rare, oublié
par le lecteur
empressé,

et qui resurgit ,
au débotté,
sous les yeux,

d'un curieux
désœuvré.
Rose éclose.

Peur de se perdre

À B. P., en sympathie

Elles n’ont d’yeux que pour la peur de se perdre.
Que le décasyllabe, valéryen, est beau, qui glisse
sous l'inquiétude, comme la main aimée sur la peau.

Conscience aiguë d'une communication qui ne passe plus,
quand les interlocutrice, anticipant leur départ, jettent
l'ancre dans les eaux noires de l'angoisse.

L'objet et le sujet ne font alors plus qu'un, enchaînés,
et la peur entrave les muscles et obnubile le regard,
depuis le matin hésitant jusqu'à la nuit la plus épaisse.

Presó d'amor?

Serà la versió moderna de la presó d'amor
medieval? Una bústia petita, sepultada dins
d'un  cadafal de formigó emblanquinat,

amb una porteta tancada amb clau. Racó
ombrívol, a recer dels vents malèvols per
a guardar-hi cartes d'amor oloroses,

amb adreça escrita a mà o sense. Alenades
discretes, besos closos, sintaxis de l'amant
cap a una amada o un amat somiat.



dimanche 28 août 2022

Fixité rudérale

La girouette devient folle, qui grince
sous les sautes d'humeur du vent espiègle.
Si les nuages avancent d'un pas de sénateur,

les herbes folles que le hasard a perchées
haut, se serrent et s'immobilisent d'un seul
tenant, conscientes de la chance unique

qui leur a été offerte. Émus, bouleversés,
les nuages noircissent soudain, déversant
leur amour pour ces filles perdues.



Harmonia del caos

M'agrada l'harmonia del caos
que voreja el camí. Les pedres
maquillades de molsa seca

fan gresca amb la mala herba
de cabellera descolorida. Silenci
de l'espera. Però si t'atreveixes

a enfilar-t'hi segur que cauràs
rodó i al moment, començarà
la disco infernal del conjunt.



La grammaire des pierres

Mur cyclopéen en petit, la paroi cathare
perd peu à peu ses pierres du devant.

Précieuse imperfection de la construction
séculaire des Parfaits.

L'harmonie de l'hasardeuse disparition
fait songer à une portée musicale, ou,

plus exactement à une syntaxe fixe,
régissant chaque respiration du vent

d'entre les roches domestiquées. Sous
l'alphabet des nuages qu'elle complète.



Cœur de pierre et de verdure

Un cœur de pierre, de vent et de verdure,
lentement façonné par les siècles, irrigué
par les averses soudaines et la sueur des

marcheurs harassés. Un guide, un pôle,
pour le ciel immuable et cent nuages
irréfléchis. Un cœur tendre de pierre

dure, granit cristallin, d'or, de diamants
d'où la Catalogne regarde les siècles 
à venir, avec confiance et sérénité.



vendredi 26 août 2022

L'enfant de ta présence

Je portais l'enfant le plus ressemblant
qu'elle pût me donner d'elle :
je portais l'enfant de sa présence.
                             Violette Leduc

Sotte étymologie qui dénie à l'enfant la parole
mais conduit à faire naître de l'amour de deux êtres
un être neuf, fruit de la langue et non de la chair.

Béatitude de ta présence, dans les mots ou le silence.
Tes sandales heurtent un caillou du chemin et c'est
toute une société qui se dévoile sous le minéral,

et, bientôt, la source fraîche qui conduit au ruisseau
où tu te déchausses et cours, en riant et moquant
la poule mouillée que je suis resté, malgré toi.



La chair de notre chair

La main devient chair 
                    chair de notre chair,
quand, ouverte 
                                     au moindre bruit,
elle caresse la glaise, 
                            encore dure.
Secondée 
                par le tour 
                        et l'air ambiant,
moite, 
la main s'enhardit
                    et donne à
l'argile naguère inerte 
                        la tournure
                                    de la main 
de la servante qui emplit
                    sa cruche à la source vivifiante,
sans qui nulle chair ne serait.

Échanges

Échanges tus, échanges gardés,
précieusement, par devers soi,
par respect, inavoué, pour ceux

que l'on aime, qui nous ont guidés
et que l'on convoie à présent, dans
des couloirs que l'on sait blancs

sous notre main et notre confiance.
Beauté du silence qui dissimule
l'échange véritable et sans égal.

Obre el llibre

Obre el llibre, 
a qualsevol
pàgina,

i llegeix,
en veu alta,
com si cada

mot fos xifra.
Tot serà nou,
res serà buit.

Entre dos aniversaris

Entre el fill i l'estimada,
el ros i la bruna somrients,
saltirono amb un peu.

Del vint deixo la vellesa
i del sis i del set em guardo 
la infinita bellesa.

Hi ha tant que fuig dels mots
i tant que en surt, com l'amor
que els tinc a tots dos...



La graisse des pauvres

Pas la mauvaise graisse que l'on traque
dans les ministères. Non. La graisse
de ceux que j'ai vu traverser tristement

la rue, ce matin, à Elne. Je les ai salués
en silence et je veux leur rendre hommage,
à présent. Famille unie, chichement vêtue,

se nourrissant à la hâte, en quantité, car
la qualité, le bio, c'est pour les aisés,
pas pour eux. Eux, ce sont les frites grasses,

les sauces colorées, les boissons si gazeuses
que les papilles ne peuvent plus apprécier
que la satiété. Honneur indigne de la société.

Le bruit des pensées

Le bruit des pensées incessantes
couvre le silence et bat aux tempes.

Et il n'est de nuit qui repose du jour,
dans ce tumulte des sons et des idées.

Par bonheur parfois l'esprit galope
et s'envole, Pégase de coton blanc.

On rêve alors d'une pervenche
et d'un grand lait fraise frappé.

jeudi 25 août 2022

Frontera ofegada

La frontera ha desaparegut
sota les teves botes verdes.

Un toll fangós s'hi substitueix,
mirall borrós d'un cel que no coneix
demarcacions autoritàries i absurdes.

La frontera ha desaparegut
i ja saltes dins del fang.

Danse de pluie

Mets-toi à l'abri et tire
de ta poche la livre mince
que tu y as glissé.

Ouvre-le, renifle-le, caresse,
du bout de ton nez, le vélin
sec et même-le à l'averse

qui vivifie la nature sous
tes pieds. Sens-tu combien
les lettres dansent, désormais ?

Finestres obertes

Un món nou neix i s'imposa.
Pluja d'agost, fresca, pesada,
que alenteix cotxes i passes.

Emmudeixen els ocells, tret
d'alguna tórtora agosarada
que no tardarà a callar.

He deixat les finestres obertes,
de bat a bat, per figurar-me ja
la imminència de la tardor.

mercredi 24 août 2022

L'aube tressaillait dans leurs rêves

L'aube tressaillait dans leurs rêves
une aube laiteuse, encore ensommeillée,
froissée, çà et là, par de timides

chants d'oiseaux déboussolés. Prodigue,
La nuit offrait au rêve insomniaque,
quelques heures de répit, de silence.

Après viendrait, le réveil, le café
brûlant, et les bruits de la ville.
Plus tard, oui, mais pas tout de suite.

Élégance du soir

Élégance du soir,
qui se fait, peu à peu,
dans la tiédeur des feuilles.

Mon dos, contre un arbre,
cherche son double, le trouve,
s'y repose et j'écris. Sans plume

ni carnet. Dans ma tête alanguie.
Balai de moucherons et longues
files indiennes de fourmis affairées.

L'amour et la peur

L'amour et la peur, principes
antagoniques, irréconciliables.

Je n'aime ni l'amour de la peur
du funambule qui flirte avec

la mort, ni la peur de l'amour
de celle qui se donne à Dieu, 

par crainte de la compagnie des
siens. L'amour, la peur, tes balises.

mardi 23 août 2022

Rosa d'agost

Quan sorgeixen per tota Europa
les temudes pedres de la fam,

Quan els pantans desesperats
deixen veure, sense to ni so,
els campanars desmemoriats,

ja és temps de regar la floreta
del cor i de l'ànima amb plors
de goig i agraïment,

al roser gris i humil que busca
amb ses arrels el moll de la terra
per fer-ne uns pètals delicats,

tan fràgils com un bes robat,
tan forts com un poemari amat.





















© Roser Blàzquez Gómez













Tan clara és l'aigua de la font

Tan clara és l'aigua de la font,
i més clara encara aquesta que amara
les meves mans, creuades com un ocell

o un pelegrí resant pel camí de Sant
Jaume. Aigua tèbia, lustral, ben lluny
dels plors quotidians i del patiment

de qui, encara, no ha trobat el consol
de la ploma viva o del carbonet delicat
i segueix caminant, sol, a les fosques.

Amusement musagète

Je crécherais un moment dans cet immense 
bol renversé si j'étais Dieu.
                                           Violette Leduc

Ils ont patiemment gratté l'intérieur
des absides et des absidioles, jusque
dans d'improbables hameaux,

pour farcir, tel le cul d'une dinde,
le musée d'art roman de Barcelone.
Crime de la dictature contre la terre

et son ferment si lent. Que ne suis-je
musagète pour tirer les muses au dehors
des musées et qu'elles retrouvent la glèbe

et l'herbe fraîche ? Mais il est d'autres
musées où un corail, retiré à son lagon,
une fouine naturalisée, un tableau bigarré

de papillons épinglés, font naître, soudain,
une vive émotion. Comme si l'esprit, enfin
stupéfait, retournait à la terre première.

He deixat en remull

He deixat en remull, com llegums
petits, secs i durs, alguns mots
de la llengua, oblidats o passats

de moda; i ara em convé coure-los.
Nogensmenys, pubilla, fadrí. Tota
una societat amb els seus rangs,

les seves converses argumentades.
Àdhuc, debades, paüra. Ja cuits,
me'ls menjaré amb all i julivert.

Je ne peux lire bien

Je ne peux lire bien
qu'après m'être promené,
dans mon petit jardin.

Comme si de cueillir
ces signes noirs sur
le blanc ou l'ivoire,

nécessitait que je
m'emplisse d'abord
de couleurs douces.



Fredor

No he sentit mai la fredor de la sorra
farinosa entre els dits, sota la lluna
plena, a Binibèquer, a l'agost.

No l'he sentit mai i ara tinc la impressió
de que se m'està esmicolant pel llit amb
el ventolí ja fresc i humit de còmplice.

Tanco els ulls i penso en els mesos passats
al juliol, entre Torret i Binibèquer Nou,
bevent Trina glaçat i somiant en el futur.

Prémices

Il y a, dans le souci de recueillir, dans chaque voyage,
de menus détails, des pierres, des souvenirs bon marché,
les prémices de l'adieu à la vie.

La collection, fût-elle hâtive et dérisoire, participe
de cet étirement du temps et de son illusion. Et quelle
joie de retrouver, bien des années plus tard, sous sa

cloche de plexiglas jauni, une poupée bretonne inerte,
dans sa coiffe bigouden. Une joie que, par bonheur,
l’espièglerie des enfants la détricotant et lui ôtant

bras et souliers vernis fera disparaître en un tournemain.
Il y a, dans le souci de vous écrire, dans chaque poème,
comme les prémices d'un adieu à l'écrit.

lundi 22 août 2022

Je n'ai jamais joué

Je n'ai jamais joué aux osselets,
j'en ignorais la grammaire et je 
les caressais. Leur métal gris ou

leur plastique rouge me fascinaient.
Tout en jointures, ils se collaient
aux doigts refermés comme des pièces

en or. Non, je n'y ai jamais joué,
mais je crois que si on m'en priait
je le ferais. Et je triompherais...

Si j'avais le regard de Violette...

Si j'avais le regard de Violette, son rythme rapide
et sa légèreté. Une rose sans épine vissée aux lèvres
du paysan qui ne veut plus fumer et qui bouge,

hoquette, nostalgique du papier maïs de son nouveau
maître. La vie dans une église, ce sont les marteaux,
les madriers des maçons qui s'affairent en rigolant.

Violette n'est plus, depuis cinquante ans mais elle
prend à mon sommeil une once du sacré pour m'offrir
des villages de France, la course intemporelle.

La vida és un triangle / La vie est un triangle

Al meu nebot Alexandre

Qui ha dit que la vida és tèbia i rodona
com una galta o freda i quadrada com una
rajola?

La vida, a vegades, és triangular. Triangle
de fusta i metall, de salts i sons, gresol
d'ocells i plomes que s'enlairen cap a

terres desconegudes. Res de rectangle avorrit,
l'escenari serà triangular, amb puntes passionals,
o, senzillament, no serà... 
                                         I tornarem al CD rodó.

***

À mon neveu Alexandre 

Qui a dit que la vie est tiède et ronde
comme une joue ou froide et carrée comme
une dalle ?

La vie, parfois, est triangulaire. Un triangle
de bois et de métal, de sauts et de sons, creuset
d'oiseaux et de plumes qui s'envolent vers

des terres inconnues. Foin de l'ennui rectangle,
la scène sera triangulaire, avec des pointes de passion,
ou, tout simplement, elle ne sera pas...
                                   Et nous reviendrons au CD rond.



Des signes et du sens

J'aime la fatigue qui invite à refermer le livre,
les doigts encore chauds du contact de ses pages,
et à rechercher les doigts de l'amie, encore

tièdes du contact de ses pages à elle. Lignes
qui dansent et s'enlacent, faisant naître des mots
neufs, ballet des lèvres qui ne se satisfont plus

de la langue des autres et lui préfèrent la nôtre.
Alors s'écrit entre les draps le récit nonchalant
des amants éperdus des signes et du sens.

La barque git sur la plage

La barca jau damunt la platja,
s'assequen veles i filats.
Amunt, amunt, una gavina
canta la vida i la claror.
        Gumersind Gomila

La barque git sur la plage,
harassée par une nuit noire
de labeur.

Le sable humide s'y unit aux
coquillages déjà secs qui s'y
incrustent.

L'odeur flotte, pénétrante, de
la pêche qui emplissait son ventre
et qui n'est déjà plus.

Il y a dans le silence

Il y a dans le silence comme un refus,
le refus de la froideur de la mort.

Il y a dans le silence comme une attente,
l'attente des chants d'oiseaux au matin.

Il y a dans le silence comme un espoir,
l'espoir d'une parole amie qui accompagne.

No ploraré

No ploraré en la tomba del poeta,
com solen fer els seus admiradors.
No acariciaré amb els meus plors

les poques línies que s'hi gravaren
en tristes majúscules. Tancaré els ulls
i em recitaré versos seus, com un pardal

saltirona pel pati del llimoner. Deixaré
que m'amarin a poc a poc, sense pressa
i que em fecundin l'ànima i els ulls.

Mon bel oranger

Il est la plus sûre de mes horloges,
leur expression touffue et bienveillante.
Jour après jour, je regarde grossir

ses fruits verts et lustrés, pleurant
sur ceux qui tombent, comme nos proches
trop tôt partis, et m'émerveillant du rire

de mon petit Martí qui en faisait naguère
des cochonnets pour nos parties de pétanque.
Mon bel oranger silencieux veille sur mes vers.

samedi 20 août 2022

Tous les chemins sont pleins d'arômes

Ne te laisse pas prendre au filet de la zone commerciale.
Entre les enseignes criardes et les hautes façades, il est
des chemins étroits, que fréquentent les égarés, en quête

d'absolu. C'est là que les colimaçons grimpent le long
du fenouil, sans nulle crainte de le faire ployer. La marche,
hasardeuse, y embaume de parfums oubliés, que la cité

a depuis longtemps relégués dans le magasin des accessoires.
L'on s'y oriente, certain de parvenir, souvent, à bon port.
                                Tous les chemins sont pleins d'arômes.

Sieste d'enfant

Pénombre dans la pièce, ce sont les heures chaudes.
L'enfant ne dort pas, son pied droit se frotte contre
le drap bleu tiré. Le sang à la tête, en contrebas,

il rêve et fait de chaque instant une vie de voyages.
La faim le dérangera bientôt dans cette absence de
projet. Il sera temps, alors, de mordre à pleines dents

dans le chausson aux pommes qu'a apporté le père.
Sieste précieuse où le corps ne se délasse pas mais
où l'âme s'ébroue, en silence et en liberté.


Nostalgie de la moleskine

Les modernes express, avec leurs faux airs de cabine d'avion,
détournent du plaisir du voyager ensemble. Les wagons vert
foncé, en contraignant au partage du compartiment, à huit,

faisaient naître d'improbables conversations ou de pesants
silences. J'aimais y entrer seul et contempler la moleskine
bombée des banquettes. Je la caressais, comme on passe

les doigts sur le cuir sombre d'un volume de la Pléiade, avant
de l'ouvrir  en deux et de le humer. Quelles histoires recelaient,
sous elle, la mousse poussiéreuse et les ressorts qui couinaient ?

Il y a, dans le voyage

Il y a, dans le voyage, comme une paresse de l'esprit. La vitesse, fût-elle celle
du cheminement, est un prétexte pour évacuer l'effort de la mémoire.

Le voyage naît de l'absence et se projette dans une absence à venir. Car ce n'est
qu'au retour, quand les menus écueils du quotidien feront prendre conscience

que l'ailleurs n'est plus, que la nostalgie du voyage s'installe, convoquant mille
images que l'on croyait ne pas avoir saisies.

Il y a, dans le voyage, comme une suspension de l'écriture aux pas du promeneur.
Et ce n'est que quand celui-ci fera halte, que l'alphabet des nuages s'animera.

Flors de pàgina

A la memòria de s'àvia Tònia

Flors salvatges, flors des camins,
seques fa anys, punts de pàgina
de s'àvia que me la tornen viva.

Tanc es ulls i me la retrob tota,
preparant un perol d'obergínies
as forn amb pa rat i amor. Molt

amor. Quan mumare m'esperava, ella
llegia Novelas ejemplares. Més tard
jo l'ensenyaria as meus alumnes...

Mes fleurs

Fleurs de béton, plantes rudérales,
auteurs nés de la honte, de la vermine,
au bord du chemin, ou à l'hospice.

Violette, Jules, Albertine, Salvat...
La syntaxe qui se bouscule, gargouillis
de sons avant que les mots, peu à peu,

ne nous deviennent intelligibles. Des fleurs,
oui, libres au vent, jamais coupées, jamais
en tristes bouquets odorants. Mes fleurs.

Berthe

À la mémoire de Violette Leduc

Elle était l'employée modèle.
Discrète, travailleuse. Jolie,
aussi. Le patron la convoqua,

une fois, deux fois, trois fois.
Une bousculade sans mot. Et toujours
cette même honte poisseuse entre

les cuisses, au sortir du bureau.
Puis Violette vint, niée, rejetée.
Une belle fleur pour la Littérature.



vendredi 19 août 2022

Vent du matin

Oublie le vent, dans tes occupations
incessantes. Tu ne t'arrêtes jamais et
virevoltes comme une toupie.

Oublie le vent, mais ne t'inquiète pas,
lui ne t'oublie pas et, au moment le plus
inattendu, il fera sauter ton chapeau

dans un grand éclat de rire. Il sera temps,
alors, de regarder le ciel et d'apprendre,
en accéléré, l'alphabet des nuages.

Camí de Sant Jaume

Petxines sota els dits,
que et guien pel camí.
Tanques els ulls. I saps.

Saps que t'estàs encaminant
cap a Santiago de Compostela.
No hi arribaràs mai. Ni a l'oceà.

Només percebràs la sal iodada
que t'acompanyarà i tornaràs
a llegir. En gallec. Moi seguro.

Ce petit moi

L'endroit était coquet, et calme,
malgré la présence des jardins
du Palais-Royal sur l'arrière.

Colette avait vécu dans ces pièces
aux murs hauts, longtemps, par deux
fois. La porte était ouverte,

tu y entras. Un petit garçon, sage,
t'y attendait, assis. Il se leva
à ton arrivée et t'embrassa.

Il avait des cheveux clairs.
À aucun moment, tu n'entendis le son
de sa voix, mais quand il te regarda,

interrogateur, tu te reconnus en lui,
comme dans un miroir de sorcière.
Ce petit garçon, c'était toi.



jeudi 18 août 2022

Vent du soir

Écoute le vent qui souffle ce soir,
et se faufile dans la moindre fente.
Il est ce soupçon de chaos sans qui

la vie n'a pas de sel. L'ampoule nue
se balance au bout de son fil grêle,
menaçant de tomber à chaque seconde.

Le drap, bien tiré sur la couche déserte,
danse comme cent guirlandes tricolores
dans un bal de village. Et respire enfin.

Démesures

Seconde, gramme, mètre, joule...
J'aime échapper à la mesure, sans
le vouloir, par hasard, au débotté.

Me laisser gagner par une torpeur
légère, qui sent bon la glycine et
la violette.

Il sera temps, plus tard, de regagner
la compagnie des hommes, leurs mesures
et leur orgueil démesuré.

Et ce corps qui se nourrit...

Et ce corps qui se nourrit yeux clos,
quel est-il ? La bouche est close et
l'appétit lointain. Rien ne trouble

l'assoupi. Sa corporéité même se tait
dans l'écoute. L'adolescence revient,
celle des disques classiques achetés

par les parents, semaine après semaine.
Lalo, Lulli et, comme à l'instant même,
Pachelbel et son Canon.



Un vermut vespertí

Un vermut vespertí, o un berenar al vespre.
No importa. L'essencial són les converses,
les xips i la cervesa glaçada.

Els castellers fan vacances i ho celebren.
A poques passes, els espera la piscina,
en forma de mongeta del ganxet.

Ja s'enjogassen d'altres faceciosos baotencs.
Hi ha molta il·lusió a les cares, amb un bri
de poesia, càlida i involuntària.
















© Marie Lopez

Aimer

Aimer l'âme,
aimer la main

aimer la menthe
et le lavandin.

Aimer la muse,
aimer la mie.

Aimer la martre
et le lamantin.

La fuita d'aigua

L'aigua que s'avorreix dins les velles canonades
de plom, farta del silenci de l'estiu tan sec, vol
veure com s'ho passen els humans.

A poc a poc, amb un batec lent, greu i obsessiu,
va transformant la llar en una casa de nines,
de parets de paper secant.

Tot està perillant. Endolls, obres publicades,
llibretes i joguines. Bona jugada que us reserva
l'aigua... per aigualir-vos les vacances!..



Deixa que torni

Deixa que torni la nostàlgia
de la llengua estimada, de cor
més que de raó. Que la trobis

a faltar. Espera les imatges,
els mots, els sons. Rodons o
abruptes. No oblidis mai que

groc no és el mateix color
que jaune, amarillo o giallo,
quan vulguis evocar la vida.

La lumière et le vent

Les lignes dansent sur l'écran
dans la maison silencieuse.

Un vent inattendu se lève,
qui échevelle les âmes, sans,
jamais, ébouriffer les draps.

Dans le balayage des yeux, les mots 
se superposent et se substituent, 
en une grammaire neuve, de cœur

plus que de raison. Alors la lueur
s'assoupit, et le sommeil nous gagne.

Frère et sœur

Mon fils grand, ma fille petite,
seuls au monde, sur la rive du lac.
L'orage menace, les estivants

sont partis. Une herbe maigre
gagne sur le sable qui fraîchit.
Avec ses pieds, la petite montre

de menus objets, le grand sourit.
Les mots sont superflus. D'eux deux
et du photographe qui les contemple.



L'orbe de l'art

À mon fils Jérôme

Plus que le petit pan de mur jaune de Vermeer,
cher à Marcel Proust, le fond jaune, oriental,
du profil de femme d'Aristide Maillol.

La toile plane suit l'orbe de la tasse offerte
par mon fils Jérôme, en infinie douceur,
et cependant que je bois, à petites lampées,

le café brûlant, je pense à sa visite du musée
d'Orsay, en compagnie d'une amie chère.
Sans l'art intemporel, que serions-nous ?



mercredi 17 août 2022

Cendre tiédie

Cendre tiédie dans mes mains,
te souviens-tu de ces braises
passées qui t'animaient jadis

et te faisaient rougir ? Vive
passion du bois qui craque
dans le foyer ou sur la plage

à l'heure où le village dort.
Cendre tiédie dans mes mains,
te souviens-tu de notre flamme ?

Écoute la mer

Prends, au creux de ta main,
ce coquiillage, et guide-le
doucettement tout contre

ton oreille. Ferme les yeux
et écoute la mer te parler,
ressac après ressac.

Quand tu les rouvriras,
un goût d'iode salée
envahira ton palais. 

lundi 15 août 2022

Oublier, savourer

Oublier le temps qui file, en savourer le grain
sous la main, comme on éprouvait une étoffe.

Fermer les yeux, attentif aux chants des oiseaux
et aux ritournelles enfantines. Ne pas vouloir
aller de l'avant, aller, tout simplement.

Ne pas hésiter à retourner en arrière, pour un baiser
volé ou un volet qui bat. Et oublier... qu'on oublie.

Le bateau livre

Nuestras vidas son los ríos
que van a dar en la mar,
que es el morir.
             Jorge Manrique

Un demi-siècle passe, gravement,
quand deux amis se retrouvent,
par un hasard attentionné,

et leur récit croisé, pointilliste,
lacunaire et sautillant, délaisse,
le récit ennuyeux par étape,

pour le livre de bord d'un galion
d'autrefois. La plume est d'oie
et l'encre ocre brun.

Seules les impressions attestent
de la commune navigation et les mains
de continuer à gratter le papier.

Un dinaret a Urbanyà

Dels adults, no es veuen les cares.
Segur que fan petar la xerrameca,
tot ximant, sense moure's un pam.

Els nanos somriuen a un acudit
o es tapen les orelles. Un món
dins del món. Aquesta és l'estirp

castellera. Ni de sang blava, ni d'or,
senzillament de força, equilibri,
valor, seny... amistat i amor.



















© Simona Casals

Vermut(s)

Els músics s'han decidit
pel Vermut de Vilanova,
creant la confusió entre

els castellers assedegats.
Ara ballen embogits, amb
somriure de circumstància.

Quin remolí! Per sort, nos
esperen el Fil amb aigua
i el vi blanc glaçat.






















© Marie Lopez

Una cadira de palla

Una cadira de palla,
gastada a les potes,
i que han tret a posta,

perquè descansi una mica
la nostra cap de colla.
Quin honor, quina aventura

per aquest moble tan humil.
Ha deixat la foscor del saló
per l'aire lliure de la plaça,

i d'allí es queda contemplant
castells, falcons, escales.
Còmplice, la Laura somriu...






















© Marie Lopez

Peau

Peau. Merveilleuse. 
Claire ou foncée,
glabre ou pubescente,

insensible à toute
définition, mais si
sensible à la caresse.

Livre ouvert, pages
vierges pour y écrire
sa vie. Infiniment.

Le bonheur est ailleurs

Le bonheur est ailleurs,
le bonheur est en toi.

Le bonheur naît dans l'instant,
et, de là, il vogue sur l'océan.

Le bonheur est sans peur,
le bonheur est ta loi. 

dimanche 14 août 2022

Inclusion ?

Se fondre, c'est disparaître,
s'inclure, c'est se reclure, 
comment demeurer soi-même

en intégrant une communauté ?
Si la liberté passait naguère
par les mots, ils ne sont guère

aujourd'hui que roupie de sansonnet,
que l'on monnaie contre des initiales,
des sigles ou des enseignes.

Se montrer, c'est transparaître,
en faisant du sourire une expression
de soi et non pas un sésame galvaudé.






© Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français

La rose et le coquelicot

Elle est si empesée,
calibrée, étiquetée
dans son carré de terre.

On lui donne des noms
de divas et de reines ;
on la taille au ciseau

ou bien on l'enguirlande.
Que n'est-elle sa sœur
ébouriffée, que le vent

d'août peigne avant de 
la décoiffer sous l'ondée.
Celle que jamais on ne coupe,

de crainte de la décolorer,
celle que les express saluent
d'un long panache blanc.

Bonhomia

Quin somriure més benèvol
que el del cap de pinya
al marge del passavila?

Ha deixat l'estratègia
castellera a la motxilla
i acompanya els amics.

D'aquí ben poc, tornarà
al seu paper primer, amb
la mateixa bonhomia.




















© Marie Lopez

Eucharistie silencieuse

Le sang de la vigne attend,
il est encore verdelet.
À l'abri des feuilles grasses,

comme pour de délicieux
dolmas, les grains se serrent,
détournant leur regard vert

de la terre sèche qui se craquelle,
et qui se meurt pour qu'ils vivent.
Eucharistie silencieuse.




Pedregar

Caminante no hay camino,
se hace camino al andar.
          Antonio Machado

Pedres i pols. Camines lentament. 
És l'últim dia al Miracle i el vols
aprofitar. Cada pedra aguda

que se't clava a la sola fina de
la sabata, s'imprimeix a la teva
memòria. Et vas rememorant

els dies passats, els anys, mig
segle d'estades i caminades.
Via crucis. Necessari.





El somriure de la tabalera

La tabalera somriu, serena.
Ha deixat d'enfilar-se cap
al cel plujós, i assaboreix

aquests instant d'harmonia
i concòrdia. D'aquí ben poc
farà anys i sense dir-li mai,

els seus amics, secretament,
li dediquen aquesta vesprada
d'amistat castellera al vilatge.













© Marie Lopez

Quatre dones i uns timbals

Quatre dones concentrades,
marcant el ritme de la tarda
amb els seus timbals, distints

i únics. Baquetes de fusta fina
com cent dits escrivint alhora
la poesia de la vida en versos

lliures i sucosos. Les diuen
Sorolloses, però el seu soroll
em sembla singularment harmoniós.
















© Marie Lopez

Si tu pouvais me voir

À la mémoire de Chet Baker

Si tu pouvais me voir, en cet instant,
si tu laissais la trompette étouffée
de Chet te guider vers ma buanderie,

tu ne verrais que ma table nue, rouge
et vernissée, l'empreinte de mes doigts,
cherchant l'inspiration, lente, décidée.

Puis, m'oubliant, tu t'en irais seule
de par les chemins, cueillir du rouge,
du cramoisi, du vermillon et de l'écarlate,

l'expression la plus juste et, insensible,
d'ordinaire, aux charmes du maquillage
tu t'en barbouillerais les lèvres.



Et s'il m'était donné

Et s'il m'était donné
d'écrire à tes côtés,
dans une jolie chambre
ou sur la lande nue,

mes vers s'affineraient
et aux tiens s'uniraient.
Deux blancs hexasyllabes
pour un alexandrin.

samedi 13 août 2022

S'entrelire

Il y a plus de livres sur les livres
que sur tout autre subject. Nous 
ne faisons que nous entregloser.
               Michel de Montaigne

Avec mon frère, nous nous entrelisons,
c'est un plaisir rare, que nous cultivons
avec le plus grand soin.

Il a choisi la prose et moi les vers libres.
Nous les avons choisis ou ils nous ont élus
car, en fait, bien peu nous distingue.

Il y a bien une patte Bourret -ou une pâte,
laissons les cuistres s'entretuer-et elle
nous guide... hors des entiers battus.

Le café du matin

Le café du matin. Avec une viennoiserie
petite. La tasse est épaisse, brûlante,
et la mousse colle à la faïence.

La cuillère ne tinte pas encore et la foule
est loin, sur le rivage, avec ses parasols,
ses rabanes et ses engins nautiques.

Bonheur tout simple et solitaire, quand la vie
publique se tient à distance et que le vide
des vacances s'éloigne, enfin,  du trop plein.






















© David Gabarda

D'una dama dels temps passats

Sense la veu de l'amic
amb el seu cor al pit,
viatjo sense moure-me.

El meu infern és paradís,
el meu patiment un goig.
La meva sang es fa tinta.

οὐροϐόρος

Un got buit. De birra.
Un ecogot il·lustrat.
La festa s'ha acabat

i només en queda, lleu
empremta labial, un rastre
d'escuma blanca, onada

esgotada, estirada en una 
platja buida, tan abandonada
com l'ecogot després de la fira.

Pâquerette

De la pâquerette, qui survit
en plein été, caresse les pétales,
ne les détache pas, je t'en prie.

L'amour ne dépend pas des caprices
de la nature, ni de l'arithmétique,
mais la fleur souffre d'être blessée,

mutilée. Et que ferais-tu de son cœur,
doré comme un jaune d'œuf, mais sec
comme une carline clouée à une porte ?

L'absence e(s)t l'amour

Mon cœur saigne de tant d'amour..
Le crois-tu, le crois-tu ? Laisse
derrière toi la vieille rhétorique,

vis ton amour dans chaque cellule
de ton corps, sur chaque pore de ta
peau, dans chaque pli de ton âme.

Tu parleras ensuite, car la parole
n'a de sens que dans l'absence.
Et l'absence célèbre l'amour.

Des mains qui se frottent

Des mains qui se frottent,
l'une contre l'autre, comme
pour allumer un feu sacré.

Douceur de l'amadou, malgré
les plis, les ridules disant
toute la trajectoire de celle

qui s'assoit au bord du chemin
et regarde, une à une, tomber
les larmes de Saint Laurent.

La columna i l'ermita

Una columna i una ermita,
dins la foscor silenciosa.
Ermita petitona, de porta

i finestres tancades. Com
resguardant els pobres
pecats del món, els precs

i els desitjos. Vella columna,
vertical, tot i el lleu pendís.
Permanència de la fe.



Pleurs de Saint Laurent

Dans la nuit noire d'août,
Saint Laurent pleure,
en une pluie d'étoiles.

Pluie féconde de pleurs
de feu. Mais, jalouse,
la lune ne l'entend pas

de cette oreille. Se voulant
aussi resplendissante que
le soleil, elle aveugle les pleurs.



Enxaniversari

El Cédric fa anys aquest vespre,
trenta-cinc exactament. Mireu
com s'enfila com un jovenet.

Els anys no semblen influir
en la seva actitud flexible,
atenta i recta. O potser...

Potser per la barba, una mica
més llarga i per certa filosofia
...que no li treu el somriure.



vendredi 12 août 2022

Un lever tardif

Soleil déjà haut,
chants d'oiseaux
qui se bousculent.

Lointaines insomnies,
une soif de café,
simplement brûlant.

T'accompagner pas
à pas, pour ce qu'il
me reste de jour.

jeudi 11 août 2022

ABC...XYZ

ABC, ABC..., et après, et après ?
L'alphabet s'égrène sous la diction hachée
de l'enfant qui, en pensée, s'est déjà enfui

à toutes jambes, vers la petite boutique,
à la porte qui grince et où l'on vend
des malabars à deux sous, avec de la réglisse.

XYZ, XYZ..., et avant, et avant ?
Le vieil homme retrouve sous l'alphabet
trop su, sa vie qui, à l'instant, s'enfuit.

Tant de croix

La pierre est nue et la croix est d'or,
le granit s'assombrit sous la pluie
tant espérée, et la croix se balance.

Stèle immobile dans la lande, que serais-
tu sans la promeneuse discrète qui prie
sans jamais se prosterner, en faisant

de la marche une éternelle action de grâce ?
Tant de croix, d'étoiles, de croissants,
qui, un jour, feront miroiter le granit.

Solitaris

Solitaris. A distància.
Passejant sota la lluna,
absorts ens el seu pensar.

Del pati familiar al trencall
del Miracle, mare i fill xerren
sense conversar, silenciosos.

Passes conegudes, mil vegades
refetes, sota les constel·lacions,
fins al dolmen invisible...

L'effort

Quand la nuit n'a plus d'heures
et que le sommeil engourdit,
chaque page lue, chaque ligne

pensée, pesée et rédigée, luisent
humblement. Tel est l'effort, beau,
anonyme et puissant. Digne honneur

de l'individu qui ne se sait pas 
seul mais à sa table concourt au
noble cheminement de l'humanité.

Chars à voiles

Sur le chemin des dunes
La plage de Malo Bray-Dunes 
                    Alain Souchon

Chars à voiles de mon enfance,
coton gris et roues de deux-chevaux,
filant sous le vent d'Ouest,

vers la Belgique toute proche.
La mer grise retirée, entre
les lents pêcheurs de couteaux,

vous vous suspendiez à un brusque
retournement du vent, basculant
à loisir, vers l'horizon des rêves.

Espigolaires del Miracle

Espigolaires del Miracle,
blanques dames del passat,
quan vorejo el rostoll,

al capvespre, em ve al cap
el vostre dia a dia, quan
cada espiga tenia valor, 

i, ben lluny del pallar,
espigolàveu amb la intenció
boja de trobar qualque gra.

Paille fauchée

J'aime la paille que l'on fauche
et que l'on rassemble en rectangles
serrés pour préparer l'hiver.

Mais où sont les glaneuses d'antan
ramassant lentement les tiges blondes,
dans l'espoir d'en récolter les grains ?

Bien loin de la masse uniforme, l'épi
redevenait ce roi de l'été, solaire,
unique objet de notre adoration.

mercredi 10 août 2022

Entrelacs / Entrellaçament

J'ai fermé les yeux, he tancat els ulls
et j'ai vu comme la mer entrait en moi
i he vist com el mar entrava en mi.

Sous moi, pas un drap, dessota, cap llençol,
la conscience nue d'un corps envahi par l'eau,
la consciència nua d'un cos que l'aigua envaeix.

Alors j'ai ouvert les yeux, aleshores he obert els ulls,
c'étaient deux hublots épais et ma vie défilait,
dos ulls de bou gruixuts veien desfilar la meva vida.

Prōlātĭō

À Adam

Si dure est la coutume humaine qui réserve la profération 
aux menaces et aux insultes, et que noble est l'attitude
de mon neveu qui se porte en avant en m'adressant

ce qui n'est pas encore une parole mais déjà un amour.
Des sons divers se bousculent à ses lèvres et ses mains,
encore impuissantes, battent joyeusement la chamade.

Qu'elle est belle cette noble profération, l'antique prōlātĭō
d'un temps où la parole était offrande et les disputes
d'aimables joutes oratoires.