J'ai touché, tel le dévot
qui s'approche de l'image vénérée,
le tronc robuste du chêne
qui s'incline vers le sud,
fouetté par d'antiques tramontanes.
J'ai contemplé les dessins du tronc,
les branches ployant de fatigue
sous six cents ans, les formes tordues
par la course lente des saisons,
cette vieillesse qui perdure
dans la verdeur des feuilles,
dans les beaux sillons du temps.
J'ai pensé à la langue.
Elle aussi perdure tel le chêne au milieu
des coups de tabac
dans la splendeur des feuilles et les pousses
qui nous comblent de mots,
dans tout ce qui nous définit.
Peut-être y a-t-il toujours un arbre
pour enflammer notre désir ou faire sens,
capter notre regard, vénérable
tel un patriarche immobile dans la roue du temps,
figure enracinée qui s'élève
ou ombre somptueuse qui nous accueille
dans le feu brumeux de l'été,
antiques symboles sur les feuilles qui m'accompagnent.
Voici le pin de Costa,
le tronc d'Alcover que tant aujourd'hui
ignorent, l'amandier de Maragall,
les hêtraies de Pons,
le pin parasol de Villangómez,
les orangers et peupliers d'Estellés,
les arbres à fruits savoureux de Carner,
ceux qui s'élèvent métaphoriques,
l'arbre de Llull et ses branches de sciences,
les arbres emblématiques qui perdurent,
le pin à trois branches, le pays
qui parle cette langue dans laquelle j'écris.
Pere Gomila, Géographies du vent,
trad. du catalan par Michel Bourret Guasteví