lundi 29 juin 2015
La daurade
Le soir tombait lentement, il faisait déjà moins chaud,
l'eau, étale, était comme un miroir sans tain. Un bruit
lancinant et discret se faisait entendre. Comme de cigales,
mais en plus étouffé.
Des daurades broutaient la roche, écrasant les coquillages
pour en siroter la pulpe quand il en vit une passer lentement,
massive, sombre, sans un mouvement de nageoire. Le pêcheur et
son fils lancèrent la canne, ajustèrent la ligne.
Rien n'y fit, elle était déjà partie retrouver ses congénères
dans la fraîcheur des rochers. Le lit de tomates et de pommes
de terre, à la minorquine, attendrait. Déjà, un poète, au loin,
la leur offrait cette «daurade du siècle»...
dimanche 28 juin 2015
Le sommeil suspendu
gagnées sur la mort, à la vie. Le soleil est déjà haut
et la tourterelle chante clair. Pas un souffle, de la
fraîcheur qui peine à entrer par la baie entrouverte.
Nous parlerons un brin, entre générations. Qu'importent
les propos, la langue est rocailleuse, qui râpe aux tympans.
Riche, unique. Le père partira, rejoindre Morphée, dit-il,
la mère le remplacera avant de faire vrombir le chauffe-eau.
Un temps, rien qu'un temps. Puis le silence et le sourire
du plaisir partagé, des paroles superposées. Et l'image
d'un amour retrouvé et qui ne dit pas son nom. Dans les terres
gorgées de soleil, tout contre une rivière qui ne déborde plus.
Trencant el silenci / En brisant le silence
La mare porta la veu cantant i em deixo guiar, sense preocupar-me
de res. Amb el pare solem parlar en moments determinats,de casualitat
escollida. De coses poques i saboroses, el cant d'un ocell ens ofereix
una bona llesca de vida, untada amb mantega i mel. I passen les hores.
***
On dit que pères et fils parlent moins que fils et mères.
Ma mère tient la baguette et je me laisse guider, sans me soucier
de rien. Avec mon père nous avons coutume de parler à des moments précis, au hasard
choisi. De peu de choses, savoureuses ; le chant d'un oiseau nous offre
une bonne tranche de vie, tartinée de beurre et de miel. Et les heures de filer.
Converses al matí / Conversations du matin
Asseguts xerràvem els dos. El pare parlava lentament
del temps passat. De la hipoteca que li menjava la meitat
del sou. Acabàvem d'arribar al Molí de Vent. Amb el meu germà
corríem cap a la muntanyeta que domina el barri. També xerràvem.
De noies i de futur. Ens dibuixàvem un món de fantasia, molt menys
càlid que el que coneixeríem més tard, amb els nanos al nostre entorn.
***
Il était six heures et demie devant la grande baie.
Assis nous parlions tous deux. Mon père parlait lentement
du temps passé. Du crédit qui mangeait la moitié
de son salaire. Nous venions d'arriver au Moulin à Vent. Avec mon frère
nous courions jusqu'à la montagnette qui domine le quartier. Nous parlions également.
De filles et de futur. Nous nous dessinions un monde imaginaire, bien moins
chaleureux que celui que nous connaîtrions plus tard, entourés de nos enfants.
lundi 22 juin 2015
Au-delà
tes yeux, qui sont deux et me rendent joyeux,
d'un air moqueur, sur la pointe des cils,
connaissent mes astuces d'escroc et ma plume
légère. Je ne suis pas plutôt courbé sur la feuille
que déjà ils s'en sont allés jouer aux billes dans
la cour du collège, sous le préau, là où la pluie ne
peut les atteindre. D'ailleurs, si j'étais plus constant,
je lâcherais mon calame, ma lyre ou mon pipeau, et je courrais
les rues à cloche-pied pour imiter leur interminable ballet.
Mina
de baisers et de rencontres. De lectures et de
spectacles aussi, soufflés par des amis, rarement
découverts au hasard de la flânerie.
En me lisant tu souris, car tu sais déjà que c'est
toi qui me l'a soufflée, cette promenade du côté d'une
autre Zazie cependant que je retrouvais à Enrico un
charme que la grisaille adulte m'avait arraché.
Profond et léger, comme une valse-musette serrée. La chambre
n'existait plus, les yeux rivés sur ma tablette, le casque
vissé aux oreilles j'étais tout à une autre. Une autre qui
n'existais pas mais que, précieuse, tu as su mettre sur ma
route.
Mouillés
éperdument. Tu n'as rien dit, je ne t'ai rien
demandé. Des années s'étaient fait jour en un
instant. Puis le coton blanc nous a repris et
nous nous sommes enlacés.
Tes yeux se sont mouillés. Si loin, si haut,
et je n'en ai rien su. Le parking de la sucrerie,
déserté, a abrité un temps le bleu de ton regard,
puis le quotidien t'a repris, les essuie-glace
tranchaient la pluie. Et tes larmes aussi.
Lisbeth Salander
avant de se lancer ingravide. Son moelleux, l'écho funèbre
des vibrations répétées, le glas final qu'il n'entendra pas,
longtemps après la marche, espère-t-il.
Lisbeth Salander est née un soir de pénombre de deux visages.
Maudites interprétations cinématographiques qui jouent avec les
figures et les cœurs. Je t'y ai retrouvée, autre et même, jusque
dans l'amour peau à sueur, yeux ouverts et clos. Lisbeth était
hackeuse de génie, ce que tu n'es pas, ce que je ne serai jamais.
La chaleur des neurones, la froideur du silicium et entre les deux
un câble d'acier qui invente une culture comme une ordalie. Elle était
toi et ne l'était pas. Tu n'es plus, elle non plus. Et je vous cherche...
vendredi 19 juin 2015
Avarques
a la vora del mar. Mentre es banyaven els pares
i el germà, jo caminava lentament, fosquet.
amb un barret de palla i un cistell ample. Calçava
unes estranyes sabates fetes de corda i d'un bon
l'estiu amb tantes persones calçades amb avarques,
penso en aquell bon senyor que m'alleugerí l'espera.
au bord de l'eau. Cependant que se baignaient mes parents
et mon frère, je marchais lentement, le soir venu.
avec un chapeau de paille et un large panier. Il était chaussé
d'étranges souliers faits de corde et d'un bon morceau
avec tant de personnes chaussées d'"avarques",
je pense à ce bon monsieur qui allégea mon attente.
La plage de juillet
La plage de juillet nous réunira peau à peau,
chuchotant et riant. Le soleil bas glacera le
sable et déjà les estivants effarouchés auront
regagné leurs tentes occitanes.
Il sera temps alors d'ouvrir la glacière et de
déboucher le vin frais des antiques costières.
Quand la nuit nous recouvrira tout à fait, tu feras
de mon corps une courtepointe de sable et je ferai
du tien une étole de tulle. Chaleur des confidences,
frôlement des extrémités. La langue inventera des
mots autres, des mots nouveaux et nos inflexions
se fondront l'une dans l'autre, sans jamais se confondre.
jeudi 18 juin 2015
Interminables
La main s'attarde et s'égare, repoussant le moment
de la séparation, paume ouverte et esseulée.
Interminables cuisses... mais la vie presse et d'un saut,
le quotidien vous reprend entre sirènes et balayures. Longtemps,
j'aurai sous les doigts l'empreinte unique de cette peau
limpide que le froid du matin avait légèrement tendue, dans
l'attente d'une matinée de travail au creux d'une pièce close
aux hautes vitres aveugles.
Genres mêlés
compacte puis virevolte dans une pièce ronde.
La raison ? En son centre, une sculpture claire,
d'hermaphrodite, impossible pendant de la Vénus
au miroir. Pile ou face ? Pile et face ; les spectateurs
tournent et s'imbibent, qui d'une rondeur, qui d'un appendice.
Silence de Babel, l'allemand reprendra entre deux femmes à la
lisière de la salle. La vie est belle quand elle s'affranchit de
la mort.
mercredi 17 juin 2015
Sable rouge
Beige improbable qui confine
au cramoisi quand ton ombre
s'y porte sereinement.
Sable qui crisse entre tes orteils,
montrant à mes doigts la voie
secrète et infinie.
mardi 16 juin 2015
La mare i el pare / Mon père et ma mère
de l'orella. De nit com de dia. Em guia
les passes insegures pels camins de pedra
dura.
M'agrada quan xerrem a distància. Somric,
no em veu. Són tant d'anys i de trobades
que deuem als pares. El pare, al darrere
seu,
escolta amb els seus ulls tan blaus. Parla
poc, s'estima millor les trobades veritables,
quan compartim el bull negre i la garnatxa
gelada.
***
Telle la mer, ma mère me parle dans le creux
de l'oreille. De jour comme de nuit. Elle guide
mes pas incertains sur les chemins de pierre
dure.
J'aime quand nous conversons à distance. Je souris,
elle ne me voit pas. Il y a tant d'années et de rencontres
que nous devons à nos parents. Mon père, derrière
elle,
écoute de ses grands yeux bleus. Il parle
peu, il préfère les rencontres véritables,
quand nous partageons le boudin noir et le grenache
frappé.
Bleu de Prusse
de bleu de Prusse sur la palette. Épais, foncé
d'avoir séché. Le tube de plomb se fendillait
sous la pression. La gouache sentait fort et
l'avenir était incertain.
Un jour, vous m'avez parlé du bleu, de bleus,
émaillant nos échanges de leurs distinctes
nuances, jusqu'aux insoupçonnées. Je m'y suis
attaché, confusément d'abord, puis en conscience,
j'ai détaché de la mémoire des lambeaux des bleus
aimés et que je ne savais distinguer, j'ai retrouvé
un peu de la gouache gauche de l'adolescent
et j'ai imaginé vos doigts fins y plongeant pour
écrire, à la nuit tombée, un peu de ces rencontres
qu'un jour, sans y songer, nous reprendrons, enfin.
Un simple adoucissement
qui adoucissait les couleurs du soulier. Je vous
imagine vous pencher et en prendre une pincée entre
deux doigts de la main droite puis le déposer au
creux de votre main gauche.
Délicat sablier sans paroi de verre, libre. Les heures
sans décompte. Juste la course du soleil et le ciel qui
bleuit. Du pâle vif à l'encre noire glacée. Je voudrais
être un peu de ce sable au creux de votre main, pulvérulente
présence sans poids. Un simple adoucissement.
lundi 15 juin 2015
C'est ton anniversaire
mais la plage porte encore la fraîcheur de la nuit.
Un vent léger la frise d'ivoire et le miroitement
de silice t'appelle. Que sont les joyaux d'une amante ?
La plage t'attend avec ses bijoux par millions, qui couvriront
ta peau au sortir du bain. Silence. Rumeur des vagues. Infinie
reconnaissance pour ceux qui t'ont faite et qui vivent non loin.
Le vin, ce soir, sera gouleyant dans l'étroite flûte pour te célébrer,
Sophie.
vendredi 12 juin 2015
Ton œil-coccinelle
J'ai aperçu ton œil à distance,
le soleil se couchait et ses
capillaires rougissaient sous
la paupière fine.
Tu l'ouvrais lentement, puis
la refermais aussitôt, comme
une coccinelle audacieuse au
bout du doigt
qui s'apprête à s'envoler pour le
vaste monde. Tes yeux-coccinelles
m'ont rendu amoureux de la vie
qui ouvre les ailes et m'emporte
... avec elle.
mardi 9 juin 2015
La noia del GATCPAC / La jeune femme du GATCPAC
Feia hores que estava buscant imatges per il·lustrar
una conferència. Com sovint, torní al period que
m'obsed i a la Casa Bloc de la meva estimada
Sant Andreu.
De cop i volta, m'enamorí. No pas d'una foto ni d'un
muntatge hàbil destinat a promoure unes vivendes de
desprotecció tan oficial com conilleres barates. Em quedí
bocabadat davant d'una mirada clara i buida, aliena a
l'esdeveniment.
Un abric cenyit, una bufanda blanca que li dissimulava
el coll. Tenia la mà esquerra arran de la taula de fusta
bruta que aguantava la maqueta. Estrenyida, forta, lluia
un anell. Brillant. Per uns minuts, oblidí el temps, cruel,
que ens estava separant.
***
Pourquoi cette photo ? Et pourquoi cette jeune-femme ?
Cela faisait des heures que je cherchais des images pour illustrer
une conférence. Comme souvent, je suis revenu à la période qui
m'obsède et à la Casa Bloc de mon cher quartier de
Sant-Andreu.
Et soudain, je suis tombé amoureux. Non pas d'une photo ni d'un
habile montage destiné à promouvoir des logements
à immonde marché comme des clapiers à lapins. Je suis resté
bouche bée devant un regard clair et vide, étranger à
l'événement.
Un manteau serré à la taille, une écharpe qui lui cachait
le cou. Sa main gauche reposait sur la table de bois
brut qui soutenait la maquette. Serrée, forte, elle
portait un anneau. Brillant. Pendant quelques minutes, j'ai oublié le temps,
cruel, qui nous séparait peu à peu.
dimanche 7 juin 2015
À une amie dans la peine
s'égare sur la couverture rêche.
Moite, crispée, elle pleure contre
d'autres mains, sœurs de sang et de
sentiment. Les heures ne s'arrêtent
jamais et le repos n'est plus. Un jour,
pourtant, la main aimante s'étendra
paisiblement sur la surface de la
couverture et récupérera brin à brin
la chaîne et la trame de ce qui fut sa
vie et qui animera la femme que tu es.
Une discussion
La chaleur était sur la ville. De poussière et d'asphalte.
Les fenêtres béantes ne respiraient plus et tu décidas de
te doucher à l'eau froide dans la cabine exiguë.
Ce furent de longues minutes sourdes où la peau retrouvait
la fermeté des matins d'hiver le long des quais déserts.
À ton retour, tu me rejoignis, à distance, sur le lit.
Les claviers cliquetaient, à l'image des gouttes qui perlaient
de ton corps et faisaient du drap grège une subtile alcaraza
contre l'étouffement ambiant. Comme souvent, nous ne prîmes pas
garde au temps qui s'écoulait et les sujets défilèrent. Nous
décidâmes, épuisés, que nous ne tarderions pas à nous revoir.
jeudi 4 juin 2015
A deshora, deliciosament / Hors d'heure, délicieusement
He deixat passar les hores,
i després els dies. Un, dos,
tres. No he tocat la paret,
m'he decidit a escriure't.
Tothom que em coneix i m'estima
sap el teu nom i la teva flor,
encara que no parli molt sovint
dels nostres passeigs vora el mar.
I qui no els conegui, que vagi,
a deshora, a desnom, per les senderes
ombrívoles on blaveja la rosella
i et reconeixerà tan bon punt hi arribi.
***
J'ai laissé passer les heures,
puis les jours. Un, deux,
trois. Mais pas soleil.
J'ai décidé de t'écrire.
Quiconque me connaît et m'estime
connaît ton prénom et ta fleur
bien que je ne parle pas très souvent
de nos promenades au bord de la mer.
Et qui ne les connaît pas, qu'il aille,
hors d'heure, hors de nom, sur les sentiers
ombreux où bleuit le coquelicot
et il te reconnaîtra dès qu'il y arrivera.
Un cidre coupé d'eau
la vieille ville réinventée entre
les gratte-ciel. La marche qui se
pose un temps, debout, à l'ombre
des buvettes pour partager le cidre
clair, coupé d'eau glacée pure.
La nuit, je vous y ai vue, scandée
par les stroboscopes, au milieu d'une
foule hasardeuse. Vous récitiez la ville,
je ne vous comprenais pas. La soif m'a
tenaillé mais la buvette était loin et
du cidre clair, j'ignorais le nom.
Je ne connaîtrai jamais Francfort,
ma vie s'en est allée vers d'autres lieux,
d'autres ports, d'autres femmes. Mais il me
plaît de savoir que j'y eusse été heureux,
un temps, à vos côtés, sans d'autre but
que de Martial lire à deux les épigrammes.
mercredi 3 juin 2015
Va savoir...
qui n'est plus encore la nuit et
pas encore le jour. Les sons, pétillants,
s'entrechoquent. Le savoir jamais assouvi
d'une amie est une couleuvre dans l'herbe
grasse de la rive où jamais ne passe un
bateau-lavoir définitivement ancré, d'encre
et de pigments, savonné sur sa coque par les
mains d'amantes improbables qui s'avilissent
sans jamais s'avachir. Et s'il s'avérait un jour
que que le savoir ça vaille rien... Pas un kopek.
Ça vacillerait-il ? Xa va xa va xa... Va savoir...
mardi 2 juin 2015
Nuit d'encre
constellation. Mes yeux se dessèchent
à les débusquer.
Le monde fuit et je suis tout seul.
Sous moi, le sommier grince quand
je me déplace. Le drap tiédit à mon
contact. La nuit est d'encre, moi qui
la voulais juste d'ancre. Une nuit
silencieuse pour me faire revivre
les délices de ces jours passés. Alors
je quitte mon lit et descends vers
l'aurore artificielle du salon.
Les mots m'attendent. Vieux, usés comme
des dés en sac. Je les secoue et les tire
au hasard avant de les associer.
Cadavre-exquis du pauvre, ils mettent bout
à bout l'ancre espérée et l'encre observée.
Une invitation à écrire ? Gageons-le...
Comme si vous n'existiez pas
comme si vous ne cherchiez pas l'ombre des murs
de pierre de la grande ville.
Votre vie m'est inconnue, le détail de vos jours,
vos sourires du matin, la première gorgée de café
brûlant dans un bar inconnu
et pourtant familier. «Never let me go», le piano
de Keith Jarrett guide mes doigts et l'après-midi
est chaude.
Mais pourquoi voudriez-vous que je m'en aille puisque
vous n'existez que sous ma plume, grenade à la peau de
bois clair et brillant ?
La vraie vie est au-dessous, rubis serrés à la saveur
un peu acidulée, que je ne connais pas. Je pense à vous
puis me tais. Keith Jarrett me rattrape.
«Never let me go».
lundi 1 juin 2015
M'agraden / J'aime
sec i ens parlen pausadament de l'aigua que hi solia fluir,
any rere any, abans, quan la follia dels homes no guiava llur
destí.
No tenen grans teories ni escriuen llibres gruixuts. Bec de llurs
paraules i me'n torno al llit, content d'haver viscut un dia més,
a l'ombra da llur saviesa. Mon amic Pere és un d'ells i solc viatjar
en companyia seva per les vores d'un llibre prim i dens. Ens hi parla
dels espais perduts i de la sal que s'hi tastava. Acluco els ulls i
remunto el temps. Un temps no viscut i ja compartit. Per molts anys.
***
J'aime les philosophes qui marchent au bord du fleuve
sec et nous parlent posément de l'eau qui y coulait autrefois,
année après année, quand la folie des hommes ne guidait pas leur
destin.
Ils n'ont pas de grands théories ni n'écrivent des livres épais. Je bois leurs
paroles et je regagne ma couche, content d'avoir vécu un jour de plus,
à l'ombre de leur sagesse. Mon ami Pere est l'un d'entre eux et j'ai coutume
de voyager en sa compagnie sur les rives d'un livre mince et dense. Il nous y parle
des espaces perdus et du sel que l'on y goûtait. Je ferme les yeux et
je remonte le temps. Un temps non vécu et déjà partagé. Pour de nombreuses années.
Le pré de Son bou
d'entre la roselière,
et son reflet dans la lumière.
Tu marches en silence
sur le bord. On perçoit
l'abondance de la vie
qui borde son sein
généreux. Tu ne comprends pas
les projets absurdes
qui menacent le fragile
équilibre du pré.
Et la mort est proche,
quand on coupe la corde.
Pere Gomila, Géographies du vent, trad. du catalan par Michel Bourret Guasteví
L'amie à distance
frôlement de dentelle au
fil de l'eau.
Par touches légères, à la craie,
sur le goudron fané, elle me dessine
une marelle,
me guidant de la terre au ciel. De sa terre,
ultramarine, à mon ciel de petites choses et
de grandes joies.
Elle est, sans le savoir ni jamais l'ambitionner,
ma petite boussole, aiguille magnétique bicolore,
flottant sur un bouchon de liège.
Quand la reverrai-je ? Je ne sais ni m'en soucie.
Il me plaît assez de la savoir lectrice et porteuse
d'eau en songe. Rien qu'en songe. Indéfectiblement.