vendredi 31 juillet 2015

Viaduc de Millau

à C. V.

Un trait sur l'horizon 
biffé de cinq arêtes,

Un trait qui ralentit 
mais jamais n'arrête.

La vallée effacée, les monts,
autrefois ennemis se parlent

à nouveau. L'herbe claire frise
sous le vent et en haut, au loin,

Foster rit de la blague qu'un jour,
nonchalant, il fit aux Français médusés.

Jaume

Jaume Gomila,
Doctor Jaume Gomila,
o senzillament Jota Gé.

Peró no conec res d'aquests
apel·latius ni si s'utilitzen.
El vaig conéixer un dia abans 

del seu sant. No ens vam veure
molt de temps, però sí que vam
tenir temps de parlar aquella

llengua tan clara que ens uneix.
Mentre xerràvem, pensava en el meu
petit Hadrien. A veure si algun dia

ens decidim a creuar el mar mogut i a
participar en una de les sessions de teatre
que reserva per als nanos de tots el orígens.

Jacques a dit

Le jeu enfantin me revient
quand je songe à lui, croisé
quelques heures à peine la veille
de sa fête, puis le jour même.

Nous marchions dans les rues minérales
de la vieille ville. Il parlait avec passion
du théâtre et des enfants. Une de ses amies
m'avait confié qu'il était urgentiste. Il n'en 

souffla mot. L'urgence était ailleurs et les frontières
s'effaçaient. Il jouait avec les mots comme jongleur en
foirail, substituant les rasigas occitanes aux arrels ses
amies pour dire tout l'enracinement que son cœur retenait.

mercredi 29 juillet 2015

Contacontes / La diseuse de contes

a C. V. 

L'illa és petita, no tant com sa germana,
però petita i massiva. Més enllà de les terres,
roques, platjes, el mar blaveja i tremola.

Silenci a la nit entre els nens espavilats.
Silenci i desesperança lleugera: qui ens salvarà
i ens farà viatjar pels móns fantàstics,

reservats als al·lots continentals? Ni la mare,
ni el pare, ni la fadrina sentada al pedrís,
ni el conco Daniel que mastega els seus records.

Només una senyora morena d'aspecte elegant i de dits
disfressats de nina, una veu càlida i lenta, com de moix
extasiat. No us en dic res més, es diu Contacontes

***

L'île est petite, pas autant que sa sœurette,
mais petite et massive. Au-delà des terres,
rochers, plages, la mer bleuit et tremble.

Silence de la nuit d'entre les enfants éveillés.
Silence et léger désespoir: qui nous libérera
et nous fera voyager dans ces mondes fantastiques,

réservés aux gamins du continent ? Ni notre mère,
ni notre père, ni la vieille fille assise sur le banc de pierre,
ni l'oncle Daniel qui mâchouille ses souvenirs.

Seule une dame brune à la mise élégante et aux doigts
déguisés en poupée, une voix chaude et lente, comme d'un chat
extasié. Je ne vous en dis pas plus, on l'appelle la diseuse de contes.



mardi 28 juillet 2015

Une trottinette

Dans l'entrée, posée contre le mur.
Belle, blanche, massive. Une trottinette

d'adulte. Comme pour marquer la présence
du maître des lieux que je ne connaîtrai pas

mais que je découvre au fil des conversations
et d'une bibliothèque effeuillée des yeux.

Un homme de bien qui glisserait entre les stèles
de ce monde minéral. Pas du patineur déséquilibré.

Assise d'un pied, cadence de l'autre qui rape le bitume.
La ville loin des crissements sonores du métro. Mais

déjà le sommeil m'appelle. J'ouvre la porte et la contemple,
cette mécanique au guidon incliné. Elle attend son chevalier.

Espaces suspendus

La Défense : sous la fine couche des pas vifs,
des voitures grondent gravement. Images volées.

Monde de détritus et de murs tagués. Je longe une
palissade aux couleurs vives. Qu'y a-t-il derrière ?

Je ne sais, mes pas me ravissent. Le lendemain, au même
endroit, je verrai un panneau arraché. En me penchant,

je découvrirai un parc abandonné ou en suspens. Espaces
suspendus. Verticalement ou horizontalement. La Défense.

Défense contre soi-même ou les faux-semblants ? Milliers de
visages croisés. Graves, alourdis, déséquilibrés par un sac

qui les communique électriquement avec le monde. Fourmillement
et l'amour est si loin. Ou si près. Ouvrirai-je les yeux ?

lundi 27 juillet 2015

Le rideau cramoisi

Silence minéral. Pas une once de bois
ni une voiture ; la cuvette des immeubles
est une caisse de résonance désertée.

Le froid gagne mes épaules et je me roule
dans la couette sur l'étroit canapé. Au dessus

de mes yeux, dans la pénombre, est une végétation
touffue, sagement entrelacée. La pièce est longue

et le goût en est exquis. En un coin, un éventail de
cases blanches. Des tranches serrées. De couleur.
Artaud, en copiste, dévoie le moine que Lewis avait initié

et Spinoza, relié peau de veau, cligne de ses dorures
vers Orwell le désargenté. De Fermi la culture, de moi

inconnue, est funambule entre Hongie et Vietnam. Je me
lève et feuillette. Jamais il ne m'avait été prêté de bibliothèque
aussi dense en aussi peu de place. Au fond de la pièce, sous

la voûte des plantes, comme la toile de fond d'un théâtre chichois,
le cramoisi du rideau parachève le soir. Acta est fabula.

litalice

Deux albums épais pèsent
sur les genoux, tour à tour.

L'un clair, l'autre foncé.
Les photos défilent. En couleur.

Toutes ou presque. Le sud. Toujours
ou presque et ce sourire qui les unit

derrière des yeux où le bistre dialogue
avec l'émeraude. Douze années ont passé.

Comme douze tribus jamais n'abolissent
un pays de sable et de regs. Je me tiens

de côté et les regarde. Le temps n'a pas de prise
et je comprends un peu de ce qu'en son temps je

ne sus ou ne voulus entendre. Les pages tournent,
la vie coule. Confluences. Le hasard vous guident et

les blés sont murs. Qui ne verrait que des chaumes
ignorerait que le grain s'amoncelle qui bientôt

fructifiera. Qui a dit que l'occident était signe de mort ?
C'est à l'ouest capital, tout près de la voie courbe qu'un

village au nom de vermicelle les attend, toutes deux, et déjà
un enfant sourit de les voir, enfin, pour longtemps, réunies.

samedi 25 juillet 2015

Ulls de silenci / Des yeux de silence

No ballen ni es mouen,
no tenen color. Ni ara,
ni després.

Segueixen els seus amics
els dits per l'esquena de
les hores.

De gall, rai. De rellotge tampoc.
Els ulls parlen en silenci. La nit
es fa mil i el desig

és una onada. Allà, a la foscor
més profunda, Sonny Rollins toca
The Night Has A Thousand Eyes.

***

Ils ne dansent ni bougent.
Ils n'ont pas de couleur. Ni maintenant,
ni plus tard.

Ils suivent leurs amis
les doigts sur le dos des
heures.

De coq, point. D'horloge, non plus.
Les yeux parlent en silence. La nuit
devient mille et le désir

est une vague. Au loin, dans l'ombre
plus profonde, Sonny Rollins joue
The Night Has A Thousand Eyes.


samedi 18 juillet 2015

Le hasard et le retard

à S.S. et A.C.

J'aime le hasard qui fait découvrir ou retrouver
des êtres de prix que l'on croyait partis ou absents.

Mais parfois le hasard s'emballe et la peine broie le
torse de l'ami retrouvé. Alors on n'a plus que ses mots,
ses pauvres mots, appris ou désappris. Et puis vient le retard,

sans qui le hasard n'a pas d'effet. Des jours, des semaines, 
des mois passent, en silence, et un hasard second conduit enfin
à la parole juste, par delà les mots de la tribu. Coïncidence de

lieux entre la nouvelle destination d'un enfant adoré et de sa mère
aimante et celui d'une amie retrouvée. La discussion s'engage, des
téléphones s'échangent. Une proposition d'aide puis la discussion qui 

reprend là où les pauvres mots impuissants l'avait quittée. La peine
de l'ami prend figure et langue -et quelle langue - celle du cœur et du sang.

Carrières sous Poissy

Un vague souvenir. Les usines Simca
qui produisaient de curieuses voitures
à l'allure américaine, avec des moteurs
comme des noisettes.

Deux femmes s'y sont rendues, qui en ignoraient
tout, elles battent le bavé, vont de porche en
porche, sans perdre leur sourire. Au volant d'une
automobile sombre qui n'est pas de Poissy.

Au terme de leur quête, un foyer simple et clair
où l'amour d'une mère et d'un fils pourront se
développer sans crainte des vicissitudes ni des
mauvaises années, définitivement enterrées.

Il est

Il est, au bord du canal bleu,
une liseuse lente, silencieuse,
qui me cueille sans mot dire,

cherchant, comme un jeu, les cailloux
blancs que ses semelles ont semés.
Fidèle parmi les fidèles, elle

ne m'en dira jamais rien. Qu'importe,
en ce soir, elle guide ma main qui, de
la côte, lentement s'éloigne.

Le chêne de la Vieille Friche

J'ai touché, tel le dévot
qui s'approche de l'image vénérée,
le tronc robuste du chêne
qui s'incline vers le sud,
fouetté par d'antiques tramontanes.
J'ai contemplé les dessins du tronc,
les branches ployant de fatigue
sous six cents ans, les formes tordues
par la course lente des saisons,
cette vieillesse qui perdure
dans la verdeur des feuilles,
dans les beaux sillons du temps.
J'ai pensé à la langue.
Elle aussi perdure tel le chêne au milieu
des coups de tabac
dans la splendeur des feuilles et les pousses
qui nous comblent de mots,
dans tout ce qui nous définit.
Peut-être y a-t-il toujours un arbre
pour enflammer notre désir ou faire sens,
capter notre regard, vénérable
tel un patriarche immobile dans la roue du temps,
figure enracinée qui s'élève
ou ombre somptueuse qui nous accueille
dans le feu brumeux de l'été,
antiques symboles sur les feuilles qui m'accompagnent.
Voici le pin de Costa,
le tronc d'Alcover que tant aujourd'hui
ignorent, l'amandier de Maragall,
les hêtraies de Pons,
le pin parasol de Villangómez,
les orangers et peupliers d'Estellés,
les arbres à fruits savoureux de Carner,
ceux qui s'élèvent métaphoriques,
l'arbre de Llull et ses branches de sciences,
les arbres emblématiques qui perdurent,
le pin à trois branches, le pays
qui parle cette langue dans laquelle j'écris.

Pere Gomila, Géographies du vent
trad. du catalan par Michel Bourret Guasteví

Toponymes

Ils conservent la mémoire de la terre,
ses racines dans les formes de la langue,
ils manifestent ce que nous sommes parce que nous nommons
notre géographie sans hésitation
dans chacun des détails qui la composent.
Ils sont le nom des collines et des ravins,
des vallées et des torrents, des ports, des criques,
de la ferme et de la fermette, de la vigne,
des puits, sources, chemins, raccourcis,
de la garrigue, des champs de pierres, des murets,
des caps et des îlots, des villes
et des villages. Ils sont les noms qui nous disent
comment l'homme s'est intégré dans le paysage,
la terre qui l'accueille et cette langue
qui a baptisé tous les recoins de l'île
du catalan simple et vif de nos ancêtres.

Pere Gomila, Géographies du vent
trad. du catalan par Michel Bourret Guasteví

Unisson

à N. et L. 

Je dispose lentement le linge
à sécher sur les fils monotones
quand soudain se font entendre

deux bruits mats et ronds sur
le gravier sec, comme la pince
incisait autrefois le ticket

à jouer dans les PMU de basse
province. Le bruit se répète,
lancinant et heureux. Nulle parole.

Les visages volés par dessus la haie
sont calmes et pleins. Un beau couple
qui s'entraîne à la pétanque.

Instantané immobile entre deux trajets
de leur road movie impitoyable où leur
amitié, à chaque fois, fait mouche.

Profil

à J. et M.

La photo est belle qui dévoile
la sage passion du photographe
derrière son objectif.

Le paysage est ancien, primaire,
de granit moucheté, de chaumes et
de lignes courbes.

Bien loin des portraits de face
retouchés qui m'ennuient, invitant
à les anéantir d'une empreinte

digitale sur l'expression tuée, le visage
de l'amie se devine derrière la frange.
L'expression est pensive, les yeux

tournés vers l'intérieur. Précieuses
vacances qui gonflent d'un vide apparent
et ressourcent de bonheurs multiples.


jeudi 16 juillet 2015

Graphies...

Le verre, vidé, luit comme
une antique clepsydre.

Les mains ne bougent pas,
tout affairées sur un carnet
relai. Du dessin d'une chope,

on ne voit que l'esquisse,
de même que nous est masqué
le visage de la dessinatrice d'un

soir. Sa noblesse, pourtant, se devine
dans la tenue des mains et l'anneau qui
la lie. Que l'éternité est belle quand dans

l'instant tout entière elle s'investit. Et qui
penserait qu'il s'agit d'une championne ?
Une femme parmi les femmes. Les dieux

sont jaloux qu'elle nargue dans l'or de la bière
fraîchement aquarellé.


mercredi 15 juillet 2015

Une dorade, quatre rougets et quelques couteaux

Nulle garniture, simplement grillés, et le soir qui tarde,
les verres s'entrechoquent. Un blanc très clair, bon marché,
comme je l'aime, fruit de la vigne et du travail d'un homme.

Devant moi, Vincent déguste avec parcimonie, me tendant un éclat,
de rouget, une once de dorade. Entre les mots, trente années d'amour
d'un fils - et quel fils ! -. La pudeur nous empêchera de nous appesantir.

Un cliché l'atteste, anonyme ou presque, qui vogue sur la toile, sans nous.
C'était un quatorze du mois de juillet, sur le port du Chichoulet, et, derrière
Vincent, je voyais sourire Xavier, Jérôme, Victor, Hadrien et Martí.



M & R

Sur fond de Lemme Take You To The Beach de Frank Zappa

Les doigts se frôlent, pas encore les mains,
les mots glissent, s'écaillent et s'unissent.

Le soleil brûle le sable et les ombres se font rares,
la ville leur offrira sa fraîcheur pour un baiser.

Yeux verts, yeux marrons, cheveux bruns, peau halée,
la vie se conjugue en eux qui ne le savent pas.

Je suis loin, dans le secret de l'un d'eux, et, qui sait ?
peut-être les croiserai-je ce soir sur la tranche du miroir.

Primera estada a Menorca / Premier séjour à Minorque

Fa trenta-nou anys tot just,
els pares, el meu germà i jo,
estàvem de vacances a Binibeca Nou,
que no pas Binibèquer aleshores.

Sortia d'una pulmonia i em passejava
fosquet vora el mar sota un barret blanc.
Mirava en silenci l'agró blanc i l'home
vell que recollia la sal d'entre les roques

amb unes sabates fetes de corda i trossos de
neumàtics usats. L'amor naixia tímidament
deixant-me la boca resseca de tantes paraules
apreses i mai viscudes. O ben poc.

***

Cela fait tout juste trente-neuf années,
mes parents, mon frère et moi,
nous étions en vacances à Binibeca Nou,
et non pas à Binibèquer comme on dit aujourd'hui.

Je sortais d'une pneumonie et je me promenais
le soir venu près de la mer sous un chapeau blanc.
Je regardais en silence la blanche aigrette et le vieil
homme qui ramassait le sel entre les roches

avec ses souliers faits de corde et de bouts
de pneumatiques usés. L'amour naissait timidement
me laissant la bouche desséchée de tant de mots
appris et jamais vécus. Ou si peu.

Blau

Blau, que no pas azul o bleu.
La síl·laba s'obre i es tanca,
omplint la boca de sal menuda
com respira entre les roques
l'escopinya desitjada pel jove
nouvingut a l'illa dels avis.

Blau, que no pas verd o groc,
blau com el vestit lleuger 
d'una amiga llunyana i propera,
que, en guardar silenci em deixa
desvariejar abans d'aturar-me
en sec d'una paraula segura.

mardi 14 juillet 2015

Un peu d'humanité

La route est longue, de planches serrées, sur le sable.
En son terme, une paillote et des repas simples, sans façon.

On s'y attable deux par deux, parfois à quatre ou six, rarement
seul. C'est là que je les vis ces deux jeunes gens que l'on nommera
Louis et Juliette. Un premier repas, sans doute, qui les avait cantonnés

à l'extrême limite de la frêle construction. Comme pour mieux en fuir ou s'y
évanouir. Ils étaient heureux, partageant des pommes frites et ce qui semblait
être des poissons frits. Je dis «ce qui semblait» car je ne voulais pas les troubler

par mon observation muette. Le soleil tardait à se coucher. Ils avaient tant à se dire
et ne le faisaient pas, ou si peu. Leurs yeux brillants chantaient l'humanité.

Em dius...

Em dius que quan em tradueixo, les meves paraules
perdeixen el seu cor, o cos, que és el mateix.
Aquesta vegada, doncs, no les traduiré. Aquesta
vegada i no pas les altres, perquè no deixo mai
de ser un altre, tendre calidoscopi de l'atzar.

La nostalgie de l'immédiateté

Nul besoin de se plonger dans les incunables
ni la Légende dorée. La vraie nostalgie est
celle de l'immédiateté perdue. Un doctorat en
radio qui à Barcelone ne se fit pas, les murs
du zoo de cette ville sur le point de s'effondrer
sous le déluge boueux à la toute fin des années
quatre-vingts. Ou, plus proche, des sculptures
musicales Baschet dans une ancienne usine devenue
musée.

Une victime de l'amiante

Les traits sont creusés et gris,
le regard, cave et sombre, implore
et ne comprend. Soixante-dix ans
s'engloutissent soudain et je revois

ces photos des rescapés des camps de la mort.
Somnambules lents de la folie des hommes. Là,
la botte violente de douze années d'horreur.
Ici, le lent poison d'un confort apparent.

Deux étages du café des Arts

L'air clair est encore frais en ce matin où,
fenêtres ouvertes, je repense à ces deux heures
où je les vis, ces deux étages comme de fantaisie
qui surplombaient l'élégant café des Arts. La librairie

sur le point de fermer, le théâtre clos en ce jour de juillet
des arts écaillaient le baptême. Vous portiez une robe bleue,
fine et élégante et parliez lentement. Dans mes réponses, je levais
souvent les yeux qui se perdaient dans les portes-fenêtres aveugles

des deux étages du café. Sans bouger d'un pouce, nous voyagions au gré
de vos paroles. Le café, brûlant au début, comme vous l'aimez, perdit bien
vite de sa chaleur en teignant les parois de faïence. «Humain», dîtes-vous.
Je le crois, qui revis à présent ce voyage immobile à l'ombre des deux étages.

samedi 11 juillet 2015

L'employée de Jennifer

Centre commercial Grand Sud,
vendredi dix janvier, vingt heures.

Je suis assis sur un banc de polymère
rose fade. Sur mes genoux, une tablette.
À mes oreilles, un fin casque blanc.

Je regarde Mange, Prie, Aime. Devant moi,
le rideau métallique de Jennifer vient de tomber.
Lentement. Le bruit de la chute finale me fait lever

les yeux. C'est alors que je la vois par le store ajouré.
Petite, assez massive, cheveux sombres. Je n'en saurai pas
plus. La finesse du maillage fait que je la vois mais pas elle.

Une glace sans tain inversée. En aurait-elle le temps d'ailleurs ?
Elle va de rayon en rayon, rapidement, sans un mot ni un son et les
saupoudre d'effets naguère dépareillés. Elle disparaît un instant

et revient avec un balai-serpillière qu'elle passe sur le sol avec
dextérité. Je n'en saurai pas plus. Il est vingt heures trente. Je pars.

Pas elle.



vendredi 10 juillet 2015

Petits pois

Une gousse incisée, entre deux doigts
de la main gauche et les petits pois clairs
se pressent pour sortir. Sous eux, une mer 

de billes tendres. Qu'importe la cuisson qui
les fera fondre, brisant l'enveloppe pour la
baigner de ventrêche poivrée. Tout est possible

encore. La gousse jetée, les doigts batifolent
et égrènent. Que ne suis-je Lilliputien et
m'y couche pour dormir un brin... Enfin.



jeudi 9 juillet 2015

Una illa de terra i de sol / Une île de terre et de soleil

La terra crema, ni una gota d'aigua,
Rodez és una catedral d'arestes seques.

Callada, es prepara a l'Estivada de juliol,
bella trobada entre occitans, catalans i

balears llunyans. Allà parlaré d'una altra 
illa. De vent, de pedres i d'aigua aquella

de la mà d'un poeta que a la primavera fresca
ens oferí del vent les geografies més perfumades

***

La terre brûle, pas une goutte d'eau,
Rodez est une cathédrale d'arêtes sèches.

Silencieuse, elle se prépare à l'Estivada de juillet,
belle rencontre d'Occitans, de Catalans et de gens des

Baléares lointaines. C'est là que je parlerai d'une autre
île. De vent, de pierres et d'eau celle-là

de la main d'un poète qui au printemps frais
nous offrit du vent les géographies les plus parfumées.

Au sud, toujours plus au sud

Le rideau de dentelle écrue, coincé par la baie
mal fermée, se gonfle de vent frais. Il n'est 
pas huit heures et nous ne sommes pas au sud de
Perpignan.

Il est seize heures et les Marquises approchent,
le sel forme une croûte qui embue mon regard et
la réalité se fend. Le spinnaker blanc se gonfle.
Il est temps de vivre. Ou de revivre.

Une ombre bienveillante

L'ancien gymnase, depuis longtemps abandonné, n'était plus
qu'un mur aveugle au crépi surchauffé. Cette après-midi là,
pourtant, il ménagea un ample triangle d'ombre et de fraîcheur

aux enfant qui jouaient dans le petit jardin. Combien étaient-ils 
qui piaillaient ? Je ne sais. Je n'avais d'yeux que pour deux d'entre
eux qui couraient et se frottaient à l'herbe factice : mes fils.