lundi 24 février 2020

La fiancée

Il est grand, courbé, la démarche
hésitante. Toute une vie de labeur
et d'aigreurs. Un mauvais mariage,

le culte du devoir, du point du jour
à la nuit noire. Les articulations qui
craquent et le corps qui n'en peut plus.

L'EHPAD comme un refuge. La désorientation
première. Le silence. Plus de récriminations.
Et la rencontre inattendue, l'amour qui naît,

comme une bulle crève enfin à la surface du vin
frais. À plus de quatre vingt-dix ans. Les gestes
petits, délicats, les pauvres mots de chaque jour

qui deviennent de flamboyants étendards. Et puis
la maladie subite de la fiancée toute neuve,
déplacée dans un autre établissement.

L'attente patiente, le coup de fil intimidé, chaque
semaine, dans le bureau de la psychologue aimante,
entre le café brûlant et les gâteaux secs.

Toute une vie de labeur, de sacrifices et de désamour.
Et, sur le tard, ce coquelicot qui s'ouvre, tiède,
dans la main ridée. «- À demain ?» «Oui, à demain»...