Il est des publications que je guette car je les sais rares et précieuses. Une en particulier, «Quadern del Turó» de mon ami le poète Pere Gomila. La dernière est consacrée à un ami neuf, Joan Pons, et à son premier recueil de poèmes, l'Illa dels arbres vençuts. Écrit concis, précis et élégant, sur un mince ouvrage qui fera date.
Pourquoi, depuis plusieurs mois ai-je fait de deux recueils minorquins mes livres de chevet. Je traduis le premier, à petites lampées, repoussant son achèvement à la fin de l'été. Il s'agit des Geografies del vent de Pere Gomila, le second que j'ai dans ma besace depuis à peine un mois et demi est L'Illa dels arbres vençuts. Deux livres sur ma terre d'origine et d'adoption, deux repères de ma géographie intime. Or cette géographie a des noms que je veux vous confier. Des noms qui n'apparaissent pas dans les Papiers de Panama ni dans les magazines sur papier glacé.
Au premier plan sont mes chers disparus, mes cousins Gerardo Sans Cardona, fauché par le Sida alors qu'il pouvait enfin vivre son amour au grand jour, et Lluis Guasteví, homme de bien, fin musicien, père et mari auquel une juste retraite lui fut par la vie refusée.
Au centre du tableau est un autre disparu, Àngel Mifsud Ciscar, professeur, plasticien et poète. Je l'ai peu connu, il reste l'une des trois seules personnes que j'ai entendues m'expliquer un texte de façon lumineuse. À ses côtés, son épouse, Fina Salord, gardienne de son œuvre et garante de la vitalité et de la qualité de la pensée minorquine dans le domaine des arts, des lettres et des sciences.
Deux membres de l'Institut Menorquí d'Estudis l'épaulent qui, tous deux m'ont fait connaître et aimer davantage mon grand-oncle Gumersind Gomila : Pere Gomila et Ismael Pelegrí Pons. Ce dernier est mon repère familial dans l'île avec sa précieuse épouse Diana et ses ravissants enfants Abril et París. Quant à Pere, sa compagne Martina Garriga,m'a enseigné, si besoin était, ce que couple veut dire, dans la richesse, le respect et la joie.
Sur la gauche sont les cuisiniers et pâtissiers qui lient les générations et font mémoire : Miquel Mariano Vadell, Dani Florit, Tolo Sintes. Je les ai connus grâce au polyfacettique Miquel Mariano Pons, chanteur, musicien, enseignant, vidéaste et amant de la vie. Tout près sont Toni Juanola et Fra Roger.
Sur la droite sont les amis neufs : le franco-minorquin Lluís Soler, homme de radio et de passions, dont un roman historique devrait, très prochainement, asseoir la renommée, et Paco Gomila, l'ami inattendu, le complice constant. Avec lui en quelques jours nous avons fondé une société secrète, la «Caixa B», faite de ceux qui refusent ce monde mercantile et cueille chaque détail de la vie. Homme de la terre, il m'a appris le nom des plantes et des arbres, les nuances entre le mahonnais et le parler de Ciutadella, la cuisine mangée en commun dans un petit bar le rideau tiré et les chansons partagées au creux d'une grotte séculaire. Il m'a enseigné, surtout la sagesse de l'ullastre, olivier sauvage, le roi des arbres vaincus, «els arbres vençuts», la boucle est bouclée.
Vous excuserez mes oublis, deux hommes de l'image fixe et embellie, Pau Gener que je n'ai pas encore rencontré, et Juanjo Pons Petrus à qui j'ai montré un jour que la Noia de Porcelana existait bel et bien...