lundi 29 mai 2017
Saynète
Debout ou assis. Un cahier
à la main, corné. Ils parlent
haut, en articulant, comme on
s'essaie à sourire dans la glace.
Dans une langue étrangère. Je tends
l'oreille, tout en ralentissant la marche
qui me conduit au dehors de la faculté.
C'est de l'anglais. Des tirades encore
déliées, comme le sont les cordes d'un
orchestre qui se prépare au concert. Je n'en
saurai pas plus, mais il y avait tant de grâce
dans cet échange inopiné -un déjeuner sur l'herbe
de l'an dix-sept- que je sors de Paul-Valéry en
clignant de l'œil au fantôme de William Shakespeare.
dimanche 28 mai 2017
Soir
Les mains hésitent. Le salon
plonge dans le silence et l'obscurité.
L'écran du dehors est encore clair
mais les bruits ont cessé. C'est
l'heure des télés et de la tisane.
Je lutte contre la tentation d'allumer
l'halogène. Mes doigts cherchent les
touches et ma nuque se courbe.
Mon cœur ? Je l'ai laissé dans une pièce
tendue de rouge et de vert au zénith.
Les mots ne suffisaient pas. Il eut fallu
en inventer de neufs, comme les doigts, hardis,
jouent à la marelle sur une épaule tendre.
Le soleil était haut. Et le temps sans limite.
Vies de papier
Tant de vies en si peu de pages.
De mort aussi. Lille est l'île
des impossibles lectures de
l'enfance. Plus que le sordide
qui pousse à fuir à toutes jambes
la tragédie soudaine, la fantaisie
de deux marionnettes à gaine dit vrai.
L'une, toute teinte en rouge, est l'image
de la mère que l'on croyait perdue. L'autre
est brune, coiffée des cheveux coupés courts
de la mère de l'aimée. La folie des hommes
en fond. La nuit confond les situations et
le lecteur aux yeux lourds ouvre l'encyclopédie.
«L'espoir d'aimer en chemin fait que l'on se damne.»
Ma non troppo, è vero?
Une astreinte
des oiseaux et les nappes
de fraîcheur. Une astreinte
qui n'en serait pas une. Une
évasion, en quelque sorte.
Sans nulle chaîne brisée,
Une nécessité, profonde.
Superposer deux sourires.Inviter
deux lèvres à s'abreuver auprès
de deux autres. Chéries. Laisser
la peau suspendre la raison et
chanter une tendre oraison.
Tu seras belle dans ce jour sans
seigneur, laissant les tenues
endimanchées dans le dressing
ombreux. Il suffira de peu. Quelques
heures. Juteuses comme un pamplemousse
au réveil. Les draps seront cramoisis,
le souffle s'y reprendra. Les pieds,
appariés apprendront une nouvelle
randonnée. Sans astreinte. Libre.
Au matin
Un livre, ou deux, sont
prétexte dans le noir.
Rondeur des journées qui
dans la nuit trouvent
leur source vive.
Les mots ont une peau.
Peau à peau. Le silence
chuchoté leur donne
chair. Clos, le livre
ménage d'improbables
unions, encre à encre.
L'assassin recouvre la
colombe, naître mourir.
Les mots sont aussi
prisonniers des pages.
Une prison dorée, en
faisant craquer la
reliure, on leur donne
vie. Ils s'envolent. Au
matin la peau aura fraîchi.
samedi 27 mai 2017
Ensenya'm / Montre-moi
sisplau. A les fosques.
Sense cap lletra.
Tot just els sons aïllats,
units, barrejats dins de
la teva boca. Ensenya'm
el silenci que els fa tan
brillants com una posta de
sol a l'aspre Finisterre.
Ensenya'm ta llengua,
sisplau. Ta llengua de carn,
tèbia i punxeguda. Sense que
jo la vegi. A les fosques.
Sense cap pressa. Tot just
per a gaudir-ne. Afòticament.
***
Montre-moi ta langue,
s'il te plaît. Dans le noir.
Sans aucune lettre.
Juste les sons isolés,
unis, mélangés dans
ta bouche. Apprends-moi
le silence qui les rend
aussi brillants qu'un coucher de
soleil sur le rude Finisterre.
Montre-moi ta langue,
s'il te plaît. Ta langue de chair,
tiède et pointue. Sans que
je ne la voie. Dans le noir.
Sans aucune hâte. Juste
pour en jouir. Aphotiquement.
Une maison encaissée
de la lavande mauve, est
une maison reculée.
Basse avec des murs épais.
L'hiver venté la délaisse.
C'est au printemps qu'elle
s'ouvre. Aux amis, aux gens
de passage, harassés par la
conduite automobile.
Les repas y sont frugaux.
Une poignée d'olives noires
et grasses, du rosé frais,
des lupins et un peu de jambon.
On y rit, on revit le passé,
on y rêve aussi, à l'abri du
repli. Les communications n'y
passant pas, l'esprit se fait
plume et écrit à l'aimé. En
silence, presque sans un geste,
car la vie est là et les enfants
ont faim. Deux jours. Sérénité.
Sa meva neboda / Ma nièce
espera a la sortida de la sala.
Fosquet. És un dilluns al sol,
abans de la tertúlia amb els
amics. S'agafa de la mà de s'àvia
adorada. Em demano qui de les dues
és la més jove. Al costat, amb molta
discreció i un somriure de lluna i
d'estels, vetlla l'amfitriona.
Allunyat de l'illa, un matí de maig
a la fresca, retrobo les converses
amb la neboda, els riures, els acudits
i veig en el somriure de mumare la
riquesa dels éssers que s'estimen.
Ens tornarem a veure, Adeline!
***
Dans sa robe rouge de petite Gitane,
elle attend à la sortie de la salle.
C'est le soir d'un lundi au soleil,
avant la réunion des amis.
Elle serre la main de sa grand-mère
adorée. Je me demande qui des deux
est la plus jeune. À ses côtés, très
discrète, souriant à la lune et
aux étoiles, l'hôtesse veille.
Éloigné de l'île, un matin de mai,
à la fraîche, je retrouve les conversations
avec ma nièce, les rires, les bons mots
et je vois dans le sourire de ma mère la
richesse des êtres qui s'aiment.
Nous nous reverrons, Adeline !
Un petit paquet de barquettes
une lettre d'amour. Rouge sang,
avec des traînées printanières.
Bilingue, entre Flandres et Midi.
À la française fraise répondent
l'alpha et l'omega de la rouge
aardbeien van LU. Au dedans :
quatre sachets anonymes, faits
pour des menottes. Présent infini.
Le petit les mangera plus tard,
dans le petit jardin qui entoure
la maison. Je le regarderai faire,
tout à la tâche de les disjoindre
et de les savourer. Puis je penserai
à des yeux verts si clairs que
Bazille, en les découvrant, eût quitté,
peut être les bords du Lez pour l'Escaut,
à moins que ce ne fût De Schelde...
vendredi 26 mai 2017
Aïllat
menteix. Em sento ara
aïllat. No pas com dins
d'una illa. No, tot el
contrari: sense una illa.
La meva, la nostra, de
pedres i de vent. De gent
generosa, de tracte amable,
i de llengua clara i polida.
Hi he deixat part del meu cor
i tota l'ànima. En una casa
pintada de blanc per un home
de talent, entre dues, tres
o quatre llengües. La meva
mare ho sap que es repassa
cada hora d'un sojorn molt
més que diví: humà. De dinar
en berenars i tertúlia.
Le voyage en Provence
que l'on chiffonne gentiment.
Les distances s'abolissent
et l'encre s'imprègne durablement
dans la paume droite. Bruxelles
touche Montpellier dans la conque
provençale. Le vin coulera frais ;
la conversation, amène, glissera.
Je sais pourtant une invitée dont
le cœur battra fort, assoiffée non
tant de rosé gouleyant que d'un
accent laissé loin, d'une langue
proche et distante qui antépose
volontiers l'adjectif au substantif
qu'il qualifie. Deux journées, une
poignée d'heures. Bien peu à l'aune
de cinq années. Et pourtant, un élan
neuf chez une jolie énamourée.
Le suffisant
calmes, le petit en vélo a des audaces
sylvestres. Le banc étroit de pierre
tiède nous accueille. Sérénité au-dessus
du fleuve dont nous percevons la rumeur
continue mais que le feuillage nous cache.
Il n'est pas deux heures au cadran du juste
quand soudain un fâcheux nous interpelle
d'une voix faussement enjouée. Satisfait,
repu, la bedaine comme un étendard de foire,
il porte, en guise de sceptre, une bouteille
de soda qui, par contraste, semble minuscule.
Il nous demande où est le cours d'eau que l'on
entend distinctement et tempête contre la
distance qu'il juge excessive. À ses côtés,
épuisée, une femme pousse avec difficulté,
une poussette sombre. Ils sont passés.
La route est longue vers l'égalité.
mercredi 24 mai 2017
Devine
clos d'un trait de
langue évanoui.
Le grain du papier
écru accroche la
pulpe du doigt
qui le caresse. Temps
allongé. Douleur petite
et exquise. Ne pas ouvrir.
Pas tout de suite. Se fixer
longuement sur la devinette
qui le signe d'un trait et
d'un D à nul autre pareil.
L'enveloppe est épaisse,
l'intérieur cartonné.
Une histoire s'y tisse.
Peut-être? Avec un dessin
ou une photo. Un lieu à
partager ? Un animal fabuleux ?
Une pipe de Magritte ou l'empreinte
d'un artiste de cinéma sur un
boulevard fameux ? Je le saurai bien
assez tôt. Pour l'instant je savoure
ton auDace dûment timbrée.
mardi 23 mai 2017
Tertúlia de dilluns
de la setmana, reventats, abúlics?
No, s'estimen millor passar-se «los lunes
al sol» o, més aviat, els dilluns a la lluna.
Qui són? Uns amics reunits a La Rueda, un
restaurant càlid de Sant Lluís. I, entre
canyes i romanes, fetge i bravetes,
reescriuen el món amb accent de llevant.
Un dilluns de finals de maig, eren quatre:
en Paco, en Juanjo, en Carles i en Nando.
M'hi invitaren, amb gust. A la pantalla
del fons feien futbol, però ningú se'l
mirava. Jo a l'extrem de la taula, xalava.
Pixera matinera
Ets fotògraf i dibuixes els peus
de ses dones primaverals amb tela
fina o cuero de color. Com jo,
a vegades, l'insomni te treu del
son. La pixera de s'homo de mig
segle que li recorda que encara
segueix viu, al bell mig del camí.
A les cinc de la matinada, sa vida!
lundi 22 mai 2017
Radiographie
lunettes fumées au bout
du nez, un chapeau de
toile noire sur la tête.
À ses côtés, négligemment,
je donne une interview à
trois et mens. La nuit est
censée être tombée depuis
deux bonnes heures. Je salue
le public d'une émission de
la nuit, outremer. L'ami
Pere, engagé dans la même
douce mascarade me soutient
de son ton grave et sérieux.
Délicatesse des questions,
entrevue préparée, le journaliste
s'y connaît et sa voix claire
enjoue. Leonard Cohen ne cille,
nous sommes parvenus au terme
de notre court périple. L'entrevue
est terminée. Je pense à toi, Véro.
Avant-scène
Relire mes vers dans ceux
de Pere, comme le «o» et
le «e» se lient dans le
cœur.
M'étonner des choix lents
ou rapides, impulsifs ou
réfléchis, jouer sur la
distance abyssale entre
la pierre
et le caillou et, ce faisant,
alterner avec des vers d'amour
pour toi. Libres, en cinq fagots
de cinq, comme les doigts de
ta main
au sortir de la consultation.
Outrepasser la mer, boire le vert
de tes yeux dans l'outremer de mes
mots. Passent les minutes, décompter
les quarts d'heure.
Te glisser à l'oreille l'immense
confiance qui me lie depuis douze
ans à l'ami Pere, confrère et durable
inspirateur. Le désir de dédier un
peu de mon souffle
à Martina, sa muse, discrète et enjouée.
Tot binnenkort
Des limites tranchées entre les jours,
rien ne demeure que la sensation d'un
présent prolongé. La distance est caresse
et quand tu me lis, tu crois m'entendre.
Je conjugue l'avenir au futur proche,
porté par ta confiance tendre. Tot binnenkort,
mijn liefde. Vertrouwen uit sensualiteit.
La sensualité naît de la confiance...
Six jours
humide. Six jours. Peu ou prou.
Le cœur bat délicieusement.
J'aime les projets petits, les grands
aussi. Somme délicieuse de petits
moments orientés, comme la main
noue d'un brin les fleurettes cueillies
au bord du chemin. Parler, parler encore,
vivre ce moment, ces heures à venir,
s'en faire la geste discrète, l'histoire
à venir. Construire le passé d'un futur
espéré. Et s'étreindre voluptueusement.
dimanche 21 mai 2017
Équidistances
le silence s'emplit de désirs petits
et infinis. Sérénité. Tu me dis que
le jardin à quatre s'est dégagé,
emportant aux vents mauvais les tensions
de naguère. J'imagine la sueur à ton front,
leurs doigts gourds dans l'effort. Votre
unité. Bien sûr les grands y furent plus
enthousiastes mais non moins coordonnés.
Je t'aime à quatre lèvres, peau à peau,
ta main dedans la mienne. Mais je t'aime
aussi là-bas comme ici. Tu y es toi.
Et le soir, ici comme là bas, nous dessine
dans la lumière adoucie. Plus tard viendra
la fraîcheur, le désir de l'étreinte. Bientôt.
Tamariniers
entre mer et étang. Non loin,
les enfants jouent à chercher
des vers pour la pêche des grands.
Il n'est pas midi, l'heure du café
et du thé vert brûlant. Le dialogue
courbe les visages et caresse les
mains. Je me suis écarté et vous
regarde longuement, tout à la joie
de cette heure inouïe. Du vent dans
les branches de sassafras me revient
soudain à l'esprit. Mais Obaldia est
si loin avec son Kentucky d'opérette.
Nous sommes à Minorque, au cœur d'une
réserve et je vous aime, mes parents,
mon ami. Maryse est de côté. Sa voix
se casse dans l'émotion. Je bois ses
paroles enthousiastes, à mi chemin
entre trois langues. Au centre est Adeline,
si belle. Elle voit ce que nos regards trop
bas ne savent voir : l'ouvrier sur le toit
qui chaule les tuiles à l'aide d'un balai
improvisé, les écailles des langues qu'ébarbent
ses doigts neufs. Pourquoi un concept si clair
dans une langue, aux modalités surprenantes,
peine-t-il à se faire entendre dans une autre
unifiée ? Paco, à sa droite, a la parole lente
et posée. Il ne juge ni sélectionne, il dissèque
chaque mot comme l'ongle brise la coque du fruit
sec pour en extraire le noyau savoureux. Je ne les
écoute plus et mes mains épousent mes cuisses.
La concorde naît par delà les mots, à l'ombre
grêle des tamariniers touffus...
Quadrillages
un miroir, je m'y peignerais lentement,
en longues traînées parallèles, à peine
ennuyeuses. Mais je ne suis qu'un homme,
alors je regarde, reconnaissant, mes pas
et, sous eux, la trace des chemins.
Le route du gouverneur Kane, les murs de
pierres sèches, les bancs chaulés des lices
séculaires. Blancheur des lignes, perfection
inachevée du tracé. Mes rides ne sont rien,
elles s'informent de ces quadrillages sans
fin qui nous dépassent et embrassent ma vie.
Dona'm / Donne-moi
Petit, humil, un selfie.
Pinta'm sa vida amb ulls
d'algues vives. Com un ballet.
Deixa passar ses hores de sol,
es dia de canonge, tranquil
i tendrament assolellat. Vine as
meu costat. Xalarem a ses fosques.
***
Donne-moi un portrait de toi.
Petit, humble, un selfie.
Peins-moi la vie avec tes yeux
d'algues vivantes. Comme un ballet.
Laisse passer les heures de soleil,
le jour magnifique, tranquille
et tendrement ensoleillé. Viens
à mes côtés. Nous nous régalerons
dans l'obscurité.
Écrivivre
La mer frise entre nous et les kilomètres
s'allongent. Nous n'avons jamais été
aussi proches l'un de l'autre. Ton front
se fronce et sur les fronces de mes rêves
effrangés, je danse. Silence de la nuit
encore proche, cliquetis des doigts qui te
cherchent et te trouvent. Écrivivre. Comme
dit un ami dans le vert paradis d'un figuier
retrouvé. Tot binnenkort. Fins aviat. À bien
vite. Les langues sont un ballet, tu y prends
ta place. J'y suis bien. Et mes yeux sont verts.
samedi 20 mai 2017
Besoin soudain
Le matin déjà haut. La banlieue
nord d'une ville du sud. Un besoin
irrépressible de toi me contraint à
m'arrêter en marge de la route, contre
un magasin de vêtements pour enfants.
Ton image sous le verre dans la main,
ta voix, cinq minutes puis la route finira.
Ton sourire humide d'aigue marine et
ta main qui, depuis, jamais ne me quitte.
Liefste
Une langue par bribes,
par écailles de nacre.
Une langue de sons et
de lettres, de mots ronds
comme tes yeux sous l'étang.
Mijn doktor, liefste. Liquides,
sifflantes. La vérité dans trois
mots neufs cueillis, inventés
et l'amour qui entre nous croît.
vendredi 19 mai 2017
Un diamant
chauffé à haute température,
devient du graphite, une simple
mine de crayon. Moi, mon diamant
ne se voit pas et il n'y a que
dans mon cœur et dans mes yeux
qu'il brille d'une lueur singulière.
Il guide ma main sur la page, bien
loin des palimpsestes que le passé
connut. Mon diamant, quand il rit,
a une eau très pure, comme d'émeraude,
et il danse la nuit dans ma paume fermée.
Le concert
avant la Saint-Jean, un soir.
Des amis joueraient du rock.
Et de la variété. Nous nous
tiendrions serrés, comme deux
adolescents, ta hanche frôlerait
la mienne et mes doigts serreraient
les tiens. La soif nous surprendrait,
la faim aussi. Nos chopes de houblon
clair transpireraient et nous nous
brûlerions les lèvres à grands coups
de frites salées. Nous serions bien.
Nous sommes bien, déjà. Veux-tu ?
Sculpture
un «p» et un «s». Avec
une pipe et un crochet.
Pied de nez aux salons
et au bon goût. Nul besoin
d'en appeler à Courbet.
L'origine du monde est
bien là. Dans l'absence
des mains que le silence
impose. Instantané. D'un
passé immémoriel et dont on
cherche pourtant la date.
Arrêt. Non pas sur image,
ni sur geste mais sur
l'étreinte. Mains Janus,
d'étrangleur ou caressantes.
Le spectateur, béotien, n'en
saura jamais rien. Et le marbre
est si froid. Se repaître d'un
cadavre exposé alors que la vie
est si brève ? Se peut-il ?
Je cherchais le guide, la lumière
qui me ferait comprendre. Avec
un un «p», avec un «s». Je l'ai
trouvée, avec un «v», avec un «d».
Toute vitesse, toute débrouillardise.
Et ma main sur le marbre a tiédi.
jeudi 18 mai 2017
Karstiques
La plage et ses embruns iodés.
Une fantaisie de rivage,
un soupçon de folie. Descendre
du bois la pente, comme on longe
le rivage, les pieds dans le sable
mouillé. Ta peau, si fine, est rétive
au soleil, elle préfère l'ombre mauve
du chuchotis. La mienne aime son île
et sa farine blanche que ravive soudain
un turquoise sans fin. Alors je te la crée
cette mer improbable et son pédalo estivant.
No oblidis
dels avantpassats. Prepara't a creuar la mar
amb la mare, un dissabte de maig.
No viatjareu sols. Us acompanyaran el llinatge
perdut i aquell que comparteixen amics i parents.
Guasteví. Gomila. Tantes pedraules sota l'escalpel
de l'amic Joan. Pedres vives, paraules plenes. On són
els mots de l'avi i de l'àvia? Encara conservo a l'armari
les copes clares del cafè. Les voldria omplir de la birra
tendra de la saviesa passada. Mare, prest t'estaré preparant
la maleta amb els vestits de flors i les sabates d'estiu.
De tu aprendré molt i deixaré parlar el nostre amic el vent.
Fluences
ne suffisent pas. La pente
croise d'antiques lits
ensommeillés.
Le cours liquide est ailleurs
que le printemps exige. Dans
ta parole de violette ou sous
ta peau.
Claire, fine, brillante, elle
fait naître des mirages aux yeux
du promeneur non hâtif. Tatouages
de vie.
Fins réticules, çà et là, bleutés,
mon encre sympathique où mes doigts
négligeamment prennent leur force
et leur inspiration.
Fluences. Fluences de capillaires.
Ton cœur s'anime soudain, au plus bas
de la pente, sur un mamelon moussu.
La vie flue
et irrigue mon chant. Combien de temps
aura-t-il fallu pour en arriver là ?
Quelques minutes ou un siècle coupé
en deux comme l'orange
sous le couteau du bateleur ? Qu'importe,
l'essentiel est ailleurs. Dans les chemins
sans fin du réticule. Parler et puis se
taire. Construire. Aimer.
mercredi 17 mai 2017
Sinon
De moi tu ne veux de cadeau,
sinon mon souffle et mes mots.
L'île de bois et de rivets en marge
des fauves assagis, à Lunaret.
La main d'un enfant qui marche
gravement, le cœur dans les coquelicots
De moi tu ne veux de cadeau,
sinon mon souffle et mes mots.
Mes doigts qui ont écrit et tardent
à s'envoler quand la peau de ton dos,
près de la nuque, les retient un instant.
Heures exquises, minutes plutôt.
Le songe d'une vie, l'entente infinie
Ne rien attendre. Tout donner. Recevoir.
dimanche 14 mai 2017
Aimer
cependant qu'au dehors,
une pluie fine étouffe
les chants d'oiseau,
comme de l'étoupe.
Remercier le monde
de sa profusion et
du hasard qui préside
à la rencontre de deux
êtres ; ne point y voir
un cadeau donné sur
l'instant mais un présent
renouvelé à chaque journée.
Faire de la distance, de
l'absence, un ferment neuf.
Laisser les mots se former,
se tisser, s'épauler, donner
à la langue tout son espace
de liberté. Tel est mon propos
petit en cette grise journée
d'un joli mois de mai.
Méditation
tout petit, une
maisonnée.
Le jeu, car c'en
est un au début,
consiste à dire
de chacun des deux
autres des qualités
éminentes, qui le
rendent aimable et
attachant. Méditation
sage, en paroles, jeu
qui bientôt touche à
l'essentiel du lien qui
nous unit. Respect.
Malgré la distance ou
la proximité. Les mots
y importent moins que
la confiance et les regards
émerveillés. Huit années
se sont écoulées,
depuis ta naissance, et là,
mon fils, je vois combien
tu as grandi.
vendredi 12 mai 2017
Caprifoliacées
ou les bois touffus, les villes
hallucinées ou les banlieues
hostiles, j'aime les marges,
les haies, les lisières, les
lianes, les taillis et les
buissons. Par sa délicatesse
au bout de tant de vert,
le chèvrefeuille me plaît,
à l'odeur incomparable, comme
de jasmin encanaillé. Alors,
je te l'offre, à toi, ma muse,
qui sais de la lisière du cœur
et de la raison, m'apprendre
les contours subtils et vrais.
Comme un non-anniversaire
la voiture filait et le jour
s'écoula. Et voici que la table
grise m'offre un bouquet fané
aux clochettes défraîchies.
Noué d'un brin, déposé dans un
joli vase, il fut un sourire
et une attente et, à présent,
le signe tangible de la chaleur
entre les êtres qui demeure
malgré les jours qui passent
et les larmes causées.
Lune, y es-tu !
J'ai rêvé à la lune,
comme on cherche
le loup. Je l'ai cherchée
dans les rues froides et
sonores. Mes mots avaient
perdu alors toute magie et je
promenais devant moi comme
un miroir sans tain. Des élucubrations,
des propos décousus. La lune n'était
plus, et ma parole chaude à toi se refusait.
La nuit est passée, déjà l'aurore chante
,
avec une lune bien blanche, d'une ivoire
polie. Tu m'y attends, je sais, du monde,
tu es la clé. Je l'avais oublié tantôt,
cependant que seul, nuitamment, je marchais.
Dans quelques heures
Dans quelques heures, tu auras huit ans,
dans quelques heures, seulement.
Pour l'instant tu dors, insensible à
l'aurore qui soulève un peu le volet.
Au dehors, les oiseaux, par leurs chants,
déjà te fêtent et un avion lent passe
gravement.
Dans un peu plus de deux heures,
ce sera la classe, l'attention maîtrisée.
Écoute et bois le monde, la maîtresse
en connaît une bonne tranche.
Et puis nous nous verrons, à midi et
encore le soir. Tu auras sept ans,
un peu, pour quelques heures encore,
et je te ferai un peu de magie et nous
courrons ensemble. C'est long de devenir
un homme, mais on peut s'y amuser aussi.
Pentasyllabes...
de ta jolie main,
ces cinq petits vers
sont une baguette
pour veiller ta nuit.
jeudi 11 mai 2017
Lune gibbeuse
que j'imagine
et que la pluie
me voile.
Lune gibbeuse,
que tu imagines
et que les mots
dévoilent.
Une jolie bosse
d'ivoire lui tient
lieu de courbe.
Et l'envie me prend,
de m'en faire un
écritoire grêlé
pour t'écrire des
vers de nuit quand
tu dors et songes,
des vers courts,
sans nulle ambition,
à croquer au réveil
entre la tasse et
la tartine, avant
que de partir vite
réparer les corps
blessés et consoler
les âmes apeurées
de ton sourire de
lune. De lune rêveuse,
de lune gibbeuse, qui
offre sa courbe en
présent infini.
mercredi 10 mai 2017
Une épine au goût de sang
de repos et les promeneurs,
d'un coup, avaient cessé
leurs rondes incessantes pour
s'arrêter saucissonner, au bord
des sentes les plus ombreuses.
Ils étaient différents, par leur
mise, par leur propos. Ils avaient
marché lentement, dans des baskets
de toile tendre, peu propices à la
longue randonnée. Un vallon hasardeux
les accueillit et, parmi les petites fleurs
mauves, gardiennes du désir, elle, puis
lui, s'assirent. Sous eux, le bartas
veillait de mille épineux, secs et
intrépides. Il se piqua au doigt, elle
lui tendit un petit mouchoir en papier
blanc qui rougit sous la pression câline.
Plus tard, bien loin de Saint-Sauveur,
en cherchant, dans ses poches, les traces
de la récente félicité, elle se piqua
au doigt, le même, et suça discrètement
la tiède perle rouge. Elle redevenait
enfant et à lui s'était soudain mariée.
samedi 6 mai 2017
Menorca en blanc / Minorque en blanc
Que passen les setmanes
sense rumb ni foscor.
Necessit, prest, sa vida
salada, sa presència de
mon illa. Saps que hi
aniré amb sabates de xarol
i barret de palla blanca,
conduint mumare, na Marisa,
a sa casa de l'amic al mig del
poble blanc d'un Nobel revifat
i de tendres versos per escriure.
***
Laisse-moi rêver, mon amour.
Car les semaines passent
sans cap ni obscurité.
J'ai besoin, rapidement, de la vie
salée, de la présence de
mon île. Tu jais que j'y
irai avec des souliers vernis
et un chapeau en paille blanche,
conduisant ma mère, Maryse,
chez mon ami au milieu du
village blanc d'un Nobel ressuscité
et de tendres vers à écrire.
Sculpture, culture, bouture
tiédie par les doigts du
potier. Le tour rapide par
la jambe actionné, les lignes
parallèles, ignorant des doigts
l'empreinte indélébile. Puis
sont venus d'autres matériaux :
la plâtre, le marbre, le bronze.
Le bois surtout, tendre et dur.
Sur un meuble étroit et long :
une maternité inachevée. Le ciseau
a laissé sa trace. La patine désirée
repousse la poussière qui s'y colle
et tente de l'affadir. Combien de temps
y-a-t'il que tu l'as délaissée, cette
œuvre de tes mains ? Qu'importe. Elle est.
Offerte aux rares visiteurs de ce musée de
blancheur. Un étonnant cabinet des curiosités
ouvert à la lumière et clos aux intrusions.
L'inachèvement y est, je l'apprends, nécessaire.
La maternité jamais ne se parfait. Elle avance
et ta sculpture, étape de culture, s'unit aux autres
formes du savoir. Rameaux convergents. Capillaires
de sève. Bouture infinie vers où tend mon écrit.
Accents
Que lente est l'avancée.
Deux voix font un monde,
Lettres accolées sans
ligature. Séparation
sus et les accents à
venir. J'apprends lent
sont les langues et
tendre l'insondable.
Je connais
Je connais à présent
ton lit, sa tiédeur.
Ta peau qui au coton
perle s'unit. Tes yeux
et ton rire. Je les vis et
à quarante lieues sais
de mon silence aimant
te veiller, mon amie.
vendredi 5 mai 2017
Le sommeil d'une mère
sur l'étroit et incommode fauteuil en osier.
Son souffle est fort et ses yeux sont clos.
Toute une journée de fatigue, toute une vie,
surtout. Au service des autres, de ses enfants,
surtout. Des sourires par milliers, des expressions
toujours aimables. Le pas discret d'une petite souris
quand la maisonnée dormait. Voici peu la maladresse
empressée d'une vendeuse lui a fait briser une bouteille
de whisky, de l'Islay de ses deux fils aimés. Elle a cru
ne jamais s'en remettre. Au loin, sa voix s'était voilée.
Il a fallu bien des minutes pour la réconforter. C'est
fait à présent. Et la voilà qui dort, La Grande Librairie
achevée. Et je lui rends hommage, qui sans elle ne serai.
jeudi 4 mai 2017
Sur le quai
Un pas devant l'autre,
lentement,
précautionneusement.
Je suis la bande blanche,
étranger à la foule compacte.
Plus haut, le haut-parleur
décline des noms de villes
aimées et il me prend l'envie
d'avec toi aller les visiter.
Une nuit dans chacune, ronde
comme un an, pleine comme
une semaine. Mais déjà le train
arrive et la bande est piétinée.
Une petite heure encore et dans
mes rêves je te retrouverai.
Un pantalon rouge
Midi avait sonné aux
horloges lointaines et
déjà mon cœur battait
fort. Je la vis ouvrir la
porte blanche et je m'y
engouffrai, disert. Ce furent
des minutes précieuses
qui nous laissèrent cois.
Son pantalon, de toile
rouge, garda longtemps
la trace de mes yeux
de vie. Souvent, lorsque
le soir se fait, je l'imagine,
rougeoyer sur le canapé
sombre, comme le phonème
rauque d'une langue autre
que j'apprends, jour après jour,
pour m'en souvenir, aussi.
Mains
Mains. Des mains.
Deux mains. Pas
les tiennes, aimées.
Deux inconnues qui
pétrissent la pâte,
avec parcimonie.
En silence et que
le four oubliera,
tout juste englouti
le pâton odorant.
Des empreintes
digitales, seul
demeurera le
souffle juste
d'un artisan,
une bulle vive
d'humanité
ignorée.
L'invention
au sommet d'un mamelon. Étoile brisée,
que l'on aurait oubliée à l'amorce de
juillet. Amples dalles mates. Le pas
se ralentit, de salle en salle, de
statue en statue. Polychromes,
clownesques. Silence des bois flottés
et de l'acier brossé. Le verre, inerte
et froid, excave les souvenirs bruxellois.
Je touche de l'index chacune des pointes de
l'étoile. Microcosme. L'homme de Léonard se
circonscrit dans tes espaces et le temps
n'existe plus. Il exulte. Qui a parlé de futur ?
Chassons les paroles anciennes et inventons-nous
des mots neufs. Boules de couleur entre des
personnages hiératiques sur un meuble flamand.
Ris, délaisse le café des machines, retrouve le
percolateur dont je t'avais parlé. Ferme les yeux.
Tu y es ? Un, deux, trois soleil ! Le zénith approche.
La semaine est en son mitan et le jour en son cœur. Nous
voici séparés. Un temps. Un temps seulement. L'espace,
stellaire, nous unit. Et la piscine, rase et tiède, n'en
finit pas de pleurer des crocodiles les antiques saignées.
N'aie plus peur et soyons meubles. De couleur et de sang.