Tout a commencé sous un ponton
de bois goudronné à Dunkerque.
La peau étrangère, les mots aigus,
le sable froid dans l'ombre du secret.
Elle s'appelait Inès. Le vent des Antilles
avait doré sa voix. Je jalousais alors les
flâneurs des deux rives, les seules que je
connaissais, herbeuses le long du canal
exutoire des Flandres charriant un trop-plein
de terre grasse à binje ou à betterave sucrière.
J'entrevis ce jour-là l'existence d'une rive autre
que celle que mes pieds foulait, par-delà l'onde
incertaine, et je n'avais pas encore lu Le rivage
des Syrtes de Gracq. Les ans ont passé, la timidité
première a feint de s'en aller dans le verbe haut et
les manières matoises. Je m'écoutais, croyant dialoguer.
Et puis tu vins, à l'orée du printemps. L'eau m'importa
moins que l'autre rive que je voyais enfin s'animer.
Des dames et des messieurs s'y promenaient, des calicots
y ondoyaient, dans une langue nouvelle et cependant amie.
«Tandis que sous le pont de nos bras passe»... Je me pris
à rêver et, sans nulle exigence, tu m'y encourageas.