samedi 29 juillet 2017

NA MACARET

Je m'assieds sur le quai de bois et je pêche des girelles avec mes fils
qui rêvent de Sandokan et de Moby Dick.

J'ai les mains écaillées de blessures de sars et de saupes.

Retiré du monde, du siècle, j'écris avec la ventrèche d'un petit mérou l'élégie
claire de la fleur de sel.

Je sais qu'après le sel et les sillons que la mer creuse dans la peau des doigts
la plume est légère et chaude.

Je traverserai Es Codolar, je plongerai au fond de Sa Nitja pour trouver, ensevelie,
parmi les algues, l'âme blanche du mythe.

Je ne calerai pas à Cala's Morts.

Comme le vent qui de Tindari me parvient parfumé de camomille, les années
sablonneuses transportent de la poudre de bois vermoulu.

Voici que passe une felouque et un chien au poil rêche me renifle débonnaire l'amorce.

[Quand j'étais] enfant, Dieu marchait sur les eaux. Le monde sentait l'encens. Je ne savais pas 
encore que nous portons l'enfer en nous ni ne chassais des chardonnerets avec des
filets et de la glu.

Un jour, l'un des mes amis a noyé cinq tout petits chats dans le bassin verdâtre du
jardin de Can Virolla. Après des gens à mots triomphants sont arrivés sur l'île,
ils ouvraient des canaux et sillonnaient l'espace d'arbres secs et de fils.

Les tamaris ont commencé à mourir. La neige n'est plus jamais revenue. Au cinéma
on passait Quo vadis ? et un soir de bibliothèque froid j'ai vu Le cri de
Munch.

À présent je pêche des girelles avec mes fils qui rient quand je leur chante joyeusement 
la chanson de pirate de John Silver et ils me demandent qui était Billy Budd.

Je veux oublier que j'ai lu Genet. Je renierai, comme Saint Pierre, par trois fois,
Bataille.

Il y a une barque à rames à fond plat qui pourrit sur la claie de roseaux...

L'obscurité se fait et je m'invente une vie d'ermite.

Ponç Pons, La fleur de sel,
trad. du catalan (Minorque)
par M. Bourret Guasteví