lundi 7 septembre 2020

Le rendez-vous des inconnus

La table est ronde, large ;
cinq convives s'y tiendraient
commodément. Elle est seule

et attend. Les voyageurs, au
sortir de la gare, masqués,
chargés de valises et de sacs,

la frôleront sans la voir. Pour
s'entasser, chacun, sur d'étroits
guéridons de forlicas gris

Inconfort d'un temps. Une heure,
ou peut-être moins. Les visages
sont bus par de curieux écrans

aux lueurs tentaculaires. Et moi,
dans un coin, à les regarder,
rêvant de les voir s'attabler,

à cinq autour du cercle esseulé.
Après des regards furtifs et
deux ou trois raclements de gorge,

les conversations naîtraient d'un
rien, d'un brin, si peu, c'est à
dire tout. Et les inconnus, à leur

cœur défendant, connaîtraient alors
le premier de leurs rendez-vous.
Un peu, beaucoup, passionnément.