lundi 31 juillet 2017

Chopin en Hiver

Les Quais de Chicago glissent sous mes yeux.
Un petit appartement, un immeuble plus haut
que les autres. Un jeune garçon qui joue aux
cow-boys et aux indiens sous la table 

et écoute la vie des autres. Et Chopin. Dans
les histoires de son grand-père et sous les mains
d'une jeune immigrée italienne qui joue jusqu'à
en ébranler les fondements de l'immeuble.

Je lis et je pense à toi dont la voiture tranche
la Drôme comme un petit melon d'apéritif. Bientôt
ce sera le Rhône épais et faussement lent. Le Vieux 
Monde si neuf sous ton pas et Chicago nous attend.

En contrebas

La rampe est de bois rond, cerclé
de tant de songes. La serrer tout
en descendant les deux marches.

Degrés. Descendre pour mieux
aimer. La mer sera sacrée et sa
plage est de lin. On dit qu'un

garage s'y tint et qu'une voiture
nous aurait jalousés. Je ne peux
le croire. Devant, là d'où vient

un rai de lumière, le rideau écrit
la scène des âmes appariées et
mon cœur prend la rampe, descend

pour ne plus jamais te quitter.

Cinq heures

Non pas celles où meurent les taureaux
chères à Lorca et aux fronts éventés.

Non : celles du matin. Les heures graves,
qui ne voient plus le jour, le cherchent
et le croient à jamais disparu. D'avoir
tant lutté, des hommes y renoncent

et la froideur soudaine, à la conscience
les ravit. C'est l'heure je me tiens
éveillé, repassant en mon sein les mots

d'un poète profond que mon fils m'a
confiés. Je mesure alors combien
ma langue naît des vers par d'autres

déposés. Et me rendors, léger, les mains
par d'autres indéfectiblement encrées.

Sans perle

Que ta main est belle quand tu dors,
le rivage de perles l'a quittée. Il la
regarde muet sur le côté.

On la jurerait alanguie, les doigts
un peu disjoints. Je la sais toute
à nos souvenirs, de badiane et

d'anis étoilé. Je ne la regarde ni
ne la tiens. Je la réveillerais.
Je l'imagine et mon dos la connaît.

dimanche 30 juillet 2017

J'ai décidé

J'ai décidé de t'aimer,
cette nuit, la lune était haut
et me regardait comme une invitation.

Je te l'ai dit, puis nos souffles se sont
unis, forge sans Vulcain, immanence cadencée.
Je t'ai couronnée de nos mains croisées.

Nimbée, tu dansais sous ma houle. Le drap 
se fit buvard et les scribes se turent.
La lune se voila qui nous voulait cacher.

Le temps se suspendit, je travaillais la mer.
Tu t'exhalas et un rossignol dans son bec,
porta une herbette. Le sommeil nous confondit.

L'heure d'avant

Les heures vinrent soudain en bloc,
inattendu, au terme du trajet, le dos
était cassé de sueur, les mains s'aimaient.
Trois jours, deux villes, une vie.

Puis le temps s'accéléra après nous avoir,
matois, bernés, café après café, dans le
silence de la piscine déserte, rase, jamais
remplie. Le matin fila, suivi des heures chaudes.

Le seigneur nous avait abandonné, de son jour,
il ne nous laissa qu'un sommeil entrecoupé,
ta tête dans mon épaule, nos souffles épousés.

Qu'elle était belle, cette heure d'avant, le drap 
était nappe d'autel, l'armoire était maison,
et tes bijoux, sous le vent, doucement tintaient.

samedi 29 juillet 2017

Le pont tiers

Longtemps je pris le pont qui enjambait le Rhône,
en voiture sombre, vitres fermées. Je voyais alors
à côté de mon arche, un peu en contrebas, un pont

suspendu que, secrètement, je désirais. Des voitures
affinées par la distance le traversaient lentement,
suivies de quelque camion grave et lancinant. Puis

je pris un pont second, à vive allure d'un train clos
vers la capitale où étaient mes fils. Je ne vis plus
ce pont tiers qui avait durablement nourri ma fantaisie

de marinier sans péniche. Je l'oubliai et l'eau toujours
passait, faisant tinter les grains de raisin des crus
avoisinnant. Et puis tu vins, nous naquîmes l'un à l'autre,

je commençai, çà et là, à délaisser l'olivier pour le buis,
nous entreprîmes d'emprunter ce pont tiers, suspendu à
notre commun désir, ensemble ou séparément. Il s'incarna.

L'autre rive

Tout a commencé sous un ponton
de bois goudronné à Dunkerque.

La peau étrangère, les mots aigus,
le sable froid dans l'ombre du secret.
Elle s'appelait Inès. Le vent des Antilles

avait doré sa voix. Je jalousais alors les
flâneurs des deux rives, les seules que je
connaissais, herbeuses le long du canal

exutoire des Flandres charriant un trop-plein
de terre grasse à binje ou à betterave sucrière.
J'entrevis ce jour-là l'existence d'une rive autre

que celle que mes pieds foulait, par-delà l'onde
incertaine, et je n'avais pas encore lu Le rivage
des Syrtes de Gracq. Les ans ont passé, la timidité

première a feint de s'en aller dans le verbe haut et
les manières matoises. Je m'écoutais, croyant dialoguer.
Et puis tu vins, à l'orée du printemps. L'eau m'importa

moins que l'autre rive que je voyais enfin s'animer.
Des dames et des messieurs s'y promenaient, des calicots
y ondoyaient, dans une langue nouvelle et cependant amie.

«Tandis que sous le pont de nos bras passe»... Je me pris
à rêver et, sans nulle exigence, tu m'y encourageas.

NA MACARET

Je m'assieds sur le quai de bois et je pêche des girelles avec mes fils
qui rêvent de Sandokan et de Moby Dick.

J'ai les mains écaillées de blessures de sars et de saupes.

Retiré du monde, du siècle, j'écris avec la ventrèche d'un petit mérou l'élégie
claire de la fleur de sel.

Je sais qu'après le sel et les sillons que la mer creuse dans la peau des doigts
la plume est légère et chaude.

Je traverserai Es Codolar, je plongerai au fond de Sa Nitja pour trouver, ensevelie,
parmi les algues, l'âme blanche du mythe.

Je ne calerai pas à Cala's Morts.

Comme le vent qui de Tindari me parvient parfumé de camomille, les années
sablonneuses transportent de la poudre de bois vermoulu.

Voici que passe une felouque et un chien au poil rêche me renifle débonnaire l'amorce.

[Quand j'étais] enfant, Dieu marchait sur les eaux. Le monde sentait l'encens. Je ne savais pas 
encore que nous portons l'enfer en nous ni ne chassais des chardonnerets avec des
filets et de la glu.

Un jour, l'un des mes amis a noyé cinq tout petits chats dans le bassin verdâtre du
jardin de Can Virolla. Après des gens à mots triomphants sont arrivés sur l'île,
ils ouvraient des canaux et sillonnaient l'espace d'arbres secs et de fils.

Les tamaris ont commencé à mourir. La neige n'est plus jamais revenue. Au cinéma
on passait Quo vadis ? et un soir de bibliothèque froid j'ai vu Le cri de
Munch.

À présent je pêche des girelles avec mes fils qui rient quand je leur chante joyeusement 
la chanson de pirate de John Silver et ils me demandent qui était Billy Budd.

Je veux oublier que j'ai lu Genet. Je renierai, comme Saint Pierre, par trois fois,
Bataille.

Il y a une barque à rames à fond plat qui pourrit sur la claie de roseaux...

L'obscurité se fait et je m'invente une vie d'ermite.

Ponç Pons, La fleur de sel,
trad. du catalan (Minorque)
par M. Bourret Guasteví


vendredi 28 juillet 2017

Rue du Maquis

Prendrons-nous le maquis, ma mie ?
Le soleil est haut et la guerre
est loin. Laisse derrière la terrasse

ombreuse et accompagne-moi dans ce chemin
empierré. Il n'y passe pas un chat, ou presque.
Tes lèvres y seront une source sûre et ta main

un guide léger. De ta ville, je ne connais que
cette rue des passants oubliée. Tu me crois
impulsif, j'ai ourdi ce passage, serre-toi

contre moi malgré les rayons liquoreux et cours,
cours, je te prie, avec moi. Le terme est loin
et la vi(ll)e accueillante. Je t'attends, ma mie.

Roser

Tout juste endormie après les baisers
ton sourire final doux agrume
est exaltation de la vie, un jour encore.
je mets de l'huile dans la lampe, j'écarte mes habits
je m'assieds pieds nus, par la fenêtre veillent
des étoiles, je prends de l'encre et ma plume
je plie un feuillet usagé
sur le quai, les barques
font ondoyer ton prénom
la chambre répand
du corail, du lichen, des coquillages...

Ponç Pons, En marge,
trad. du catalan (Minorque)
par M. Bourret Guasteví

mercredi 26 juillet 2017

L'amistat és sagrada / L'amitié est sacrée

L'amistat és sagrada
i el camí és tan llarg
fins al ponent on és
sa casa blanca.

Penses en els seus ulls,
el seu caminar lent i viu,
la trobes a faltar i t'inventes

un quotidià de coses menudes.
Ja no ets un al·lot eixerit i
has oblidat el tracte amb el

vesc per caçar caderneres.
Somrius sense dir res. Les hores
han passat i l'endevines de tornada.
Xalareu prest. Com quan teníeu vint anys.


***

L'amitié est sacrée
et la route est si longue
jusqu'à l'ouest où est
la maison blanche.

Tu penses à ses yeux,
à sa démarche lente et vive,
elle te manque et tu t'inventes

un quotidien de choses petites.
Tu n'es plus un gamin débrouillard et
tu as oublié comment faire avec

la glu pour chasser des chardonnerets.
Tu souris sans dire mot. Les heures
ont passé et tu la devines sur le retour.
Vous vous régalerez bientôt. Comme quand vous aviez vingt ans.

Ta voix

Comme un besoin. Malgré les kilomètres,
cependant que les gravillons crissent
sous la gomme large. Tu me confies tes

musiques, je suis aux aguets, aigle chauve
sur mon piton. Ta course m'occupe tout entier.
Un mot de toi et je fonds sur la carroserie

brûlante. Me décider à t'appeler, t'en demander
brièvement l'autorisation de quelques caractères
sur ton écran, c'est avant tout m'y préparer, revivre

l'échange. Tes yeux qui pétillent derrière les lunettes,
les bijoux bleux tintant sur ta peau halée. Une soudaine
timidité qui te ravit aux mots forts et définitifs. Ton

improbable accent, envolé une main devant, une main derrière
dans le mazout des paquebots bondés quittant définitivement
la corne camusienne. Ta voix m'appelle que je n'entends pas

et que je crains de reproduire imparfaitement comme, enfant, 
je peinais à découper la silhouette d'un écureuil sur le
plastique bleu de la couverture d'un cahier remisé.

«lire simplement et physiquement 

à L.R. et P. P.

Elle n'aime pas que je l'appelle «mon éditrice».
Elle est poète. Avant tout. Après rien. En écrivant
sur Serge Pey, elle me donne les clés pour choisir,

vivre, puis traduire des compositions de mon ami 
Ponç Pons : «lire simplement et physiquement».
La littérature à l'estomac de Gracq a du plomb

dans l'aile. Au foin le vinaigre, je veux sentir
le poète «écrivivre». Le petit chat était mort
dans la bouche d'Adjani en ingénue. Sous la plume

Parker de Ponç, cinq tout petits chats sont noyés
par un ami du passé dans un bassin verdâtre. Un souffle
passe et le soleil de Na Macaret me caresse la main.

Aussi, quand Ponç parle de Saint Pierre qui renie le Christ,
griffant au passage Sartre et son Saint Genet, comédien et 
martyr, je sens couler sur mes joues les larmes amères de 

Simon le pêcheur, de Pierre le pécheur. Sous ma peau, les
muscles se tendent, je suis prêt à sauter à la gorge du
premier mal venu ou au cou de l'élégante aimée. À jamais.

samedi 22 juillet 2017

Photogrammes

S'il m'était donné d'avoir entre les mains
de Daguerre et de Niepce des plaques de verre,
je m'en ferais des sous-bocks pour, avec toi,

partager la fraîcheur d'une mousse dans ce bourg
blanc où vivent nos amis. En ton absence, je les
chérirais et des chutes inopinés, prestement je

les protégerais. J'imaginerais ce que serait sous
elles ton regard. Ce même regard qu'une après-midi
de juillet tu m'envoyas. Tu fixais alors ton amie

mais c'est moi que tu regardais, comme une missive
fermée de tes baisers et qui laisse à ton amant
minorquin une once mirifique de ton parfum léger.

Pourquoi

- Pourquoi cries-tu l'amour ?
- Mais elle est loin et, sans elle,
les draps sont friables au matin.

- L'amour ne se crie pas, il se chuchote.
Laisse-la dormir cependant que le jour
qui vous unit s'éveille peu à peu

dans le bourdonnement insistant d'un
insecte des îles et écris pour elle.
Des vers tout simples, gorgés de soleil.

- Puis-je les lui lire, en silence, fussent-ils
d'un autre que moi ? - Fais donc, poète en herbe.
«Yo no digo mi canción / Sino a quien conmigo va».

vendredi 21 juillet 2017

Paco

Mon estimada li diu que és
un amic inestimable, mumare
que és el seu tercer fill.

Com en una xarranca traçada
amb xoc en un pati oblidat,
Paco, sense presumir de res.

camina pel món, oferint rams
de mots i pastissets d'acudits.
S'altre dia se'm va endur a

comprar unes pizzes napolitanes
per sa ronda del poble. Pretext
per passar d'un got de vi blanc

gelat a una cerveseta com Déu
mana. Mai mos avorrim. Quan no
xerram, pensam i em fa més agut.

O almanco m'ho deixa creure...

***

Mon aimée lui dit qu'il est un
ami inestimable, ma mère qu'il est
son troisième fils.

Comme sur une marelle tracée
à la craie dans une cour oubliée,
Paco, sans nulle vantardise,

chemine dans le monde en offrant des bouquets
de mots, des petits fours de boutades.
L'autre jour il m'a emmené

acheter des pizzas napolitaines
sur le périph' du village. Un prétexte
pour passer d'un verre de vin blanc

gelé à une petite bière pas piquée des vers. 
Nous ne nous ennuyons jamais. Quand nous
ne parlons pas, nous pensons et il me rend plus subtil.

Ou du moins me le fait-il croire... 

Deux traits

Deux traits rouges
pour marquer à la craie
un sourire éternel.

Le rythme des saisons,
la course des heures,
masquer la fatigue et

souligner le rire,
laisser une trace sur
la coupe de l'amoureux

éperdu, signer le passage
d'un sceau de cire douce
et cheminer ainsi, toute

une nuit durant.



Elles sont trois

Elles sont trois amies que juillet,
en son cœur, a rassemblées. Dehors,
des bicyclettes griffent sans fin

d'improbables sommets et des parents
s'époumonnent à gonfler des engins de
plage. Leurs horloges ont coïncidé et

le café a pris la saveur attachante 
du miel. Le repas est déjà loin,
il ne fut qu'un prétexte. Trois femmes,

deux «M», un «N», un cœur d'alphabet
comme un jeu de carte que la main du
croupier évente avant de le distribuer.

Je n'en connais que deux sur les trois.
Pour l'instant. Mais je sais mon amour
fertile en hasards orientés et sereins.


mercredi 19 juillet 2017

Aquella llengua tan clara

Metonímia. Essencial. Com la vida
mateixa. Rere la llengua, hi ha l'alè
tan viu dels comensals d'un sopar.

Te'n recordes, Pere? El primer em vas
ressuscitar aquelles quatre paraules
del pròleg de La sorra calenta del

conco Sindo. Fins aleshores no n'havia
tastat el sentit profund. Llegia el seu
català literari com qui va a l'escola amb

un entrepà de butifarró calent. L'assaboria,
hi buscava paraules callades que em tornava
al món dels avantpassats pels seus mots

oblidats. Ara en sortir de la Bolla santlluisera,
ja sé que tota llengua fa foc i ens deixa a la boca
el rastre definitiu de l'entranyable humanitat.

Marianne

Il y a dans «Marianne»,
«je t'aime» et une poignée
de lettres qui restent dans

la main comme dans la cuillère
les pâtes alphabet de la soupette
enfantine. Te regarder, Marianne,

penser à toi quand tu dors, c'est jouer
avec les lettres de ton prénom comme la
main se tiédit dans l'or de tes cheveux

indomptés. La mer, la mer toujours recommencée,
ah, Valéry t'aurait aimée s'il t'avait connue
mais au diable s'en aille le Sétois ; en premier

tu m'as accueillie, sans mot dire, de tes yeux
bleus aux surprises d'enfants et, le cœur en
écharpe, malgré la chaleur estivale, tu as vu

le vieux funambule quitter son ermitage de chanvre
tressé et courir de par le monde y chanter tes attraits.
Huit lettres. L'éternité moins un. Pour deux. Nous d'eux.

Cousinade minorquine

Imparfaite, incomplète, forcément,
comme un hommage aux absents, comme
un engagement à la renouveler dans

d'autres temps, d'autres lieux, mais
avec le même amour que celui qui unit
frères, oncles et cousins. La cousinade

est rare. Et précieuse. Elle s'isole au
creux des eaux, en juillet, dans l'un
des berceaux de la famille. Pour avoir

lieu, elle a ses lieux, au sortir de
l'avion. Un restaurant, par exemple,
au mitan d'une rue toute blanche d'un

village oriental. La bière y est fraîche
et les produits de la mer s'y rissolent
grassement. On y rigole, on y est bien,

bientôt l'on dormira, l'esprit tout rempli
des délices passés. D'autres lieux, d'autres
temps. Une semaine ensemble. Voilà la cousinade.

No em diguis / Ne me dis pas

No em diguis mai «t'estimo»,
escriu-lo amb lletra clara,
a poc a poc, sense cap pressa.

No em diguis mai «amor meu»,
deixa la teva saliva omplir-te
la boca amb records sobtats

d'una força desconeguda. Som tu
i jo. Poca cosa. Tot un món. No
tenim ni cinc mesos de vida i tot

un segle per compartir. A distància,
en presència, de nit com de dia, amor,
sisplau, digues que m'estimes, sense dir-ho.

***

Ne me dis jamais «je t'aime»,
écris-le de ta main précise,
petit à petit, sans nulle hâte.

Ne me dis jamais «mon amour»,
laisse ta salive me remplir 
la bouche de souvenirs soudains

d'une force inconnue. Nous sommes toi
et moi. Peu de chose. Tout un monde. Nous
n'avons pas cinq mois de vie et tout

un siècle à partager. À distance,
en présence, de jour comme de nuit, mon amour,
je t'en prie, dis-moi que tu m'aimes, sans le dire.

Una visita

Inesperada, al final d'un sopar de família
a La Bolla, devora la sala fosca sense cap
competidor, de sobte, entre paddle i bocates,

mos va sorprendre l'amic Nando. Havia vingut
a endur-se un parell de bocates per a sa dona
i ell. I s'apropà a la taula llarga de formica

i somriures per a oferir-nos sengles canyes rosses
i gelades. Axel, el nebot despert, se'l mirava amb
els ulls ben oberts. Rallava una llengua tan rara

i tan saborosa, sa llengua de son pare i tiet que
portaven mitja vida venint a Menorca. A prop, no gaire
lluny, el molí oblidava els grans del passat per a

retre-li al Nando i a tants amics de la tertúlia del
dilluns un homenatge merescut. Beneïda sigui sa comparsa
callada i el temps que any rere any mos reuneix sovint.

dimanche 16 juillet 2017

Avant, avec.

D'abord furent les prénoms avec 
le vouvoiement. Avant, avec.

Puis furent les surnoms, les rires
et les mains. Avant, avec.

Les habits vieux nous semblaient
corsetés, nous les jetâmes aux
orties, sans un regard pour le

passé. De chaque côté de la corde,
nous étions funambules. Avant, avec.

Sous les pieds, le câble ondulait grave,
comme ronronnent tes chats. Avant, avec.

Un trois juillet nous nous unîmes. Ou un 
deux. Qu'importe. Des siècles de complicité
et des draps odorants en tapisserie de Bayeux.

Nous prîmes la route des vacances et celle du travail. 
Si haut en haut, si bas en bas. Avant, avec.

Nous fûmes bien, nous sommes beaux et de l'été tendre
revendiquons la simple éternité. Avant, avec.

Parce que tu es là, sans y être.

Je me suis réveillé, les lèvres sèches
de t'avoir inventée, sans cesse à mes 
côtés. Je me souvenais des discussions

sans fin, des délicieux devis aussi.
Je te savais dormante, de l'autre côté
du thym. Alors, j'ai chaussé la toile

rouge et la corde de mes espadrilles
pour descendre te parler par lettres
interposées. Mon ample table de bois

clair m'attendait, dans l'odeur douceâtre
des placards vidés puis nettoyés. Je n'ai 
pas attendu longtemps, comme chargé par

les rêves silencieux qui m'avaient réveillé.
J'ai revu nos mains croisées de par la ville,
en quête d'un bal que jamais nous ne vîmes.

J'ai revu de Sisyphe la piscine abondée, 
éternelle assoiffée qui jamais ne nous accueille,
cette ville entre les oliviers, aimée des cyclistes,

équipés comme des fantassins. Ses salades garnies,
ses coupes blondes de vin frais. J'ai tout revu, ou
presque, puis j'ai décidé d'écrire pour mieux me taire

et retrouver, dans le sommeil étrange, la voix et le toucher
d'une dame au prénom de République et à l'accent de là-bas
qui sait si bien m'inspirer, sans jamais l'exiger.

jeudi 13 juillet 2017

Une circulade

La rue tourne irrémédiablement
sous la voûte des platanes, qui

nous pousse l'un vers l'autre. Nos 
mains se frôlent puis s'étreignent.

Il est tôt et le bourg s'éveille. Les
cigales ont tué la nuit il y a bien

longtemps et le pain sort du four.
Nous le prendrons avec son cœur de

chocolat fondant à une terrasse.
Une journée de juillet à mille autres

pareille. À nulle autre semblable. La pâte
a levé, nous le sentons tous deux. L'humble

servante du seigneur prépare la nappe et le vin
frais. Elle se sait appelée et nous rejouons des

antiques hiérogamies le chœur oublié. Le matin est
passé. La circulade, irrémédiablement, demeure.

samedi 8 juillet 2017

Brume d'oreiller

La femme que j'aime dort à mes côtés.
Sommeil léger, brume d'oreiller.

La nuit, depuis longtemps, a perdu deux
de ses aiguilles d'airain. Seule tourne,

infatigable, la trotteuse, ma chamade.
Souffle cadencé de la belle endormie.

Le soir, près du point d'eau octogonal,
nous vit partager un tajine brûlant,

d'agneau, de gingembre et d'onguents.
la lune, pudique, s'était cachée, laissant

aux chaises de couleur le privilège du
feu. Les draps, tendus de calmes tissus

minorquins nous virent nous aimer sans
une miette pour vous lecteurs jamais garder.

samedi 1 juillet 2017

Désir

Frappes-tu à la porte de mes nuits
sans heure ou en soulèves-tu le drap
mutin ?

Tu m'accompagnes depuis l'enfance et
ces promenades dans le jour pluvieux
en quête 

de volaeren ou d'une part de flan jaune.
Tu as couru avec moi sur les pentes de
thym 

et de buissons ombreux, comme en ces jours
qui me précipitent au pied de la roche forte
du Gard,

tout embué de sommeil mais vif et nerveux tel
l'aspic brillant sur la rive d'un ruisseau surgi
au printemps

alors qu'on le croyait oued et tu prends les visages
d'une muse de bleus ourlée. Du turquoise rond à la
nuit profonde.