lundi 30 avril 2018
Pino Silvestre
et qui renaît au sortir d'un train désert,
en gare de Nîmes. Je virevolte, tel un limier.
Rien n'y fait. Je ne saurai jamais qui la portait.
Homme ou femme, jeune ou vieux. Mais je sais que
ce parfum, enfermé dans une pomme de pin en verre
vert bronze, existe et cela suffit à me rassurer.
Le monde que j'ai connu autrefois, répand encore
sa fragrance boisée. Au-delà de la limite entrevue.
Un jardin
Le jardin d'autrefois s'en est allé,
la poussière de ses sentiers l'a emporté
et la végétation, rétive aux soins, l'a envahi.
Les murs ravagés par le temps, lézardés par les
ans, le pleurent de l'eau trop longtemps retenue
et, si ses familiers se pressent autour de la table
dressée, le cœur n'y est pas et les sourires se gercent
au souvenir des agapes passées. L'on mettait alors
les fûts en perce et l'on dansait en riant, comme pour
faire bisquer la maîtresse du lieu qui, à son tour, et
par jeu, feignait de s'en ofusquer. Un barbecue taiseux,
oxydé, s'en souvient pourtant, dont mon fils prolongera
le feu olympique, sur sa terrasse, minérale, et déjà
porteuse de l'harmonie de cinquante-sept ans de vie
partagée autour d'un jardin où Gédéon se plaisait.
vendredi 27 avril 2018
Lectures creuades / Lectures croisées
Boig per les representacions literàries
de la ciutat, t'ho empassaves tot.
Des de Le Paysan de Paris fins al Beltenebros.
T'agradava l'ambient del llibre. Obsès per la
nostàlgia pressentida que t'havia ensenyat
en Montalbán, hi deixaves petjades. Per si de cas.
El cas s'ha presentat, avui. De la mà d'un amic
menorquí. «Ara acab de llegir Dublinesos...».
Deixes l'opuscle prim i negre -quin contrast amb
la sal blanca que hi traspua per tot arreu- i
decideixes d'escriure-li uns mots. A la dublinesa.
***
Te rappelles-tu quand tu lisais Gens de Dublin ?
Fou des représentations littéraires
de la ville, tu avalais tout.
Du Paysan de Paris à Beltenebros.
Tu aimais l'atmosphère de ce livre. Obsédé par la
nostalgie pressentie que t'avais enseignée
Vázquez Montalbán, tu y laissais tes empreintes. Au cas où.
Le cas s'est présenté, aujourd'hui. De la main d'un ami
minorquin. «Et maintenant je viens de lire Gens de Dublin...»
Tu laisses le mince opuscule noir -quel contraste avec
le sel blanc omniprésent - et
tu décides de lui écrire quelques mots. À la dublinoise.
Silence, silenci
No tinguis pressa, que els mots són remots
i la pell frisa per beure'ls a borbollons.
I quan perdis la consciència, quan comencis
a roncar com un déu fart de most, rajaran
les paraules dormides. No pateixis.
Espera un parell de minuts abans d'obrir
els teus ulls acostumats a tantes franxutades,
necessites uns colors nous o renovats, fil per randa.
***
Laisse fleurir la langue de ton cœur.
N'aie point de hâte car les mots viennent de loin
et ta peau s'impatiente de les boire à gros bouillons.
Et quand tu perdras conscience, quand tu commenceras
à ronfler comme un dieu plein de moût, elles surgiront
ces paroles endormies. N'aie crainte.
Attends deux ou trois munutes avant d'ouvrir
tes yeux habitués à tant de franchouillardises,
tu as besoin de couleurs neuves ou rénovées, méticuleusement.
jeudi 26 avril 2018
Il et Elle ou l'Alpha de l'Oméga
Sur une vieille montre, d'abord, au verre brisé,
dont il faisait jouer patiemment les aiguilles.
Puis sur un abécédaire destiné aux enfants sages
des lointaines colonies. Dans l'un ou l'autre cas,
ces signes qui bougeaient m'appelaient vers l'ailleurs.
Non vers le n'importe où ou le n'importe quoi, mais vers
l'autre monde, la terre opposite, qui n'a de sens que
dans le balancement avec l'enracinement premier.
Crispé par la douleur, sa nouvelle compagne, sur un
fauteuil dont on nous vanta -folie- il y a bientôt
deux ans, la parfaite ergonomie, il regarde d'un œil
las et vif sa petite fille. Il ne dit rien, mais son
sourire aux lèvres fines parle pour lui. Il sait qu'il
n'aura plus la force de lui apprendre les signes éculés
et en m'embrassant, tout-à-l'heure, il m'en confiera la
noble tâche. Elle, tout aussi silencieuse, elle ne le quitte
pas de son regard de jais, vif et confiant. C'est comme si
elle buvait en quelques minutes toute l'expérience de son
grand-père, ce quasi siècle de baroud sédentaire, d'une
mobylette dans le port de Casa à une voiture basse,
couleur lie de vin, qui, sans jamais l'accompagner, lui fait
l'hommage de visites constantes. Elle ne parle pas, mais,
je le sais, ses mains parlent pour elle et, deux jours
plus tard, quand elle les agitera à nouveau pour me signifier
qu'elle a faim, de soupe et de pain, je pleurerai en silence,
sur cet homme qu'elle vit un jour, fauteuil contre fauteuil.
Miroirs sonnés
De l'or, de la myrrhe et des tombereaux d'encens.
Rien n'y fera si tu ne quittes le regard
toujours posé sur toi comme un vieil avatar.
Miroir Louis XV, miroir de singe, miroir épingle.
La vanité d'autrui en toi est une tringle
qui raidit ton port et enliasse ces anneaux
de métal vil qui te crient que tu es le plus beau.
Immerge-toi dans l'eau d'un bain bien tiède,
ouvre les yeux, ne crains pas de voir la surface
qui ne miroite ni ne luit mais bientôt t'aide
en opacifiant de chlore les traits de ta face
et en les mêlant de chaux vive, la belle nasse,
miroir des vanités, résurrection des Mèdes.
mercredi 25 avril 2018
Spondées
Et sans que tu ne m'en dises rien, tu m'as
beaucoup appris.
De l'antique métrique, je ne connaissais que
les pieds, invariablement chaussés de cothurnes
incommodes et inélégants.
Tu m'as initié aux spondées, dans leur sens premier
de libations. Nous buvions alors, dans des coupes
d'airain, du moût pressé tôt, sucré jusqu'à
l'écœurement. Nos lèvres s'en gerçaient quand nous
riions, enivrés de bon mots, le cœur à l'unisson
et nous ne les humections que dans ces longs baisers
que le soir en montagne te rappelle. Deux longues,
sans brève ; deux longues, sans trêve. Nous nous aimions
ainsi ; et c'est ainsi que j'ai appris ton pied.
mardi 24 avril 2018
Elle est
quand la nuit se ferme sur le souffle
des amants.
Elle est silence dans la fureur et
furie dans la moiteur. De papier, elle
se compte de cinq en cinq, pour cueillir
des confidences le récit le plus doux ou
des comptes serrés un tableau impitoyable.
De chair et d'os, elle se fait oublier
pour n'être plus que peau. Peau qui reçoit
et peau qui donne. On dit qu'elle reflète la
complexité d'une âme à ses cinq extrémités,
je préfère penser qu'elle conduit le hasard
qui préside aux rencontres fortes. Performative,
elle fait ce qu'elle dit et dit quand elle ne fait.
Si on l'ouvre, dit-on, on voit défiler une vie dans
le réseau serré de ses rivières. Si on la ferme on
oublie que sans elle, rien n'est. Elle est... la main.
lundi 23 avril 2018
Alphabet
au commencement est
la bouillie première,
qui ne dissocie pas
encore le taureau de
la maison des Hébreux.
Douce maman qui agrémente
les pâtes alphabet de lait
ou de bouillon de poule
avant que de les mixer.
Peu à peu, la langue
disjoint les caractères
par leurs empattements
durcis. L'enfant, en douce,
descelle le paquet et joue
avec les lettres et les chiffres.
L'aventure est lancée. Un poète
est né, peut-être, qui n'aura
de cesse de retrouver le
lissé de la bouillie initiale
sans qui il ne serait pas.
dimanche 22 avril 2018
Ligatures
il n'est de mot qui vaille et les lettres
s'envolent en fumée. On se recroqueville
alors sur des détails anodins, insignifiants
accidents d'un quotidien chamboulé. De l'alpha
à l'omega, on néglige l'entêtante litanie pour
s'attacher aux signes imbriqués, épousés, fondus
mais jamais confondus. L'«e» dans l'«a» lié, puis
l'«e» dans l'«o». Si le cœur est à l'ouvrage, il n'en est
que meilleur à l'œuvre, et cætera. D'ailleurs, ligature
ou graphème ? Les linguistes s'égarent mais mon cœur saigne
sans fard quand, chaque année, avril est en son tiers finissant.
Alors l'envie me prend de prendre une lame d'onyx et de fendre
la ligature en deux pour exposer un coeur qui, sans toi, est nu,
ce qui rend toute discussion langagière vaine et cependant nécessaire.
samedi 21 avril 2018
Divagations d'animaux
Le dos colle au siège et l'esprit te prend
la main. Levons-nous, mon amour,
et divaguons à notre tour, entre ballast et
bosquets, nous verrons peut-être folâtrer
quelque chemineau, à moins qu'il ne s'agisse
de cheminots en quête d' animaux de fantaisie
qui étirent notre retard jusque, semble-t-il,
la reprise des arrêts.
Donne-moi la main
celle du cœur, ouvre-la. Lentement,
humblement.
Comme pour me faire l'aumône.
De galets, ou des larmes que
la joie a fait naître.
Donne-moi la main, la droite,
celle de la force, serre-moi
pour que nos ombres s'unissent.
Estrella del dia / Étoile du jour
la bona estrella del dia
neix dels teus ulls.
***
Comme un mirage mien,
la bonne étoile du jour
naît de tes yeux.
Un bouchon en deux
lugubres, en quête de ta flamme, sur
Fourvière perdue.
J'avais tiré le frein à main de la voiture
qui nous accompagnait, le chauffeur s'étant
évadé par la pensée. Et d'un bond,
d'un seul, tu t'en étais allée, de traboule
en traboule. Délaissant cet autre moi-même,
j'étais alors parti.
En vain. Les semaines passèrent. Des gones,
j'avais oublié le truculent vocabulaire,
ou du moins, le crus-je,
il suffit de tenir en ma main un bouchon de
liège comprimé, doux et silencieux, pour me
remémorer d'un soir la nostalgie perdue.
jeudi 19 avril 2018
L'absente de tout bouquet
Ahir, te'n recordes, amic,
ens retrobàrem, al melic de
la gran Babilònia. Del temple,
els botiguers s'havien callat
i no sentíem les passes sorolloses
dels turistes amb càmera al puny.
Xerràrem. Molt. Tu i jo. El rerefons
no eren aquests homes de negocis que
presumien rere les pantalles encegadores.
El rerefons era ton estimada, la Marta,
tan real i tan absent com l'estimada Marta
d'un tal Miquel Martí i Pol. Ell venia d'un estiu
amb massa pluges. Tu i jo d'una tarda cèntrica
i de la teteria on m'havíeu invitat. Aleshores
us viu, rics d'amor i de perfums de fruita.
Des del primer minut, sabí que ens retrobaríem.
De Mallarmé, el ram encara és nu i la teteria,
un altre dia, segur, amb respecte, ens acollirà.
***
Hier, tu t'en souviens mon ami,
nous nous retrouvâmes au centre
de la grande Babylone. Du temple,
les boutiquiers s'étaient tus et nous
n'entendions pas les pas bruyants
des touristes, la caméra au poing.
Nous parlâmes. Beaucoup. Toi et moi. Derrière
nous, ce n'étaient pas ces hommes d'affaire qui
portaient beau derrière leurs écrans aveuglants.
Derrière nous était celle que tu aimes, Marta,
aussi réelle et aussi absente que la Marta aimée
d'un certain Miquel Marti i Pol. Il venait d'un été
accablé par les pluies. Toi et moi, d'une après-midi
au centre et de ce salon de thé où vous m'aviez invité.
Alors je vous vis, riches d'amour et de parfums de fruits.
Au premier instant, je sus qu'on se retrouverait.
De Mallarmé, le bouquet est encore nu et le salon de thé,
un autre jour, pour sûr, avec respect, nous recevra.
C'est tout ?
Les mots sont peu quand la distance
brouille la communication. Syllabes
sonores, qu'on voudrait pleines comme
des baisers et qui cliquettent bas,
métalliques sous nos doigts.
Que ne donnerais-je pour revenir en
arrière, revenir en enfance, l'enfance
d'un soir de printemps, tout contre
le Turó Park de mes belles années, que
je longeais sans oser y pénétrer, sans savoir
qu'en son sein était une oreille d'eau sombre
et moussue, à la forme exacte, quoique réduite,
de l'île de mes aïeux chéris. Je passais alors
mes nuits à négliger le sommeil dans des hôtels
de fortune et à marcher des heures durant. Semelles
d'encre et de cellulose comme d'autres les voulurent
de vent. Nostalgie pressentie, comme celle qui, voici
peu m'a conduit à confier à l'ami Esteve des lambeaux
éclairants de mon passé entre diverses terres, baignées
de sel et de sang, où paissent les troupeaux. Bergère,
ô tour Eiffel... Mais Apollinaire est loin et, à mon cou,
sa minerve semble de carton. Ce n'étaient que quelques mots,
au cœur d'une nuit insolite, destinés à me racheter à tes yeux,
mon âme et mon trésor, ombre légère aux yeux clos, mais que
je sens glisser, dans le tintement de l'horloge que Clara,
pessoenne en diable, dispose juste, pour apaiser ses invités.
mercredi 18 avril 2018
Javier
y para mi hijo Xavier
¡Cuánto me faltas, Javier!
pasando por la calle Pelayo,
te vi o, mejor dicho, me crucé
con un señor que se te parecía.
De la edad que tendrías ahora.
Con un cansancio infinito en
los ojos. Me agradeció la mirada
y se fue calle abajo. Entonces
contuve el llanto que me iba
invadiendo el corazón. Recordé tus
primeros pasos en Montpeller, tu
amistad con la familia y en particular
mi hijo Xavier a quien demostrabas tus
trucos de prestigitador. Mi mujer pensaba
que tenías una novia que se decía Planeta
pero no era más que un nombre en el listín
de tu reloj revolucionario. Todo empezó con
Amado monstruo en Besiers y te echo de menos.
***
Comme tu me manques, Javier !
En passant dans la rue Pelai,
je t'ai vu ou, plutôt, j'ai croisé
un monsieur qui te ressemblait.
De l'âge que tu aurais maintenant.
Avec une fatigue infinie dans
les yeux. Il m'a su gré de mon regard
et a redescendu la rue. Alors
j'ai retenu les larmes qui, peu à peu,
envahissaient mon cœur. Je me suis rappelé tes
premiers pas à Montpellier, ton
amitié avec ma famille et en particulier
mon fils Xavier à qui tu démontrais
tes trucs de prestidigitateur. Mon épouse pensait
que tu avais une amie qui s'appelait Planeta
mais ce n'était qu'un nom sur le listing
de ta montre révolutionnaire. Tout a commencé par
Monstre aimé à Béziers et tu me manques, Javier.
Brume
du charbon des usines désaffectées,
mais la brume légère qui apparaît
soudain, en nappes évanescentes
quand la marche tarde sur les monts
discrets qui bordent la Côte Vermeille.
J'ai quinze ans et je me suis entêté
à aller seul de Cerbère à Banyuls
au hasard des pas. D'un coup, les vignes
disparaissent et l'herbe a goût de mouillé.
Je perds pied. Sur ma gauche, vingt kilomètres
sans âme qui vive, sur ma droite, les falaises
rocailleuses qui précipitent l'inconscient dans
les flots impétueux. La route n'est plus un tableau
de mon oncle adoré. Je me reprends. La brume a fui.
Del llaç al peix i del peix al llac / Du ruban au poisson et du poisson au lac
m'invento la república que oneja
a sota, amagada i joiosa.
Per moltes baranes, veig llaços de plàstic
groc al vent, com tant d'estels xinesos.
Peró els que més m'agraden
són aquells pintats per les voreres, com
incitant-me a creuar el carrer. Jugo amb
el meu mòbil. Els canvio de direcció
i en faig peixets vius a punt d'envair el
mar pel clavegueram i les riuades concentrades
per a exigir l'alliberament dels presos.
El dia s'apropa quan, en fi, a milions, aquests
peixets d'or viu, trobaran el seu llac plàcid.
Aquell dia, vestit de groc, no els pescaré.
***
En marchant dans les rues de Barcelone,
je m'invente la république qui ondoie
dessous, cachée et joyeuse.
Sur tant de garde-corps, je vois des rubans en plastique
jaune dans le vent, comme autant de cerfs-volants chinois.
Mais mes préférés
ce sont ceux qui sont peints sur les trottoirs,
comme pour m'inciter à traverser la rue. Je joue
avec mon portable. Je les change de direction
et j'en fais de petits poissons vifs sur le point d'envahir
la mer par les égoûts et le tsunami des rassemblements
pour exiger la libération des prisonniers.
Le jour approche où, enfin, par millions, ces
petits poissons d'or vif, trouveront leur lac placide.
Ce jour-là, vêtu de jaune, je ne les pêcherai pas.
Plume
nos nuits, épousant nos corps harassés.
Ni celle des pigeons, sale et jaunie,
qui jonche les caniveaux en quête des
balayeurs du petit matin. Non : un ourson
blanc, doux et candide, sur un morceau de
glace qui voyage vers le nord magnétique.
Lecture de parents. Régal des enfants.
De la ouate dans ce monde si dur. Tourner
les pages de cellulose oxygénée et retrouver
l'espace d'un instant la magie de l'enfance
et l'imagination vive d'un soleil de papier.
mardi 17 avril 2018
Écorce
Tout passe et jamais rien ne me lasse.
Mon regard se lève dans l'azur et mes pieds
foulent le goudron poudreux. Entre eux deux,
ma main, la gauche, celle de mon fils chéri,
vierge de toute écriture, si riche de caresses.
À hauteur de hanche, elle frôle la litanie des
platanes qui conduisent le quadrillage de la ville
vers ses hauts quartiers. Sous les doigts, de vives
aspérités qui bientôt ne seront plus, fragments de
peau arborée, du beige clair à l'ocre foncé, porteurs
de mots d'amour précipités au feutre et qui perdent
leur sens quand choit l'un d'entre eux, le plus ancien,
celui sur lequel l'encre avait du mal à pénétrer. Ma vie
est pareille à ces fragments d'écorce auquel s'accroche
la pulpe de mes doigts attendris. Mais de chaque écorce
que je perds, je me fais un humus léger pour guider mes pas
gourds et me rappeler que, sans elle, je ne suis rien et que
la terre s'ouvrirait sous mes semelles si elle n'existait plus.
La princessa del Quimet / La princesse du Quimet
Se l'hi veu ben poc. Però cada
vegada que l'hi assentem,
es converteix en el centre del bar.
Somriu a tothom, es beu les paraules
d'una llengua que encara no entén.
Diuen que és rossa però encara no se
li veu el peinat. Una princesseta d'ulls
foscos i d'amor plàcid a la vida.
***
Vous ne la connaissez pas ? Cela ne m'étonne pas.
On l'y voit fort peu. Mais chaque
fois que nous l'y asseyons,
elle devient le centre du bar.
Elle sourit à chacun, elle boit les mots
d'une langue qu'elle ne comprend pas encore.
On dit qu'elle est blonde mais on ne voit pas
encore sa coiffure. Une petite princesse aux yeux
sombres et à l'amour placide pour la vie.
Vilapicina
cap a Vilapicina
rodejat de coloms,
de vida i de sol.
Tu ho saps, d'això fa temps.
Vilapicina un nom
i prou. Vist a la xarxa
quan anaves a Horta.
Un dia t'aniràs
cap a Vilapicina,
els ulls plens de nostàlgia,
d'aquell que no vas ser.
***
Un jour tu partiras
pour Vilapicina,
entouré de colombes,
de vie et de soleil.
Tu le sais, depuis longtemps.
Vilapicina un nom.
c'est tout. Vu sur le plan
quand tu allais à Horta.
Un jour tu partiras
pour Vilapicina,
les yeux pleins de nostalgie
de celui que tu n'as pas été.
Com un joc / Comme un jeu
Com un joc de cara i creu, passo
d'una llengua a l'altre, a l'atzar
o perquè m'ho demanes, sense dir-me'n
res. Sorgeix una paraula, una imatge
amb gust de consonants i en tinc prou,
m'obro la pantalla com qui s'encamina
cap a un destí que sap incert. No dubto,
teclejo. Poques passes enreres. Els dits
galopen lentament, el coll s'encartona
i no compto les hores, pensant en tu. Tu.
***
Comme un jeu à pile ou face, je passe
d'une langue à l'autre, au hasard
ou parce que tu me le demandes, sans rien
me dire. Un mot surgit, une image
au goût de consonnes et j'en ai assez,
j'ouvre mon écran comme qui chemine
vers un destin qu'il sait incertain. Je n'hésite pas,
je frappe. Peu de pas en arrière. Mes doigts
galopent lentement, mon cou se raidit
et je ne compte pas mes heures. Tout à ta pensée.
Le pont est gris
herbeux puis l'autoroute au flux discontinu.
Le pont est gris, couvert de tant de graffitis
que le pas vif des apprenties chaudronnières
efface, mais ce pont est d'amour. Sa courbe
marquée, au dessus du vertige, c'est ma main
tiède qui caresse ton dos quand ton sommeil est
pour moi un complice. Pont des soupirs et d'un
désir que jamais la distance n'efface, il est,
nuit après nuit, ici, à Barcelone, ma tour abolie,
le lien entre deux mondes, ma tendre main qui réunit
sous sa coupe tes jambes que le froid a disjointes.
lundi 16 avril 2018
Pintades al sòl / graffitis par terre
a les parets. Presumides i mudes.
M'estimo millor les pintades al sòl
fugaces, dèbils, futur filigrana sota
el pes de l'individu. Tantes petjades
inconscients i tan poca vida per a les
pintades d'un vespre d'amor
Patricia $ Mario, Viva Espa¥a.
El pont és nostre. Tantes paraules robades
a la flor de formigó que no entendrien les
pintades murals amb el seu posat borbònic
i uns llavis prims que no lleparien mai el sòl.
***
Je me méfie beaucoup des graffitis
sur les murs. Présomptueux et muets.
Je leur préfère de beaucoup les graffitis par terre,
fugaces, faibles, futur filigrane sous
le poids de l'individu. Tant de marques de pas
inconscientes et si peu de vie pour les
graffitis d'une soirée d'amour.
Patricia M Mario, Vive L'Espa¥ne.
Le pont est à nous. Tant de paroles dérobées
à la fleur de béton que ne comprendraient pas
les peintures murales avec leur port de Bourbon
et des lèvres fines qui ne lécheraient jamais le sol.
Trinitat vella
La meva vida no val res,
no val un ral, com diria
el Serrat quan era Serrat.
Em passo la vida petjada
rere petjada, caminant lent
pels carrers menestrals.
Fujo dels llocs cèntrics,
dels bancs i dels abeuradors
cursis per a ric avorrits.
El meu rumb són els marges.
Tots els marges. Fins aquells
que s'escapen del llenguatge
i que em deixen mut, quequejant
sobre la meva infortuna de vianant
tafaner, obsès per la calç de la vida.
***
Ma vie ne vaut rien,
pas un sou, comme dirait
Serrat quand il était Serrat.
Je consume ma vie, pas
à pas, en marchant lentement
dans les rues industrieuses.
Je fuis les lieux centraux
des banques et des abreuvoirs
cucul pour riches oisifs.
Mon cap, ce sont les marges.
Toutes les marges. Jusqu'à celles
qui échappent au langage
et qui me laissent muet, bégayant
sur mon infortune de chemineau
infatigable, obsédé par la chaux de la vie.
Façades
recueillent le sel précieux des anfractuosités.
Je fuis les façades rénovées, ripolinées, factices.
Elles sentent l'ennui et l'essence de térébenthine.
Je leur préfère ces belles d'autrefois, écaillées,
rapetassées, héroïnes timides des marges oubliées.
Je fais halte à leur hauteur, je leur rends hommage
puis, comme un amant secret, je glisse la main au coin
de la rue qu'elles distinguent. Toucher rêche, délicieux
qui garde ma mémoire en éveil et encourage ma plume.
L'estanc de la Mercè / Le débit de tabac de Mercè
llarg i tort com una serp dormida, hi ha
una botiga estreta, tancada de nit per unes
reixes enormes. És l'estanc de la Mercè on
venen tabac i llaminadures. S'hi regalen
somnis i paperetes de color. Si us pesen
els anys, si sentiu que la memòria us escapa,
aneu-hi i abraceu l'amfitriona sota el visc,
i ja veureu com la vida us sembla més lleugera.
***
Dans le quartier de Sant Andreu, dans une rue
longue et tortueuse comme un serpent endormi, il y a
une boutique étroite, fermée la nuit par des
grilles énormes. C'est le débit de de Mercè où
l'on vend du tabac et des friandises. On y offre
des rêves et de petits papiers en couleur. Si vos ans
sont un poids, si vous sentez que la mémoire vous fait
faux bond, allez-y et embrassez l'hôtesse sous le gui;
et vous verrez comme la vie vous semble plus légère.
Projeter
jeter des mottes dans le feu,
pour l'apaiser, ou pour les durcir
afin d'en faire les briques de demain.
Projet griffonné sur une table de bar,
à grands traits, comme un corps impatient
rampe serpentaire sous la moquette bleue
et les regards suspendus du public qui a
payé pour assister à l'incarnation de l'idée.
Laisser à demain, ou au jour d'après, reporter
sans cependant procrastiner, laisser le projet
gonfler comme une bonne brioche. Alors, les vers
viendront.
La nit del retorn / La nuit du retour
per mirar les finestres grogues de tant
esperar-me. Passos sonors pel carrer
moll. No vull veure res, ni menys mirar.
Tot just sentir batre el cor del barri,
aquest passatge Pellicer, buit i clar,
on uns amics s'apleguen per celebrar
la seva amfitriona, tancar-me en la petita
habitació deshabitada pel violoncel d'abans,
sentar-me a la taula petita de formica blanc
i beix, i escriure, escriure fins a l'alba, quan,
per fi, podré mirar la ciutat i gravar-la nua.
***
La ville est aveugle et je ne lève pas les yeux
pour regarder les fenêtres jaunes à force de
m'attendre. Pas sonores dans la rue
humide. Je ne veux rien voir, encore moins regarder.
Tout juste sentir battre le cœur du quartier,
ce passage Pellicer, vide et clair,
où des amis se réunissent pour fêter
leur hôtesse, m'enfermer dans la petite
chambre inhabitée par le violoncelle d'autrefois,
m'asseoir à la table petite de formica blanc
et beige et écrire, écrire jusqu'à l'aube, quand,
enfin, je pourrai regarder la ville et la graver nue.
dimanche 15 avril 2018
Un poeta de punt volat / Un poète au point médian
Un dia una dona em va dir:
-No seràs mai un bon poeta,
perquè no saps estimar.
L'amor em guia pel món i
no vull ser un bon poeta.
Sóc poeta i punt.
Un amic, fidel, ha jugat a
la pilota amb els meus pobres
mots i m'ha replicat:
-Això del punt és molt important.
Ets un poeta de punt volat,
com d'altres són llauners o
botxins. Funàmbul dels mots
i dels girs, passes de la
camamilla catalana a la
menorquina amb aquest humil
afegitó. El punt volat que
restitueix l'or de la camamil·la
de La Mola sense fer-la incomprensible.
L'amic em coneix millor que jo mateix i
he partit lleuger cap a Barcelona
***
Un jour, une femme m'a dit :
-Tu ne seras jamais un bon poète,
parce que tu ne sais pas aimer.
L'amour me guide dans le monde et
je ne veux pas être un bon poète.
Je suis poète, un point c'est tout.
Un ami, fidèle, a joué à la balle
avec mes pauvres mots
et m'a répliqué :
-Cette histoire de point est très importante.
Tu es un poète au point médian,
comme d'autres sont plombiers
ou bourreaux. Funambule des mots
et des tournures, tu passes de la
camomille catalane à la
minorquine avec cet humble ajout.
Le point médian qui
restitue l'or de la camomil·le
de La Mola sans la rendre incompréhensible.
L'ami me connaît mieux que moi et
je suis parti léger pour Barcelone.
Origine
de ces cheminots à la vareuse
gonflée et aux boutons dorés
prêts à te sauter au visage.
Leur corps exhalait l'odeur
violente du bon café, du
café d'origine qui n'avait
rien à voir avec ce bois
moulu que la dictature
fermée sur elle-même débitait
dans de sombres tavernes. Tu
enviais leur discret marché
noir et songeais, fou que tu
étais, à enfiler leur livrée
de coutil quand au menton,
tu aurais quelques poils.
Les années ont passé. Dans
un quelconque bar, demain,
tu siroteras un ristretto
d'origine, songeant, tout
à coup, à l'origine tue,
dévoilée par un peintre français
qui du sombre triangle t'offrit
le volatil parfum du bon café.
vendredi 13 avril 2018
Martí
le sourire aux lèvres,
la crinière blonde
dans le vent. Je le vois
qui s'incline dans les courbes.
Il suit les grands, on le dirait
venu d'un autre monde, tant il est
absorbé. M ais il me sourit et
s'arrête en soufflant fort.
Il me dit qu'il a mangé des pâtes
et de l'omelette, en distinguant bien
les sons et les syllabes. L'ennuyeuse
réunion, s'envole, mes pieds démangent.
Nous remettrons-nous en selle, preux
chevalier ? La voiture, sage, nous attend.
mardi 10 avril 2018
Camamil·la / Camomil·le
No pas qualsevol,
la camamilla amb
punt volat,
sa camamil·la,
que curava els ulls
cansats de s'àvia
Antònia i que port
religiosament, cada
vegada que de Menorca
torn, exiliat, perdut.
Tristia. Al·lot, es meus
ulls s'omplien de grisor.
Ses meves mans buscaven
calor i color. Ara que
he envellit, l'he trobat
aquest groc rodó que, eixerit,
dibuixa dins els ulls de mumare,
el somriure de sa infància somiada.
***
Pas n'importe laquelle,
la camomille avec un
petit point au milieu,
la camomil·le,
qui soignait les yeux
fatigués de mamie
de Perpignan et que je porte,
religieusement, chaque
fois que de Minorque
je reviens, exilé, perdu.
Tristia. Enfant, mes yeux
s'emplissaient de grisaille.
Mes mains cherchaient de la
chaleur et de la couleur. À présent
que j'ai vieilli, je l'ai trouvé
ce jaune rond qui, espiègle,
dessine dans les yeux de ma mère,
le sourire de son enfance rêvée.
Une fenêtre inattendue
ces hautes tours de verre, aux milliers
de miroirs aussi impénétrables que les
Ray Ban des agents. Et pourtant, elles
s'ouvrent, vertigineuses, et offrent de
la vie une vue en petit, bigarrée et
grouillante. Ah que j'aimerais m'y décaler
et avec toi m'y trouver. Si l'on dit qu'à
Rome, tous les chemins se pressent, de peur
de s'ennuyer, je crois bien qu'à New York,
derrière l'une de ces fenêtres ouvertes sur
le plein, à cloche-pied, j'aimerais danser.
Décalage
Une amie m'envoie un fragment de carte,
un point enserré entre deux bras d'eau,
à Broadway. Hauts immeubles, pont de fer.
De tout cela, je ne vois rien, que j'ignore.
Elle est avec sa fille, sa perle, et elles
dégustent de la mer quelques trésors.
Force de l'iode en bouche que l'on croit
identique à chez nous. Mais là bas, le fumet
des poissons s'emplit des sirènes des bateaux,
à l'approche du port. Silence ici, obscurité,
sommeil de l'aimée qui se tait et se repose,
si loin, si près. Et cette amie qui, avec Lucie,
abolit l'océan pour quelques jours, au doux parfum
de toujours. Dis, Natacha, avec Eric, Marianne et
cette nouvelle Américaine, il faudra qu'on en parle,
à ton retour.