J'ai passé tant d'heures
dans mes anciens quartiers,
croisé tant de visages
éteints et de corps blessés,
reconnu à grand peine les
jeunes gens d'autrefois,
qui jouaient aux gendarmes
et croyaient être voleurs,
de pommes, d'âmes ou de
cœurs, que je ne veux plus
à présent que fouler de
mes pieds incertains
des espaces d'immémoire,
des non-lieux lisses comme
des galets, où je tracerai,
suprême folie, une marelle
de craie, d'une terre que j'ai
tant aimée à un ciel auquel,
hélas, je ne crois plus. - D'où
êtes-vous, me demanderait-on
tout à coup. - Je ne le sais plus,
répondrais-je, hébété. Et je
m'en irais alors, par devant
moi, arpenteur de sable vierge,
ma canne traçant de vagues cartes.
Du passé, j'aurais tout oublié,
sauf la courbe de mon dos, ma vue
endolorie et tant de langues aimées
que je ferais rouler en bouche pour
mieux me les remémorer. Alors, oui,
j'habiterais ces non-lieux de l'esprit et
du corps, je quitterais ma carcasse de peau
et d'ombre et te retrouverais au terme de la vie.