Il m'a appris les signes. Et les choses signifiées.
Sur une vieille montre, d'abord, au verre brisé,
dont il faisait jouer patiemment les aiguilles.
Puis sur un abécédaire destiné aux enfants sages
des lointaines colonies. Dans l'un ou l'autre cas,
ces signes qui bougeaient m'appelaient vers l'ailleurs.
Non vers le n'importe où ou le n'importe quoi, mais vers
l'autre monde, la terre opposite, qui n'a de sens que
dans le balancement avec l'enracinement premier.
Crispé par la douleur, sa nouvelle compagne, sur un
fauteuil dont on nous vanta -folie- il y a bientôt
deux ans, la parfaite ergonomie, il regarde d'un œil
las et vif sa petite fille. Il ne dit rien, mais son
sourire aux lèvres fines parle pour lui. Il sait qu'il
n'aura plus la force de lui apprendre les signes éculés
et en m'embrassant, tout-à-l'heure, il m'en confiera la
noble tâche. Elle, tout aussi silencieuse, elle ne le quitte
pas de son regard de jais, vif et confiant. C'est comme si
elle buvait en quelques minutes toute l'expérience de son
grand-père, ce quasi siècle de baroud sédentaire, d'une
mobylette dans le port de Casa à une voiture basse,
couleur lie de vin, qui, sans jamais l'accompagner, lui fait
l'hommage de visites constantes. Elle ne parle pas, mais,
je le sais, ses mains parlent pour elle et, deux jours
plus tard, quand elle les agitera à nouveau pour me signifier
qu'elle a faim, de soupe et de pain, je pleurerai en silence,
sur cet homme qu'elle vit un jour, fauteuil contre fauteuil.