dimanche 31 mars 2024

Dame Courage

Elle est la marche lente
qui ne cesse jamais,
offrant au paysage
son sourire éternel.

Fille de la frontière
et d'un républicain,
elle est une Marianne
au fronton des Albères.

Et il n'est de douleur
qui la puisse écarter
des nobles randonnées
qu'avec Lionel elle fait.

Dona Coratge

Menteix el diccionari,
coratge és femení.
Té cara escabellada
i llengua sense por.

Defensa la justícia,
tingui el cost que tingui.
No dubta en plantar cara
als prepotents solemnes.

Desperta admiració
a tota Catalunya,
sense voler mai res
enllà de la concòrdia.













© Lionel Itié

Alberamistat

Entre les dues terres
d'una mateixa llengua,
s'han citat els amics
per celebrar la vida.

Davant del vell filferro
nostàlgic del franquisme,
somriuen a l'encant
de retrobar-se tots.

Al peu del Puig Neulós,
recorden les històries
de traginers astuts
i de duaners sagaços.



Heure de poètes

Mon heure est de poètes,
de douleur et d'envies,
variant au gré des songes
ou des vents du Midi.

Une heure de minutes,
de secondes, de siècles,
rétive aux divisions
des austères comptables.

Mon heure sait se taire
quand pleurent mes amis,
pour partager son pain
en miettes infinies.

Horari vital

És un arbre de vida,
el meu verd taronger.
Rellotge sens sagetes
per ritmar la nit fosca.

Deixant caure les fruites
amb un soroll ben greu,
em desperta a l'aurora
perquè compongui versos.

No sol conèixer canvis
d'horaris ni de dígits.
El seu temps és d'un any
d'una humana aventura.

Changement d'heure

L'aiguille est si petite
et sa pointe acérée.
Un dard de vermeil brun
tracassant les consciences.

Et l'heure est incertaine,
depuis un demi-siècle,
pour complaire aux puissants
qui dorment sur leurs sous.

Et cette heure d'été
arrive en plein printemps,
comme l'heure d'hiver
viendra en plein automne.

D'ici deux heures -ou trois-,
les enfants chasseront
les œufs en chocolat
d'un horaire immuable.

Canvi d'hora

Doncs he passat la línia,
sense adonar-me'n mai.
La busca del rellotge
se m'ha menjat una hora.

Una hora de silenci,
de dits buscant repòs.
Una hora sense versos
ni fiblada punxant.

La nit de primavera,
més curta d'un mes llarg,
que em desperta a l'aurora
de la Pasqua Florida.

samedi 30 mars 2024

Un homme bon

À la mémoire de Lucien

Tristesse dans la voix
de l'ami de toujours,
rentrant de Montauban
avec son amoureuse.

L'adieu à l'oncle franc,
lutteur infatigable
cédant à la fatigue,
au début du printemps.

Un portrait se dessine,
dans la voix de l'ami.
Celui d'un homme bon
qui manquera longtemps.

Le petit clown

À mon neveu Adam

Il nous fait une farce
avec un peu de rouge.
La pâte à modeler
lui fait un nez tout rond.

Et dans un grand sourire,
Adam devient un clown
ou bien le magicien
du samedi matin.

Ses parents vont bien rire,
sa sœur et puis son frère
et, près de Perpignan,
son bon tonton Michel.





Bouillonnement

C'est un bouillonnement
de mots et de saveurs.
La langue des poètes
vient de quatre horizons.

Je fermerai les yeux
aux langues inconnues.
Je serai tout ouïe
et j'ouvrirai mon cœur.

L'arabe guttural,
le rythme du wolof.
Voyelles attisées
par le chant du métreur.

Les mots sont la lumière
qui tranche sur la nuit.
Les sons la mélopée
qui unit les poètes.

Laisse entrer le soleil

Laisse entrer le soleil
dans la chambre fermée.
Les volets alourdis
grinceront sous le vent.

Son grave des oranges
qui tombent au dehors,
rêvant du panier bleu
qui les accueillera.

Laisse entrer le soleil.
Sa lueur est orange.
Il a goût de passion
et de lèvres pulpeuses.

vendredi 29 mars 2024

ÉLÉGANCE

L'Étranger ne pourra manger ton élégance,
il ne sait même pas comment l'aborder. Tu as la solidité
du geste, la parole juste, la beauté
qui lutte, comprend, s'expose, mais aussi le souci
de me voir (moi), de me dire l'importance
que tu as. Tu ne m'as pas permis d'user de la subtilité
comme d'un bouclier ou d'une cachette. La subtilité,
la tienne, vaut bien mieux. L'Étranger, ni son arrogance
ni son air pervers, ni sa poigne définitive
ni rien : la sérénité et la constance.
Tu as du feu. Tu m'exiges du feu. Tu veux un feu vivant.

Esteve Miralles
, traduit du catalan
par Michel Bourret Guasteví

Une rose pommée

À mon ami Paco,
en hommage à sa maman

Elle aimait tant les roses,
qu'elle sentait yeux fermés,
qu'il lui en portait le soir,
en rentrant du marché.

De jolies roses rouges,
pommées comme un baiser,
délice de sa mère
avant de se coucher.

Les années ont passé,
elle s'en est allée
dans un village blanc
que bordent des cyprès.

Alors, le vendredi,
en rentrant du marché,
il dépose, pour elle,
une rose pommée. 

L'agenda Codec

Un vieux livre de comptes
offert par l'épicier.
Année soixante-trois
imprimée au devant.

Recettes de ma mère
copiées à l'encre bleue.
Des coupures de presse,
épaisseur du volume.

Un volume oublié
dans le dernier tiroir
du bahut long en teck
acheté en Belgique.

Mon père

Mon père m'a manqué
et il me manquera.
Sa pipe de bruyère,
chargée de tabac blonc.

Sa voix infatigable,
ses histoires lointaines.
Ses Balzac en cuir vert,
sa passion de l'écrit.

Amant de l'imparfait
et des expressions rares,
il a su me donner
le goût de ciseler.

Des gants et des douaniers

À mon père

Sur la table, les gants
d'un voyage à venir.
La douceur du chevreau,
la blancheur de l'ivoire.

Une odeur délicate,
légère et entêtante,
de vieil amsterdamer,
et de remords passés.

La frontière des Flandres,
les douaniers engoncés
dans leur peau de mouton,
attendant les fraudeurs.

Les lévriers chargés
de ballots de tabac,
courant à perdre haleine
vers les estaminets.

Un coup de mousqueton.
Un seul. Sec et précis.
Et la course brisée,
la bête aux yeux brillants,

couchée sur son flanc gauche.
Le ballot détaché.
Le douanier satisfait
par la saisie soudaine.

La frontière invisible,
tranchant d'un coup sanglant
l'âpre glaise des Flandres
au parfum de reproche.

La maison dans la dune,
mon père disparu.
Ses histoires de douanes
et mes pleurs de la nuit.


jeudi 28 mars 2024

Chaleur des retrouvailles

À Sylvie et Henri

Le printemps des castells
mais à l'horizontale.
Le vert de l'oranger,

le jaune de la table.
Autour d'un riz brûlant,
les voix de l'amitié.
La chaleur du retour
des amis éloignés.

Quatre heures de sourires
et de complicité.
Le ciel de Montescot
jusqu'à Latour Bas Elne. 

Al cor de les roselles

Avui bussejaré,
entre mar i muntanya,
cercant la pau dels mots,
al cor de les roselles.

Un cor de tinta negra,
amb ploma de tendresa,
preciós pistil mel·lífer
rodejat de rojor.

Avui bussejaré,
entre la terra i el cel,
buscant la vida breu,
al cor de les roselles.




Traduire des amis

Traduire des amis,
se plonger dans leur être,
en savourant leurs lettres,
disposées à l'envi.

Étape nécessaire,
autant que de dormir,
de feuilleter, de lire,
ou bien de ne rien faire.

Ma métrique ressent,
les vibrations de ceux
qui habitent les cieux
et nourrissent mon sang.

NUE

La ligne sinueuse d'une épaule nue,
la tienne, l'épaule qui s'incline gracile,
qui oscille à droite et vers le haut, si aisément,
et en bas, à gauche, promenant la queue de cheval
si brune et si légère, qui, en dansant, excite la vanité
des yeux de l'Étranger, reconvaincu qu'il est aisé
de suivre ce zig-zag, pour savoir ce qu'il ferait s'il
voulait l'arrêter : yeux, tête, l'épaule nue,
et le corps et la taille, zig-zag, et moi,
car il me veut et ne me veut pas, l'Étranger qui aiguise ses yeux,
zag-zig, tout s'échappe.(Et ça n'a rien coûté de le dire.)

Esteve Miralles, traduit du catalan
par Michel Bourret Guasteví

Les wagons de la faim / Els vagons de la fam

Des hurlements de loup, distants, perforent le dense silence du vide.
Humide et glacée, la nuit attend la neige.
Des bois de chênes verts, de chênes et de pins grincent douloureusement
Ils sentent la froide chevauchée dans la garrigue à l'affût des récoltes

Le quai se dénude peu à peu,
Les gens montent dans les wagons vides de joie,
pleins de faim.

Les bielles esquissent une danse lente
mystérieuse et sensuelle comme celle des danseuses

En avant
En arrière
En avant
En arrière

Un brouillard dense et blanc sort du ventre du train
Au beau milieu de la brume un petit homme à chapeau
Court et pour un peu le rate.

Souvenirs soudains,
des lettres mâchonnées par des petits poissons d'argent sortent d'une boîte à chaussures.

Rosa Miró, traduit du valencien
par Michel Bourret Guasteví

Udols de llop, distants, perforen el dens silenci del buit.
Humida i gèlida, la nit espera la neu.
Boscos d'alzines, roures i pins cruixen llastimosament
Senten el fred cavalcar entre els matolls sotjant les collites

L'andana es despulla a poc a poc,
La gent munta als vagons buits d’il·lusió,
plens de fam.

Les bieles enceten un ball pausat,
misteriós i sensual com el de les ballarines

Cap a davant
Cap a darrere
Cap a davant
Cap a darrere

Una densa boira blanca ix de la panxa del tren,
Al bell mig de la bromada un home menut amb barret,
Corre i de poc, el perd.

Records sobtats,
cartes mastegades per peixets d’argent ixen d’una caixa de sabates. 

Cerbère seventies

Cerbère c'est pour moi,
la sortie de l'enfance,
les chaudes amitiés,
le goût de l'interdit.

L'entente avec mon frère,
la caserne des douanes,
Madame Catala
nous comblant de douceurs.

Des joies et puis des peines.
Christian le Marseillais,
arraché à la vie,
à moins de dix-neuf ans.

Les premières amours,
les bals des Casenove,
la Saint-Sauveur en feu
traversant l'horizon.

Ma mère si jolie,
sa Fiat 850,
les virées à Port Bou
dans la barque de Jacques.

Bien trop de souvenirs
pour mes hexasyllabes
mais le goût insensé
d'y repasser l'été.

Tornarem a Cervera

Tornarem al vilatge,
de la mà d'un amic,
l'estiu del vint-i-quatre,
a més de seixanta anys.

Vinguts de tota França
o del sud de l'Albera,
nos banyarem aviat
dins l'aigua blau de Prussa.

La ciutat Xocolata
o l'illa Canadells,
les barques catalanes
esperant el raig verd.

La moto del Didier
passant davant l'escola,
els discos del bon Cluf
gaudint de la penombra.

Tant de records passats,
la joia de l'atzar,
ganes de sardinades
i de vi del porró.

No feriran

No feriran la llengua
que volen expulsar
de les terres guanyades.

La llengua els guanyarà,
en paraules sobtades
que ja ragen dels cors.

No feriran la llengua
que volem espolsar
perquè caigui la fruita.

Ton dos

Ton dos est une plage
pour y marcher pieds nus,
le nez dans le vent frais
et les yeux sur la mer.

Ton dos est une voile,
éprise de passion,
un foc, un spinnaker,
tendu vers l'horizon.

Ton dos est une page
où j'aimerais écrire,
à la tombée du soir,
mes impressions premières.

Lire

Un coup de dés jamais
n'abolira le hasard.
Stéphane Mallarmé

Les beaux empattements,
griffures de la plume
sur le dos du papier.

Dessin de chaque lettre,
tirée des vingt-et-six
qui font notre alphabet.

Avec ces autres signes
qui donnent leur couleur
aux lettres minuscules.

Les accents, les trémas
et la jolie cédille,
faucheuse de papier.

Diacritiques bouffées,
qui signent le chacun
l'incroyable pensée.

Lire, c'est réécrire,
non point tout le discours
mais ses détails infimes.

Avant le mot à mot,
le curieux lettre à lettre,
le fameux coup de dés.

Le sens viendra après,
le repos de l'esprit
et la joie du lecteur.

mercredi 27 mars 2024

Flux

El poema és un flux
de lletres i de mots,
de sons i de silencis.

Després vindran els versos
i la blancor dels marges
per ultimar l'instant.

M'agrada aquest ruixat
de paraules vessades
i de besos robats.

Tabes

Jugarem a les tabes,
als ossets atzarosos.
I naixeran figures
del combat en petit.

Jo soc més de l'aigüera
i tu crec del botxí.
Violència apaivagada
pels somriures creuats.

Jugarem a les tabes,
jugarem als ossets.
El pati serà verge
i les mans uns velers.

Plaisir soudain

C'est un plaisir soudain
qui naît de l'écriture.
L'image de deux pieds
se frottant doucement.

Tiédeur de la caresse
qui échappe à la nuit
et donne à chacun d'eux
l'onctueux de la peau douce.

C'est un plaisir lointain
qui attend la lecture,
souriant par avance
au matin qui se fait.

Retour

Les vers sont revenus
au milieu de la nuit
dans le silence grave
de la maison paisible.

La pluie s'est arrêtée
qui irriguait les terres
et donnait à chacun
l'espoir de jours meilleurs.

J'aime la terre grasse
que je sens reposée,
le sol jonché d'oranges
arrachées par l'averse.

Les vers sont revenus,
attendant patiemment
les insomnies soudaines
et l'envie de café.

lundi 25 mars 2024

L'encrier de sable

C'est l'encrier de sable,
le servant de l'oubli.
Il dessert la mémoire,
au profit de l'écrit.

Écriture oublieuse,
arabesque insensée,
qui se complaît des pleins
et des pieux oubliés.

On jurerait Parnasse,
comptant rimes et vers.
L'ennuyeux monument
à la langue passée.

Funambulisme

Un filament léger
au sein de l'opaline,
comme une pampre unique
promettant un vin neuf.

Le rouge de la vie
qui se fond dans le ciel
et l'épaisseur du verre
qui mime la buée.

Instant d'éternité
que capte le phoète,
funambule avisé,
entre la terre et l'eau.














© Lionel Itié

Le jaune et la passante

Le jaune est un menteur
qui s'écaille et s'efface,
sous un ciel bleu à trou
qui jamais ne s'arrête.

La maison en suspens
reçoit un tronc gracile
qui pourrait la briser
mais ne fait que dormir.

Du jaune à l'ocre sombre,
du crépi à l'écorce,
il y a toutes les gammes
de l'amour en suspens.

Passante qui t'y arrêtes, 
ne crains pas la brisure
de l'ancienne maison
car elle te survivra.

Mais songe à cet amour,
que tu gardes en ton cœur,
et qui de l'or à l'ocre,
attend de t'envahir.



Ars est difficilis, recte traducere...

Ars est difficilis, recte
rempublicam gerere.
                    Cicéron

Traduire les silences, 
traduire les incises,
les brusques in petto,
les doutes du poète.

Oublier la blancheur
de la marge sereine
et s'accrocher aux signes
qui émaillent le vers.

Les rondes parenthèses,
les traits de désunion,
les gribouillis d'un soir,
oubliés par ennui.

AÉRIENNE

Regarde -l'Étranger-se balancer une mèche aérienne
de tes cheveux. (Ce doit être comme un pendule sans norme,
comme la plume d'un oiseau à langue queue ; la forme
d'une incision à l'arme blanche.) Il doit y avoir
un bon angle d'où l'on -moi- puisse pouvoir
regarder, pouvoir te regarder. Mais c'est qu'elle est énorme,
l'Étranger, elle ne bouge pas. Ta mèche, lamelliforme,
l'ha subjugué. Temps suspendu. Et le sortilège
ne doit pas se défaire, ni toi tu ne dois défaillir,
tu ne dois pas te cacher, ni t'oindre de mystère
et être pour elle, ou ne pas être, ni toi, pour moi.

Esteve Miralles, traduit du catalan
par Michel Bourret Guasteví

De la bouche aux yeux

La bouche s'est ouverte 
sur les horreurs du monde,
en un long cri d'effroi
et une obscurité.

La bouche s'est fermée
sur la douce tendresse,
la mollesse des lèvres,
le rose du palais.

Mais que font donc les yeux
qui voient sans une plainte,
étrangers aux souffrances
des peuples asservis ?

Exili de mirada

A l'escenari decadent,
l'èxtasi estèril de l'esquena
era exili de la mirada.
Bartomeu Rosselló-Pòrcel

Exili de mirada,
la teva esquena nua.
Parpelles de vellut
i dits que s'aventuren.

No crec en els llençols,
ni en els murs de la cambra.
L'esquena és una platja
i la mà caminant.

La blancor és d'ivori,
la sorra és de tebior.
M'adormo contra tu,
esperant les onades.

El hijo de la noche

El hijo de la noche
nace de sueños raros.
Luce un manto rayado
de raso oscuro y tierno.

Tiene voz de poeta
y cara forastera.
De azabache té ojos
con piel de chocolate.

De oriente és un rey,
sin corona de fieltro.
A todos trae prendas
de algodón y nilón.

Un diumenge de rams

Amagaré el meu llibre.
Margarita Ballester

No ho volia tot
mes tot em somreia.
Un diumenge de rams
en un bon restaurant.

Espera de la taula,
fillastre somrient.
Unes birres glaçades
abans del conillet.

La gent és tan distinta
que menja i va xerrant.
Triangle de converses,
graellada de carn.

No ho sentia tot
mes tot em mussitava
paraules de bondat
amb vinet de la casa 

Vers de papier

T'escoltava dormir,
al cor de la nit calma.
Je t'écoutais dormir,
au cœur de la nuit calme.

Le battement des sons
recouvre la distance
d'unes llengües cosines
amb vocals enemigues.

Amor entre inflexions
de mètriques semblants.
Ta voix dedans la mienne
et nos vers de papier.

Diumenge de punts

Dolor entre les taules.
La nit i l'oceà.
El vidre és l'enemic
i Chicago tan lluny.

Un diumenge de rams
amb un ram de punts crus.
fillastra coratjosa
que passa del dolor.

Set hores de distància,
inquietud de la mare.
Les nits són tan distintes
i l'amor té vint anys.

dimanche 24 mars 2024

EN L'AIR

Guide-moi : prends-moi tout, les mains, paumes en l'air,
tout pour toi, car je veux qu'aujourd'hui ce soit toi qui me conduises
jusqu'au repaire de mon Étranger, que tu m'y plonges
jusqu'au tréfonds du fonds, et jusqu'au bord
fragile des retours possibles, que tu me tresses
des nattes de souvenirs. Je le vois, il ne manque guère,
et l'Étranger t'a vu, il te sent,et l'air t'aimante,
l'air, l'air, tout, ne veut pas que tu le perturbes,
il veut t'accaparer, te faire sien, ta peau,
et les souvenirs que tu as, et tout ce que tu mérites,
et les souvenirs que me prend (ta peau), et les siens.

Esteve Miralles, traduit du catalan
par Michel Bourret Guasteví


TUTELLE

Quand percera le futur de l'Étranger mon tuteur
et que brûleront les bois et les falaises que tu admires,
tu verras comme tu le veux, comme tu le crains, comme tu le tires
par le bras et par le cou, par les cheveux, comme se voile
la lumière de tes yeux, comme tu le sens, comme tu soupires,
comme tu veux qu'il respire tes sons, comme il s'excite
et comme il s'agenouille à tes pieds et te dévoile
des secrets abominables, des cauchemars. Tu ne délires pas ;
tu ne sais pas ce qu'il veut, pourquoi il te veut, où il te cherche.
L'étranger veut te voler la lumière à laquelle tu aspires,
la voix, la douceur. Tout est mort; tout est mort brusque.

Esteve Miralles, traduit du catalan
par Michel Bourret Guasteví 

Κύθηρα

Un núvol com un munt,
nascut al punt del dia
de la ment fantasiosa
d'un jove adolescent.

En Joan avui fa anys.
Seixanta-cinc anyets.
Les ones del port nou
vogant cap a Citera.

De sa filla rebrà
un ram de flors violeta.
L'ofrena de la vida
al major dels amics.














© Joan Verger de la Caixa B

Une femme et un café

C'est une femme laide
qui tient un vieux café,
avenue de la Vierge,
en haut du Guinardó.

Le café est petit,
il n'y a que deux clients.
C'est l'heure matinale
d'un samedi de mars.

Elle dispose une table
pour son mari taiseux
qui entrera bientôt.

C'est une femme belle
qu'ont enlaidie les ans.
Des années de service,
sans un remerciement.

L'Odyssée et l'Iliade

À Roser, Marta et Oriol

C'est un livre petit,
trouvé derrière un meuble.
Les volets sont tirés
et la maison sommeille.

Il narre l'Odyssée
sur un papier de bible
et cherche son Iliade
perdue dans la pénombre.

Désordre de la pièce 
Centaines de torchons.
Sous une casserole,
attend le mince ouvrage.

L'Iliade et l'Odyssée
sont enfin réunies.
Varsovie, cent vingt-six
où vivait Angeline.

Tant de livres polis,
tant de carnets secrets.
Des milliers de feuillets
ont dévoilé leur âme 


Pensée cardinale

C'est comme un arc-en-ciel
qui naît entre les lignes
pour exprimer un trouble
que le respect préserve.

Mes mots sont un hommage
à la beauté de l'ouest.
Ils viennent du levant
et cherchent le couchant.

La caresse est légère
des yeux contre l'écrit.
Un papier de paupières
qui se ferme à la nuit.

Ploma de nit

La llengua és una ploma
que busca el seu tinter.
Entre llençols la nit
li dona tinta negra.

Els mots són com pedretes
o còdols del camí.
La ploma és indiscreta
i ja els vol seguir.

Misteris de la ploma,
callada a la nit,
que es desperta a l'aurora
per obrir un nou dia.

Night & Day

La nit és de paraules,
els cors són de batecs 
El dia de records,
els cossos de bons precs.

samedi 23 mars 2024

Licence poétique

À Joan Bagur

On le croit près des dieux,
il n'est que près des hommes.
Le poète s'incline,
pour cueillir des instants.

On le dit inspiré,
il aime respirer,
au détour des chemins
quelques herbes sauvages.

Et dans la grande ville,
fuyant le bruit des trains,
il cherche du regard
un oiseau qui sautille. 

ἀδελφός

Et c'est la vie qui prend
sur le cadavre froid.
Le tronc tout desséché
qui attendait l'hiver.

Des cordes et du lierre.
La mousse ou le cresson.
L'envoûtante présence
des branchages feuillus.

Bien sûr le tronc chancelle
qui veut se reposer
mais son frère le tient
qui va le préserver.



Amors impossibles

Els amors impossibles
de la verdor sobtada.
Lletuga i escarola
conviuen a la taula.

De la terra han sorgit 
de la mà d'un pagès.
A veure si algun dia
trabaran amistat.

Un raig d'oli d'ullastre
amb un pessic de sal.
Vinagre i pebre bo.
De kilòmetre zero. 














© Miquel Mariano Pons

UNE AUTRE FOIS

ce raffut : dans tous
les mauvais miroirs et une autre fois : ce
reflet flou abandonné
futur complémentaire

senteurs : coussins déserts
et fils qui ont vieilli : les confusions
d'un olivier à la voix d'un oiseau constant
(et ce raffut)

Esteve Miralles, traduit du catalan
par Michel Bourret Guasteví 

Puis te laisser courir

Puis te laisser courir
vers le piémont ombreux,
ivre de tes lectures
et de la voix des autres.

Tu es la liberté
qui flotte en haut du dôme.
Une étoffe sacrée
qui bientôt s'en ira.

La beauté du couchant
et le bleu de la nuit,
le rose de tes lèvres
attendant le matin. 

Déni du peuple

Je n'ai jamais connu 
la dureté du tour,
la graisse des cordages,
ni le sang sur les mains.

Je n'ai jamais connu
la lumière insolente,
disparaissant le soir,
au sortir de l'usine.

Je n'ai jamais connu
les rires en commun,
le gros rouge qui tache
ni la mort du copain.

Je n'ai jamais connu
les accents rocailleux,
les yeux rougis de pleurs
ni les crampes soudaines.

Je n'ai jamais connu
que la douceur des livres,
la blancheur du papier
et le déni du peuple.

Onzéchevelé

Les écrits d'un poète
tirent de l'écheveau
des femmes et des jours
leur rythme échevelé.

Et pour celui qui lit
son vélin odorant,
il est bon de coller
à la fièvre passée,

qui retire au sonnet
un pied de sa douzaine
pour créer un onzet
et déchirer le blanc.

Yerma

C'est un sabbat étrange,
le premier du printemps.
La nuit prend ses arômes
aux bourgeons qui sommeillent.

J'écoute le silence
d'un samedi de mars.
Il s'est gonflé du cuivre
d'un trompettiste aimé.

Silence de noirceur,
regrettant la blancheur
d'un verre de lait tiède
que Yerma désirait.

Lèvres d'acacia

La lune a disparu
du ciel de cette nuit.

L'encre noire l'a bue
qui sommeille à présent.

Alors je me l'invente
et goûte à sa clarté.

Dentelle de baisers
et lèvres d'acacia.

Un ami à vélo

C'est un ami de cœur
qui voyage et écrit,
tenant à chaque étape
un carnet d'impressions.

Il tire une carriole,
derrière son vélo,
surmontée d'un fanion
tout blanc comme la paix.

Les Navarrais l'estiment
car, en passant chez eux,
il a su communier
avec les pleurs du peuple.


Destinée

Le temps après le temps,
c'est le souffle de Chet.
Le cuivre qui tiédit
aux lèvres de l'amant.

La voix naît de ce souffle
qui y revient toujours.
Un instrument à vent,
le vent de ses paroles.

La nuit l'embrasse toute
de ses bras en couleur.
Le visage de Chet
a pour nom Destinée.

vendredi 22 mars 2024

Cheminée à l'abandon

À la mémoire de Miquel Martí i Pol

Délavée par la pluie,
la haute cheminée
a cessé de fumer.

Où sont les ouvriers
qui s'y pressaient pour vivre
huit heures de leurs jours ?

Les arbres la regardent,
en y compatissant.
De l'antique splendeur,
il ne demeure rien.

Trois tiges de métal,
attendant un éclair
qui jamais ne viendra.





Glycine

Un mot, un seul : glycine.
Le parfum du passé,
la douceur du présent.

Caresse sur la peau
d'un parfum singulier,
qui nous entête encore.

Caresse de ton mot,
comme une source vive,
attendant de la bouche,
la caresse furtive.

Glycine du printemps,
si vive dans mon cœur.

Les feuilles sont graciles,
leur verdeur transparente.
Les fleurs sont en cascade
jusqu'à toucher le sol.

Je ferme mes paupières
y reçois ses pétales.
Ma vue devient violine
et mon cœur ardéchois.



Una truita d'espàrrecs

Qui dirà dels espàrrecs
i de l'ou les virtuts
cardinals. Una truita.
Un batut escalfat.

Uns versos de verdor
amb un sol a trossets.
Salpebrem. I res més.

La primavera és groga
amb traços de verdor.

Ja és temps de dinar.



Folie traductrice

À Esteve Miralles Torner,
complice en écriture.

Il y eût cette folie,
de regagner dix ans,
en traduisant des vers,
comme on pêche à la ligne.

L'élégance du livre
et ses marges ivoire.
L'empattement des lettres,
le soin de la reliure.

Une folie étrange.
Pour un volume étrange.
Disparaître à jamais
derrière une écriture.

Je changerai de langue,
sans jamais la quitter.
À la rondeur des sons,
je donnerai l'aigu.

Mon français est du sud,
son catalan du nord.
La frontière est légère
pour qui parle de vie.

Le carré des années.
Cinq ans qui nous séparent.
Des librairies petites
et des rues si sonores.

On lit comme on avance
entre les murs glacés.
Traduire c'est relire
et relire exister.

Que Dieu me prête vie,
s'il est encore prêt.
Ou le monde aveuglant
qui guide mes pensées.

Alors viendront les vers
dessus tant d'autres vers.
La saveur du français
épousant sa voisine.



A les cinc en punt

És a les cinc en punt
que escriuen certs poetes,
tot just abans del sol
i dels quefers del dia.

La frontera és molt fina
entre terres germanes,
vibrant de sengles llengües
i d'accents singulars.

És a les cinc en punt,
quan dormen els veïns,
que certs poetes escriuen
per complaure'ls millor. 

Théâtres

C'est le théâtre vain,
la parole insolente
qui naît au coin des rues.

Des inflexions soudaines,
visages grimaçants,
à la tombée du soir.

Deux acteurs rapprochés
par la haine jetée
au visage de l'autre,

le désir d'en découdre
avant de se coucher
dans la nuit qui se fait.

Silence revenu
dans la ville des saints
brillant de mille feux.

C'est le théâtre vrai,
la parole chorale
des citadins sans voix.

Meubles en attente

Magie de la parole
qui sait transfigurer
les meubles silencieux.

La table de bois brut,
pleine d'ouvrages verts
et les chaises pliantes.

Attente du poète
et de ses deux amis
à dix-huit heures trente.

L'odeur est entêtante
qui remonte des livres
qui y assisteront.

Librairie de couleurs,
parole refermée,
entre un million de pages.

Sur les chaises pliantes,
tiédies par leur présence,
les spectateurs vivront

un jour de poésie,
riche de mille mots
et d'un visage doux. 


jeudi 21 mars 2024

Salt d'eix

Breu, involuntària,
                sobtada.

Dins del vidre gruixut,
l'aigua    fa    lupa,

prestant a la mà del poeta
la veu estranya 
                de l'amic.

Lletra petita.        Microscòpica.
                Gargots verds
i negres que guiaran la veu.

Al davant, llibres i més
                llibres.

Dia de poesia i verdor                                 
                infinita.







L'home del nas roig

No vull ser un sicari
ni militar armat.
Ja no tinc la pistola
ni cap arma de mort.

Només tinc ganivet,
Pallarès de Solsona,
i un nas roig d'escuma,
rodó com el planeta.

Amb ell estic sembrant
llavors de pau i goig,
unes coses senzilles
amb versos del rebost.



Flor de maduixa

De maduixa la flor,
ensucrada promesa.
Les veles del desig
amb cor de sol solet.

Efímera passió
captivant en Tomeu.
Llaminers serem tots
quan la flor faci fruita.

Mes gaudim de l'instant,
del plaer matiner.
L'illa centre del món
és paradís de dies.














© Tomeu Pons

De Clémence la fête

De Clémence la fête,
le jour des sucreries,
d'un printemps qui commence
et du soleil qui rit.

Dessous le col Claudine,
délicat et sérieux,
Clémence offre à chacun
son moment de bonheur.

Première fête tendre
d'une longue lignée.
L'envoûtante Clémence
nous verra à ses côtés. 




DE DOS / D’ESQUENA

Aujourd'hui je lis ces mots de dos,
parce que ce poème, c'est toi,
et parce que c'est aussi moi,
les gens du village où je vis,
les personnes de la ville où je suis né,
depuis la légère frontière
entre le ciel et la mer.
Tandis que le soleil essaie de traverser
les épaisses nuées, aujourd'hui,
du printemps éclatant,
et, le feu au cœur,
je dis, en les murmurant, ces mots
de dos.

Jordi Odrí, traduit du catalan
par Michel Bourret Guasteví


Avui llegeixo aquestes paraules d’esquena,
perquè aquest poema ets tu
i perquè també soc  jo,
la gent del poble on visc
les persones de la ciutat on vaig néixer,
des de la frontera  lleugera
entre el cel i el mar.
Mentre el sol intenta travessar
el nuvolat espès, avui,
de la primavera esclatant
i amb el foc al cor,
dic, mormolant, aquestes paraules
d’esquena.













© René Magritte

Valises de cuir

Je me suis englué
dans des vers de six pieds,
laissant à la frontière
mes valises de cuir.

Dedans, j'avais laissé
un curieux bric-à-brac :
oiseaux de paradis,
singes bleus des tropiques.

Des mouchoirs chiffonnés
par tant de nuits passées
à rêver du Grand large,
accoudé au balcon.

Benaventurat

Els déus a la platja.
Gumersind Gomila

Dels insomnis he tret,
la sorprenent consciència
de l'excedent de vida
que em regalen els déus.

Els ulls dins la foscor,
la boca del matí,
la llet d'un got de nit
esperant ser begut.

Soc benaventurat
d'aquests insomnis llargs
quan la pobra Florence
ja dorm sense remei.

Mirabeau inversé

À Joan Pere Sunyer,
avec reconnaissance.

Les vers dans le tiroir
attendent la lecture
des passeurs entre langues
avides de beauté.

Le tiroir s'est ouvert
sur l'étrange blancheur
de deux cahiers brodés
cachés dessous le pont.

Mirabeau inversé,
le front d'Apollinaire
s'offrant aux lents baisers
de Salvat-Papasseit.

Alba de primavera

Una fiblada al cor,
el raig de l'horitzó.
Els amors silenciosos
de la mar i del cel.

Un relat per escriure
amb tinta d'invisibles.
La rosada i el baf
dels albors d'aquest dia.

Alba de primavera,
poncelles a l'aguait.
El plugim és del cos,
el ventolí del cor.













© Joan Verger de la Caixa B

Aubes

Sur les doigts la rosée
des aubes invisibles.
Dans le cœur les parfums
des genêts silencieux.

mercredi 20 mars 2024

La valse des mois

Le mai venu
te rappelleras-tu ?
Joan Pere Sunyer

C'est la valse des mois
qui rient jusqu'en juillet,
dévoilant leurs clartés,
de l'aube au crépuscule.

De trente à trente-et-un,
vingt-huit ou vingt et neuf,
le soleil qui poudroie
et la pluie qui s'envole.

Voudras-tu donc danser
avec moi cette gigue,
un pied sur vendredi
et l'autre sur lundi ?

Misteri

Misteri de dos cors
que bateguen plegats.
Les cares són miralls
que van de l'un a l'altre.

Si la llengua és de tots,
per què parlen plegats,
mussitant compliments
i somrient serens?

Misteri de dos mons,
coincidint un dia,
malgrat els oceans
que els solen separar. 

Peussatge

Passatge, peussatge...
un massatge dels peus. 

Els dits són una ploma,
la planta com un mapa 

Dolor de la pressió,
que fa plorar el cos,

recordant les dolències,
malgrat el pas dels dies.

Tens cara de rap vell,
et digueren un dia.

L'esquena se'n recorda,
que pateix cada dia.

Passatge, peussatge...
un massatge dels peus.

Llegescriptura

El temps que tinc,
em dedico a llegir.
                         J. C.

Quan llegeixes escrius,
sense adonar-te'n mai.
Els mots són del poeta,
el sentit és de tu.

El signe és arbitrari,
ens diu el bon Saussure,
mes els ulls són de tu
i la fam és de tots.

Quan llegeixes escrius.
Deixa doncs els meus versos,
el teu despertador,
i comença a escriure 

Synesthésie

J'aime cueillir tes mots,
sur la langue la nuit.
Un souffle wagnérien
comme un plaisir soudain.

Cadence de la mer
qui s'impose et demeure.
Les draps sont une plage
qui invite à la marche.

Ferme donc les paupières
et écoute le vent.
Sens grandir dans ta bouche
l'iode qui sort de l'eau.

Dissociation du sens,
le son est ce qui prime.
La cadence est poème
et ma langue te lit.

Pouvoir des mots

C'est le pouvoir des mots
qui accroche la vue,
indépendant du sens
qu'un jour on leur donna.

Les lèvres se rejoignent
comme pour un baiser
et le son qui jaillit
entraîne tout le mot.

Ainsi était le mingle,
aujourd'hui envolé.
Un son d'harmonica
faisant trembler les lèvres.









Hypothétique hapax

Un mingle est un hapax,
illusion de la langue.

Une seule occurrence
et le cœur qui chavire.

Un petit instrument
de musique et c'est tout.

Le mot s'est envolé,
recherches infructueuses.

Une bouffée de juin,
poésie vagabonde.

Ai-je rêvé le mot ?
Le lecteur le saura.


mardi 19 mars 2024

Le quai de l'Impossible / L'andana dels impossibles

Je t'attendrai sur le quai de l'Impossible
Près de la Voie Lactée au coin de la Gare Égarée
Dans la cité des chats
Quand les hauts-parleurs annonceront notre train
Il n'y aura pas de retour possible
Les vitres de la salle d'attente nous souhaiteront la bienvenue
Des marathons de gouttes pour voir qui touchera la première le cadre
Le convoi arrivera
Une ambassade du vent du Nord murmurera mon prénom
Un consul du vent de Levant le tien
Ils se tromperont et il n'y aura pas de retour possible
Le poème répartira les restes d'amour dans toute la cité des chats.

Rosa Miró, traduit du valencien
par Michel Bourret Guasteví

T'esperaré a l'andana dels impossibles
Prop de la Via Làctia cruïlla Estació Perduda
A la ciutat dels gats
Quan la megafonia anuncie el nostre tren 
Ja no haurà volta enrere
Els vidres de la sala d'espera donaran la benvinguda
Maratons de gotes a veure qui toca primer el marc
Arribarà el comboi
Una ambaixada del vent del Nord xiuxiuejarà el meu nom
Un consul del vent de Llevant el teu
S'equivocaran i ja no hi haurà tornada enrere
El poema repartirà les restes d'amor per tota la ciutat dels gats.

Dolça artesania

M'afaiçones les hores
d'un plaer infinit.
Amb mans de terrissaire,
em guies per la vida.

Terrisses de fang clar,
esperant la foscor
del forn de Sant Vicens
per adquirir colors.

La dolça artesania
és cosa de passió.
Una passió callada
i mans de ceramista.

Una crema senzilla

M'ha vingut a la ment
l'olor de la carbassa.
De la carbassa cuita
amb trumfes i carrotes.

Una crema senzilla
en plats ataronjats.
Un record de l'hivern
que ja fa les maletes.

Culleres de vermell,
estovalles de fil.
Un sopar deliciós
en un castell de cartes. 

Àngel mut

M'has curat el peuet.
M'has tret una pedreta.
Dits de la costurera,
vetllant pel caminar.

A la llum de la llar,
les mans m'acaronaven.
Vesprada de carícies
i dolor que se'n va.

Demà caminaré
pels carrers de la vila.
Als peus unes carícies.
Al cor un àngel mut.

De la llet al llit

Un got de llet calenta,
com un recordatori 
Desig apaivagat
i ganes de somriure.

Un tastet ensucrat,
els llavis que s'alleten.   
Mamella de cristall
que cap en la mà tèbia.

La llet és tinta viva.
Un miler de poemes,
esperant ser escrits
quan tornis al llit quiet. 

Le surplus de la vie

Et le silence est né,
d'entre les draps froissés.
Les ombres se sont tues
et  le plafond regarde.

C'est l'heure réflexive,
le surplus de la vie.
Un cadeau des dieux las
aux couples endormis.

Dans l'air de cette nuit,
les chants d'une chorale.
Le lointain souvenir
de notes appariées.

Simplicités

La vie. La simple vie.
Le plaisir de savoir
la vie qui continue
dans l'autre qui sommeille.

Des vers. De simples vers.
Des brassées de syllabes
pour honorer le cœur
de celle que l'on aime.

La nuit. La simple nuit.
Un havre de paix froide,
alors que, dans le monde,
l'amour est menacé.

lundi 18 mars 2024

Carrer de la Tosca

Darrere les portes,
conjuguen els verbs
de les llars ancestrals.

Olor dels ous ferrats,
cuinats amb sobrassada
i porros del jardí.

El carrer de la Tosca
invita a la quietud
i a xafardejar.

Le désir

Le poème est l'amour réalisé
du désir demeuré désir.
                              René Char

Le désir. Rien que lui.
La braise au fond des yeux
et les mains qui se cherchent.
Sans jamais se trouver.

Le plaisir peut attendre
ou ne jamais venir.
Le désir, à l'inverse,
sait se lever matin.

Il délaisse le chant
pour la voix qui le porte,
l'étendard victorieux
pour le bras du poilu.

Una teulada

Una teulada. Vella.
De teules silencioses,
de molsa i de matisos.

Una teulada digna
per rebre els plors de tots
i la pluja de març.

A sota hi dormen ànimes
dels amics traspassats
i dels versos futurs.



Miroir de la pensée / Mirall del pensament

C'est la fleur du silence, 
És la flor del silenci       
la fleur de poésie.
la flor de poesia.
La pensée du jardin
Pensament del jardí
qu'irrigue la rosée.
que irriga la rosada.       

Un soupçon de malice,
Un pessic de malícia,
la générosité,
la generositat,
et l'amour des anciens
i l'amor dels ancians
qui passent sans la voir.  
que passen sense veure'l.       

Vous la verrez peut-être,
Potser que la veureu,         
si vous allez au port.
si aneu cap al port.
Et elle vous saluera,
I us saludarà,
sans vous parler jamais.
sense parlar-vos mai.        



Tions de primavera

I la llar sense foc
entre parets ombroses. 
La boca de negror
remugant improperis. 

On és la flama viva,
la brasa vermellenca,
el balancí joiós
i el tamboret de soca?

Tota llengua fa foc,
fins i tot sense llenya.
Donarem a la llar
tions de primavera  
  

Nuit sans ancre

Une nuit d'encre noire,
un navire sans ancre,
voguant dans le brouillard.

Et pourtant le sourire,
le désir de tes mots.
Tes lèvres sur la peau
d'un marin fatigué.

Que belle est l'existence
et les bourgeons sur l'arbre.
Les fleurs sur l'oranger
naîtront après les fruits.

Pour rêver lentement

Et le rire est venu,
du fond de cette nuit.
Un rire salvateur
pour briser mon ennui.

Un tonnerre de cris,
d'épices et de vermouth 
La volonté soudaine
de sourire à la vie.

Le drap est une plage
à la largeur immense.
Une étendue de sable
pour rêver lentement.

Hippocampes

J'aime pêcher la nuit
de jolis hippocampes,
sortis des rêves fous
des artistes des mots.

Le poinçon sur le vase
ignore la frontière,
entre la terre et l'eau,
le rêve et le réel.














© Gumersind Gomila
© Éric Talavan (photo)

Joie sereine

Il y eut la joie sereine
des soirées de juillet,
le rire des enfants
et la passion des grands  

Les sorties au hasard
dans des chemins étroits,
La bâtisse inondée
par le soleil de mars.

Des milliers de sourires
et des tables garnies.
La pudeur chaleureuse
des amants de la vie.

Le pays sans étoile

Le mois est en son terme,
dans la nuit sans étoile.
Où est la joie de l'or
qui enchantait la cour ?

Les volets sont tirés
et les plats sont rangés.  
Il reste de la fête
le rire des enfants.

L'ennui est revenu
avec les insomnies.
Il n'est pas de parole
au pays sans étoile. 


Tanta sorra

Tanta sorra per fora,
l'or pàl·lid del desig.

La mar com una traça,
un raig de blau silent.

Tristesa de l'amant
que espera i no compleix.

dimanche 17 mars 2024

A amb A

Un gronxador de fusta,
dessota el taronger.
Caputxeta vermella
somriu a l'objectiu.

l'Aina ha deixat els deures
per escriure una foto.
Un poema visual
amb l'Anaïs al cor.

No ha calculat res
i s'ha deixat sorprendre.
La filleta somriu
a l'artista ambulant.













© Aina Diaz

Argent et or

Le silence est d'argent
dans la nuit cristalline.
La nuit est illusion,
la clarté certitude.

Les mots sont des éclats
de lumière soudaine.
Le bleu du ciel de mars
et la verdeur des prés.

L'orange est en tout lieu
qui caracole en tête.
Entre les doigts espiègles,
son jus est d'or fondu.

Estacions

És un viatge de pell,
els llavis per l'esquena.
Un viatge de violins
i de silenci clar.

La pell és partitura
que sabem de memòria.
Viatgem amb els ulls closos,
les àniles obertes.

Música de la nit
i foscor del desig.
Un concerto de sons
amb tantes estacions.

.

samedi 16 mars 2024

Finesse de la ligne

La frontière est si fine
pour les amants des langues.
Saveur des accents proches
et des tournures rares.

On écoute et on pêche
de drôles d'expressions
dont on fera son miel
avant que de marcher.

Assis dans un café, 
bien loin de tout tumulte,
on biffera la ligne
d'un vers transfrontalier.

Plaisir serein

C'est un plaisir serein
que de voir l'eau épaisse
se modeler soudain
sous les bras des nageurs.

La fatigue est intense...
On dirait des haleurs,
remontant les canaux
à la force des bras.

Silence du lieu clos.
Natation exigeante.
On demande à chacun
le meilleur de lui-même.

Matí de març

És un matí de març,
l'anada a la piscina,
el color blau de l'aigua
i tanta xafogor.

Un ball de braços lents,
l'entrenament segur.
En Martí progressant
amb cara submarina.

Me l'observo tot sol,
a dalt de les escales,
agraint a la terra
el plaer d'ésser pare.

Verdeur soudaine

L'hiver est en son terme,
usé de tant de vers,
de paroles tremblantes
malgré la cheminée.

On veut des mots tout neuf
des bourgeons qui éclatent
d'une verdeur soudaine,
d'un jus acidulé.

Le dernier tiers de mars
verra changer de plume
les poètes friands
de vers renouvelés.

Lune de faïence

J'ai rêvé de la lune
et la lune est venue.
Un disque de faïence
sur la table posé.

En son cœur les saveurs
d'un vendredi de fête :
ratatouille brûlante
et viande marinée.

Mais la lune est gibeuse
qui se vide soudain.
Le plat vite lavé
rejoint le placard gris.

Descans

Efímeres paraules,
els versos de cotó.
Uns fulls de pergamí
com una pell distant.

Descansa el dit cansat,
la ploma fugissera.
Cantusseja a la lluna
un cant de llibertat.

Paraules permanents,
entesa de poetes.
Les fulles del til·ler,
les brases de la llar. 

vendredi 15 mars 2024

Or

Avui el port és d'or.
Un regal de llevant
pels homes matiners.

Els núvols són de plata
gelosos del daurat.
Diuen que fugiran
cap al ponent de l'Illa.

A la vora de l'or,
en Joan xerra francès
amb un amic ciclista
que demà sortirà. 















© Joan Verger de la Caixa B